Chapitre 43 : souvenirs d'antan

«C'était là. C'était ... vraiment là. Philios avait du mal à en croire ses yeux. Il se demandait même s'il ne devait pas être en train de rêver, un peu. Pourtant ...

Devant lui, sur une surface plus grande qu'il ne l'aurait imaginé au premier abord, se trouvait un village. Un petit village. Mais un village ... Envahi par les herbes folles, et la nature. Certaines maisons croulaient sous le poids des racines de lierres, d'arbres chétifs à moitié morts ... Pas âme ne semblait y vivre ... C'était ... perturbant.

Il distinguait un puit, au loin, et peut-être aussi un autel, en extérieur, sur ce qui semblait être la place du village.

Un autel en extérieur ? C'était d'une rareté ... Dans le royaume de Caerris, il était fort rare que les lieux de cultes consacrés aux quatre dieux soient ainsi laissés à l'air libre. Certes, il avait déjà vu quelques autels, au centre de la place du village la plupart du temps, mais c'était souvent au sein de villages très reculés, qui conservaient les traditions des temps où le peuple n'avait pas pour habitude de construire des temples pour les divinités, privilège réservé aux puissants et nobles. Mais c'était une coutume qui n'était plus depuis si longtemps ... Quel âge pouvait bien avoir ce village ? Même l'architecture des maisons lui donnait une impression d'archaïsme presque perturbant.

Mais ce qui était le plus étonnant, à son sens ... C'était probablement le silence qui régnait en ces lieux.

Lorsqu'ils se réunirent tous en haut de la butte surplombant le village, personne ne pipa mot. Peut-être étaient-ils tous trop fatigués pour parler. Peut-être étaient-ils tous secoués par cette découverte tant attendue. Ou peut-être, comme lui, étaient-ils un peu trop frappés par l'étrangeté de l'endroit.

Ce fut Almarica qui réagit en première. Elle prit une grande inspiration, et se jeta en avant, glissant du long de la butte jusqu'en bas, avant de se mettre à courir vers le village, laissant ses affaires là où elle avait atterri.

Fenror lâcha un juron, avant de l'imiter, les laissant tous derrière.

- Il ... Il faut éviter de se précipiter inutilement, soupira Svelja. Trouvons un lieu où installer le campement, et ensuite, nous aviserons ...

Malgré lui, Philios ne pouvait s'empêcher de suivre du regard les silhouettes reconnaissables entre mille de Fenror et sa sœur. Le premier rattrapa la jeune femme, l'arrêtant net dans sa course, tentant probablement de la raisonner.

Peut-être avait-elle eu en tête de fouiller chacune des maisons une à une jusqu'à trouver ce qu'elle cherchait.

- Bonne idée. Mangeons d'abord, et cherchons ensuite ... souffla Guemnir, en secouant la tête.

Zelmaria posa ses affaires à terre, en soufflant longuement, et grimaça en bougeant ses pieds, un instant. Une pause ... s'imposait, en effet ...

Almarica et Fenror revinrent au moment où il fut décidé d'installer le campement au pied de la gigantesque butte. Ils seraient dissimulés de la forêt et de ses prédateurs au pied de celle-ci, la forêt se trouvant derrière l'amas de terre. Qui plus est, il suffisait de monter au sommet de celle-ci pour constater si quoi que ce soit venait dans leur direction. Mais à nouveau, il n'y avait rien, dans la plaine déserte sur lequel se trouvait le village. De l'herbe, à perte de vue, et au nord, les fameuses Hautes-Montagnes. Durant les saisons froides, le climat devait être rude, ici. Étrange idée que d'avoir choisi d'être aussi près de telles montagnes, pour un peuple de forgerons.

Toutefois, personne ne s'attendrait à trouver en de tels lieux ... un tel village. Peut-être l'intention des villageois, justement.

Almarica revint vers eux, penaude, et croisa les bras, le regard rivé sur le bout de ses semelles.

- Je suis désolée d'être partie ainsi.

- Tout va bien. Nous aussi, nous sommes pressés de découvrir ce qu'il se cache, dans cet étrange village, s'amusa Svelja.

Almarica hocha la tête, l'air un peu rassurée, et commença à déballer ses affaires, aidant Guemnir à monter l'une des tentes.

Le repas fut étrangement animé. Tout le monde bavardait les uns avec les autres, avec joie. L'euphorie d'être au bout du voyage, apparemment. Lui se tenait au-delà de l'agitation, peut-être un peu trop fatigué pour y participer. Du coin de l'oeil, il ne pouvait s'empêcher d'observer Almarica, qui continuait d'observer le village, les yeux grands ouverts, détaillant les lieux avec une ardeur bien étrange. L'impatience ? Elle agissait étrangement, aujourd'hui. Almarica n'était d'ordinaire pas impulsive ...

- Préoccupé ?

Il se tourna vers Kryos, qui venait de s'installer à côté de lui, avec un petit sourire. Aujourd'hui, le jeune homme avait l'air épuisé, malgré son expression détendue. Depuis le début du voyage, Kryos avait bien changé : auparavant renfermé et discret, il était maintenant plus ouverts et d'agréable compagnie. Selon Guemnir, alors qu'ils avaient tous deux commencer à voyager, c'était encore pire ! Il se souvenait de ses premiers jours parmi eux. Kryos fuyait la moindre interaction, ne quittait pas les côtés de son ami, avait du mal à communiquer normalement ...

Toutefois, l'arrivée de Leedna, pour qui il paraissait avoir développé une affection fulgurante, semblait avoir déverrouillé quelque chose en lui. Le voyage avait achevé cette drôle de transformation, qui avait fait de Kryos quelqu'un de moins timide et plus ouvert. Plus doux, aussi. Moins brut, moins froid.

Aujourd'hui, ses cheveux auburn, rendus moins foncés le soleil, étaient retenus en une longue tresse, sur ses épaules. Au royaume de Domitien, comme celui de Caerris apparemment, la longueur des cheveux représentait le statut social. Les Nobles les avaient le plus long possible, et il était de rigueur pour les plus pauvres que de les avoir très court. Philios n'en avait jamais rien eu à faire, de la taille de ses cheveux. Il trouvait ça stupide.

