Chapitre 14.
7h44.
Sans trop tarder, on part de notre campement improvisé, en direction d'une route. L'objectif est simple, mais l'atteindre... M. Fargo me prend par l'épaule afin de soulager la douleur de ma jambe droite, qui s'intensifie avec le temps. Il fait sombre, aucune source de lumière n'arrive à éclairer nos pas. Je retrouve une vieille sensation qui m'avait délaissée, jusqu'à revenir, et de plus belle : la frigorification. En forêt on ne peut lutter contre cette sensation désagréable et pénible. Le froid, on ne peut que l'endurer. Les bruits des branches qui craquent sous nos pieds raisonnent et ricochent entre les troncs des arbres. Derrière nous, des pointillés de traces de pas dans la neige, à perte de vue. On continue de marcher, sans parler mais avec une coordination remarquable, en espérant trouver ne serait-ce qu'un sentier pour mettre fin à cette morbide randonnée.
8h56.
Je ne saurais estimer depuis combien de temps nous marchions. Deux heures, peut-être même trois. Le jour s'était timidement levé, laissant quelques rayons percer la cime des arbres pour nous réchauffer un peu. On ne voit rien d'autre que de la neige, quelques gibiers, et des arbres. À perte de vue... Aucun signe d'une quelconque autre forme de vie. J'ai froid. Je sens que Cameron commence à fatiguer. Le poids de mon épaule lui pèse. Je lui propose de faire une pause, qu'il refuse sous prétexte que nous n'en avons guère le temps. En réalité il voulait détourner le sujet et continuer de faire comme s'il allait bien. Ce n'était pas le cas.
10h09.
Enfin. Après de nombreuses chutes à cause du verglas, et de notre manque d'attention, nous avons enfin été récompensés.
– Alan regarde devant ! s'affola Cameron.
Dans les vapes, épuisé et à bout, je n'ai rien entendu. Alors je l'ai fixé. Son visage était toujours creusé, mais il avait de la glace sur les cils et le bout du nez. Je n'ai pas compris pourquoi il affichait un si grand sourire. Alors j'ai tourné la tête et j'ai vu. J'ai vu ce que l'on cherchait depuis plusieurs heures. Une route. Une ligne –qui voyait sa fin à l'horizon– de goudron qui sépare la forêt en deux. Pourtant, nous ne sommes pas sortis de la forêt, pour rester à l'abri des yeux aériens qui pourraient nous repérer. De sa poche, Cameron sortit un petit couteau suisse, et se trancha la main droite. Dans la plaie qu'il venait de créer, il plongea son pouce et son index gauche pour y ressortir une toute petite puce électronique. Avant même que je ne lui demande ce qu'il comptait en faire, il la jeta au sol, et l'écrasa avec son pied. D'un coup sec, sans même hésiter. De sa blessure coulait un flot de sang. Le long de sa main le liquide écarlate glissait, jusqu'à tomber sur la neige et la faire virer au rouge sang. La couleur de la neige nous a frappé tous les deux. On s'est regardés mais nous nous sommes tus.
— Mais qu'est-ce que vous faites ! m'indignais-je faiblement.
— Si cette puce arrête d'émettre son signal, l'homme dont je t'ai parlé est censé venir avec des renforts.
— C'est votre garde rapprochée ?
— En quelques sortes. On a un pacte. J'accepte de porter sa puce s'il me garantit de venir me chercher moi –ou ma dépouille– si ma puce cesse d'émettre. Il ne va pas être content de savoir qu'il va devoir me réimplanté une puce ! tentait-il d'en rire, en vain.
— C'est lui qui vous a fourni la puce ?
— Tu poses beaucoup de questions tu sais, mais oui, c'est lui qui me les fabriques, et me les implantes, m'expliqua-t-il.
Il fallait maintenant attendre ce fameux data-trafiquant, encore avait-il perçut l'arrêt de l'émission de la puce de M. Fargo. Épuisé de tout ce qui avait pu se passer : le stress de la mission, l'accident, la douleur à supporter sans antidouleurs, la peine émotionnelle, ou encore l'énième nuit désagréable que je venais de passer, je m'installai sur une vieille souche, et ferma les yeux. En un rien de temps mon corps à sombrer. Un plongeon dans un sommeil ni profond, mais à peine paradoxal. Je savais qu'à la moindre broutille, M. Fargo me protégerais, et, de toute façon, il me devait au moins ça. Je m'assoupis donc un peu, mais pas totalement, dans la neige froide sur la souche.
12h38.
M. Fargo vient me tirer de mon sommeil. Je n'ai plus de repère. Les nuages cachent avec brio le Soleil. Je n'ai rien récupéré, et j'ai encore froid. Cette couchette improvisée m'a juste donné l'impression de faire passer le temps plus vite...
— Alan, ils arrivent ! me tirait-il doucement par le bras, de la voix la plus suave qu'il avait.
