Chapitre 5.



La nuit était déjà tombée depuis plus d'une heure, quand j'ai franchis le seuil de la porte d'entrée. Mes parents m'attendaient à bras ouvert... Ou plutôt les bras croisés. Ils avaient l'air furieux, bien que ce terme ne soit qu'un euphémisme. J'avançais timidement, à quelques pas d'eux.

— Tu te moques de nous ? me cria mon père.

— Quoi, qu'est-ce qui se passe ? demandais-je innocemment, sachant pertinemment qu'ils savaient que quelque chose ne tournait pas rond.

— T'étais où cet après-midi ? me balança ma mère, très énervée.


Cette question me plongea dans une terrible réflexion. Deux choix s'offraient à moi. Le premier, leur dire que j'étais, comme il était convenu, chez Kleden. Cependant, en optant pour ce choix, et au vu de leur comportement, il était inenvisageable de leur dire ça. Le deuxième, leur avouer toute la vérité. Ça aussi c'était un mauvais choix : il m'aurait obligé à leur dire que je leurs mens depuis quelques jours et que je côtoie ...

— On sait très bien que t'étais pas chez Kleden ! me coupa mon père dans ma tentative de réflexion.


Je crois que je n'ai eu d'autre choix que de prendre le troisième: m'enfoncer encore plus dans le mensonge. Généralement c'est ce que font les gens qui cachent la vérité. On se dit toujours qu'on ne serait jamais capable de faire ça, mais, on n'est jamais vraiment confronté à ce genre de situation...

— Je... J'ai rencontré une fille, ai-je bafouillé tout en étant d'être le plus convaincant possible.


La tension insupportable qui avait monté mes deux parents contre moi avait drastiquement chuté. Ils avaient décroisés tous deux leurs bras, et mon père venait de défroncer ses sourcils.

— Ça fait longtemps que ça dure ? reprit ma mère sur un ton nettement plus calme.

— Quelques jours à peine, c'est pour ça que je ne vous en ai pas parlé.

— Tu aurais quand même pu éviter de nous mentir ! continua mon père, toujours un peu furieux, bien qu'il ait tout de même lâché l'air énervé qu'il a l'habitude de prendre.

— Pardon, je suis désolé, ça ne se reproduira plus !


Au fond de moi, je savais très bien que ça allait continuer, puisque en ce moment même j'étais en train de leur mentir, pour tenter de préserver du mieux que je pouvais la vérité.

— Et... Je peux savoir comment elle s'appelle ?

— Maman !


Leurs appréhensions passés, ils ont continué de discuter tous les deux, et je me suis éclipsé en douce, en direction de ma chambre, comme la veille. Premier réflexe, me jeter dans le lit. J'en avais cruellement besoin. En tombant, droit comme un piquet sur mon lit, j'avais l'impression d'être à la place de ces hommes que j'avais vu chuter plus tôt. Pourtant, je me sentais vivant, eux, ce n'était peut-être plus le cas. Je restais, sans avoir la moindre notion de temps, affalé sur le ventre, à ressasser tout ce que j'avais pu voir, entendre et ressentir là-bas ; un calvaire, de la souffrance. Et pour le coup, la notion de temps m'avait vraiment échappée puisque je suis resté dans cette position jusqu'à ce que mes parents m'appellent pour le dîner.


Après avoir parlé de sujets qui ne m'intéressaient absolument pas avec mes parents, comme les pseudos-élections municipales, j'avais presque fini d'effectuer la routine D du soir : dîner, douche et dodo. Ça fait très gamin de le dire comme ça, mais c'est ce qui me berce depuis ma toute jeune enfance, et je ne me vois pas grandir sans l'un de ses trois D ! Je pouvais donc enfin accomplir de dernier D : le sommeil !


La nuit se déroulait parfaitement bien : j'assassinais des gens avec mes orteils et je mangeais des animaux grillés, croisements complexe de pangolins et de poussins nains, bien sûr... dans mes rêves ! Mais pourtant, alors que je venais à peine d'atteindre le sommeil profond, paisiblement allongé sur le dos, une main me frôla l'épaule. Pensant encore être dans un rêve, mon corps se tourna machinalement vers le mur. Malgré ce que mon corps venait d'entreprendre, cette main persista à vouloir me toucher l'épaule. C'est alors, qu'en entrouvrant vaguement les yeux, je vis une silhouette, éclairée par la lumière scintillante de la pleine Lune. Je pris peur, très vite, et manquais de crier, avant que je ne remarque que cette silhouette était arborée d'un chapeau. Je connaissais ce chapeau.

— Ne t'inquiètes pas Alan, ce n'est que moi, tenta de me calmer cette voix rocailleuse.

