Chapitre 10.
Glen et M. Fargo étaient vraiment impatients de pouvoir savoir ce qui allait se passer lorsque toutes les clés seront réunies. Dembe, lui, ne laissait transparaître aucun signe, comme à l'accoutumée, ce qui ne me surprit guère. Une fois dans le bureau, Glen ne prit même pas le temps de retirer son manteau, et, plus étonnant, de rehausser le fauteuil sur lequel il s'assied, ce qu'il faisait systématiquement. Il brancha les trois clés sur son ordinateur, vérifiant qu'elles étaient toutes là.
— Une, deux, et trois ! Parfait ! se réjouissait-il.
M. Fargo, lui aussi, était intenable derrière l'écran de cet ordinateur. Puis, d'un coup, ils sautèrent tous deux de joie, s'enlaçant, encore plus fort que dans le jet. Je compris alors facilement que les trois clés fonctionnaient. Cependant, que fallait-il faire maintenant ? Fallait-il se pointer à l'Ordinateur Mère et proclamer que nous pouvions désactiver S.E.L.M.A. Sachant que c'est elle-même qui dirige la sécurité du bâtiment, je doute guère que cette approche était la bonne. Moins fatigué que la veille, je pris cette fois-ci la peine de contourner le bureau pour regarder ce qui était inscrit sur l'écran de cet ordinateur, qui rendait si heureux ces deux compères. Une grande surface noire sur laquelle une seule ligne apparaissait en blanc : « 3/3 : Module de désactivation de S.E.L.M.A. ». Celle-ci était accompagnée d'une barre de chargement qui semblait se remplir à tatillon.
— Il se passe quoi après le chargement ? leur demandais-je. S.E.L.M.A. va juste être désactivé comme ça ?
En entendant ce que je leur demandais, ils se stoppèrent nettement, tous deux : ils n'avaient pas vu la barre de chargement. Ils semblaient de suite moins enthousiastes.
— On verra bien ce qui se passera à la fin, finit Glen par résonner.
Apparemment, et, pour une fois, ils en savaient vraiment autant que moi. C'est à la fois rassurant et effrayant. D'une part, j'avais la preuve qu'ils ne me cachaient plus rien. Mais, le problème dans tout ça, c'est qu'ils n'ont aucune idée de ce que nous allons faire après, ce qui, me rend déjà un peu plus nerveux.
On se plaint tous parfois que la barre de téléchargement est infiniment longue, mais celle-ci, je vous le garantis, était la plus longue barre à se charger que je n'avais jamais vu jusqu'à ce jour. Certes la pression de savoir ce qui allait ensuite s'afficher rendait l'installation de la nervosité plus facile, mais, au moins, personne n'a vraiment cédé extérieurement à celle-ci. Nous avons tous gardé la nôtre, qui était déjà bien difficile à gérer comme ça.
Au bout de quelques interminables dizaines de minutes, et de l'accumulation importante d'impatience, la barre s'est enfin replie. En une fraction de secondes, tous nos visages se sont crispés, espérant tous que ces clés fonctionneraient. La suite a été d'autant plus surprenante. Des instructions étaient apparues sur cette surface auparavant entièrement noire : « Pour confirmer la désactivation de S.E.L.M.A., veuillez accéder au terminal de l'Ordinateur Mère et valider l'écrasement via le mot de passe système. ».
Nos visages se sont décrispés tous en même temps. À peine avions nous finit de lire cette phrase, que nous avions tous compris que nous ne pouvions pas encore voir le bout de ce tunnel infernal. On soufflait tous pour nous rassurer quand au fonctionnement des clés, mais, finalement, ce n'était qu'une instruction, et pas réellement le moyen de mettre un terme à S.E.L.M.A. Si avoir les instructions était si compliquées que ça, je n'imagine même pas la complexité de l'effort à fournir pour trouver le mot de passe.
— Je propose de nous répartir le travail, suggéra alors M. Fargo. Alan, on te laisse tenter de débusquer ce mot de passe système. Si tu as besoin d'aide, demande nous, on est là pour ça.
— Quoi ?! Comment voulez vous que j'arrive à trouver le mot de passe de S.E.L.M.A. ? demandais-je interloqué. Autant essayé de pirater l'arme nucléaire américaine !
