Chapitre 46 : déjeuner ensoleillé

Céleste était ... nerveuse. En fait, beaucoup trop nerveuse. Ses talons claquaient doucement contre les pavés de la grand rue qu'elle descendait, en serrant son sac à bandoulière contre elle. Céleste n'aurait pas dû se sentir aussi nerveuse ... Elle se contentait d'aller déjeuner avec un ami, enfin !

Si elle pouvait considérer Aïdan Starlight comme un ami ... Elle ne l'avait vraiment rencontré que ce matin, après tout. Et ils devaient parler de quelques chose ... d'important. De la fillette, qui l'avait surprise dans sa douche, et qu'Aïdan avait l'air de connaître. Nerveusement, elle tapota son sac, et tira un peu sur son chemisier. Céleste s'était changée, après la bibliothèque. Elle ... Elle avait eu ... envie de s'habiller, un peu. C'était bête, elle aurait dû rester dans ses vêtements mais ... Pourquoi pas ? Elle en avait aussi profité pour remonter ses cheveux en un chignon un peu flou, et avait enfilé une jupe un peu moins formelle, plus ... printanière. Le rouge lui monta aux joues. À quoi jouait-elle, sérieusement ? Ce n'était qu'un simple déjeuner. Pourquoi se sentait-elle aussi tendue ?

Lorsqu'elle arriva devant le bistrot où elle était censé retrouver Aïdan pour manger, The Twilight Folks, elle salua le patron, qui était en train d'installer quelques tables, dehors.

- Bonjour ma petite demoiselle ! Eh bien, t'es belle aujourd'hui ! Un rendez-vous avec Calvin ?

Elle piqua un fard, et secoua la tête, vivement. Le patron la connaissait bien. Elle venait souvent s'arrêter boire une boisson chaude, l'hiver. Il était un peu ronchon et grincheux, parfois apeurant, avec sa grande taille et sa dégaine d'ours mal léché, mais au fond, il avait un cœur d'or.

- Ah, non ! Avec ... un ami.

- Tant mieux ! Je n'aime pas ce m'as-tu vu ...

- Monsieur !

- Eh ben ? On a plus le droit d'être honnête, de nos jours ? Ah, ces jeunes ...

Il rentra dans son restaurant en grommelant, tandis que Céleste continuait de secouer la tête, frustrée. Qu'est-ce qu'ils avaient tous, avec Calvin, à la fin ? C'était une bonne personne ! Hormis ... quelques défauts qui ... parfois étaient lourds, comme sa jalousie maladive ou son humour mal placé, ça restait une personne ... sympathique ? Et elle l'aimait, enfin ! Non vraiment. Calvin n'était pas une mauvaise personne ... Simplement ... un peu ... trop ... pas assez ... Enfin ! Ce n'était pas le moment de penser à ça.

Elle jeta un coup d'œil à sa montre. Hum ... bientôt midi. Ah, peut-être Aïdan serait en retard. Ou ... et s'il avait oublié ? Peut-être ne viendrait-il pas ... Mais il avait l'air si emballé, tout à l'heure ? Était-ce une façade ? Ou ce qu'il s'était passé avec Gloria l'avait fâché ?

Elle remua sur ses talons, mal à l'aise et jeta de nouveau un coup d'œil à sa montre. Tout juste une poignée de secondes s'était écoulée ... Pourquoi se sentait-elle si nerveuse ? Ce n'était qu'un déjeuner ! Il fallait qu'elle se calme ...

- Une table pour deux, Céleste ?

- Oui, s'il vous plaît !

- Assieds-toi à ta droite, je t'amène de quoi boire rapidement !

Céleste s'exécuta avec un remerciement, et observa la rue, le ciel et tout ce qui passait dans son champ de vision. Rapidement, sa nervosité s'évanouit, et Céleste prit une grande inspiration, savourant l'air iodé de l'île. Il n'y avait nulle part ailleurs où elle aurait aimé être. La mère de Céleste était québécoise, et son père canadien. Deux Elements de lumière, qui s'étaient connus sur les bancs de l'académie, et qui avaient vécu un coup de foudre digne des films hollywoodiens. Petite, elle ne se lassait pas de les entendre raconter leur rencontre, dans les couloirs de l'académie ... Une histoire bien dégoulinante de romance, qui n'avait jamais vraiment cessé de lui mettre des étoiles dans les yeux. Petite, elle trépignait à l'idée d'aller à l'académie, d'y rencontrer aussi son amour de toujours ... Et même si elle avait fini par grandir, hors de cette idée, parfois, elle repensait à toutes ses nuits où elle fantasmait sur un possible prince charmant avec un peu d'hilarité ... Ah, l'esprit des enfants.

- Et voilà ! Du thé glacé pour la miss ...

- Merci beaucoup ! le remercia-t-elle en prenant dans ses mains le verre coloré.

- Je prends ta commande ?

- Oh, euh ... j'attends mon ...

- CÉLESTE !

Le hurlement la fit sursauter, et elle releva la tête ... pour apercevoir ce grand dadais d'Aïdan Starlight descendre à toute vitesse la rue vers elle, pour s'arrêter juste devant la table, hors d'haleine. Par réflexe, elle jeta un coup d'œil à sa montre. Midi pile. Elle ne put s'empêcher de sourire. Grandement.

- Je ... suis ... désolé ! Me suis perdu ... et ... suis parti ... un peu trop tard ... piouf ! Pardon.

- Tout va bien, tu es dans les temps ! s'amusa-t-elle.

Il se redressa vivement, en passant une main dans les cheveux, son regard gris perle scintillant d'une drôle de lueur, au soleil. Malgré elle, Céleste frissonna. Et déglutit. Aïdan ... Il était ... plutôt mignon. Voire carrément beau, en fait. Il était le cliché du surfeur californien, avec son sourire blanc, et ses boucles blondes ...

- Ah ! Tant mieux ... désolé pour ça, j'ai eu peur de te poser un lapin ! Je ne viens que rarement dans le coin, alors je ne savais pas vraiment où ...

Il se tut soudainement, et la balaya du regard, de la tête aux pieds ... avant d'entrouvrir les lèvres. Malgré elle, Céleste ne put s'empêcher de remuer. Pourquoi ... pourquoi la regardait-il comme ça ?

- Tu t'es changée !

- Euh ... oui ?

Il se passa une main sur le visage en marmonnant dans sa barbe, et lui esquissa une sorte de sourire ... désolé.

- Pardon. J'y ai pas ... réfléchi.

Elle cligna des yeux, un instant, et réalisa qu'Aïdan était inquiet à l'idée de ne pas être changé, lui. Avait-il peur de paraître négligé ?

