12

Si proche, si proche, si proche. J'avais du mal à concevoir que c'était moi qui venait de faire ça, moi qui venait de m'avancer vers lui, moi qui... en voulait plus. Toute cette souffrance, celle de voir Mika terrifié, celle que mon corps éprouvait, celle que le lendemain me promettait, j'avais le besoin de m'en débarrasser: et le seul capable de m'y aider était Mika. Surpris, ce dernier essaya de se reculer mais je ne pouvais pas le laisser partir: je le retins en m'accrochant plus à son sweat, ne desserrant mon étreinte que lorsque je n'eu plus de souffle, plongeant mon regard dans le sien, troublé. Il haleta:


- Yuu... Tu ne peux pas...


Je me suis approché davantage de lui, prêt de nouveau à l'embrasser, mais il me repoussa, détournant la tête et fermant les yeux, fort, comme pour se fermer à toute tentation — ce qui, dans mon état qu'on pourrait presque qualifier d'ivresse, m'irrita au plus au point.


- Non. Je ne peux pas te faire quelque chose comme ça. Hors de question, déclara-t-il.


Sa voix éraillée, son souffle à quelques centimètres de mon visage... tout m'attirait chez lui. Et c'est pourquoi je voulais le sentir bien plus proche de moi.


Ce sentiment. De l'amour.


De l'amour comme je n'en avais jamais ressenti. Un sentiment qui faisait du bien, qui pouvait tout éclipser, ce sentiment que j'avais déjà accepté mais jamais éprouvé avec une telle force. Ce n'était pourtant pas comme si j'oubliais que Mika avait été nymphomane. Il a très certainement du en souffrir, de sa maladie. Même, il en souffrait très certainement en ce moment même. Et moi...


Je ne fais qu'en rajouter.


Mais une autre voix persistait dans ma tête, et avait par ailleurs complètement prit le contrôle de mon corps. Celle qui disait: "qu'importe?"  Nous avions bien trop besoin l'un de l'autre pour que je le laisse s'en aller ainsi. Et de toute façon, toute réflexion était inutile, mon esprit était perdu dans un épais brouillard. J'ai attrapé son menton, le forçant à me regarder. Dans ses yeux bleus sombres se reflétaient toute la souffrance et tout le désir qu'il devait éprouver en cet instant.


- Mika? On a énormément parlé de moi, mais... Dis moi, qu'est ce que ça te faisait, ta maladie? 


Toujours confus, il secoua la tête.


- Je ne sais pas. C'est quoi, cette question?


- Dis, ça te faisais du bien d'oublier un peu tes problèmes, n'est ce pas? De ressentir du...  plaisir?


Il se crispa.


- Pourtant, tu ne voyais pas tes partenaires, exact? Tu n'arrivais pas à t'y attacher?


- Yuu... c'est pas toi, ça. Reprends un peu conscience.


Chacune de ses paroles m'hypnotisaient, accentuant mon désir. Je me suis hissé sur la pointe des pieds, toute ma douleur complètement oubliée, enveloppée dans du coton. J'avais l'éternité pour souffrir. Présentement, je le voulais, lui. J'ai posé mes deux mains sur ses joues.


- Mika, s'il te plait, lui murmurai-je à l'oreille.


Comme n'y tenant plus, il me serra contre lui et m'embrassa dans le cou. Sentant ses baisers descendre vers mon épaule, devenant morsures, mon souffle se fit plus irrégulier; et rapidement, j'en suis venu à la conclusion que je n'avais plus aucune maitrise de mon corps. Avec ses gestes, Mika arrivaient à me faire frissonner comme je ne l'avais jamais fait, à me faire ressentir ce que je m'étais toujours refusé, à me montrer sous mon jour le plus laid, le plus manipulateur. Tout ça pourquoi? Pour cette demande muette, cette prière silencieuse. Ce «aide-moi. » . Ce « fais-moi oublier ». 


Il attrapa de ses deux mains mes hanches, en prenant soin de ne pas toucher mes blessures et j'ai enroulé mes jambes autour de sa taille en ne sentant pratiquement plus mes courbatures. Je ne m'étais jamais permis à désirer quoi que ce soit, comme si ça ne m'étais pas autorisé. Et pourtant... Aussi égoïste que ça pouvait paraître, je voulais être sien. Ses mains parcoururent mon dos, me faisant frémir de plaisir à chaque mouvement. Nos halètements résonnaient dans la pièce silencieuse mais j'étais bien trop focalisé sur cette personne qui devenait mon amant pour m'en apercevoir. Bien qu'hésitant, je lui ai embrassé à mon tour le cou, goûtant à son parfum musquée ce qui l'a de nouveau poussé à se crisper. Comme forcé, il s'arrêta et je sentis son souffle chaud dans ma nuque. Il posa son front sur mon épaule.