Une fois, il avait vu un enfant des bas quartier se faire couper de force ses beaux cheveux noirs. L'enfant pleurait de toutes ses forces, suppliait, hurlait, se révoltait, mais rien n'y faisait. Ça l'avait révulsé. Quelle tradition stupide.

Lui gardait ses cheveux relativement courts. Il trouvait que des cheveux longs étaient plus gênants que l'inverse. Toutefois, ça n'empêchait pas la plupart de ses amis de les garder longs ... Fenror, Svelja, Almarica ... Le plus amusant était probablement Guemnir, qui s'amusait à les faire pousser dans tous les sens, résultant en une crinière indomptable. L'ancien voleur n'en avait jamais eu grand choses à faire, des codes sociaux et moraux. Guemnir n'était pas un combattant, se plaisait-il à dire. Un filou et un rusé, voilà ce qu'il était. Peut-être était-ce pour ça que Kryos s'entendait aussi bien avec lui. Ce dernier étant parfois un peu trop ... carré, ça devait lui faire du bien, que d'avoir quelqu'un d'aussi insouciant à ses côtés.

Kryos lissa l'une de ses manches, de manière soucieuse et méthodique, maigre témoignage de son origine sociale. Ce n'était pas difficile de croire qu'il venait des Hautes Strates de la société ...

- Si je suis préoccupé ? Hum ... Oui.

- J'aime ta franchise ! s'amusa Kryos, un court instant, son regard glissant sur Almarica.

Sa question se lisait sur son visage ... Philios se contenta de soupirer, avant de gober une baie, qu'il avait ramassé plus tôt dans la forêt.

- Oui ... je suis inquiet pour Almarica.

- Sa détermination nous a conduit jusqu'ici. Il est normal qu'elle ne désire que d'explorer les lieux.

Philios plissa les lèvres, et hocha la tête. Il avait raison, bien sûr. Mais ce n'était pas ça qui l'inquiétait particulièrement. En réalité, après réflexion ... C'était plutôt ... la manière dont il agissait avec Almarica.

Philios ne savait jamais où se situer, avec son amie. Depuis ... depuis l'attaque du village ... Il était terrorisé. Véritablement terrorisé. De ce qu'elle pouvait penser de lui, de ce qu'elle avait comme idée de lui, maintenant qu'elle ... avait vu ses ailes. Il en était tellement pétrifié qu'il n'avait pas pu lui ... parler plus que ça. Alors qu'il en mourait d'envie. Il voulait ... Il ne voulait pas rester loin d'elle. Mais à chaque fois qu'il désirait s'approcher d'elle, à chaque fois qu'il désirait lui parler ... C'était comme si quelque chose l'en empêchait. Comme s'il s'interdisait de lui parler. Et c'était le cas ! Il ne se sentait pas digne d'elle, alors qu'il ne réclamait qu'être à ses côtés. C'était ... épuisant. Il se sentait contradictoire ... Et c'était pathétique.

Sentant que Kryos se mettait à le fixer, il releva la tête vers lui, l'interrogeant d'un simple haussement de sourcil. Ce dernier se fendit d'un petit sourire.

- Tu sais ce que je vais te dire, pas vrai ?

- Euh ... Non ?

En fait, si. Il savait parfaitement ce qui était en train de passer par la tête de son compagnon de route. Et il détestait ça.

- Tu as un air de perdant. De désespéré. Comme si le monde venait de te tourner le dos, et de te laisser là, sans la moindre considération.

Tout compte fait ... Non, il ne s'attendait pas à cette remarque. Il resta sans voix, à fixer Kryos, pris à revers.

Et ... au fond ... Kryos avait raison. C'était stupide, vraiment stupide, mais cette impression qu'il avait, cette tristesse qu'il n'arrivait pas à comprendre ... C'était aussi une frustration. Philios n'avait pas eu une vie simple, jusqu'ici. C'était même un euphémisme, que de dire cela ainsi. Mais quand il était arrivé ici ... Il pensait pouvoir réussir à mettre tout cela derrière lui. Vivre en tant que lui même, vivre ... normalement. Mais comment faire, alors qu'il avait dans le dos deux ailes invisibles, symbole de sa monstruosité ? C'était peut-être égoïste, mais Philios voulait simplement ... être heureux. Et il l'était avec elle. La plupart du temps.

Le jour de l'attaque du village, il avait eut si peur pour Almarica ... Philios connaissait la peur, elle l'avait dévoré pendant des années. Mais la réelle terreur qui l'avait submergée quand il avait vu Almarica, sur le point d'être attaquée ... Rien que d'y repenser, ses mains se mirent à trembler. Sa gorge se serra. Et il revit

encore ses yeux grands ouverts, ses mains posées sur son visage, sa respiration effilée ...

«- Je suis désolée.», avait-elle répété en boucle. Désolée de l'avoir autant effrayé.

Il ne put s'empêcher de frissonner, brusquement. Il ne supporterait pas que quoi que ce soit lui arrive. Et il avait peur de ce que cela voulait dire.

- Ça va pas ?

- Je préfère penser à autre chose.

Kryos le scruta, le temps d'un battement de cœur, et se redressa, le nez levé vers le ciel.

- Le temps est parfaitement dégagé. Ce sera l'idéal pour commencer à fouiller, dès que le repas sera terminé.

Philios se contenta de hocher la tête, et se retourna, dos à Almarica, se forçant à se détacher de son amie, et ... trouva, avec une certaine surprise, Zelmaria en grande conversation avec Guemnir. Ce dernier lui racontait quelque chose qui avait l'air de lui plaire. Elle en riait aux éclats, alors qu'à l'aide de grands gestes, il mimait sans doute un récit de ses fameuses aventures rocambolesques, mêlant sans doute vérité et affabulations. Et ça avait l'air de beaucoup amuser leur amie.

Ils faisaient une étrange paire, tous les deux. Lui, grand dégingandé, franc et sincère, mais aussi implacable et tordu, quand il s'y mettait. Elle, était plus en retrait, réfléchie, bien maniérée, mais assoiffée de découvrir le monde. Après tout, la petite demoiselle avait été gardée en captivité durant la plupart de sa vie. Peut-être était-ce justement ce qui les attiraient l'un à l'autre. En Zelmaria, Guemnir trouvait un public passionné, et en Guemnir, la demoiselle trouvait un moyen d'étancher sa curiosité insatiable.