- Non ! Non, tout va bien. C'était une envie qui m'a prise. Tu n'as rien à te reprocher ou à te demander.

Ses épaules s'affaissèrent, et il esquissa un léger sourire, soulagé. Il salua maladroitement le patron, à côté de Céleste, qui l'observa d'un air sceptique, avant de partir accueillir d'autres clients.

- Ah, tant mieux alors ! ricana-t-il en s'asseyant en face d'elle.

Elle se passa une main sur sa jupe, l'autre sur une mèche rebelle, avec un petit sourire. C'était elle qui n'aurait pas dû se changer. Elle se sentait soudainement bien stupide.

- Ça te va bien.

- Hum ?

- La jupe. Et le chemisier. Et les cheveux relevés. Ça te va bien. Tu es encore plus jolie que d'habitude.

Elle sursauta, et commença à remuer dans sa chaise, surprise. «Encore plus jolie que d'habitude» ... C'était vraiment ... flatteur. Il ne lui avait pas dit qu'elle était jolie, comme ça. Mais qu'elle était encore plus jolie que d'habitude. Et rien que de penser à cela, elle ne put retenir un autre sourire.

- Je ... oublie ce que j'ai dit. Ok ? Oublie ce que j'ai dit. C'est sorti tout seul. Je suis très gênant, quand je m'y mets ... répondit rapidement Aïdan, en ricanant nerveusement.

Son regard s'était fait fuyant ... et c'était elle, où il était en train de rosir ? Ses oreilles, en tout cas. Le pauvre ... Durant un instant, elle caressa l'idée de le faire marcher un peu, mais se rétracta instantanément. Il semblait vraiment mal à l'aise ...

- C'était un compliment vraiment adorable, en tout cas. Merci beaucoup.

Il reporta son regard sur elle ... Et hocha la tête, avec un petit sourire. Aïdan semblait si tendu ... était-il inquiet à l'idée de lui parler ? D'émettre des propos déplacés ? Céleste tiqua en se souvenant des rumeurs. Et ... de ce que Gloria lui avait balancé en pleine tête. Elle frissonna, malgré elle. La manière dont Aïdan était traité ... Non, ce n'était pas normal.

- Tu as froid ?

Il la tira de ses pensées, et la trouva penché vers elle, les sourcils froncés. Elle secoua rapidement la tête, et attrapa son verre avant d'en avaler une gorgée.

- Non ! Non, je ... tout va bien je suis simplement fatiguée.

- Tu trembles quand tu es fatiguée ?

- Pas toi ?

Un léger sourire en coin s'esquissa sur ses lèvres, et elle eut l'impression que son cœur rata un battement.

- Non, pas moi. Quand je suis fatigué, je dors. Je ne tremble pas comme une feuille.

- Je n'ai pas tremblé comme une feuille.

- C'est vrai, tu t'es secouée comme une feuille.

- Ça ne veut vraiment rien dire, ça, tu sais ?

Il haussa une épaule, en croisant les bras sur la table.

- J'aurais essayé, tant pis !

Céleste pouffa légèrement, et étouffa son rire derrière sa main, sans vraiment comprendre pourquoi. Elle était nerveuse, depuis ce matin, depuis la fillette. Elle était nerveuse depuis son réveil, depuis sa chute, depuis ... Elle relâchait la pression, à sa manière. Aïdan l'accompagna dans son rire, de bon cœur.

- Eh bien, suis-je si drôle ?

- Je crois bien.

- Tant mieux, j'ai toujours rêvé d'être humoriste.

- Tu y ferais une belle carrière !

Le jeune homme esquissa une révérence exagéré, avec un sacré sourire, alors qu'arrivait le patron du bistrot, avec un carnet et un stylo. Il jeta un drôle de regard à Aïdan, et son sourire faiblit instantanément. Mais le patron se contenta de se retourner vers elle, d'un air détaché.

- Que puis-je pour toi, Céleste ?

- Euh ... Comme d'habitude ?

- C'est noté. Et toi jeune homme ?

Il remua un instant mis mal à l'aise, et la désigna, vaguement.

- Comme elle.

Le patron haussa un sourcil, mais s'exécuta d'un hochement de tête, alors qu'il prit leur commande de boisson.

- Je vais payer, si tu veux, lui dit Aïdan, alors que le patron repartait vers le bistrot.

- Ne t'embête pas, j'ai largement de quoi payer nos parts.

- Nos parts ?

- C'est moi qui t'ai invité, c'est moi qui paye.

Il posa une main sur son torse, offusqué.

- Même pas en rêve ! Ma pauvre mère aurait une crise cardiaque, si elle apprenait qu'une fille me payerait le repas.

- C'est ça qui te dérange ?

Aïdan ricana silencieusement, avant de se fendre d'un grand sourire, en remuant la tête.

- Non, simplement l'idée qu'on paye pour moi. Ma mère m'a élevé dans l'idée d'être un parfait petit gentleman.

- Et a-t-elle réussi ?

Il tiqua, doucement. Mais finit par hausser les épaules.

- Je pense qu'elle a plus réussi avec Henry qu'avec moi.

Ce fut à son propre tour, de tiquer.

- Henry ? Comment ça ?

Aïdan perdit son sourire, et son regard se voila, alors qu'il se mettait à fixer ses doigts, pris de court. Céleste toussota, vivement et agita sa main devant elle.

- Désolée, c'était indiscret.

- Non, non, ne t'inquiète pas. C'est ... Bah, c'est pas un secret. Je connais Henry et Helen depuis toujours. Nos parents étaient très proches. Mais ils sont décédés dans un accident de voiture quand Henry et moi avions dix ans. Depuis, ils vivent avec nous, quand ce n'est pas l'année scolaire.

Céleste eut un mouvement de recul, un instant déstabilisée. Elle ne s'attendait pas vraiment à ça ... Elle baissa la tête à son tour, et tapotant la table du bout des doigts, véritablement attristée.

- Toutes mes condoléances, souffla-t-elle.

- Je t'en prie ! Ce n'est pas nécessaire ... Enfin, pas à moi. Enfin ... Oh, laisse tomber, marmonna-t-il, en apposant le front sur la table, ses deux mains dans les cheveux.

Céleste ricana, doucement, et hocha la tête. Aïdan était vraiment adorable. Son côté maladroit était charmant. Comment se faisait-il qu'autant de rumeurs aussi ignobles circulaient sur lui ?

- Je laisse tomber.

- Merci.

Céleste leva le regard vers le ciel, alors qu'une mouette passait au dessus d'eux, à grands renforts de piaillements. Le ciel était absolument magnifique, aujourd'hui ... Elle adorait l'île. Plus tard ... plus tard Céleste avait envie de s'y installer.

- Je ne veux partir pour rien au monde ... murmura-t-elle.

