Chapitre 2. [TERMINÉ]
C'est à peine que je commençais à revenir sur mes pas, que cette forme qui regardait par la fenêtre se retourna brusquement, affichant un grand sourire. Ce sourire semblait être amical, mais dans une pareille situation, comment l'interpréter ? Cette silhouette qui, finalement, se révélait bien être un homme, me fixait sans délaisser ses yeux de moi. Sa présence me mis mal à l'aise. Non pas seulement parce qu'il m'était inconnu, mais aussi parce qu'il avait la dégaine d'une autre époque. Il portait un épais manteau noir, qui lui descendait aux genoux, semblables à un mélange d'un ancien trench-coat et d'une redingote. Son chapeau, un artifice mystérieux de plus, soulignait son style vieillot. Sa peau creusée formait de nombreuses irrégularités. Et sur son front, des montagnes cinquantenaires semblaient vouloir propager leurs influences au reste de son visage. Ses joues formaient deux boules, de tailles conséquentes, qui encadraient sa bouche. Cependant, les pieds d'une montagne avaient atteint sa joue gauche, lui creusant une belle fossette lorsqu'il souriait. Et là, je la voyais. Ses yeux étaient d'un banal ennuyant : deux pastilles marron, qui brillaient à peine. Un personnage tout droit sortie de la révolution industrielle au moins ! Mon esprit, martelé de toutes sortes de questions, ne laissait aucun mot ne sortir de ma bouche. C'est, quand j'y pense, une très bonne question à se poser ! Comment accueillir une personne dont on ne connait pas les intentions, et qui, à priori est entré par effraction chez vous ? Personnellement, j'ai opté pour la solution la plus classique et la plus facile. La passivité. Attendre, analyser, agir. Trois fois la même lettre et pourtant le même résultat : une peur bleue. La chair de poule faisait parfaitement son boulot. Jamais mes poils n'avaient été autant redressés. Pour les hérissons ç'avait un intérêt, mais pour un humain, ce n'était ni un moyen de défense efficace, ni un moyen d'intimidation. À part me donner encore plus froid, elle ne m'avait servie strictement à rien...
C'est après un court instant qui, pour moi, sembla durer un quart d'une vie, que cet intrus commença enfin à bouger. De sa position statique qu'il n'avait toujours pas quittée : sa main gauche dans sa main droite, descendant vers ses genoux, il se dégela. Il leva sa main droite et, d'un geste relativement gracieux, me salua. D'un ton très calme, il se mit à entreprendre un dialogue :
— Excusez cette malencontreuse intrusion, mais, elle était à mon sens justifiée. Que les présentations soient immédiates : je suis Cameron Fargo. Monsieur Fitch, c'est bien ça ?
Un battement de cœur. Puis deux, et trois. Un dernier. Puis le néant. Et tout est revenu, une accumulation successive d'images. Des images invasives, intrusives qui remettait en question le fonctionnement même de mon organe mère. Toutes ces images n'avaient qu'un seul homme en commun : Cameron Fargo, le même qui me faisait face avec son chapeau. Pourquoi le connaissais-je ? Simplement parce qu'à Éternara tout le monde a déjà entendu son nom au moins une fois. Il n'était ni un acteur brillant, ni un homme d'affaire reconnu ou même un ingénieur hors pairs. Non, il était l'ennemi de la nation. L'ennemi à abattre. Enfin, c'est S.E.L.M.A. qui l'avait ainsi nommé. « Terroriste aux ressources suffisantes à nuire, entraver, ou détruire l'Entité Gouvernementale ». Une menace aux magouilles du pays en outre. Après tout, il avait été le premier à signer la déclaration de guerre ! Et, bien avant ma naissance, il était à la tête d'un empire criminel international, chose que j'avais apprise en me perdant dans les fins fonds d'Internet, et de ses documentaires interminables. Et il était là, planté devant moi, dans ma cuisine, en train de me fixer, sourire aux lèvres. J'avais encore plus de questions que je souhaitais poser, mais je ne savais pas si c'était le bon moment, ce qui, à priori ne l'était pas. Dans le feu de l'action une question se perdit néanmoins. Celle de mon identité.
— Je... Oui. C'est... C'est moi, bégayais-je. Comment vous me connaissez ?
— Voyons ! s'exclama-t-il d'un ton ironique. C'est écrit sur votre boite aux lettres ! Bon, reprit-il, toujours avec le même sourire, revenons-en aux faits, je serais très heureux que vous puissiez m'accompagner lors d'une petite promenade en ville. Je ne me suis jamais trop perdu dans la région, et ayant du temps devant moi, j'aurais aimé que vous puissiez me faire découvrir un peu la ville. J'ai rarement eu l'occasion de pouvoir visiter Aurion, et Dieu qu'elle a l'air belle.