— M. Fargo, mais qu'est-ce qui se passe ? l'interrogeais-je, un peu dans les vapes.

— Il faut que tu viennes, je t'expliquerais dans la voiture. Je t'attends en bas, ne tardes pas trop, on a du chemin à faire et, surtout, ne réveilles pas tes parents !


Je pris quelques secondes pour reprendre mes esprits, me frotter les yeux, et regarder le radio réveil sur la table de nuit. Il affichait : « 00 : 38 ».

— Mais c'est pas une heure pour..., avais-je commencé à lui dire, avant de me rendre compte qu'il était déjà parti très silencieusement.


Manquant cruellement de motivation pour me lever, je finissais par m'exécuter, commençant à prendre mes affaires pour me préparer. Quelques minutes plus tard, je sortais par la porte d'entrée, et la verrouilla, vérifiant à de multiples reprises si je la serrure était correctement verrouillée. Désormais, plus personne ne pourrait entrer de l'extérieur, du moins sans les clefs. Même si l'éclairage public ne me permettait pas de distinguer la voiture de M. Fargo, pourtant juste devant chez moi, les rayons de la Lune eux, s'en occupaient parfaitement, reflétant d'ailleurs leurs rayons sur la carrosserie argentée de la berline.

— La diva est prête ? me lança M. Fargo lorsque j'entrai dans la voiture.

— Euh, est-ce que je pourrais déjà savoir ce que je fous dans cette voiture à cette heure là ? Je vous signale que demain j'ai cours ! tentais-je de m'imposer, bien que sachant que je n'avais aucune chance de prendre le dessus lors d'une conversation avec cet homme.

— On va à Kaplan, j'ai quelque chose à te montrer, et par la même occasion, quelque chose à récupérer.

— Sérieusement ?! On aurait pas pu y aller plus tard ! commençais-je à m'énerver.

— Je crains que pour des raisons d'organisation, et de problèmes techniques majoritairement, il ait été impossible de le faire plus tard, ou plus tôt.

— Est-ce qu'à un moment au moins, l'idée de me prévenir tout à l'heure vous est montée à la tête ?


Il prit un temps de réflexion, beaucoup trop court pour avoir vraiment pris le temps de penser à la question que je venais de lui poser.

— Hum, pas vraiment, non, répondit-il sur un ton moqueur.

— Je sais très bien que je n'aurais pas de réponse précise à cette question, parce que, je commence vraiment à bien vous cerner, mais on va faire quoi exactement à Kaplan ?

— Tu le sauras assez vite, comme tu l'as dit, j'ai un côté mystérieux, il faut que je le préserve !

— Mais j'ai jamais dit ça !

— C'est tout comme !


Il n'avait pas tort, mais en tout cas, pas besoin de lire dans son esprit pour savoir que M. Fargo possédait sa propre définition du mot "mystérieux".


Je n'ai pas tenté de continué la discussion, et, dès que la voiture a repris la route, j'ai tenté de trouver une position confortable pour terminer ce que j'avais commencé : ma nuit. Le problème c'est que, même avec le confort de ces sièges, ils ne restent cependant pas conçus pour vous plonger dans un sommeil profond. C'est à force de persévérance, essayer toutes sortes de positionnements de bras, de jambes et de têtes, que finalement, je m'assoupis.


À mon réveil, le tableau de bord que Dembe surveillait depuis tant de temps affichait trois heures et six minutes. Et c'est en voulant tourner la tête vers M. Fargo qu'une douleur insupportable me pris. Probablement le début d'un mauvais torticolis. « Les joies de dormir dans une voiture ! » pensais-je. Il me regarda, et, voyant que mon visage déballa toutes ces sensations plus que désagréables :

— Quelque chose ne va pas ?

— J'ai juste un peu mal au cou.


Euphémisme.

— Nous sommes presque arrivés à destination, ajouta-t-il.

— Enfin ! pouffais-je.


Encore une fois, euphémisme.


Et pourtant, il avait raison, puisque quelques minutes plus tard, nous nous arrêtions devant un grand grillage imposant, derrière lequel trônait fièrement une vieille bâtisse, encore bien conservée et bien entretenue. Le moteur se coupa, mais la voix de M. Fargo combla ce son, qui avait bercé les quelques heures de repos que je venais de passer.

— Pour l'instant, tu vas devoir continuer de te fier à moi, pour au moins quelques minutes. À l'intérieur de ce grillage se trouve une des propriétés de l'homme le plus riche de l'île, et donc, il y a un système de sécurité très rigoureux, comme une quantité trop élevée de gardes armés pour une maison de cette taille.

— Et vous avez pensé aux caméras de surveillances ?