- Pardon ?

- Ah ! Désolée ... je ... j'étais dans mes pensées.

- Et que te disais-tu ?

Elle ricana, en se sentant un peu bête. Une drôle de lueur pétillait dans son regard gris, et de nouveau, un léger sourire étendit ses lèvres. Un sourire ... un sourire presque tendre.

- Je ... je me disais que ... Je ne souhaitais jamais quitter l'île.

Aïdan se redressa, les yeux écarquillés.

- Comment ça ?

- J'adore l'île. Je l'aime plus que n'importe quoi d'autre. Je ne me suis jamais autant sentie chez moi que ... ici. Je sais que beaucoup disent qu'ils n'ont qu'une hâte : partir une fois les études terminées, mais ... pas moi. Idéalement ... j'aimerais ne jamais partir.

C'était bête comme idée. Voire même un peu étrange. Mais ... C'était sa vérité à elle. Céleste ne voulait jamais quitter l'île.

Lorsqu'elle porta de nouveau son regard sur Aïdan, il la fixait. Il la fixait avec un étonnement palpable, comme si elle était un puzzle étrange, qu'il n'arrivait pas à déchiffrer.

- Ce n'est pas bête, comme idée. Loin de là. Si c'est ici que tu te sens le mieux, alors reste.

Elle se figea, prise de court. C'était ... c'était la première fois qu'on lui répondait ainsi. À chaque fois qu'elle avait confié son projet, autour d'elle, on s'était moqué. Ses parents lui avaient dit qu'elle finirait par s'ennuyer. Gloria était horrifiée, elle qui désirait tant explorer le monde. Calvin s'était contenté de lui rire au nez. Il n'y avait que les vieux et les profs pour habiter ici. Elle ne devait pas gâcher sa vie ainsi. Sauf que résider sur l'île n'était pas stupide pour elle. C'était son rêve. Son plus grand rêve. Acheter une petite librairie, et en faire son gagne pain. Accueillir jour après jours différents lecteurs de tous âges, avec affection et enthousiasme ... C'était véritablement la première fois que quelqu'un réagissait avec autant de positivité à son projet de vie. Et franchement, c'était rafraîchissant. Céleste ne pouvait s'empêcher de sourire.

- Merci. Et ... toi ? Après l'académie, tu veux faire quoi ?

Aïdan prit une longue inspiration, et détourna le regard, en changeant de position sur sa chaise.

- Je ... Je n'en ai pas la moindre idée. Je ne sais même pas ce que je veux faire demain, alors dans quelques années ... ! En vérité, j'aimerais voyager. Voir le monde. Mis à part mon village natal et la S.E.A, j'ai rien connu d'autre. J'adorerais faire une année sabbatique, et explorer le reste du monde. Mais ... malheureusement, c'est pas assez, pour mes parents. Ils aimeraient que j'ai un vrai plan d'avenir, mais moi ... je me sens juste perdu, à vrai dire.

- C'est normal, ce genre de sentiment.

- Sans doute ! Mais assez stressant. Surtout quand à côté, tu as Helen et Henry qui ont tout prévu.

- Ah oui ?

- Yep ! Helen veut devenir la prochaine directrice de l'académie.

Céleste connaissait Helen, de loin. Une jeune femme flamboyante et populaire, au caractère bien trempé. Elle avait quelques années de plus qu'eux, mais le monde avait entendu parler d'Helen, et de ses célèbres altercations avec certains professeurs très conservateurs. Elle ignorait totalement comment la jeune fille faisait pour éviter le renvoi, connaissant le caractère plus que capricieux du directeur, très à cheval sur le règlement. À côté de l'austère et cruel homme, Helen détonnait merveilleusement bien ... S'il y avait bien quelqu'un pour devenir directrice, c'était elle.

- Elle a tous mes encouragements.

- Merci bien ...

- Et Henry ?

- On dirait pas comme ça, mais il adore les antiquités. Il est ... très terre à terre. Il rêve d'aller étudier à Oxford. Et ... probablement de devenir archéologue.

- Il rêve de devenir archéologue ?

- L'un des meilleurs !

- Je suis sûre qu'il y arrivera.

- Et moi donc.

Ils continuèrent de papoter, de tout et de rien, jusqu'à ce que le patron revienne avec leurs commandes. En plus des boissons, le chef posa devant eux deux belles assiettes emplies de gros burgers et de frites bien huileuses. À cette vue, le ventre de Céleste en gargouilla presque.

- Régalez vous bien, mes petits !

- Merci ! s'écria Céleste, avec enthousiasme, alors qu'elle s'emparait à pleines mains du sandwich américain devant le regard médusé d'Aïdan.

Pour un peu, elle en aurait éclaté de rire. On aurait dit un petit chiot perdu.

- Tout va bien ?

- Euh ... Oui. Simplement ... je ne me serais pas attendu à ... ça.

- Tu as commandé la même chose que moi sans savoir ce que je commandais, s'amusa Céleste, en haussant un sourcil.

Il lui répondit par un sourire désolé.

- J'ai paniqué. Et je me suis bêtement dis que tu commanderais une salade, ou quelque chose comme ça ... Enfin ! Je promets de laisser mes préjugés bien nuls de côté, et de me régaler !

- Tu as intérêt.

Aïdan éclata de rire, et s'attela à commencer son plat, avec un contentement plus qu'évident. Il rayonnait. Et au fond, elle aussi. Aïdan était véritablement très plaisant. Elle se sentait si à l'aise avec lui que ça lui était compliqué de réaliser qu'elle l'avait rencontré seulement ce matin ... C'était véritablement une sensation aussi étrange que plaisante. La connexion avait réellement été immédiate. Et Céleste ne regrettait vraiment rien.

- Comment vas-tu, au fait ?

- Hum ? lui répondit Aïdan, la bouche pleine.

- Ton coude, je veux dire. Comment va-t-il ?

- Oh, ça ? Ça va bien mieux, ne t'inquiète pas, je suis solide ! Et Walter est un peu un papa poule ... papy poule, plutôt.

Oh, ça c'était peu dire. Elle masqua un sourire amusé, en se remémorant de la sieste presque forcée qu'il lui avait fait prendre.

- Tant mieux, alors.

Aïdan hocha la tête, avec un sourire à fossettes, et ... son expression devint soudainement un peu plus ... malicieuse.

- En parlant de ce qu'il s'est passé ce matin, justement ... Et si tu me parlais de la fillette ?

Céleste tressaillit, et se souvint de la raison pour laquelle elle avait, effectivement, demandé à Aïdan de la retrouver en ville ... Elle finit son burger, en tentant de mettre de l'ordre dans ses pensées, alors que le jeune homme continuait de l'observer, intrigué.