« Si vous connaissez une ville ici, vous connaissez le paysage de l'île tout entier. Mais si vous tenez à visiter son boulevard et ses routes monotones, ne comptez pas sur moi pour vous servir de guide. » pensais-je.
— Quoi ? lui répondais-je plutôt, très septique. Pourquoi vous voulez que je vous accompagne ? On ne se connait même pas ! C'est délirant !
« Et vous êtes un criminel ! », avais-je envie de rajouter, avant de me taire en attendant sa réponse.
— Justement ! en riait encore l'ancien malfrat. Nous pourrions en profiter pour faire connaissance !
Comment répondre avec la même assurance ? Il était clair que quelque chose ne tournait pas rond. Pourquoi se serait-il donné tant de mal à entrer ici, simplement pour me proposer une petite balade en ville ? Ça n'avait aucun sens. Et en aucun cas j'avais l'intention d'accepter ! Après tout, je l'avais toujours vu par le biais des écrans comme un monstre qui vole, braque, manipule et tue.
— Non, sans façon, merci, lui rétorquais-je, de la manière la plus polie possible. Je voudrais juste savoir comment vous avez pu entrer ici !
— L'esprit d'analyse vous manque jeune homme ! ricanna-t-il. Par la porte d'entrée voyons !
Son air arrogant et un poil niais commençait vraiment à m'exaspérer, mais je ne voulais pas le lui montrer, il l'aurait probablement –une nouvelle fois–, tourné en sa faveur. Je ne pouvais pas lui enlever le fait qu'il était très habile pour prendre le dessus dans une conversation. Ou du moins plus à l'aise.
— Je l'ai fermée de l'intérieur quand je suis rentré ! lui rétorquais-je.
— Pas quand vous êtes parti semble-t-il, c'est moi qui ai verrouillé le verrou de l'intérieur après être entré. Très belle maison, ajoutait-il. Dans tous les cas, il est temps d'y aller ! Je vous attends, montez vous préparer ! lança-t-il, qui cachait comme il le pouvait son impatience.
— Mais ! Je n'ai pas dit que...
— Vos chaussures et votre manteau sont-ils en haut ? me coupa-t-il.
Je n'avais pas accepté, mais je m'exécutai –machinalement–, j'avais toujours une petite partie de moi qui avait peur de lui. Cette partie qui le considérait comme on S.E.L.M.A. désirait qu'on le voit. Mais une autre qui était intrigué de découvrir ce drôle d'homme. Cet homme enjoué et très persuasif. Je montais donc les marches, avec moins d'enthousiasme qu'à mon arrivée, en me répétant : « Idiot ! Idiot ! Idiot ! Je le savais que j'avais pas fermé cette porte ! ». Je redescendais avec mes chaussures, et mon manteau. Il m'attendait devant la porte, aussi droit qu'un piquet, toujours avec son chapeau en guise de couvre-chef et ses mains croisées. En sortant, je prenais précaution de bien fermer la porte. À double tour cette fois-ci. En face du palier de la maison, une voiture noire, avec les vitres tintées patientait fièrement. Un titan, d'au moins deux mètres avait ouvert les portières arrière, afin que nous puissions nous installer. C'était la première fois que je vivais une telle chose. Un chauffeur qui s'occupe de moi ! Quelle classe, et quel privilège ! J'ai donc mis un pied dans la voiture, puis le deuxième, et la portière s'est immédiatement claquée dans le fantôme de mon corps.
— Confortable ? me demanda l'arrogant.
— Oui, ça va, lui rétorquai-je rapidement avec un ton légèrement sec.
Au fond, j'étais comme un gosse. Les sièges en cuir chauffant, le repose pied amovible et le petit frigo entre lui et moi semblaient trop luxueux pour faire penser à mon esprit qu'il puisse se servir.
Le chauffeur avait regagné sa place de conducteur, pendant que nous discutions à l'arrière.
— L'homme qui conduit, se nomme Dembe. Chauffeur, garde du corps, associé mais surtout ami de longue date, Dembe est la personne la plus incroyable que je n'ai jamais rencontré.
Cet homme, dont M. Fargo faisait l'éloge était, d'un point de vue totalement physique, extrêmement imposant. Tout d'abord, même assis sur son siège, il avait toujours la taille d'un titan. Ses épaules, si larges, dépassaient sur les côtés de son siège, laissant entrevoir au passage, la taille de ses biceps. Lui, avait un style vestimentaire plus décontracté que son acolyte. Le beau manteau avait laissé place à un tee-shirt noir, et, pour le bas, un simple jean. On avait du mal à distinguer ses fins cheveux obscurs très court à cause de la couleur de sa peau.