Bien que leur première rencontre ait été mouvementée (c'était ce dernier qui l'avait attrapée alors qu'elle tentait de s'enfuir en direction du repaire des brigands, lors de son arrivée dans la forêt), leurs rapports avaient très rapidement évolué.

Elle s'était mise à rechercher sa compagnie avec une ferveur un peu étonnante. Zelmaria était très ouverte, avec eux tous, en tout cas, mais c'était assez étrange, que de la voir fourréeavec l'ancien voleur, le plus souvent. Au contraire, ils se seraient même attendusà ce qu'elle soit effrayée par lui. Même lors du voyage, ils étaient restés ensemble la plupart du temps, à parler de tout et de rien, mais généralement, des voyages de Guemnir. Peut-être était-il heureux d'avoir trouvé quelqu'un prêt à l'écouter parler durant des heures, mais ça restait ... étrange. Leur alchimie avait été immédiate, et leur affection ...

Leur affection. Oh. Oh, par les dieux ... Pourquoi n'avait-il pas compris plus tôt ?

- Ils ... Ils sont ... ? balbutia Philios, attirant l'attention de Kryos d'un léger coup de coude.

Intrigué, son ami porta attention à Guemnir et Zelmaria, le temps de les voir tous deux éclater de rire. Il avala une gorgée d'eau, à même sa gourde, et se contenta de dodeliner de la tête.

- Ah ça, oui, ils sont proches. Mais je ne saurais vraiment dire jusqu'à quel point. Je doute même qu'ils se rendent compte de quoi que ce soit ... Enfin, si quoi que ce soit il y a, bien sûr ! Je ne suis pas très ... Doué, avec ce genre de choses.

- De choses ?

Il déglutit, et remua légèrement, l'air un peu gêné.

- Les ... sentiments. Les émotions, les ... autres personnes. Ce n'est pas ... ma spécialité.

Kryos était, en effet, plutôt maladroit, quand il s'agissait de ... ça. Mais ça ne l'empêchait pas d'être une agréable compagnie, la plupart du temps.

- Et toi, au fait ... Tu t'es beaucoup rapproché de Leedna, non ?

Il sursauta si vivement qu'il faillit bondir du sol. Instinctivement, son regard se tourna vers l'ancienne soldate, qui conversait courtoisement avec Svelja.

Une forte rougeur marqua ses traits, et soudainement, ses oreilles parurent furieusement chauffer.

- C'est une personne fort agréable, dont j'apprécie la compagnie ...

Malgré lui, Philios ne put s'empêcher de ricaner, un instant. Oh, c'était un euphémisme. Après tout, c'était grâce à Kryos que Leedna avait été aussi bien accueillie dans le groupe.

Lorsque la jeune femme avait été enfermée à la cabane, suite à leur enlèvement, c'était Kryos qui s'était occupé d'elle. Peut-être avait-il été de bonnes conversations, ou d'une grande courtoisie, mais toujours était-il qu'il avait aidé Leedna à s'apaiser, quant à eux tous. C'est vrai que la perspective d'être retenu prisonnière par eux tous ne devait pas être des plus agréables... Après réflexion, elle avait dû être terrorisée. Comment est-ce que Kryos, un membre du camp adverse, avait réussi à l'apaiser, c'était un mystère. Et comment est-ce que la féroce Leedna avait réussi à gagner sa confiance, c'en était un également. Elle était très agressive, au premier abord. Et c'était quelque chose qui avait tendance a rebuter Kryos. Il fuyait la violence comme un cerf effarouché. Pourtant, ils avaient réussi à s'apprivoiser l'un l'autre avec une aisance vraiment surprenante.

Et ça avait été d'autant plus remarquable lors de l'attaque du village, quand ils avaient combattu côte à côte. Son ami s'était presque pâmé d'admiration devant les aptitudes incroyables de Leedna au combat. Même lui avait été surpris. Après tout, Leedna, en l'absence d'une bonne arme, s'était résolue à user de la corde pour se battre face à ses ennemis. L'aisance ridicule avec laquelle elle avait vaincu les soldats avait été plus qu'impressionnante. Leedna n'avait pas volé son statut de guerrière légendaire.

Leedna qui, justement, releva la tête vers eux, en se rendant compte qu'ils l'observaientElle se fendit d'un petit sourire qui adoucit les durs traits de son visage, avant de les saluer, d'un mouvement de la main.

Kryos répondit maladroitement, avant de se mettre à balbutier des choses sans queue ni tête, et Philios ne put vraiment se retenir de lever les yeux au ciel. Lorsque Leedna se leva pour les rejoindre, il se leva à son tour, prétextant l'envie d'aller faire un petit tour.

- Philios ... ?

- Débrouille-toi, se contenta-t-il de rétorquer, avec un coup d'œil significatif.

Kryos se mit à rougir de nouveau, et l'insulta vertement, alors que Philios s'éloignait, en se retenant plus ou moins difficilement de rire. Qu'il se débrouille avec ses sentiments, celui là. Lui aussi, avait ses propres soucis ...

Au bout de quelques pas, il balaya du regard ses environs, par réflexe, et ... remarqua qu'Almarica avait disparu.

Alarmé, il fit le tour de lui-même, balayant ses environs du regard ... pour trouver son amie, en train de se glisser vers le village, sans un son. Peut-être s'était-elle servie des ombres pour se déplacer quand personne ne regardait. Avec un soupir de soulagement, il la rejoignit aussi discrètement que possible, et se mit à la suivre, de loin. Elle semblait porter un intérêt très particulier aux maisons près desquelles elle passait. Elle touchait les murs, effleurait les plantes qui y grimpaient, depuis bien longtemps apparemment, donnait de temps en temps de drôles de petits coups de pied au sol ... Mais surtout, Almarica paraissait préoccupée. Préoccupée ... Et dérangée.

Intrigué, Philios la suivit encore un moment ... avant de la rejoindre discrètement, alors qu'elle jetait un coup d'œil dans une allée un peu obscure.