- Eh bien ... je crois que j'ai reçu la visite de la fillette pendant que je prenais ma douche.

Les yeux d'Aïdan se révulsèrent, et il manqua de s'étouffer avec une frite. Elle explosa de rire alors que le pauvre Element d'air luttait justement pour le retrouver. Il fit descendre le tout d'une longue gorgée de soda, et chassa ses larmes à coups de quelques clins d'œils, hors d'haleine.

- Elle ... elle a fait quoi ?

- Elle est venue dans les douches communes. Je me changeais et ... elle est venue me parler de tout un tas de trucs plus étranges les uns que les autres.

Fasciné, il se pencha en avant, le tissu de son t-shirt entrant presque en contact avec ses frites.

- Tu peux développer ?!

- C'était après que je sois rentrée de l'infirmerie. Gloria m'a collée sous la douche et ... en sortant, la fillette était là.

- Elle t'a dit quelque chose ?

- Elle ... Elle était ... mystérieuse ? Je sais pas, vraiment bizarre, un peu effrayante. Elle disait que tout était de sa faute, qu'elle était sur le point de tout arranger, que ...

Frustrée, elle secoua les mains devant elle, et fronça les sourcils en tentant de se souvenir ...

- Elle disait que j'aurai la vie dure. Que je devrais me faire discrète. Avec ... un autre ? Elle a dit « Faites-vous discrets ». Elle disait qu'elle avait envie de me rencontrer depuis longtemps. Que ... Elle connaissait mon nom. Céleste Gray. Je suis désolée, c'est confus, mais moi-même je suis confuse ! Elle m'a fait peur. Vraiment peur. Elle a parlé d'une certaine Amar ... Armari ...

Aïdan se tendit alors, instantanément.

- Almarica ? souffla-t-il, les yeux écarquillés.

- Oui voilà ! Almarica.

- Comme Almarica Reïsha ? L'Alchimiste ? Une des Huit Guerriers Légendaires d'Eneria ?

Elle cligna des yeux, un instant troublée ... Et se remémora ses cours de mythologie. C'était ce nom. C'était exactement ce nom.

Aïdan bascula en arrière sur sa chaise, avec un sourire démentiel. Il se passa une main dans les cheveux, son regard brillant d'une lueur extraordinaire.

- Ça confirmerait tant de choses ! C'est vraiment merveilleux !

- Tu connais les légendes liées à la fillette ?

- Absolument toutes ! Ou presque. Et toi ?

Céleste haussa une épaule, soudainement un peu confuse.

- J'ai toujours cru à ... une sorte de rumeur. Pour effrayer les enfants du coin ? Les empêcher d'aller se balader dans la forêt ? Et là je vois ... Elle. Je l'ai vue en face. Était-ce une mauvaise blague ? Ou une hallucination ?

- Je ne pense pas. Parce que sinon, on est trois à être fous.

- Quoi ? Comment ça ?

Aïdan attrapa une nouvelle frite et la mâchonna, en ayant l'air de chercher ses mots.

- Eh bien ... Henry l'a rencontrée, ce matin. La fillette, j'entends.

Céleste manqua de bondir sur sa chaise. Comment était-ce possible ?! C'était quoi cette ... coïncidence ?

- Elle l'a rencontré ? Ce matin même ? Comment ça ?

- Oui. Elle lui parlé pendant, allez ... même pas trente secondes à tout casser mais c'était intense !

- Que lui a-t-elle dit ?

- Que ça faisait du bien de l'avoir rencontrer. Que maintenant ... les choses allaient pouvoir enfin commencer à bouger. Et elle s'est exclamée que ça faisait du bien que de revoir quelqu'un comme lui.

Éberluée, Céleste croisa les bras, l'esprit en ébullition. Qu'est-ce que c'était que ... tout ça ? Et soudain, en un éclair, quelque chose lui revint. Cette fois-ci, Céleste bondit sur ses pieds, et pointa Aïdan de l'index.

- Elle m'a dit aussi quelque chose ! Quelque chose de bizarre, de vraiment bizarre, mais ... « Tant qu'à l'avoir rencontré, autant te rencontrer toi ».

Aïdan écarquilla les yeux, et fut pris d'un grand frisson.

- Elle ... Elle parlait ...

- De Henry. J'en suis sûre, elle parlait de Henry.

Aïdan se leva à son tour, imitant sa position et probablement son expression. Il semblait comme un gamin le matin de Noël

- Tant qu'à l'avoir rencontré lui, autant te rencontrer toi.

- C'est ... fou. Absolument fou. Qu'est-ce que ça veut dire ? Attends, est-ce qu'elle parlait vraiment de nous deux et pas de quelqu'un d'autre ? Enfin je veux dire ... Avant de le voir avec toi à la bibliothèque, je n'avais jamais parlé à Henry auparavant ...

- De ce que Henry m'a dit, le laps de temps entre les deux rencontres que vous avez vécues est très court. Et elle est venue te trouver une fois que tu étais seule, comme si elle attendait ça avant de venir te voir. Ça me paraît ... évident. Que ce soit de vous deux qu'elle parle. C'est peut-être pas ça, hein ! Mais vraiment, ça me semble si ... évident ! se justifia Aïdan, en rayonnant.

Incroyable, tout bonnement incroyable ... ! Mais son enthousiasme baissa d'au moins dix crans lorsqu'elle se rendit compte de l'attention des autres clients sur eux. Ils s'étaient presque mis à crier, en se mettant debout ... Elle força Aïdan à s'asseoir, en ne pouvant retenir un furieux rougissement, et Aïdan s'excusa à voix haute. Et lorsque les autres clients du bistrot reprirent leurs discussions ... Aïdan croisa son regard. Et Céleste manqua d'éclater de rire, en même temps que le jeune homme. C'était ... trop. Un peu trop. Mais dans le bon sens du terme ...

- C'est incroyable, tout de même, souffla Céleste, à voix basse, en continuant de manger ses frites.

Aïdan lui en piqua une malgré son regard courroucé, et hocha la tête.

- J'ai attendu toute ma vie qu'un truc pareil arrive. Maintenant, c'est mort, je vais pas arrêter avant d'être allé au fin fond du problème.

- Tu veux dire ... ?

- Je vais retrouver cette fillette, et lui demander ce qu'elle nous veut. Enfin, vous veut.

Céleste écarquilla les yeux, à son tour, et en resta coite de surprise, même quand Aïdan lui piqua une nouvelle frite.

- Tu ... tu comptes retrouver la fille ?

- La retrouver, et la faire parler ! J'ai toujours été intrigué par les contes et légendes de l'Académie et de l'ancien temps. Savoir que la mystérieuse fillette est venue nous chercher en personne ... Ça ne t'intrigue pas ? Pourquoi vous a-t-elle cherchés ? Que veut-elle ?