- Yuu... Repousse-moi, je t'en supplie, souffla-t-il.


Cette volonté de résister, c'était étrange. Je l'ai scruté un moment, reposant les pieds sur terre.


- Pourquoi tu fais ça, Mika? Ça ne te fais pas souffrir? Comme l'autre fois, sur le toit de l'école, ça t'as fait mal de te retenir, non?


- Ça n'a rien à voir avec ce que je ressens.


Il releva douloureusement la tête avant de fixer mes lèvres, les dévorant du regard.


- Au contraire, ça a tout à voir. Tu vois, l'autre fois, j'avais l'impression que je n'étais qu'un objet à tes yeux... Mais aujourd'hui, je suis persuadé du contraire.


On peut même dire que je comprends ce que tu as ressenti, Mika.


- Non, je ne veux pas que tu deviennes quelqu'un comme les autres, tu es plus que ça pour moi. Ne me fais pas redevenir le monstre que j'étais, je t'en prie.


- Jamais je ne te considérerais comme un monstre. Tu-


Je m'y autorise? Espérer? Accorder ma confiance? On ne parle plus d'amitié, là. Ce que je ressens pour lui...


Quelle question. Bien sûr. 


 Car il n'était plus question de moi et de moi seul. Il était aussi question de quelqu'un pour qui j'avais de l'importance, quelqu'un à qui je devais la vérité.


- Tu ne comprends pas? Ce que je « ressens » pour toi c'est de l'amour, abruti!


Il secoua la tête, avant de rester complètement immobile. Il soupira, ses épaules s'affaissèrent et le silence retomba sur la pièce; et c'est dans cette impassibilité qu'une larme roula sur sa joue. Silencieusement, sans que je m'y attende ou puisse m'y préparer. Comme si je me réveillais brusquement d'un profond sommeil, je me sentis soudainement coupable. Un mélange de gêne et de confusion s'empara de moi et je me sentis devenir écarlate.


C'est toi qui a fait pleurer Mika.


- M-Mika? Ça va? Je suis désolé, j-je ne voulais pas- ne pleures pas, s'il te plait, je suis-


Il releva la tête et m'offrit un sourire des plus magnifiques et sincères qu'il ne m'avait jamais offert. Un sourire qui me percuta de plein fouet.


- Tu as tellement changé, Yuu-chan.


J'ai détourné le regard.


- Ah, vraiment?


- Tu es la première personne à qui une déclaration me fait cet effet.


Mika n'est jamais tombé amoureux?


On resta face à face, sans avoir quelque chose à nous dire et sans que ça nous gêne.


- Je suis désolé, pour ce qui vient de se-


Il me plaqua une main sur la bouche et quelqu'un frappa à la porte, ce qui me fis sursauter.


- Les garçons? demanda la mère de Mika, vous avez fini? Le diner est prêt!


Il prit une inspiration et se recula d'un pas de moi.


- Oui, on a fini. Une minute, s'il te plait.


- Papa est arrivé: il meurt d'envie de rencontrer Yuu-chan! Ça lui fait très plaisir de savoir que tu as ramené un ami à la maison! Tu sais, on était persuadés que tu resterais tout seul, vu comment tu étais grognon à l'idée d'aller dans ce lyc-


Il rougit légèrement.


- Oui, je sais ce que vous pensiez, c'est bon. Tu peux nous laisser?


Ses pas s'éloignèrent et je me suis accordé à rire un peu.


- Alors comme ça, ça fait très plaisir à Papa que tu aies un ami? ricanai-je.


Il sourit.


- La ferme.



*



Il m'a laissé prendre une douche, m'assurant que les bandages étaient imperméables, m'a donné des fringues de rechanges (un T-shirt noir et un de ses jogging blanc) et même si c'était idiot, je ne pouvais m'empêcher de sentir l'odeur de Mika. Seul, dans la salle de bain, ressentant les antidouleurs faire petit à petit effet, j'ai repensé à ce qui s'était passé - ou plutôt, à ce qui avait manqué de se passer. Je lui avais littéralement sauté dessus.


Il tient à moi. Pour de vrai. Il ne m'a pas menti. Il ne me ment pas.