— C'est ce dont je te parlais tout à l'heure. Si nous sommes ici, à cette heure, c'est parce qu'elles sont tombées en panne il y a quelques heures, et bien que ce soit l'un des systèmes de surveillance les plus performant, les pannes sont incontestablement inévitables.

— Et qu'est-ce qui se passe si on se fait attraper ?

— À ton avis, Alan, que font les méchants gardes avec des pistolets à de vilains intrus en plein milieu de la nuit ?

— Depuis quand on est « vilains » ?

— Nous l'avons toujours été, mais, tant qu'on arrive à servir la cause à laquelle j'ai voué ma vie, franchir cette limite m'importe peu.

— Et moi ?!

— Si je peux te rassurer, s'adressa Dembe à moi, on ne se fera pas attraper. Et sinon...


Il sortit un revolver chargé de son dos. Voir cette arme déclencha un frisson qui parcouru mon corps, tout entier : j'étais vraiment avec des "vilains".


On se dirigea vers ce grand portail, qui, à l'approche de notre petite meute s'ouvrit juste assez pour nous laisser passer. Dembe ouvrit la marche, sur ses gardes, prêt à dégainer à tout moment. Derrière lui se trouvait Cameron, mais je n'en voyais qu'un chapeau et une silhouette plus qu'approximative à cause de la nuit noire, le manque d'éclairage, et le peu de rayons de Lune, absorbés par la végétation, et notamment les grands arbres autour. Enfin, je fermais la marche, suivant de près cette forme dans la pénombre, pétrifié de la perdre, et de me trouver seul dans cet endroit effrayant. Même si nous tentions au mieux d'être discrets, de marcher le plus légèrement possible, nos pas sur le gravier produisaient tout de même un craquement audible. Pour l'instant, même si notre progression n'était pas la plus directe, elle relevait au moins de la prudence, et d'une volonté de discrétion. Au fil de cet enchaînement de petits pas, nous approchions de ce manoir, jusqu'à ce que, pour aucune raison apparente à ma connaissance, la tête du cortège, décida de changer brusquement de direction, me laissant quelques secondes dans l'incompréhension, cherchant la silhouette qui me guidait jusqu'à maintenant. Sans vraiment réfléchir, j'ai continué à suivre, atteignant bientôt un vieux chêne, au milieu d'une végétation débordante.

— Nous y voilà enfin ! se réjouissais M. Fargo, d'une voix basse.


Je n'arrivais pas à comprendre. Probablement quelque chose de plus impressionnant se camouflait derrière cet arbre, au moins centenaire. Pour m'en assurer, je fis un tour, gardant toujours un œil sur la figure au chapeau. Mais pourtant, absolument rien ne se cachait derrière cet amas arrangé de bois.

— On est venu jusqu'ici juste pour un vieil arbre pourri ?!


Étonnement, Cameron se tut. Cependant, il ne stoppa pas son mouvement rectiligne, s'avançant au devant de ce tronc en apparence presque mort, avant de le toucher. Soudain, une lumière bleue émanait de ses écorces, éclairant nos trois visages et le sol alentour. Puis elle disparut. Au même moment, une lumière plus claire jaillie du sol : un escalier venait de sortir du sol. Je n'y croyais pas, je me demandai même si je n'étais pas encore en train de dormir dans cette voiture. Et pourtant, en effectuant ce rapide regard vers le sol, ma nuque se rappela de la terrible douleur de la présence de ce torticolis.


Une nouvelle fois, Dembe passa en tête, suivi de la formation habituelle. Tout le monde descendit dans cet étrange trou creusé dans le sol équipé d'un escalier capable de sortir du sol, M. Fargo agita la main, remettant l'escalier à son état initial, caché. Les deux partenaires partagèrent un regard d'approbation. Dembe resta alors statique auprès de l'entrée, toujours aussi prêt à dégainer. Avec M. Fargo, on continuait à avancer dans ce couloir aux murs de pierres, jusqu'à tomber sur une drôle de porte avec des barreaux.

— Cette porte est plus résistante que tu ne le crois. Je n'ai jamais réussi à l'ouvrir, même avec de gros outils. Dembe non plus au passage, ajouta-t-il.

— Et comment on est censé passer alors ?

— À la manière dont j'ai pu être la clef pour débloquer cet arbre, tu peux être celle de cette porte, poses juste ton doigt sur la serrure.


En pensant qu'il plaisantait, je pris mon doigt, que j'agitai stupidement devant son visage avant de le coller à la serrure, pendant plusieurs secondes, sans aucun effet. Je me tournai donc vers lui, pour voir sa réaction à son échec cuisant. J'ai été plutôt surpris qu'il affiche un grand sourire, presque réjouis. Au même moment, un bruit aigu résonna dans cette cave, percutant tous ces vieux murs qui la faisait encore tenir debout.

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