- Si ... Si, bien sûr que ça m'intrigue. Mais c'est elle qui est venue à ma rencontre. Comment pourrais-tu la chercher, et la trouver ? Enfin je veux dire ... par où commencer ?

Aïdan se stoppa, un court instant ... et eut l'air de se plonger dans ses pensées. Céleste en profita pour terminer ses frites avant qu'Aïdan ne songe à en lui voler d'autres. Mais alors qu'elle venait de terminer d'avaler le dernier morceau de pomme de terre ... le jeune homme se redressa vivement, un sourire confiant aux lèvres, son regard brillant d'une lueur déterminée.

- Je vais trouver le Sous-Sol.

Si Céleste n'avait pas fini de manger, elle se serait peut-être étouffée.

- Mais ... quoi ?

- Je vais trouver le Sous-Sol ! Si je trouve le Sous-Sol, je trouverai la fillette.

- Le Sous-Sol ? Cette vieille rumeur pour enfant ?

- L'Enfant aussi était une vieille rumeur pour enfant, tu sais !

Il n'avait pas tort, réalisa Céleste. Elle avait vraiment l'impression d'avoir ... changé de dimension. La veille, elle s'inquiétait de savoir si elle pourrait réussir à louer une cassette vidéo entre deux révisions, et voilà qu'Aïdan et elle parlaient de mythes apparemment pas si mythiques que ça. Elle tira sur une de ses mèches rebelles, pensive.

- Mais pourquoi lier le Sous-Sol à la fillette ?

- L'Enfant, c'est un peu notre espèce de fantôme local. Mais le Sous-Sol, c'est l'équivalent de la Zone 51 pour beaucoup, ici ! Même les habitants de l'île en parlent dans leur coin. Si ça c'est pas un signe ...

- Ce sont deux rumeurs, deux mystères. Pourquoi y aurait-il forcément un lien entre ça ?

- Pourquoi pas ?

Céleste eut un mouvement de recul, et se retrouva soudainement sans voix. Vu sous cet angle-là ... Aïdan était un drôle de garçon, décidément. D'un optimisme implacable. Ou plutôt d'une grande détermination.

- Bon, eh bien ... d'accord. Et tu comptes ... commencer par où ?

- Tu vas venir avec moi !

- Hein ?

- Je veux que toi et Henry vous me parlez ensemble de vos versions. C'est super similaire, tout de même. Les mots qu'elles vous a dit et tout ... Il faut que je note ça !

Il brillait carrément ... et c'était elle, qui était censée être l'Element de lumière. Avec un soupir de capitulation, Céleste extirpa de son porte-monnaie de quoi payer le repas, et Aïdan fit de même avec sa propre part, en marmonnant tout seul dans sa barbe.

Céleste empila les assiettes devant elle, et les donna au serveur qui vint vers eux, avec un sourire des plus aimable. Aïdan eut la présence d'esprit de lui donner un gros billet pour le pourboire en le remerciant joyeusement, et Céleste l'imita avant de le rejoindre, tandis qu'il remontait de nouveau la grand rue, de ses longues jambes. Elle dut se mettre à courir, le jeune homme ayant pris une sacré avance sur elle, et il ralentit conséquemment en voyant qu'elle avait du mal à le rejoindre.

- Oups, pardon. J'oublie que j'ai de grandes jambes, la plupart du temps ...

Elle repoussa une mèche de son visage, essoufflée, et lui lança un regard noir. Il se contenta de répondre par un sourire malicieux. Céleste leva les yeux au ciel, tandis qu'Aïdan parlait de trouver Henry et d'autres choses ... Quand son regard tomba sur une figure familière. Une vague de panique la submergea, et ... elle attrapa le coude d'Aïdan avant de s'enfoncer dans une ruelle étroite, à sa gauche.

Le garçon poussa une sorte de petit cri de protestation, que Céleste étouffa de sa propre main, alors qu'elle le forçait à l'enfoncer dans l'ombre de la ruelle. Par pitié, qu'il ne l'ait pas vue ... Et son cœur bondit de nouveau dans sa poitrine ... quand Calvin passa juste devant eux, dans la grand rue, main dans la main avec Karla. Karla Novako. Ils ne les avaient même pas remarqués, alors qu'ils étaient à seulement quelques pas d'eux, trop absorbés dans leur conversation.

- Je ne vais pas supporter ça longtemps, marmonna Karla, l'air sombre.

- Écoute ... C'est qu'une question de temps, d'accord ?

- Une question de temps ?!

Elle le força à s'arrêter en tirant sur son bras, et Céleste poussa de nouveau Aïdan dans l'obscurité, le cœur tambour battant. Pitié, qu'ils ne tournent pas la tête, pitié, qu'ils ne tournent pas la tête ...

- Ça fait deux mois que tu me dis ça ! Ça le sera aussi dans deux mois, une question de temps ?

Calvin semblait sincèrement embêté. Il se frotta le menton de la paume de sa main, les sourcils froncés. Et Céleste tentait désespéramment de démêler la situation. Qu'est-ce que Calvin faisait avec Karla ? Depuis quand ils se fréquentaient ?

- Karla, c'est compliqué.

- C'est PAS compliqué. J'en ai marre d'être ton second plan, lorsque Céleste n'est pas dans les parages. Alors c'est simple : soit c'est moi, soit c'est elle !

Elle frissonna, violemment, et sa vision se brouilla. Quoi ? Quoi ?

- Ne me demande pas ça !

Karla avait les larmes aux yeux. Céleste la connaissait. C'était une jeune fille un peu sombre et solitaire, toujours dans son coin. Elles avaient été dans la même classe, à plusieurs reprises, mais Céleste et elle n'avait jamais vraiment parlé ensemble. Toutefois, elles s'étaient relativement bien entendues ... jusqu'à noël dernier. Pour une raison qu'elle n'avait pas compris, la jeune fille avait commencé à être plus sèche et cassante, avec elle. Et parfois, quand elle pensait que Céleste ne regardait pas ... Karla lui lançait beaucoup de regards venimeux. Elle n'avait pas compris pourquoi. Mais maintenant ... maintenant tout devenait bien plus clair.

- D'être un être humain décent ?! Ce n'est qu'une question de temps avant que quelqu'un ne comprenne ce qu'il se passe ! Et j'en ai marre d'être dans l'ombre ! Je veux être ta copine, ta vraie copine ! Pas le second lot, ou le bouche trou !

- Ce n'est pas toi le bouche trou !