- Tout va bien ?

Elle sursauta en poussant un cri, et par réflexe, Philios plaqua une main sur sa bouche avant de l'entraîner dans la ruelle.

- Aaaaah c'est moi, c'est moi ! Tu m'as fait peur, à crier soudainement !

En le reconnaissant, elle cessa instantanément de se débattre ... Mais n'hésita pas à lui donner un coup de pied dans la jambe.

Il se recula en ravalant un hurlement de douleur, et il lâcha une flopée de jurons qui lui aurait valu de se faire tirer les oreilles si Svelja était dans le coin.

- Espèce de sombre idiot ! Un peu plus et je t'aurais jeté dans les ombres, cracha-t-elle, le foudroyant du regard.

- Désolé ... je pensais que tu m'avais vu venir.

- Hein ? Comment j'auraispu savoir que tu me suivais ? Je croyais que j'étais partie seule ! Enfin, j'étais CENSÉE ÊTRE partie seule ! Pourquoi tu m'as suivie ?!

- Je sais pas ! À un moment tu étais là, et celui d'après ... !

Il sentit sa propre voix s'étrangler, et déglutit difficilement, et détourna le regard.

- J'ai eu peur.

Il aurait voulu parler avec plus d'aplomb, plus de verbe ... Mais ce ne fut qu'un maigre murmure qui s'échappa de lui. Comme un aveu, duquel il aurait honte. C'était profondément stupide. Que lui arrivait-il ?

Le regard d'Almarica parut s'adoucir instantanément, et elle baissa la tête, avec un léger soupir.

- Je ... Je vois. Ce n'était pas dans mes intentions.

- Pas plus que c'était dans les miennes ...

Sur le coup, il se sentait très bête. En fait, il avait l'impression qu'ils se sentaient tous deux très bêtes. C'en était presque embarrassant.

- Hum, tu as trouvé quelque chose ? finit-il par lui demander, brisant un silence qui commençait à devenir gênant.

Elle releva la tête vers lui, et fronça immédiatement les sourcils.

- Oui ... Malheureusement.

Quoi ? Comment ça ? Elle tapota le mur d'une maison, plusieurs fois, avant de se retourner vers lui.

- Tu ne trouvespas ça étrange ? marmonna-t-elle.

- De ?

- Les pierres.

- C'est un village de forgerons. Ils ne vont pas construire leurs maisons en bois ...

Elle secoua la tête, et lui montra sa main. Elle était ... grise ?

- Mais qu'est-ce que ...

Il lui attrapa les doigts, inquiet et reconnu ce qu'elle avait sur les doigts.

- De la suie ? s'étonna Philios.

- On est dans un village de forgerons, comme tu l'as si bien dit, mais c'est anormal, que de la suie soit ainsi présente à L'EXTÉRIEUR des murs.

Elle avait raison.

- Cet endroit a été abandonné il y a longtemps ... La foudre, peut-être ?

Elle frissonna, et il soupira en se souvenant qu'elle était superstitieuse. Ce n'était pas parce que la foudre frappait un lieu qu'il était forcément maudit ... Ou ce n'était pas parce qu'on était né sans talent comme lui qu'on était une punition des Dieux.

- Tu pensesquoi ?

- Qu'on a mis feu au village.

Il resta sans voix. Feu au village ?! Un village de pierre ? Même si le feu créé par certains était très puissant, ça ne l'était pas au point de brûler des pierres ...

- Tu en es sûre ?

- Regarde le toit de cette maison.

- Le toit ? Mais ... Il n'y en a ...

Pas. Il n'y avait pas de toit sur cette maison. Ni sur la suivante ... Il revint dans l'allée principale du village, et observa les maisons, une à une. De loin, lorsqu'ils les avait observé pour la première fois, il avait vu un village abandonné, recouvert par la nature. Mais maintenant ... Le fait que certains murs étaient tout simplement abattu. L'absence de portes sur la plupart des maisons. Des débris, ça et là. Tout semblait ... Délabré. Fracassé. Oh. Et l'autel ... Il avait été clairement abattu.

Philios savait ce qu'il s'était passé ici.

- Le village a été attaqué, souffla-t-il.

- C'est ce que je craignais, soupira Almarica en venant vers lui.

Son visage paraissait chiffonné de tristesse.

- Je me demande ce qui est arrivé aux habitants ...

- Peut-être sont-ils ceux qui ont fait ça ? répondit-il, sans conviction.

Pour un peu, en réalité, il s'attendait presque à voir des corps dans les rues. Mais soit les cadavres avaient été emmenés,soit ils avaient été enterrés. Pourtant, alors qu'ils s'étaient perchés sur la butte, pour observer le village, Philios n'avait pas vu l'ombre d'un cimetière ... ou d'une fosse commune. Même si ça faisait bien longtemps que c'était à l'abandon, ce genre de chose laissait des traces.

Elle hocha la tête, et s'avança, vers une maison.

- Il faut chercher les ar ...

- NON !

Il l'attrapa par le bras, et la tira à lui, manquant de la faire trébucher.

- Mais ! Philios !

- Ne ... N'y va pas.

- Hein, mais pourquoi ?

- Almarica ... Je crois que ...

De là où il était, il distinguait, à l'intérieur de la maison, des formes un peu trop reconnaissables. Elle suivit son regard, et blanchit.

- Oh.

- N'y va pas, s'il te plaît, murmura-t-il.

Elle déglutit, et se redressa, avant de détourner le regard.

- J'ai déjà eu l'occasion de poser mon regard sur des cadavres, tu sais.

- Quoi ?

De surprise, il la lâcha. Évitant son regard, elle se contenta de se décaler, le visage sombre.

- J'étais une alchimiste à la cour de mon frère, tu sais. Des cadavres, j'en ai vu, de tout type. Pour tester des remèdes, des poisons ... des expériences. Ce ... n'est pas quelque chose dont je suis fière. Mais les morts ne me font pas peur.

Elle s'avança vers la maison, et jeta un coup d'œil à l'intérieur, balayant l'unique pièce de la maisonnette du regard. Puis, elle revint vers lui, l'air sombre.

- Ça va ?