Voila ce dont j'essayais de me persuader. Tout ce que je m'étais répété pendant des années « Méfies-toi, fuis », j'essayais de l'oublier. J'essayais désespérément de faire taire cette voix qui me disait que les sentiments authentiques n'existent pas, que tout n'est qu'intérêt personnel. Je suis sorti, ai marché le long du couloir et ai descendu les escaliers en faisant attention de ne pas tomber. Ma tête me tournait un peu, je devais faire attention. Mika était entrain de discuter avec son père et sa mère, qui paraissaient réellement surexcités. Son père, lui aussi typé japonais, avait des cheveux brun chocolat et des yeux noisettes et étaient habillé d'une chemise et d'un pantalon noir. Il se tournèrent vers moi et je n'eu même pas le temps de m'incliner que son père me... Me serra la main.


- Yuu-chan, c'est vraiment un plaisir de te recevoir chez nous!


Un contact physique, direct? Avec un homme adulte?


Je sentis les battements de mon cœur s'affoler.


Ne parais pas bizarre, ne parais pas bizarre, dis quelque chose, allez, c'est une poignée normale, tout va bien.


Je ne pouvais pourtant rien dire, rien faire à part regarder mon poignet tremblant. La mère de Mika passa un bras par dessus mon épaule.


- Mon mari travaille beaucoup à l'étranger, il a de drôles de réflexes, ria-t-elle.


- Oh, excuse-moi, dit-il en me lâchant. Je reviens d'Europe, et c'est comme ça qu'ils se saluent, là-bas.


- I-il n'y pas de mal, réussis-je à articuler.


Oui, ça arrive aussi aux japonais, après tout.


- Alors comme ça, tu arrives à supporter Mika? Avec son sale caractère?


- Papa, ne me flanque pas la honte, s'il te plait, grommela l'interpelé.


Ses parents se mirent à rire.


- Je plaisante, je plaisante. Tu dois avoir faim, Yuu? Si on passait à table?


J'ai jeté un petit regard en coin à Mika. Je me demandai si il leur avait parlé de ma condition. Je n'espérais pas. Je ne voulais surtout pas qu'ils éprouvent de la pitié à mon égard, ce serait la pire chose qui pourrait arriver. Mais pourtant, quel genre de parents accueillent avec un grand sourire l'ami de leur fils (fils au casier judiciaire non vierge) ensanglanté jusqu'au cou sans se poser la moindre question?


Je m'assis face à Mika, sa mère à côté de moi, et on commença à manger sur une magnifique table de bois d'érable, dans des assiettes splendides. Durant le repas (délicieux et nutritif, juste ce dont j'avais besoin) son père nous posa quelques questions sur nos profs, si j'étais bon en cours et ce que j'aimais faire; puis il nous raconta ses multiples voyages à travers le monde, ce qui m'intéressa assez pour que j'oublie le malaise de notre rencontre. Il avait voyagé sur tous les continents, parfois pour son travail, parfois pour des missions humanitaires.


« C'est dans une de ces missions que mes parents se sont rencontrés » a annoncé Mika avec un certain air de fierté.


Malgré moi, je l'enviais un peu. Ces gens étaient vraiment formidables. Bien entendu, je ne pouvais pas les comparer avec mes propres parents qui avaient vécu des choses atroces, mais c'était vraiment des gens bien. Il avait de la chance d'avoir des parents pareils. À la fin du diner, en débarrassant, la mère de Mika s'exclama:


- Oh, mais où est-ce que Yuu va coucher?


Mika eut un sourire suggestif et je lui ai lancé un regard-qui-tue, l'air de dire « pas une seule réflexion ». Son père haussa les épaules.


- On a un matelas en parfait état dans la cabane dans le jardin. Il y a un peu de bazar dedans mais si on y va avec Mika, je pense qu'on pourrait facilement le retrouver.


J'ai jeté un regard par la fenêtre, où la neige soufflait furieusement.


- Ne vous embêtez pas pour moi, si vous avez un canapé, ça fera-


- Allons-y! dit Mika en m'ignorant.


On se retrouva donc la mère de Mika et moi dans une cuisine d'un blanc immaculé, entrain de faire la vaisselle, ayant pour seul éclairage un plafonnier vert émeraude. Elle n'arrêtait pas de parler, encore et encore, comme si le silence était pour elle quelque chose d'inconcevable. Mon esprit sous antidouleurs et fatigué avait du mal à suivre tout ce qu'elle racontait, mais ça ne me dérangeait pas vraiment. C'était agréable en quelque sorte. Je n'avais jamais fait la vaisselle avec quelqu'un d'autre. Elle parlait du temps affreux, du point auquel elle était heureuse de me recevoir, de Mika qui se « débrouille comme un chef en dépit de son redoublement » . Je trouvais l'affection qu'elle lui portait touchante, et je me suis demandé si ma mère se comportait comme ça avec moi, avant. C'était fort probable.