Elle tressaillit de nouveau, en comprenant le sous-entendu de Calvin ... et ses poings se serrèrent. Ses poings, qui étaient tombés au niveau de ses hanches. Elle ne s'était même pas aperçu que ses mains n'étaient plus sur Aïdan. Céleste n'arrivait pas à respirer ...

- Alors pourquoi est-ce que tu gardes Céleste ?

- Écoute ... ce n'est pas simple ! Ce n'est pas agréable pour moi, tu sais ?

Karla éclata d'un rire sans joie, et le foudroya du regard

- Ce n'est pas agréable pour toi que de jouer sur deux tableaux ? Ce n'est pas agréable pour toi que de tromper une fille comme Céleste avec moi ? Oh, pauvre chou, tu veux que je te donne un mouchoir ?

La rebuffade de Karla eut l'air de laisser Calvin sans voix.

- Ni moi, ni Céleste ne méritons ton comportement complètement stupide ! J'en ai rien à faire, que ce soit plus rassurant de garder Céleste sous ton coude ! Gentille et jolie Céleste, toujours là pour caresser ton ego, et aboyer au moindre de tes ordres, tel un gentil petit toutou ! Si différente de Karla, plus brute et sincère, mais dont tu sembles apprécier plus la compagnie, étrangement ...

Jamais elle n'avait entendu Karla s'exprimer sur ce ton envers quiconque. Jamais. Et ... jamais elle n'aurait cru entendre Karla exploser ainsi. Surtout dans un tel contexte.

- Ne crois pas que je n'ai pas vu clair dans ton jeu. La seule raison pour laquelle tu n'as pas plaqué Céleste pour moi, c'est parce qu'elle remplit le rôle de belle petite femme au foyer ! C'est tellement plus simple d'avoir à côté de soi la femme parfaite plutôt que la petite Karla, pauvre Element d'eau. À côté de la si incroyable Céleste Gray, que suis-je ? Eh bien tu sais quoi ? Je suis valable. Alors tu plaques Céleste pour moi, ou c'est moi qui irai tout lui raconter. Tu trouves que ta situation actuelle n'est pas agréable ? Alors agis, où elle va devenir un réel enfer.

Elle fit volte face, et descendit de nouveau la rue à pas lourds, laissant derrière elle un Calvin bouche bée, qui finit par revenir à lui-même, avant de courser Karla, en l'appelant à grands cris.

Ce n'est que lorsqu'elle sentit la main d'Aïdan se poser sur son épaule qu'elle se rendit compte qu'elle tremblait.

- Ça va ? lui chuchota-t-il, doucement.

Elle releva le regard vers lui ... Et aperçut son expression inquiète. Concernée. Et surtout ... désolée.

Sa gorge se serra, et les larmes jaillirent d'elles-même, sans qu'elle ne puisse rien faire pour empêcher tout ça. Céleste n'arrivait même pas à articuler quoi que ce soit ... Elle était juste ... Déçue. Infiniment déçue. Probablement dans le déni, aussi. Et elle avait honte. Honte que de s'être faite rouler dans la farine, durant ... deux mois. Ça faisait deux mois que ce fiasco durait. Et Céleste n'avait rien vu ... Comment Calvin avait-il osé ? Comment avait-il ...

Un sanglot éclata, bruyant, strident ... Et avant qu'elle ne puisse y faire quoi que ce soit, Aïdan l'attira à elle, enfonçant son visage contre son torse. Céleste entoura sa taille de ses bras, accrocha le dos de son t-shirt de ses doigts ... et se contenta de rester là. Juste là. La honte laissait place à la rage. Une rage complètement irrationnelle, sans doute liée à ce sentiment d'humiliation qu'elle sentait. Calvin ... Calvin lui disait qu'il l'aimait. Quand il l'avait regardée, quand il l'avait câlinée, quand il l'avait embrassée, quand il lui murmurait des mots doux, main dans la main ... Tout cela n'était-il que mensonge ? Elle serra les dents, encore, et encore, et encore ... Si fort qu'elle pensa se les briser. Comment avait-il osé ?

- Pleure, si tu veux, chuchota Aïdan, la ramenant à la réalité, le temps d'une seconde.

Elle n'avait pas envie de pleurer. Elle avait envie de sortir de la ruelle, et de pourchasser Calvin avant de lui arracher le visage. De frapper Karla, de toutes ses forces. Une petite voix, sa raison, sans doute, lui soufflait que c'était inutile. Qu'elle se contenterait de faire plus de mal que de bien. Et Céleste avait envie d'étouffer cette petite voix. Mais elle ne bougea par pour autant. Se contenta de rester ici, contre Aïdan, en pleurs, telle une pauvre demoiselle éplorée.

Dégoûtant. C'était dégoûtant. Elle était dégoûtante. Tout était dégoûtant. Et ... trop. Trop, trop, trop.

Elle sentit alors les bras d'Aïdan entourer ses épaules, passer sa main dans son dos. Et ...

- Tu veux quoi que ce soit ?

Oui. Oh, ça oui. Mais Céleste ravala sa rancœur et sa tristesse ... pour finir par se décaler d'Aïdan, en se passant l'intérieur de la paume sur les yeux.

- Je veux rentrer, finit-elle par répondre, n'osant même pas relever les yeux vers lui.

Mais dans son champ de vision périphérique, malgré l'obscurité ... Elle le vit sourire. Et il hocha la tête.

- Alors allons-y.

* * * * *

Gloria n'arrivait pas à se calmer. Mais au moins, elle avait arrêté de pleurer. Elle tournait en rond, au sein du parc, ses idées noires bouillonnant en sa tête sans qu'elle ne puisse rien faire pour les arrêter. Elle était ... frustrée. Frustrée et exaspérée. Et tout ça, c'était la faute de ce crétin de Hunter et du fichu prédateur qui lui servait de meilleur ami ! Aïdan Starlight ... Tout ce qu'elle avait entendu sur lui explicitait l'idée d'un homme absolument horrible.

Et puis ... il y avait eu Céleste, et Henry. Qui lui avait envoyé à la figure des propos ... vraiment ... ! Elle donna un coup de talon à un caillou, qui s'envola dans l'herbe, au loin.

Gloria continuait de marcher, et de marcher, et de marcher, en tentant désespéramment de visualiser ce nuage rouge, de le faire s'en aller ... Mais il ne faisait que revenir. Ce foutu nuage rouge, ces foutus pensées, ces foutues colères ...

Et sa foutue raison. Qui lui soufflait ... qu'elle avait eu tort. Qu'elle avait eu vraiment tort, d'insulter Aïdan, de cette manière. Que Céleste avait raison : que c'était elle qui était allée trop loin, en préférant faire confiance à de bêtes rumeurs plutôt que son propre instinct, ou à la logique même.