- J'en ai vu d'autres. En bien pire état. Eux ... Ont été brûlés vif.

Par les dieux. Il ferma les yeux, et soupira longuement, tâchant de s'enlever l'image qui lui vint en tête.

- Il y avait un enfant.

- N'ypense plus.

- Je sais ... Mais ils ne méritent pas ça. Il faut ... Leur rendre hommage. Rien qu'un peu.

Son regard améthyste avait pris une teinte vitreuse, ses épaules s'étaient affaissées. Malgré ce qu'elle lui avait dit, une telle vision l'avait perturbée. C'était la première fois qu'elle était face aux horreurs de la guerre en personne, après tout ...

- On va s'en occuper une fois que les autres seront là, promis. Tu ... veux faire une pause ?

- Non. C'est bon. Je veux continuer à chercher.

L'aplomb présent dans sa voix, encore pourtant tremblante d'émotion, l'étonna ... et l'attendrit. Sa détermination était vraiment incroyable. Il ignorait ce qui l'avait pousséeà traverser la moitié du continent, pour trouver un espoir presque vain, mais c'était encore là. Et ça, il ne pouvait que respecter.

- Très bien. Tu veux ... commencer par où ? Enfin, continuer, plutôt. Ta nourrice avait donné plus d'indices ?

Cette femme, qui leur avait parlé de ces armes mystiques ... Philios n'avait pas vraiment voulu la croire. Mais maintenant qu'ils y étaient, dans ce village ...

- Je crois qu'elle ne savait pas elle-même. Elle n'a fait que ... me reporter les propos de ma mère, répondit son amie, en détournant le regard.

La mère d'Almarica ... Eïnhéria Reïsha. La dernière reine du royaume de Domitien. Philios avait entendu parler de cette femme. On ne savait que très peu sur elle, si ce n'était qu'elle était morte il y a bien longtemps, et qu'elle avait mis un point d'honneur à rester discrète. Paradoxalement, le peu qu'on savait d'elle attirait l'attention. Pourquoi une reine d'un royaume aussi riche et important que celui de Domitien était-elle restée aussi effacée ? Beaucoup avaient émis de théories, certains soupçonnant qu'elle était en réalité une demoiselle venant d'un autre royaume, d'autres qu'elle était d'un âge outrancier, ou bien qu'elle était simplement timide.

Philios ne s'en était pas soucié plus que ça. Les ragots de cour n'étaient pas sa tasse de thé. Mais maintenant qu'il y pensait, maintenant qu'il avait Almarica à côté de lui ... Sa curiosité le dépassa.

- Ta mère ... à quoi ressemblait-elle, exactement ? Qui était-elle ?

Son amie se figea. Soupira. Et secoua la tête, le regard vide.

- Je ne sais pas. Elle est morte en me donnant naissance.

Il eut l'impression de se recevoir un coup de poing dans l'estomac. Non mais quel idiot !

- J-je ... Je suis désolé. Je ... Je l'ignorais.

- Je m'en doute. Peu savent.

Sa voix était froide. Détachée. Lointaine, presque. En quoi était-ce étonnant ? C'était ... Il avait été stupide.

- Lorsque je suis né, mon père a failli tuer ma mère.

Son aveu était sorti de nullepart. Et ça ne manqua pas de surprendre Almarica, bien sûr. Et lui, par la même occasion. Quel idiot ... il avait pensé avant de parler. Il se rattrapa vivement toutefois.

- Euh ... Ce ... Ah, mes yeux.

Elle riva son regard améthyste dans le sien, un instant, et il dut se faire force pour ne pas détourner la tête.

- Ils sont ... émeraudes ?

- Oui ... ma famille, et ce sur plusieurs générations, n'a toujours eu que des Maîtres de Foudre et d'Air. Alors quand j'ai ouvert les yeux pour la première fois ... Le premier réflexe de mon père fut d'accuser sa reine de tromperie. Ce qui était faux, bien évidemment. Elle n'avait jamais fait quoi que ce soit avec quelqu'un d'autre. La raison d'une telle couleur quant à mes iris est due à ... mon manque de pouvoir. Une malformation, sans doute. Une fois qu'il fut révélé que je n'étais pas un Maître de la Nature, mais un ... Sans Pouvoir, j'ai été exilé de la famille royale. L'avantage, c'est que le nom de ma mère fut lavé de tout soupçon !

- Mais toi tu as vécu l'enfer, murmura Almarica, d'une voix qui se brisa sur le dernier mot.

Il déglutit avec difficulté. Et remua, gêné.

- Je ne voulais pas dire ça. Je ne sais même pas pourquoi j'ai ...

- C'est pas grave. Je comprends mieux que quiconque, tu sais.

Elle s'avança un peu, et s'étira, en penchant la tête sur le côté.

- Nos deux naissances ont provoqué des catastrophes ... Quelle coïncidence. Je me sens moins seule, soudainement, s'amusa la demoiselle avec un demi-sourire.

Il lui renvoya le sien, soudainement un peu plus soulagé. Ils recommencèrent à fouiller dans le village, sans un mot. Philios était tendu. Il avait peur que lui ou Almarica ne tombent sur d'autres sinistres, mais la plupart des maisons étaient trop saccagées pour y voir quoi que ce soit, ou trop envahies par la nature. Et les bâtisses étaient parfois rendues trop branlantes par la nature pour pouvoir ne serait-ce qui rentrer. Ça réduisait le champ de recherche ...

Quand il leva le nez vers le camp qu'il avait établi, personne n'avait encore bougé, apparemment. Incroyable quand même. Ils ne portaient donc pas attention ? Lorsqu'Almarica avait crié, il s'était attendu à avoir Fenror sur les talons quasiment instantanément ... Et ce n'était pas comme si ils étaient discrets, en explorant le village ! Enfin ...

- Philios !

- Hum ?

Il accourut vers son amie, qui, la main en visière sur son front, semblait observer une maisonnette, à l'écart du village. Tout concentré qu'il l'avait été sur les autres maisons, il ne l'avait pas remarquée.Toutefois, elle se démarquait de ses consœurs par son apparence. Si toutes les autres avaient été amochées par le temps, les flammes, et la nature, celle-la paraissait avoir été épargnée. Simple illusion d'optique due à la distance, ou réelle impression ?