Ma mère, qu'était-il entrain de lui arriver en ce moment même? Est-ce que je devais me sentir coupable de ne pas être rentré à la maison? Et qu'est ce que je pourrais faire, où pourrais-je aller sans que ça leur en coûte?


- Yuu? demanda-t-elle.


J'ai sursauté, manquant de faire tomber le verre que j'étais entrain d'essuyer.


- Hein? Oh, excusez-moi, j'étais perdu dans mes pensées.


- Ne t'excuses pas, sourit-elle. J'aime bien quand ça m'arrive. Je te demandais si - par hasard - ta maman a réussi à te joindre?


Mika ne leur aurait rien dit? Étrange.


J'ai agrippé la vaisselle.


- Ma... mère ne s'inquiète pas trop, ne vous en faites pas.


- Ah, dit-elle en baissant la tête.


Comme si elle hésitait à continuer mais que le silence devenait trop lourd à supporter, elle finit par déclarer:


- Tu sais, on va faire ce qu'on peut pour t'aider, Yuu. Tu as l'air d'être vraiment quelqu'un de bien. Mika tient beaucoup à toi et... Ah, ne lui répète pas ça, il m'en voudrait, mais pour tout te dire, quand il a commencé l'année, il me paraissait vraiment mal parti. Les médecins avaient dit qu'il était en pleine forme, mais ce n'est pas du tout l'impression que j'avais. Et pourtant... quand il t'a rencontré, il était vraiment... je ne sais pas, différent. Il a insisté pour sortir aux fêtes de l'été, il arrêtait de s'entourer de mauvaises personnes... Je devrais te remercier pour l'influence que tu as eu sur lui.


Moi, une bonne influence? C'est une blague?


Elle tressaillit.


- Pardon, il t'avait bien mis au courant de son problème?


Je mis du temps à formuler une phrase correcte tant j'étais surpris par ses paroles.


- Euh.. Oui. Oui, bien sûr, il m'en a parlé.


- Et tu restes ami avec lui malgré ça? Tu sais, peu de jeunes de ton âge ferait de même. Tout ses anciens camarades lui ont tourné le dos. Il s'est retrouvé très seul, uniquement entouré de jeunes filles intéressées. C'est pour ça qu'on a vite déménagé.


Je pouvais l'imaginer, en effet. Sa vie ne devait pas être drôle tout les jours, après être sorti de clinique psychiatrique. Mais une question me démangeait depuis un moment, alors, dans un excès de courage, je lui ai demandé:


- Et-et vous, madame? Comment est-ce que vous avez réagit quand vous avez apprit qu'il était - euh - malade?


Elle me regarda d'un air surpris, comme si la question que je venais de poser était complètement insensée.


- Moi? J'étais triste pour lui. Tu sais, ce n'est pas un mauvais garçon. Quand on lui a demandé de nous expliquer ce qui s'était passé, jamais il ne s'est mis en position de victime. Il ne cessait de se dénigrer, de dire qu'il n'était même pas digne d'habiter avec nous... Mon Dieu, je suis si heureuse qu'il ai passé ce cap!


Des adultes pareils, je n'en avais jamais rencontré auparavant. Les adultes se comportent toujours comme si ils avaient perdu une partie de leur identité et que, pour se venger, ils menaient la vie dure à ceux qui ont encore toute leur personnalité. C'est comme ça que j'ai toujours vu les choses. Pourtant, cette femme était complètement différente. Elle avait une vue altruiste, impartiale, humaine devant les choses. Si la décence ne m'en avait pas empêché, je me serais jeté dans ses bras.


Je me suis incliné devant elle.


- Ne dites pas que vous devez me remercier, je n'ai absolument rien fait. C'est moi qui vous remercie pour tout ce que vous faites, Mme Hyakuya.


J'entendis le bruit d'une assiette tomber dans l'évier alors je me suis redressé. Son visage exprimait l'incompréhension et ses yeux étaient plongés dans les miens, ce qui me fit rougir.


Quoi, qu'est ce que j'ai encore dit?


- Hum.. Madame?


Elle secoua la tête et se remit à laver la vaisselle.


- Je... ça m'a fait juste bizarre de t'entendre m'appeler comme ça. Je pensais... Je pensais qu'il t'avait tout dit.


Quoi? Qu'est ce que ça veut dire?


- J-je vous demande pardon?


Elle reprit un petit sourire triste et, sans me regarder, me dit:


- Tu sais, Yuu-chan, on aime vraiment Mika comme notre propre fils, mais nous ne sommes pas ses parents biologiques. Nous l'avons adopté à l'anniversaire de ses huit ans.

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