Gloria connaissait Clémentine, la soit-disante dernière copine d'Aïdan Starlight. Une véritable peste, qui s'amusait à répandre rumeur sur rumeur au sujet de tout le monde. Clémentine était cruelle avec quiconque lui déplaisant. Et Gloria, avec sa grande gueule, s'était essuyée nombre de piques et autre joyeuseté de l'horrible française. Clémentine avait été la première à répandre ce genre de propos au sujet d'Aïdan, alors qu'auparavant, tout semblait aller pour le mieux, au sujet du jeune homme ... Clémentine avait clairement menti, au sujet d'Aïdan. Elle repensa aux propos de Hunter, malgré elle. Il avait craché que la réputation de son ami avait été souillée par une fille qui n'avait pas toléré qu'on lui dise non ... Elle se mordit la lèvre inférieure, vivement, et ferma les yeux.

Tout s'accumulait dans un même sens : et ce n'était pas le mauvais sens, pour une fois. Elle avait eu tort sur toute la ligne. Et cette sensation était plus que cuisante. Elle s'arrêta de marcher, et se laissa tomber dans l'herbe, s'asseyant lourdement contre un tronc.

Elle s'était plus qu'emportée. Ça avait été une catastrophe sur toute la ligne. Elle avait été une catastrophe sur toute la ligne. Cette simple réalisation éteignit sa colère avec plus d'efficacité qu'une chute d'eau sur un feu de camp.

Ne restait plus qu'une honte absolument magistrale. Gloria s'était emportée tout à l'heure, car elle s'était sentie ... piégée. Piégée par la colère de Henry, et par ses remarques. Piégée par le fait qu'elle puisse, effectivement avoir tort, qu'elle puisse avoir été trop loin, qu'elle puisse être détestée par ... de justes raisons. Gloria avait été sur la défensive. Une défensive très agressive. Trop agressive. Henry l'avait littéralement insultée, mais à sa place, elle aurait fait bien pire ... Si jamais elle avait entendu qui que ce soit balancer de telles horreurs sur Céleste ... ouais, elle ne pouvait que comprendre le comportement de Henry. Comme qui dirait, elle avait merdé jusqu'au bout.

Elle enfouit son visage entre ses mains, et soupira, trèèèès longuement ... Elle se sentait comme prise dans un instinct de clarté qu'elle ne comprenait pas vraiment. À peine dix minutes auparavant, elle était prête à marteler de coups de poings le monde entier, et là, elle avait plutôt envie de s'enterrer dans un coin. Absolument magistral ...

- Ça va pas, toi.

- Non, soupira Gloria, sa propre voix étouffée par ses mains.

- Je peux faire quoi que ce soit pour t'aider ?

- J'ai un problème.

- Bah je vois ça. Mais tu veux en parler ? Je peux aider ?

Gloria soupira longuement, se demandant bien qui donc pouvait venir l'embêter ainsi, mais avant qu'elle ne puisse s'en empêcher, elle vida son sac.

- Je sais pas, j'ai fais une bêtise. J'ai dit des choses immondes parce que j'ai paniqué, et c'était vraiment nul de ma part, mais j'étais pas la seule à avoir dit des choses immondes et je sais pas quoi faire.

- Wow. J'ai rien compris.

Exaspérée, Gloria releva la tête ... et trouva en face d'elle une gamine. Accroupie devant elle, elle l'observait de ses deux grands yeux olive, ses cheveux bruns en bataille tout autour de sa tête et ses vêtements rapiécés lui donnant un air assez ... peu commun. Elle ne put que regarder l'enfant, sans voix. Qu'est-ce que c'était que ça ?

- Tu peux répéter ?

- Je ...

Gloria balbutia, quelques instants, avant de cligner des yeux ... Mais la gamine ne bougea pas. Non, elle ne rêvait pas. Cette gamine tout droit sortie de nulle part ... semblait vraiment sortie de nulle part. Et nom de dieu, c'était quoi, cet accoutrement ?

- Tu t'es habillée dans un dépotoir ? fut la seule et unique chose que Gloria arriva à dire.

La fillette haussa les sourcils ... et explosa de rire. D'un rire si puissant qu'il semblait difficile de croire qu'il sortait d'un si petit corps. Gloria en eut un mouvement de recul.

- Oh là là, toi, tu es décidément très honnête. J'adore ! Mais fais gaffe, ça risque de te valoir des problèmes ...

Lui en valoir des problèmes ... Ah, si elle savait.

- Des problèmes, j'en ai déjà ... soupira Gloria.

C'est qu'elle soupirait beaucoup, aujourd'hui ... Enfin. Le regard de la jeune fille s'adoucit ... et elle étendit la main jusqu'à elle, avant de lisser de ses doigts une de ses mèches de cheveux rebelle, avec un sourire étrangement apaisant.

- C'est pas grave, Gloria. Les problèmes, ça se règle. Il y a une solution à tout ! Tant qu'il y a de la bienveillance, alors tout est possible. Positive ! Tu dis avoir fait du mal à quelqu'un ... tu regrettes ? Sincèrement ?

Les épaules de Gloria s'affaissèrent ... et elle hocha la tête, défaitiste.

- Oui. Je ... je regrette vraiment. Je suis allée trop loin.

- Alors va t'excuser.

- Oui, mais ...

- Mais ? Y a pas de mais qui tienne.

Gloria grimaça. La gamine avait raison. Henry l'avait accusée d'être trop ... égocentrée. De toujours vouloir avoir le dernier mot ... Et il avait raison. Parce que pour elle, avoir le dernier mot, ça voulait dire être celle qui avait gagné. Et les gagnants étaient toujours en sécurité. Toujours. Gloria détestait l'idée d'être vulnérable ... Et haïssait encore plus l'idée qu'on pense d'elle qu'elle le soit.

- Si ... enfin je veux dire ... C'est ... Je ne veux pas paraître ...

- Paraître ? Depuis quand tu te soucies du paraître ?

Gloria ouvrit la bouche ... mais rien n'en sortit. Parce que la fillette avait raison. Gloria s'était toujours vantée d'être au dessus de toutes critiques, de tous commentaires. Mais la vérité, la vérité profonde ... C'est qu'elle en était réellement terrorisée. Elle préférait repousser tout le monde, abattre tout le monde avant que quiconque n'ait la chance de l'atteindre. Les seules personnes en qui elle avait confiance ? Céleste et Walter. Parce qu'au pire moment de sa vie, ils avaient été les deux seules personnes présentes pour elle. La vérité, c'était que Gloria avait peur. Constamment peur. Et elle répondait à cette peur par de la colère. Par de la haine. Une haine qui entraînait aussi celle des autres, probablement, et ... qui alimentait sa peur. Gloria était enfermée dans un cercle vicieux. Et elle ne pouvait rien y faire.