- Tu as vu ? J'ai l'impression qu'elle est moins cabossée que les autres.

- Ouais ... C'est étrange.

- Peut-être parce qu'elle était à l'écart ?

- Je ne sais pas ...

Par expérience, il était vrai que lors d'attaque de ville ou bastion, on se concentrait sur les regroupements. Mais qu'une maison soit ainsi isolée du reste, surtout dans un petit village comme celui-ci ... Ce n'était pas vraiment commun.

Et malheureusement, c'était aussi un marqueur des plus explicite.

- Les habitants de la maisonnée étaient peut-être rejetés du village, suggéra-t-il, en s'avançant un peu.

- Tu penses?

- Ce genre de mise à l'écart est spécifique à ces types de cas ...

Malheureusement, il en savait quelque chose.

- Je vois ... Tu veux aller voir ?

Lorsqu'il lui coula un regard en coin, il ne put s'empêcher de remarquer à quel point son regard brillait, ainsi posé sur la maisonnette. Ce n'était pas difficile de savoir ce qu'il se passait dans sa tête. Ils avaient fouillé autant qu'ilsle pouvaient sans trouver d'indices quant à ces fameuses armes. Même s'ils n'étaient que deux, qu'ils n'avaient entrepris que des recherches de surface ... Cette maison représentait une opportunité alléchante.

- Allons-y.

Ils cheminèrent à nouveau, sans un mot. Almarica brûlait clairement d'impatience. Lui, au contraire, était plus ... méfiant. Ils n'avaient rencontré aucun problème jusqu'ici, mais ... Ce n'était peut-être qu'une question de temps avant que ça n'arrive, justement. Cette maison semblait s'offrir à eux comme sur un plateau d'argent. Et généralement, ce n'était pas bon signe, loin de là. Il craignait un piège. Mais d'un autre côté ... Le village était abandonné, ravagé ... pourquoi y aurait-il encore un piège ?

Plus ils approchaient, plus son cœur battait vite et fort, plus il se sentait tendu, inquiet ... L'idée qu'il arrive quelque chose le mettait sur les nerfs. Et bien entendu, Almarica s'en rendit compte.

- Tu es méfiant ?

- Un peu.

- Pas de souci. On va faire attention. Et en cas de souci ... J'ai ma maîtrise des ombres, avec moi.

Et comme pour appuyer ses propos, elle claqua des doigts, et une étincelle sombre dansa au bout de ses ongles, avant de s'éteindre, paradoxalement. Il ne put s'empêcher de sourire, et ouvrit de grands yeux.

- Comment tu as fait ça ?

- Ça, c'est un secret ! Mais sache que je travaille à un projet plus ambitieux ...

- Tu me rends curieux.

- Eh bien tu attendras ! Comme tout le monde !s'écria-t-elle, avec fierté, avant de rire devant sa mine étonnée.

Oui, il n'y avait pas à dire. La joie lui allait bien, à Almarica.

Il tenta d'ignorer l'étrange chaleur qui se répandait dans son ventre, et s'éclaircit la voix, avant de regarder leurs environs, focalisant son attention sur autre chose.

- Svelja faisait ça. Enfin, non pas que je vous compare ! Bien sûr ! Mais quand j'étais ... plus jeune, elle avait pour habitude de me distraire, quand j'étais au plus mal, avec sa maîtrise de la lumière. Elle créait des formes familières, des animaux, des camarades, parfois des caricatures. Ça avait le don de me détendre.

Même si ça n'avait été qu'une étincelle ... ça avait réussi à le détendre, un peu.

- Alors ... merci de l'avoir fait.

Il se sentait un peu idiot. Ça n'avait pas été grand-chose, mais ... ça avait été tout ce qui lui avait fallu, au fond.

Lorsqu'il porta à nouveau le regard sur son amie ... Elle semblait sur le point de pleurer.

Il eut un mouvement de recul, un instant perturbé, ne sachant pas trop comment réagir ... Et Almarica commença à parler.

- Désolée. C'est ... ça me touche.

- D-de ?

- Que tu ... aies dit ça. Ça m'a fait plaisir, murmura-t-elle en essuyant ses yeux, prestement, avant de se remettre en route.

- Que ... tu aies réussi à me distraire ? demanda Philios, en la rattrapant.

- À te faire plaisir. À ... te rappeler une bonne époque ?

Elle rit de nouveau, mais cette fois-ci, ça n'avait rien de joyeux.

- C'est sans importance.

- Non, vraiment, je ne crois pas que ce soit sans importance. Au contraire ! Tu ... Tu peux en parler si tu veux. Je suis là pour écouter. Et je pense que je pourrais ... comprendre.

Il avait été un paria toute sa vie, ou presque. Lorsqu'il avait réalisé que son être pouvait ... contribuer au bonheur de quelqu'un d'autre ... qu'il avait le droit d'être heureux grâce à d'autres ... Ça avait été une grande révélation pour lui. Ce n'était peut-être pas ce qu'il se passait avec Almarica, mais ... elle avait le droit de s'exprimer à ce sujet, elle aussi.

- En vérité ... je serais ravi que tu partages quelque chose avec moi.

Il déglutit, soudainement pris d'une bouffée de chaleur, et souffla vivement.

- Ces derniers temps, j'ai pas été ... présent. Pas trop. Je ... J'avais peur.

- Peur ?

Ils s'arrêtèrent de nouveau, et elle lui fit face, bloquant le reste de la route vers la maisonnette. Cette fois-ci, c'était elle qui paraissait étonnée. Et lui qui ne savait pas où se mettre.

C'est lui qui avait commencé la conversation ... C'était à lui de la finir. Allez Philios. Un peu de courage. Sérieusement, il avait l'impression d'être un petit garçon ...

- Depuis ... l'attaque du village ... J'ai peur pour toi. Tout le temps. Peur qu'il t'arrive quoi que ce soit, et peur de ... peur de ce que j'ai ressenti à ce moment-là.

Il déglutit, en se souvenant de nouveau de la vague de terreur qui avait manqué de le submerger totalement, et serra le tissu de sa tunique, de toute ses forces.

