Chapitre 12.
21h02.
C'est probablement l'un des derniers moments calmes avant qu'on se lance dans la mission, et j'en ai conscience. Je suis lucide sur le fait qu'il y a à peine trois jours, j'étais chez moi, à ne pas faire grand-chose, si ce n'est glander. Ce soir, c'est bien différent, je suis au sein d'une mission commando engagé pour détruire la raison des problèmes sur Éternara : sa gouvernance.
Chacun à son propre objectif pour servir la mission principale : désactiver S.E.L.M.A. M. Fargo se charge de l'Ordinateur ère, Glen attends dans la voiture au cas où la situation tournerait au vinaigre, Dembe s'occupe de la protection du groupe, et de nous couvrir au cas où les gorilles nous auraient repérés, je m'occupe d'ouvrir la grille de la crypte, et enfin, les Mercenaires se divisent en deux groupes pour attirer et tenter de piéger tous les gardes, ou une grosse majorité du moins.
Une pression lourde a envahit la voiture depuis qu'on a quitté notre Temple à nous, le bureau de Glen au supermarché. Au dernier moment, nous avons réussis à nous procurer des gilets par balle, nous protégeant et nous rassurant davantage. Étant désormais rodé avec les différentes manières de procéder de Cameron, je savais très bien que cette voiture était truffé d'explosif, j'étais peut-être même assis dessus, ce qui augmenta drastiquement la pression.
21h19.
Nous arrivons enfin à proximité du manoir, encore éclairé. Les Mercenaires, qui étaient arrivés avant nous, ont eu le temps de se diviser le travail, et de se mettre en place, à quelques centaines de mètres à peine des rondes.
Ce soir, il faisait vraiment très froid et, la neige n'améliorait pas les choses, bien au contraire. En sortant de la voiture, c'est véritablement une claque de froid que je me suis pris, paralysant d'entrée le bout de mes doigts. Tous sortis, on a mutuellement échangés nos regards, comme une approbation pour savoir si tout le monde était encore motivé pour mettre fin au clavaire qu'est S.E.L.M.A.
21h25.
Premier contact radio avec les Mercenaires. On apprend qu'ils sont déjà en place et qu'ils attendent patiemment le signal de M. Fargo. Dembe prend alors l'initiative d'observer l'emplacement approximatif des gardes. Six sont postés devant la façade du manoir, quelques-uns peuvent être aperçus par les fenêtres, deux surveillent l'allée principale et trois sont placés au niveau du chêne. On relaye l'information aux Mercenaires qui font de même et modifient leur plan de diversion. Nous nous mettons d'accord sur les dernières rectifications : les Mercenaires servent toujours d'appât, nous, on s'occupe des cinq gardes qui sont sur notre chemin : les deux de l'allée et les trois au niveau de l'accès à la crypte.
21h33.
On se met enfin en place. On a tous le souffle court, comme si on venait de courir cinq cent mètres. En réalité, je pense qu'on a tous peur que le plan échoue. Pour ma part, je n'y réfléchissais pas trop, ou plutôt, je ne voulais pas y penser. Comme je savais qu'il avait très peu de chances de réussir, de mon point de vue, à cause du bâclage de la phase de préparation, je ne pouvais pas être optimiste quand à la finalité de notre action. Cependant, je me remémorais les paroles de M. Fargo : le faire pour les autres, pas pour moi, ni pour nous. Le faire avant tout pour ceux qui ne peuvent rien faire et qui subissent depuis trop longtemps.
Quand un silence s'est finalement imposé, j'ai su que Cameron allait lancer le signal. L'attente était insoutenable.
Puis, d'un coup, M. Fargo alluma la radio, et lança l'assaut. Un mot. Il a suffit d'un seul mot pour que les deux divisions se ruent sur le domaine enneigé de ce manoir, et en attire ses gardes. Cependant, le signal avait beau être lancé, nous, ne bougions pas. Et pour cause, nous attendions qu'un maximum de gardes soit attiré par les Mercenaires. Je commençais à entendre des coups de feu, en direction de la gauche du manoir. Les gardes de l'allée entendirent aussi les coups de feu et s'y dirigèrent comme de bons soldats. Tant mieux, c'était ça en moins à s'occuper.
C'est à cet instant que M. Fargo commençait à montrer à Dembe d'avancer. La progression fut plus difficile que je l'imaginais. Je n'aurais jamais dû rester statique pendant les dix dernières minutes. Mais, maintenant qu'on était lancé, on devait être soudé, se soutenir mutuellement.