— Merci Cameron, lui répondit Dembe, avec un très léger accent, tout en démarrant la voiture.
— Je pense qu'il serait préférable de profiter de ce trajet pour commencer à faire plus ample connaissance ? Qu'en dis-tu ?
Je n'étais bien évidemment pas contre. Je voulais lui poser des milliards de questions, mais j'allais simplement me restreindre à n'en lui poser que quelques-unes, le trajet n'aurait pas suffit. Je tentais, par exemple, d'éviter du mieux que je pouvais les questions sur son passif de criminel, avant son combat contre S.E.L.M.A.
— Je peux savoir ce que vous faites ici ? On est bien loin de Kaplan.
Kaplan est la capitale de l'île, et c'était, il y a bien longtemps, avant qu'il ne disparaisse, la principale ville dans laquelle Cameron s'était installé pour tenter de faire tomber S.E.L.M.A. Selon les rumeurs, il y avait installé un immense lieu tenu secret, avec des centaines de personnes l'aidant dans tous les domaines possibles et imaginables : des hackers, pour tenter de trouver une faille à cette machine absolument inviolable, des informateurs, lui permettant, de source sûre, de prévoir ce que pourrais répondre S.E.L.M.A. à ses offensives, des hommes de terrains, effectuant des missions de repérages sur ce qu'elle était en train de préparer, et même des cuisiniers, pour tenir tous ce petit monde en forme. Une ville dans la ville, un réseau dans le réseau. La légende à baptisé ce lieu le « Temple ». Je me tâtai à lui poser cette question, puis, en voyant qu'il ne répondait pas à ma dernière interrogation, je me lançai :
— Le « Temple » existe vraiment ? soufflais-je, d'un air affirmé.
Il eu un long temps d'hésitation, chose qui, jusqu'alors ne lui était pas encore arrivé. Puis, son visage s'est blanchit, et quelques secondes plus tard, il était presque devenu rouge de colère.
— Qu'est-ce que j'aurais aimé que cette rumeur soit entièrement vraie... Excepté le fait que tout ait été un peu exagéré, elle est vraie, mais ce « Temple » n'a jamais été à Kaplan. Il aurait été trop facile pour S.E.L.M.A. de le retrouver, même s'il aurait été très bien caché, elle l'aurait trouvé. Et puis quoiqu'on dise, Kaplan est certes la capitale mais ce n'était pas la ville la plus dominante... Il était à Conceiçao, reprit-il difficilement après un temps de pause. J'ai tout perdu après la catastrophe : mes locaux, tous les travaux sur lesquels nous travaillions, mes nombreux employés, et mes amis aussi...
Il s'arrêta quelques fractions de secondes. Un moment de flottement pour adresser un regard à Dembe, qui lui rendit la pareille. Il reprit sur un ton nettement plus colérique.
— S.E.L.M.A. avait découvert que nous nous étions installés à Conceiçao, et elle a décidé, de punir toute la ville, alors que tous étaient innocents. Elle aurait pu empêcher ce séisme ! Elle n'a rien fait ! Un claquement de doigt pour condamner des milliers de femmes, d'hommes et d'enfants. C'est pour cela que je suis venu ici. J'ai besoin de toi. Nous devons mettre un point final à son règne. Et non plus une virgule comme nous avons pu le faire. Tu ne le sais pas, mais tu es beaucoup plus important que tu ne parais ou ce que tu ne peux imaginer. L'arme dont nous avons tous besoin. Celle dont S.E.L.M.A. a toujours redouté.
Tout se bousculait. Encore plus à chacun des mots qu'il rajoutait. Ses paroles coulaient dans un paisible flot et sans aucun effort dans le creux de mon oreille, s'imprégnant dans mon esprit. Sa sincérité troublait l'image même de ce que l'on aurait pu penser d'un baron criminel. Et puis, en même temps, comment croire que moi, j'étais si spécial que ça. Il parlait de quelque chose de très important, en tout cas à ses yeux.
Mon genou ne cessait de se balancer, ce qui faisait virevolter le repose pied. Durant un instant, j'ai fuit le regard de cet homme pour me défaire de son emprise. Par la fenêtre le même paysage de béton nous emprisonnait. Mais, ce n'était absolument pas la direction du centre-ville. En fait, c'était l'opposé total puisqu'on frôlait la sortie de la ville. « Ile ne compte tout de même pas me kidnapper ? » ai-je pensé. La panique grignotait le terrain de mon sang froid.