- Je sais que tu apprends à te défendre, que dans tous les cas tu es bien entourée, que tu es ... toi !

Par les dieux, il s'enfonçait, c'était risiblement pathétique.

- J-je ...

- Tu as peur que je te rejette ?

Pris de court, il se contenta de la regarder, sans mot dire, jusqu'à ce qu'elle parle à nouveau :

- Tes ailes ... Tu as peur que je rejette ... pour elles ? À cause de ce qui t'est arrivé ? C'est pour ça que tu te tenais loin de moi ?

Soudain, comme si le fait de les évoquer les faisait se rappeler à son bon souvenir, elles s'agitèrent, et apparurent ... Avant de le faire chuter à terre, tout déséquilibré qu'il fut. Almarica poussa une exclamation de surprise, et s'accroupit à côté de lui.

- Ça va ?!

- Argh, ça arrive jamais d'habitude ! gronda-t-il, en colère contre lui-même.

Il avait appris à les contrôler ... Ces derniers temps, ses sentiments prenaient le meilleur de lui-même.

- Je suppose qu'on a le droit de perdre le contrôle, à un moment ou un autre ... Personne n'est parfait, lui dit Almarica d'une voix douce.

- Je sais, mais ... C'est embarrassant, marmonna-t-il, en ignorant le feu qui lui montait au joues, alors qu'il rétractait difficilement ses ailes, peinant à les rendre de nouveau invisibles.

- C'est dommage de les cacher ... Je les trouve belles, personnellement.

À nouveau, il ne put s'empêcher de se figer, ébahi. On lui avait parfois dit qu'elles étaient impressionnantes, monstrueuses, effrayantes, mais belles ... ? Jamais ! Cette fille ...

- Merci ...

Même sa voix avait changé de tonalité. Almarica rougit, à son tour, et il ne put s'empêcher de rire, lui-même. Franchement, ça faisait du bien, que de passer du temps avec elle, à nouveau.

- Tu m'avais manqué, avoua-t-il, sincèrement.

- À moi aussi. Ne t'éloigne plus parce que tu trouves que tes ailes te donnent des airs de monstres, idiot ! gronda son amie, en faisant mine de lui assener une claque sur l'épaule. Après la visite, ce soir, viens me voir. J'aurai une histoire à te raconter. Ta présence ne me fera jamais de mal. Ça me rassurera toujours, de savoir que Philios Caerris n'est pas loin de moi.

Cette fois-ci : ce fut plus fort que lui. Il ne put s'empêcher de rougir, avec une telle intensité que ses joues lui semblaient en feu. Almarica, en constatant son embarras évident, ricana.

- Oh, mon pauvre ... avez-vous chaud ?

Il haussa un sourcil, et lui retourna un sourire ironique.

- Vous êtes d'une beauté stupéfiante, mademoiselle.

Prise par surprise, elle resta sans voix, et lentement, ses joues se colorèrent à son tour.

- Eh bien, avez-vous chaud ?

- Tu ... ! Espèce de pauvre ...

Elle commença à lui donner des coups dans l'épaule, n'hésitant pas à le déséquilibrer, et il manqua de rouler dans la poussière.

- Eh ! C'est toi qui avais commencé, protesta-t-il, face à cet élan de violence injustifié.

- Tu n'es qu'un enfant !

- Et toi, alors ?

Ses lèvres étaient traîtreusement relevées en un sourire qui trahissait son hilarité, et tuait dans l'œuf l'expression outrée qu'il désirait se construire.

Son cœur battait à tout rompre ... Il était plus qu'heureux d'être revenu à ses côtés.

- Allez, ça suffit. Il faut se mettre en route, soupira Almarica, en l'aidant à se relever.

Philios se débarrassa de toute poussière présente sur son pantalon, et rabattit ses ailes, avant de les faire disparaître du regard de tous.

- Un jour, je te parlerai d'elles, si tu veux, en constatant la curiosité évidente de son amie.

- Ça ne te dérangerait pas ?

Il secoua la tête.

- Tout ce que vous voudrez, votre majesté ! s'amusa-t-il, en mimant une grande courbette, exagérée.

De toute manière, il ne pourrait faire autrement ... Il était vraiment totalement perdu. Mais c'est à ce moment-là qu'il se rendit compte de sa mine, soudainement plus sombre.

- Tout ... va bien ?

- Ne refais plus ça, s'il te plaît, chuchota-t-elle, en se mettant à marcher un peu plus vite.

- J'ai fait ... quelque chose qui n'allait pas ?

- Je n'ai jamais été considérée comme une princesse, Philios. J'ai tué ma mère, en naissant. Mon père désirait un Maître de la Lumière. Non seulement il a eu une fille, mais aussi l'exact contraire de ce qu'il désirait. Il m'a haïe au premier regard. Pour lui avoir volé sa reine, et pour être une déception au-delà de toutes possibilités. Tout au plus, je n'étais qu'une bâtarde. Je n'en avais de princesse que le statut. Bellum m'a toujours détesté. Fenror ... tu connais l'histoire. Quand Bellum est monté sur le trône, ma condition n'a fait qu'empirer. Non pas que je sois à plaindre, bien sûr. Mais j'aurais aimé ... une vie différente.

Ce récit le laissa pensif. Il ... ne s'attendait pas à ça. Philios savait qu'elle n'avait pas eu une éducation ''royale'', comme celle de sa sœur, mais il s'était dit que c'était à cause de la différence de culture entre leurs royaumes. Pas parce qu'elle avait été élevée comme ça ... Il comprenait mieux pourquoi elle semblait avoir été aussi touchée à l'idée d'être comparée à Svelja, tout à l'heure. Si toute sa vie, on lui avait reprochée de ne pas être une Maîtresse de Lumière ... Rien que d'y penser, il bouillonnait. Almarica était une personne merveilleuse. Et elle n'avait pas besoin d'une maîtrise de lumière pour être extraordinaire.

Ils marchèrent dans le silence, jusqu'à enfin arriver à la maison isolée. Jusqu'à ce qu'elle ouvre la bouche, à nouveau.

- J'ai craqué. Je n'aurais jamais dû te balancer tout ça à la tête.