— Adrien Pley, reprit-il, s'est certes fait volé son projet, mais il n'était pas assez stupide pour ne pas garder d'issue de secours pour désactiver S.E.L.M.A. dans des cas comme le nôtre. Il a forcément utilisé un mot de passe qu'un humain pourrait créer. Voilà la faiblesse de S.E.L.M.A. : son créateur est humain. Qui plus est, un génie humain.
M. Fargo marquait un point, de ce que j'avais lu dans son journal, il était humain, il avait des sentiments, une conscience, des défauts, et, forcément, il était comme le reste de tous les simples mortels : imparfait. Donc, avant même d'avoir commencé à chercher, j'avais mon premier point de départ : le journal de mon arrière grand-père. Quoi de mieux qu'un journal intime pour dénicher toutes les faiblesses et les impuretés d'une personne ?
— Et nous on cherche l'Ordinateur Mère, c'est ça ? demanda Glen.
— Vous allez pas peiner, commentais-je, sans vraiment savoir de quoi je parlais.
— C'est là que tu te trompes petit, me corrigea Dembe. L'Ordinateur Mère n'est pas là où S.E.L.M.A. le prétend. Elle fait croire à tout le monde qu'il se situe dans la tour de La Citadelle. Elle dépense des centaines de milliers de crédits chaque mois pour "payer les agents de sécurité", "entretenir le bâtiment" et d'autres conneries, mais elle paie juste pour préserver un mensonge qu'elle continue de cacher à la population depuis bien longtemps. Quand on était à Conceiçao, on a pu prouver avec certitude qu'il ne pouvait pas se situer là bas pour diverses raisons logiques.
— Ah bon ? Et pourquoi elle nous cacherait tout ça ?
— À ton avis Alan ? me rétorqua M. Fargo sur un ton à la limite de la haine. C'est pour que des gens avec le même objectif que nous, mais avec des ressources plus limitées commettent l'erreur de se jeter dans la gueule du loup sans même avoir vérifié que leur objectif se trouvait vraiment à l'intérieur de cette immense tour. Et puis, reprit-il après avoir déglutit bruyamment, comment pourrais-tu expliquer qu'une intelligence artificielle ait été aussi stupide pour mettre le cœur de toute son infrastructure dans une tour, en plein milieu de la capitale, sensible à une catastrophe, comme celle du 11 septembre 2001 ?
Mes cours d'histoires sur la naissance du terrorisme dans le monde remontait à loin, mais cette date était l'une de celles que j'avais retenue, notamment puisque j'avais regardé de nombreux documentaires horrible sur cette journée.
— Effectivement, maintenant que vous le soulignez, entrais-je en accord avec lui.
Maintenant, il fallait que je rentre. Je demandais à Dembe s'il était possible de me déposer proche de chez moi, chose qu'il accepta avec grand plaisir. Le trajet fut très agréable, notamment pour deux points. Le premier : je n'avais pas la vue entravée par une morphologie anormalement musclée d'un croisement entre un molosse et un titan. Second point : échanger avec lui était un réel plaisir. On pouvait à la fois parler de tout et de rien, le tout en rigolant.
Il me déposa à quelques pas de chez moi, pour éviter, le cas où mes parents seraient là, et me verraient descendre de la voiture d'un homme d'une origine afro-américaine. Ils auraient très probablement trouvé ça étrange, et c'est compréhensible. Il était aux alentours de 15h30 quand j'ai franchi le seuil de la porte. Une dizaine de minutes plus tard, j'étais enfermé dans ma chambre, comme un vulgaire enfant. En effet, mes parents se faisaient un sang d'encre, et, n'étant pas dans mes habitudes de sécher les cours, ils se demandaient où j'avais bien pu passer. Ils m'avaient pourtant posé la question avant qu'ils ne me confinent dans ma chambre. J'avais préféré jouer la carte de la sécurité : le silence d'or.
D'une certaine manière, je comprenais entièrement leur choix de me priver de quelconque sortie, et, désormais, de m'emmener tous les matins au lycée, dans la limite de leur disponibilité, pour m'assurer que l'incident d'aujourd'hui ne se reproduise plus. Afin de présenter un peu de bonne foi, je me contrains de travailler tout le reste de l'après-midi, jusqu'au repas, m'infligeant les pire calvaires : travailler successivement la physique-chimie et l'espagnol. « Tuez-moi sur le champs ! » me répétais-je pendant les trois bonnes heures de supplice.