Nous avancions en file indienne, Dembe devant, M. Fargo à ses trousses, et le petit nouveau de la bande, moi, fermant la marche. Les lumières des gardes du chêne éclairaient si bien le sol blanc, qu'il en était presque éblouissant. Les trois gorilles, qui n'avaient pas entendus les premiers coups de feu de l'assaut, semblaient discuter monotonement, comme s'il fallait le faire juste pour tuer le temps. Dembe nous fit signe de nous arrêter derrière un arbre. Lui, continuait à avancer à pas de loups. Malgré toute sa volonté pour rester discret, il ne pouvait pas empêcher les craquements de la neige de perdurer. Heureusement, il arrivait tout de même à rester discret, probablement couvert par la discutions morne des gardes. Puis, d'un coup, de nouvelles rafales se firent entendre, encore une fois à la gauche du manoir. Cette fois-ci, ils l'avaient entendu, et ils commençaient à s'en inquiéter. Dembe se cacha tant bien que mal en se camouflant derrière un arbre, à quelques mètres de l'ennemi. Eux, tentaient de prendre contact avec le reste de leurs collègues, en vain. De là ou j'étais, je ne pouvais pas entendre clairement ce qu'ils disaient, même en essayent de tendre l'oreille, j'arrivais à comprendre des bribes de mots, mais rien qui soit réellement compréhensible. Dembe, lui, comprenait probablement tout ce qui était en train de se préparer. Il avait très certainement comprit qu'ils allaient se diriger vers les tirs, et c'est peut-être ce pourquoi il n'avait pas ouvert le feu.
Bingo. C'est exactement ce qui se passa. Il préféra cependant jouer la sécurité et attendre un peu qu'ils s'éloignent tous trois pour qu'un nouveau trinôme prennent d'assaut ce vieux chêne. Une fois le signal de Dembe, M. Fargo se hâta de déposer sa main sur la vieille écorce, et on entra tous à une vitesse qui, moi-même m'étonna.
Enfin, nous y étions. Nous étions si proches du but. Depuis ces derniers jours, je n'aurais jamais pensé pouvoir atteindre ce but aussi rapidement, et, qui plus est avec une approche aussi brute de fond. Pris par la peur de manquer de temps ou de se retrouver siéger par les troupes de gorilles, nous nous hâtions de rejoindre la crypte. Pour une fois, j'étais en tête du groupe. En même temps, il le fallait puisque j'étais le seul ici à pouvoir ouvrir cette porte coulissante. Cette fois-ci, je connaissais la raison exacte de ma présence dans ce lieu. Plus personne ne me cachait la vérité, enfin, de mon point de vue. J'avançais, d'un pas rapide mais sûr de moi, en direction de cette fameuse barrière qui nous séparait de la fin de cette aventure. Comme quelques jours auparavant, j'agitais mon doigt, que je déposai sur la serrure de la porte, qui fit un léger bruit, puis s'ouvrit. M. Fargo pris cette fois-ci la tête de file, pour se hâter dans la salle ou reposait le créateur de la chose la plus abominable de cette île. J'esquissai un petit sourire quand je remarquai qu'il ne vit pas la marche après la porte, et manqua peu de tomber. Il avait reproduit à l'identique l'inattention de ma première venue. Il perdit un peu de temps à comprendre qu'il avait raté la marche, mais reprit très rapidement ses esprits pour foncer, tête baissée vers le bout de ce couloir mortuaire. Avec Dembe, on tentait de le suivre du mieux qu'on le pouvait, devant même courir sur la fin de ce dernier.
21h50.
Toujours aussi pressé de mettre un terme à toutes ses souffrances, M. Fargo posait ses deux mains à côtés de la plaque de marbre, sur laquelle reposait le nom de mon arrière grand-père. Les quelques secondes qui suivirent cette action semblaient durer une éternité. Et en fait, on pouvait attendre une éternité, rien ne semblait se produire : aucun bruit, ou aucune sortie dérobée ne s'était ouverte. Effrayé d'un possible échec, je vis le visage de Cameron se décomposer. Chaque seconde où rien ne se passait le rendait plus désespéré. Il tenta un second essai, pas plus fructueux que le premier.
— Rah, mais c'est quoi ce bordel ! s'indigna M. Fargo. Alan, viens ici et essaie, ça marchera peut-être avec toi.