- Je ...

- C'est pas grave, Gloria. Sincèrement. Ce n'est pas grave. Tu as compris ce qui allait pas, hum ? C'est le principal. C'est le premier pas. Un des plus durs ! Bravo.

Malgré elle, les larmes montèrent de nouveau, et la jeune fille se remit à rire.

- C'est normal, d'avoir peur. Mais parfois, il faut savoir repousser les limites de la peur pour pouvoir avancer, tu me suis ? Et si c'est ce que tu veux vraiment, si c'est ce qui te semble juste ... Alors n'aies pas peur. Va voir Henry et Aïdan, et excuse-toi.

Gloria fronça les sourcils et entrouvrit la bouche ... Comment ... comment la fillette savait que c'était avec eux, qu'elle avait un problème ? Et surtout ... comment savait-elle quel était son prénom ?! Elle n'avait cessé de l'appeler Gloria ... Mais Gloria n'avait jamais vu la gamine jusqu'ici ... ?

Soudainement, l'enfant l'ébouriffa vivement, avec un ricanement aigu ... et le temps que Gloria remette de l'ordre dans sa chevelure, et qu'elle rouvre les yeux ... la gamine avait disparu.

Gloria se releva, en titubant ... et parti en courant, à l'aveuglette. La ... la fille. Ou était passée ... la fille ?

Mais au bout de dix minutes de course acharnée, Gloria dû s'arrêter, prise d'un point de côté. Elle devait se rendre à l'évidence : la gamine n'était pas là. Son souffle était ... un peu trop ... court.

Gloria faisait du sport, de temps en temps, bien sûr, mais elle n'était pas véritablement endurante. Elle se baissa vers le sol, une main sur son point de côté. C'était sacrément douloureux. Gloria se força à prendre de grandes inspirations, lentes et régulières, mais elle ne réussit qu'à se déclencher une vilaine quinte de toux.

- Gloria ?

Elle releva la tête, alarmée ... pour trouver Henry, non loin d'elle. Le binoclard la regardait avec une drôle de tête, un énorme bouquin dans une main, un sac à bandoulière sur une de ses épaules.

- Tout va bien ?

Elle manqua de lui retourner une insulte cinglante, mais la ravala au dernier moment. Ce n'était ... vraiment pas le moment. Alors elle déglutit, et se contenta de hocher la tête.

- Juste épuisée, marmonna-t-elle.

Un léger silence lui répondit, mais avant qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit, Henry se mit à marcher vers elle, avant de lui faire signe.

À nouveau, Gloria se laissa tomber lourdement par terre, contre un arbre, se forçant à prendre de longues respirations. Que lui arrivait-il, à la fin ?

- On dirait que tu as couru un marathon, commenta Henry, en s'accroupissant en face d'elle, à une distance raisonnable.

Le jeune homme ouvrit alors sa sacoche, fouilla un peu dedans ... et en ressortit une gourde, qu'il lui tendit.

Gloria se raidit alors instantanément, les lèvres plissées ... mais ne lut absolument aucune malice dans le regard de Henry. Plutôt un certain ennui.

- Je ne l'ai pas encore ouverte, l'eau est fraîche. Je reviens du dortoir, soupira Henry. Promis, j'ai pas encore bu dedans.

Ce ... n'était pas ça, qui la gênait. Loin de là. Mais ... Henry n'était pas menaçant. Pas dans ce style-là. Elle se saisit de la gourde d'un merci un peu balbutié, et renifla discrètement le contenu. Non, c'était bel et bien de l'eau. Soulagée, elle en avala une grande lampée, et en soupira d'aise. De l'eau bien fraîche ... Exactement ce dont elle avait besoin.

- T'as mangé ?

- Euh ... Quoi ?

- T'as mangé ? répéta Henry, en haussant un sourcil.

Gloria secoua lentement la tête, et le jeune homme tira une drôle de tête.

- 'Pas vrai ... marmonna-t-il alors, en fouillant dans son sac.

Il en ressortit ... deux sandwichs, enroulés de film plastique. Il lui en tendit un, bien garni, et Gloria se contenta de fixer la nourriture, en clignant des yeux. Henry poussa une expiration rapide, sans doute exaspéré, et agita la chose sous son nez.

- Pour. Toi. Bouffe. Là.

Il lui ouvrit la main de force, et déposa le sandwich dedans, avant de la foudroyer du regard.

- Si t'as pas été fichue de te nourrir avant d'aller faire du sport, en talons hauts en plus, alors prends ça, et tais-toi. Tu m'étonnes que t'étais sur le point de faire une syncope. Bon sang de dieu, t'es vraiment une plaie ouverte ! Heureusement que la dame de la cantine a eu le réflexe de m'en donner deux ... J'espère pour toi que tu aimes la tomate et le poulet, parce que t'auras rien d'autre.

Était-il en train de l'insulter alors qu'il venait littéralement de lui donner de l'eau et un de ses sandwichs ? C'était ... aussi contradictoire que sympathique. Henry Hunter était un sacré phénomène, décidément. Il la foudroya du regard ... mais changea rapidement d'expression en voyant la sienne.

Gloria ignora ce qu'il vit sur son visage, mais son exaspération se transforma rapidement en ... inquiétude ? En effet, c'était de l'inquiétude.

- Ça va ?

- Je ... ouais. Non. Non, ça va pas.

Elle déglutit, et baissa le regard, en repensant à la dispute monumentale qu'ils avaient échangée, presque deux heures plus tôt ... et à la claque. Mais aussi aux propos de l'enfant ... et à ce qu'elle avait réalisé.

Faire le premier pas, hein ... C'était plus facile à dire qu'à faire. Mais tout de même, si en courant comme une dératée, elle était tombée sur Henry ... C'était un signe, pas vrai ?

Alors Gloria prit une vive inspiration, et planta son regard dans celui du jeune homme.

- Henry, il faut qu'on parle.

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Désolée, désolée, vous ne voyez sans doute pas du tout où je veux en venir avec ces bonds dans le temps entre les parents et les enfants, mais ça fera sens un peu plus tard, je vous le promets ! Peut-être que cela fait-il déjà sens, pour certains d'entre vous ?

Les vacances ont commencé pour certains, ou sont sur le point de commencer pour d'autres ! J'espère sincèrement que tout ira bien pour vous tous, durant cet été ! Ça risque d'être mouvementé ... J'espère aussi que tout s'est bien passé pour vous, durant ces derniers mois. Pensez à vous reposer, et à prendre soin de vous comme vous le méritez. Vous êtes précieux, traitez-vous comme tels !

À la prochaine, mes adorables petits binturongs grincheux !

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