Dès que la soirée débuta, j'effectuais cette fameuse routine hebdomadaire des trois D. Cette fois-ci, je vous l'assure, mes parents ne m'ont pas lâché d'une semelle pour que je fasse cette routine et rien de plus, le tout, le plus rapidement possible. C'était du jamais vu depuis que j'étais tout jeune bébé : 21h15, j'étais déjà au lit en train de me tortiller dans tous les sens pour pouvoir, peut-être, tomber dans les bras de Morphée. Le calvaire du début de l'insomnie ne faisait que commencer, et je venais de le comprendre.
Je décidais de changer de position, encore une fois, mais ce fut encore un échec. Je fermai les yeux pendant une trentaine de minutes sans aucun résultat probant. En les rouvrant et en jetant un énième coup d'œil au réveil, je me rendis compte à quel point le temps passait lentement quand le sommeil ne venait pas. J'avais fermé les yeux seulement six petites minutes, et non trente comme je l'aurais pensé. Foutu pour foutu, je pris la ferme décision d'allumer ma lampe de chevet et de continuer la lecture du carnet de mon arrière grand-père, Adrien Pley. J'aurais dû prévoir qu'à la seconde où j'allais presser le bouton de la lampe, mes yeux seraient éblouis. Cependant, je n'avais rien vu venir, littéralement. Sentant que mes pupilles commençaient à s'habituer à la lumière ambiante, je continuai ce que j'avais débuté dans la crypte. Il y avait encore des pages et des pages à lire. La grosse majorité de ce dont il parlait tournait autour de cette fille : Selma Crèvecœur. Feuilletant rapidement les pages, je suis tombé sur une phrase griffonné qui, selon moi, résume parfaitement le contenu de ce carnet : « J'ai une centaines de pensées ; tu es dans 99 d'elles. ». Le plus intéressant avec cette note, c'est que c'était quand même la plus imagée de toute la page et, pourtant, c'était celle qui était le moins lisible.
Je continuais mon investigation, à chercher une quelconque information pouvant être utile à faire l'impossible : craquer le gouvernement. C'était d'ailleurs insolite. Jamais je ne me serais imaginé, à deux heures du matin, à lire un carnet écrit depuis plus de cent ans, à la recherche d'un moyen pour détruire le gouvernement. Déjà que je ne suis même pas capable de juste travailler pour les cours, cet effort relevait de l'exploit. Mais contrairement au lycée, cette fois-ci j'avais un objectif concret dont je verrais le résultat rapidement.
En plus d'une heure, je n'avais toujours trouvé aucune piste pour ce fameux mot de passe. Par contre, je découvrais la vie de cet adolescent, qui, même s'il avait, plus tard, eu des capacités extraordinaire pour concevoir une intelligence artificielle de cette envergure, et le tout, seul, il avait tout de même une adolescence banale. Des parents qui se disputent sans cesse, une mère anxieuse, un père triste, des soirées seuls en tentant de repenser sa vie, un amour de jeunesse qu'il pense impossible, des ambitions, des coups durs, souvent, mais des amis qui lui font tenir le coup... Bref, le carnet de M. Personne et de M. Tout Le Monde. Son quotidien était d'ailleurs si banal que je commençais à m'en lacer, et même pire que ça, à m'assoupir. Mais je tenais bon, il fallait absolument trouver ce mot de passe avant de rejoindre l'Ordinateur Mère. Cependant, j'avais beau avoir une motivation débordante, je me heurtais désormais à un nouveau problème : j'étais arrivé à la fin du carnet, sans rien de fructueux. Pris d'une motivation que je n'avais jamais rencontré, en tout cas, par pour les cours, je pris à nouvelle fois le début 'lisible' du carnet, pour recommencer tout depuis le départ. Quelques heures plus tard, rien de nouveau n'était apparu, à mon grand regret. La motivation qui m'avait poussé à relire le carnet était encore là, mais je crois que la fatigue l'était encore plus. Raisonnablement, je retournai à ce que j'étais censé faire depuis quelques heures déjà : dormir. Mais,en voyant l'heure qui avait défilé, je me rendais compte que je ne pourrais dormir qu'une petite heure, encore fallait-il que le sommeil vienne à moi rapidement, ce qui ne devrait pas être si compliqué que ça.
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