En l'espace de quelques secondes, le plan brut de fond dont je ne voyais que les défauts commençaient enfin à se montrer défaillants. Même si je n'avais guère d'espoir en ce que j'allais faire, j'exécutai tout de même ce que Cameron m'avait demandé, pour éviter de le briser entièrement. À mon tour, je déposais les deux mains sur le cercueil en bois, à côté de la plaque. Un frisson me parcourut le corps, de la pointe de mes doigts à la pointe de mes orteils en passant par chaque recoin de tout mon corps. Une fois de plus, l'attente était insoutenable, et le résultat, tout aussi décevant. M. Fargo tournait en rond, enfin plutôt en carré étant donné l'exigüité de la pièce, se démenant pour tenter de trouver une alternative à cet échec cuisant.
21h56.
Pour l'instant, rien ne présageait quelque chose de bon. Et une nouvelle couche allait s'ajouter. La radio de Dembe s'alluma, et la voix d'un Mercenaire se fit entendre.
— Mercenaires 7 à Dembe, vous me recevez ? murmura-t-il.
Dembe prit immédiatement la radio, et comprit que quelque chose ne tournait pas rond.
— Qu'est-ce qui se passe ? s'inquiéta Dembe.
— Toute la première division a été... ravagée, finissait-il, à bout de souffle et toujours à une intonation à limite de l'audible, on a sous estimé leurs armes. Je suis l'un des derniers encore en vie, j'ai réussi à me camoufler dans...
Une détonation retentit, le coupant dans la rafale de mot qu'il débita étant donné l'état de choc dans lequel il devait se trouver. En écoutant ce bruit, on s'est tous les trois regardés, et on a compris que lui était mort, comme la majorité, si ce n'est la totalité des Mercenaires, et que, nous allions avoir de la compagnie incessamment sous peu. En l'espace d'une dizaine de minutes à peine, la situation avait totalement déraillée : notre plan de diversion était tombé plus vite qu'on ne l'avait imaginé et nous n'avions pas réussi à trouver l'entrée de l'Ordinateur Mère.
— On doit vite s'en aller, les gardes vont arriver ! fit remarquer Dembe à M. Fargo qui essayais toujours de chercher une entrée à l'entrée de l'Ordinateur Mère, qui visiblement, ne voulait pas se montrer.
Soudain, la radio transmit un nouveau signal. On pouvait y entendre une voix. Cependant, elle ne ressemblait à aucune de celle des douze hommes du groupe des Mercenaires. Cameron arrêta de gesticuler, et porta une attention totale à ce qu'il se disait.
— Colonel Jaeger, je viens d'abattre le dernier intrus armé. Il ne reste plus que les trois individus dans le caveau.
— Et merde ! lâcha M. Fargo.
Il avait enfin comprit l'urgence de partir vite, très vite, avant que l'on ne soit fait comme des rats dans le trou qui pourrait être le nôtre. M. Fargo était profondément tourmenté et frustré de ne pas avoir pu accéder à l'Ordinateur Mère, je pense qu'il s'était fait trop d'illusions sur la désactivation de S.E.L.M.A. Il aurait été beaucoup trop simple de détruire l'instance gouvernementale de cette manière, et aussi vite.
En quelques secondes, on abandonnait la mission, et on désertait cette pièce, se dirigeant vers la sortie du caveau, le tout en courant le plus vite qu'on le pouvait. Sur le chemin, M. Fargo prit un peu de retard pour avertir Glen de se tenir en position pour une extraction immédiate.
21h59.
En moins d'une minute on avait réussi à ressortir du chêne, et, en regardant à notre droite, la troupe de gorilles nous fonçait dessus. Exactement le même schéma qu'à notre première venue, sauf, que cette fois-ci, ils savaient exactement où nous nous trouvions et ont par ailleurs ouvert le feu avant même que nous puissions les remarquer. Dembe, avec un courage exemplaire, et digne du plus grand de tous les hommes se porta naturellement en ligne de couverture, pour que nous soyons les premiers à entrer dans la voiture. Cependant, ce n'était pas les petites balles du ridicule revolver de Dembe qui allait arrêter ce troupeau armé jusqu'aux dents, et leurs boucliers imposants. Quelques mètres nous séparaient de la voiture dans laquelle se situait Glen, couvertes d'impacts de balles. Pourtant, il me semblait que ce soit des kilomètres, tant la neige était un handicap. En me retournant, avant de mettre un pied dans la voiture, je jetai un œil à Dembe, qui me rendit la pareille, sauf que je n'avais jamais vu un regard de la sorte venant de la part de cet homme. C'est là que je compris qu'il ne comptait pas sortir vivant de cette fusillade, ce qui comptait avant tout, c'est que l'on puisse s'en aller au plus vite de cet endroit, et qu'on cherche à nouveau un moyen de détruire S.E.L.M.A. Ce regard dura quelques instants, juste le temps de se retourner, puisque j'étais poussé par Cameron, qui arrivait derrière moi. Lui, n'avait pas comprit ce que comptait faire Dembe. Il attendait encore que ce dernier nous rejoigne, tout comme Glen, qui était prêt à appuyer sur la pédale de l'accélérateur.