Je me suis empressé de me lever, bien que ce soit difficile. J'avais les orteils gelés, si bien que je ne les sentais plus. Se redresser relevait de l'exploit. J'ai réussi, en bravant la douleur insupportable de l'intégralité de mes orteils ainsi que de ma blessure, qui commençait à gravement s'infecter.
Les deux voitures, de grosses Chevrolet Suburban noire, s'arrêtent devant nous, en plein milieu de la route. Les vitres sont teintées, mais j'imagine qu'elles sont remplies de plusieurs hommes, probablement armées. La porte arrière du véhicule de tête de file s'ouvre. M. Fargo me porte jusqu'à la voiture, geste que j'apprécie fortement étant donné mon état de santé pitoyable. Il me dépose sur le siège derrière le conducteur. Lui aussi s'installe dans son siège, et referme la portière derrière lui. Il pouffa un grand soupir de soulagement. Le petit cortège reprend une allure modéré, afin de se sortir de cette large zone forestière, apparemment dépourvue d'une quelconque forme de vie humaine.
— Alors Cameron, on a besoin de mon aide ? interpella gaiement une voix familière l'homme à la place passagère. Aux infos, on parle que de vous ! Vous êtes recherché dans tous le pays ! Qu'est-ce que t'as encore essayé de foutre ?
Cette voix ne m'était pas inconnue, mais je ne saurais dire où est-ce que j'aurais bien pu l'entendre auparavant, et la fatigue me compliquait la tâche. La curiosité me fit tourner la tête vers la place passagère. Je n'aurais pas dû. Dès que je vis le visage, je comprenais immédiatement de qui il s'agissait.
— Bonjour Alan, me salua poliment M. Itasac, mon professeur de numérique, avec un grand sourire, qui lui montait presque aux oreilles.
je n'avais ni la force d'essayer de comprendre ni la force de parler. Et pourtant j'ai réussi à faire sortir quelques balbutiements de ma bouche.
— Qu'est-ce que vous faites là ?
— Je travaille pour lui, me répondit-il.
J'ai lentement tourné la tête vers ma droite. J'y ai croisé le regard démuni de Cameron.
— Oui, je t'ai fait surveillé contre ton gré Alan, mais je t'assure que si je ne l'aurais pas fait, S.E.L.M.A. aurait fait bien pire. Je devais avoir constamment un œil sur toi !
D'un coup, très vite, il avait reprit sa mine. Celle qui lui permettait de couvrir ses propres mensonges passés, pour en construire de nouveaux. À l'avant, M. Itasac acquiesçait avec de simples mouvements de têtes. Dehors, le paysage défilait. Le même que nous avions traversés dans le froid paralysant. Soudain, un son désagréable et périodique résonna dans l'habitacle de la voiture. Il venait d'un appareil en possession de M. Itasac.
— Et merde ! lâcha-t-il naturellement son juron.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? s'inquiéta Cameron
— Le pire... Bruce, fonce dans les bois, on a de la compagnie qui arrive.
— Mais y'a pas de chemin ! s'exclama ce dernier.
— Tout de suite je t'ai dit ! s'emballa l'homme qui tenait l'appareil qui sonnait de plus en plus fort.
La voiture se jeta entre les murs que formaient les gigantesques arbres face à nous. Mais c'était trop tard. Bien trop tard. M. Itasac se retourna vers nous pour nous faire un mouvement bref de la tête et enchaîna avec un :
— Sautez de la bagnole ! Et vite !
Dans les deux secondes qui suivirent, les trois hommes sautèrent de la voiture qui traçait sa route dans la couche abondante de neige. Moi, je n'ai rien fait. J'étais trop faible pour n'envisager ne serait-ce que de bouger. Alors j'ai attendu mon sort. J'ai bien attendu. Et avant même que la voiture ne heurte un tronc, un énorme bruit éclata dans le ciel, et vint s'écraser sur la voiture. Le trou noir.
-----
J'ai rouvert les yeux. Un plafond blanc immaculé me surplombait. J'ai voulu bouger. Mes mains ? Impossible. Mes pieds ? Je ne les sentais même pas. J'ai secoué les bras. Ils étaient liés. Des liens me les comprimaient. Où étais-je ? J'ai redressé doucement, et douloureusement, ma tête. J'étais dans une salle exiguë, le blanc de la pièce m'éblouissait. Autour de moi des machines et des poches qui étaient reliées à moi par des câbles. À mon poignet, se trouvait un petit bracelet : mon nom, prénom et âge y étaient inscrits. Mais à côté trônait un nom dont j'avais déjà vu le nom : Carcerem. « À vouloir jouer contre une machine, on finit toujours par perdre, surtout si elle s'appelle S.E.L.M.A. » avais-je pensé en guise de dernière pensée qui me hanterait jusqu'à la fin de mon existence ici.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top