— Vous faites quoi ? On ne va pas du tout vers le centre-ville ! leur dis-je, la gorge serrée.
— C'est tout à fait normal. Il n'a jamais été dans notre but de découvrir les paysages locaux. Nous t'avons menti, certes, mais tu ne crains rien, sois en sûr. Nous voulons juste que tu nous accompagne. Je ne pouvais pas laisser passer cette opportunité de t'avoir près de moi.
— Pour faire quoi ? Je peux vous assurer que je ne peux pas vous aider !
— Tu le découvriras assez tôt, répliqua-t-il, sûr de lui. Tâche simplement de rester en vie.
Je déteste ce genre de phrase ! Pourquoi ne pas me le dire tout de suite ? C'est une perte totale de temps, et pour nous deux. Ce qui était certain c'est que ma vie lui importait, et il me le faisait savoir. Mais si elle lui tenait tant à cœur, il faudrait qu'il se dépêche : ma vie était en péril. Depuis sa soudaine arrivée, je n'avais pas pu me restaurer. Et mon estomac m'envoyait de très clairs signaux.
— Nous sommes bientôt arrivé, tu pourras comprendre par toi-même.
Une dizaine de minutes après, nous sommes entré dans une ville, dont j'avais plus entendu le nom que j'y avais foulé les pieds. La dernière fois que j'étais venu à Lucida, c'était pour une sortie pédagogique très peu intéressante. « L'étude des pierres et du monde qui nous entoure. », le nom peut, certes, être aguicheur, et encore, mais globalement, on s'est simplement baladés, en ramassant des cailloux de n'importe quelle taille et couleur, rien de plus. Sans oublier, bien entendu que ces pierres étaient factices puisque dans le bon procédé de la nature, cette île n'avait rien à faire ici. L'éducation de la géologie reposait donc sur des pierres de synthèses, dès l'enfance, le système favorise l'éducation par le mensonge. C'est comme ça ici.
D'après la maigre connaissance que j'avais de la ville, on semblait se diriger vers le supermarché. En même temps, à part le site couvert de cailloux multicolores, il n'y avait rien d'autre dans cette ville en périphérie d'Aurion. Le grand silence, qui durait depuis de longues minutes fut coupé par la sonnerie du téléphone de M. Fargo. Il ne débita aucune parole, et se contenta de raccrocher. Aucune émotion ni gestuelle de son corps ne donnait de piste sur la personne qu'il pouvait avoir au bout du fil.
— On va entrer par l'entrepôt, s'adressa-t-il à Dembe.
— Glen est au courant ? lui demanda-t-il.
— C'est lui qui vient de me prévenir.
Je tentais bien que sans réussite de savoir pourquoi nous nous dirigerions vers l'entrepôt de ce supermarché. Les entrepôts n'ont, de prime abord, aucune ressemblance avec le centre-ville qu'il m'avait été promis de visiter. Pour une fois, j'aurais été enchanté d'y faire un tour, plutôt que de prendre la direction de cet entrepôt. Vous m'accorderez le fait que visiter un espace de stockage peut-être peu enthousiasmant, même si je me doutais bien qu'on ne se contenterait pas d'une simple visite.
La voiture a traversé le parking, au quart rempli, du supermarché de la ville. Comme prévu, on passait par le côté du petit bâtiment, pour atteindre l'entrepôt, qui se situait derrière celui-ci. Dembe s'est garé sur le côté de l'aire de déchargement des marchandises, et à coupé le contact. Il y avait encore ce silence pesant, qui fut stoppé par le son de la portière de M. Fargo. J'ai suivi et l'ai mimé aussitôt. J'ai d'ailleurs un peu bronché en troquant le fauteuil chauffé pour des rafales de vent frigorifiantes. Les quelques feuilles d'arbres –les survivantes de l'hiver– dansaient, balayées par le souffle du vent mais, le chapeau de M. Fargo lui ne bougeait pas d'un poil. Comme s'il était fixé et qu'il était impossible de décrocher l'un sans attraper l'autre.
Dembe nous rejoint aussitôt, et alla se placer à ma droite. J'étais prisonnier, entre ces deux hommes imposants : l'un par son physique, l'autre par son charisme. On s'avançait, tous les trois presque synchronisés. Des pas saccadés et pourtant tous d'une harmonie implacable. Nous nous sommes retrouvé face à un rideau métallique qui nous séparait, avais-je aisément deviné, de ce fameux entrepôt.
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