Ce qui devait arriver arriva... Il pouvait sembler être un colosse, mais Dembe n'en était pas un. Une première balle le toucha en pleine cuisse, l'obligeant à se coucher au sol. Même touché, il continuait de vider son chargeur sur le groupe commando qui continuait de charger vers lui. Il adressa un dernier regard, comme pour nous dire adieux, et nous cria de nous en aller sans lui. M. Fargo était dévasté. Glen, s'était résigné à devoir faire une croix sur Dembe, mais il en était tout aussi ravagé. La neige autour de lui tournait progressivement au rouge carmin.
22h02.
Quelques instants après que Glen se soit enfin décidé de presser l'accélérateur, Dembe était encerclé par le groupe de gorilles. On savait tous que sa mort n'était qu'une question de secondes. Cameron était profondément ruiné de cette perte. Celle d'un ami, d'un partenaire, d'un frère... Cette fois-ci, j'aurais vraiment préféré un silence d'or, plutôt que de devoir partager les sanglots de deux hommes ayant perdus leur camarade... Un cri du cœur plutôt qu'un coup de grâce... Moi aussi, j'étais touché par cette perte. Excepté le fait que je ne l'ai que très peu connu, il me semblait tout à fait normal qu'il les mérite. Néanmoins, nous avions un nouveau problème, et il était de taille :
— Glen, on a quatre bagnoles qui veulent notre cul derrière ! l'en informais-je.
— Putain ! Il manquait plus que ça, pouffait-il, essuyant au passage la rivière de larmes qui avaient coulées le long de ses joues.
Cameron lui, était totalement choqué. Rien de ce que je pouvais lui dire ne le sortait de ce chagrin. Il était tourné vers la fenêtre, bouche cousue, sauf pour sangloter. Glen devait donc prendre la situation en main, et tenter de nous sortir de là.
— C'est mort ! balançait-il. On est fait comme des rats, c'est la milice de S.E.L.M.A., ils nous suivront au bout du monde.
— Essaie de les semer ! lui suggérais-je.
— C'est pas possible ! me rétorqua-t-il, totalement paniqué. Si j'arrive à les semer eux, S.E.L.M.A. saura nous retrouver grâce aux satellites ! On est mort, souffla-t-il, défaitiste.
Je n'aime pas être pessimiste, mais c'est vrai que vu comme ça, on était clairement foutu. Le rugissement du moteur de la voiture était la seule chose sur laquelle je me concentrai. J'indiquai à Glen en temps réel ce qui se passait derrière lui, même s'il pouvait le voir dans ses rétros, mais je devais me sentir utile, il fallait que lui, se concentre pleinement sur la route. Je ne sais comment, Glen a réussit à prendre un peu d'avance sur ses poursuivants, mais ils n'avaient pas dit leur dernier mot, ils étaient encore derrière, à nous coller comme un chewing-gum sur une semelle de chaussure.
Et pourtant, même dans une montée, avec notre bolide, ils arrivaient à nous suivre, bien qu'ils aient un peu de mal à égaler nos performances. Nous étions sur une route particulièrement dangereuse qui bordait une des plus grosses forêts d'Éternara, et malheureusement connu comme lieu très prisé des suicidaires. Cependant, nous n'étions pas là pour en finir de notre vie. Nous étions ici pour fuir à ceux qui voulaient nous la retirer. Je sentais que Glen était en panique totale. Les coups de volants qu'il donnait faisaient presque tanguer la voiture, et ça ne me plaisait pas du tout.
Alors, dans un virage, à une vive allure comme celle que nous avions depuis le manoir, alors qu'il était pourtant préconisé de rouler à moins de 40 kilomètres par heure, inévitablement, l'accident devait se produire. J'aurais juste aimé avoir plus de chance. De l'autre côté de la médiocre glissière de sécurité, se trouvait un beau ravin d'une dizaine de mètres. Avec les coups de volants incontrôlables de Glen, la vitesse plus que vive, et les récents événements, la chute dans ce ravin était évidente...
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