- Je préfère que tu l'aies fait.

Elle se tourna pleinement vers lui, et il franchit la distance qui les séparaient, le cœur au bord des lèvres.

- Je préfère que tu en aies parlé. Ne reste pas avec ça sur le cœur.

Elle se contenta de le regarder, sa respiration étrangement lente.

- Ça vaut aussi pour toi. N'aie pas peur de venir me voir, me parler. N'aie pas peur de me dire quand les choses ne vont pas, ou que je dépasse les limites.

Il se mit à sourire, et hocha la tête.

- Promis. Et toi ?

- Promis aussi.

- Tu as intérêt à ne pas me décevoir. Je déteste les menteurs, s'amusa-t-elle, en haussant les sourcils.

Il se pencha encore un peu vers elle, un grand sourire aux lèvres.

- Mademoiselle, j'espère ne jamais vous décevoir.

Il avait le cœur au bord des lèvres. Pour l'amour de ... Elle était beaucoup trop proche. Et lorsqu'il se rendit compte de l'intensité de son regard ... Oh mince.

Il se releva vivement, et se passa une main dans les cheveux. Elle toussota, et détourna le regard. Il était complètement ridicule. Pour un peu, il se serait frappé. Et ce qu'il avait lu dans son regard, ce qu'il avait failli faire ... Non, non. Il se faisait des idées. Et ce n'était CERTAINEMENT PAS le bon moment pour y songer. La maison mystérieuse les attendait, après tout.

- Bon, j'entre en premier, et tu restes derrière moi, marmonna-t-il en retroussant les manches de sa tunique.

- Et pourquoi devrais-je ?

- Parce que tu ...

Elle lui passa sous le nez, sans un mot, et ouvrit la porte, sans la moindre difficulté, ne lui laissant pas la moindre occasion de protester. Il regarda le vide, un court instant, avant de réaliser à quel point son imprudence aurait pu causer de gros dégâts. Elle aurait pu déclencher un piège, ou qui savait quel autre danger ... Et par les dieux, venait-elle vraiment de l'ignorer ainsi ?!

- Almarica ! Tu es ... commençait-il en s'engouffrant à son tour dans la maisonnée.

- Philios.

Sa voix le stoppa net. À peu près autant que la vision qui s'offrait à lui. L'endroit était bien plus spacieux qu'attendu, mais aussi plus ... ravagé. Tout était poussiéreux au possible, mais pas un seul meuble tenait encore debout. Ce qui devait être une table n'était réduit qu'à un amas de débris de bois. Le toit était encore là, contrairement à la plupart des autres maisons du village, mais les dégâts ... aussi. Tout était ravagé. Mais contrairement à partout ailleurs ... la nature n'avait pas repris le contrôle des lieux. Pas une plante n'était à apercevoir à l'horizon, donnant l'impression que l'espace était figé dans le temps. Comme si ce carnage avait eut lieu la veille ... Ça faisait froid dans le dos.

Et, se trouvant ainsi, au centre de la pièce ... Un squelette. Un squelette aux vêtements déchirés, et pourris par le temps.

Il murmura un juron, tandis qu'Almarica chuchotait une prière.

- Pourquoi n'est-il pas ... comme les autres ?

- Parce qu'il n'a pas été brûlé.

Elle s'avança doucement vers le squelette, et effleura ce qui lui restait de vêtement, avec une sorte de révérence désolée.

- Regarde ses vêtements. Ils ne sont même pas roussis.

- Donc ... il est mort là ? Et pourquoi ne pas l'avoir ... brûlé ?

- Un Maître du Feu peut-être.

Elle observa le crâne du squelette, avec attention, et baissa son regard vers les autres parties de son ''corps'', sans pour autant sembler perturbée par ce spectacle morbide. Et ça lui inspirait le respect. Même lui était hésitant à s'approcher de cet assemblage d'os, un peu répugné. Il en avait vu, des cadavres. Mais l'effet était le même à chaque fois. Fenror lui disait que ce genre de réaction était rassurant. Que ça prouvait qu'au fond, il lui restait une forme de respect envers les êtres vivants. Philios n'avait jamais aimé la violence, n'avait jamais aimé la guerre. Ironique qu'il ait fini dans l'armée. Mais maintenant, il se battait pour que tout cesse. Et imaginer la paix était ce qui lui permettait de lever son arc, une fois de plus. Alors certes, voir Almarica examiner le pauvre bougre ainsi était un peu perturbant ... Mais la voir faire tout cela avec autant de sang froid le laissait presque admiratif. Almarica était vraiment incroyable ...

Almarica releva la tête vers lui, attirant son attention, et lui fit signe de s'approcher. Il grimaça intérieurement, mais s'exécuta.

- Tout ... va bien ? demanda-t-il, hésitant.

- Ça, là. Tu vois ? Cette brisure, au niveau des côtes ?

Il se pencha, et remarqua qu'un morceau de ses côtes, du côté gauche du corps, manquait, en effet.

- Il a été poignardé, déclara Almarica.

- Il ?

- C'était un homme. Regarde, son bassin.

Son ... Son quoi ? Il la regarda, sans comprendre, et elle leva les yeux au plafond, avant de pointer de nouveau la cage thoracique du squelette.

- Je pense qu'il a été tué d'un coup d'épée. Sans doute ... par les personnes qui ont tenté de détruire le village.

- Quel carnage ... Le village n'a pas été abandonné, souffla Philios. Tous ses habitants ont été ...

Il n'arriva pas à finir sa phrase, désolé. Almarica se contenta de détourner la tête, et soupira.

- Penses-tu qu'ils cherchaient les armes ?

Il se contenta de rester silencieux, son regard errant dans la maisonnée, observant son entourage.

- C'est étrange ... tous les endroits sont brûlés de l'intérieur, mais ici ... Pas ? marmonna Almarica.

- Si comme tu l'as si justement dit, cette personne est un Maître du Feu, ç'aurait été inutile de mettre le feu à l'intérieur de la maison.

Elle blanchit soudainement, et se releva, les yeux grand ouverts.

- Ce n'est pas au village qu'ils ont tenté de mettre feu. Mais aux ... Oh, non.

Philios se passa une mains dans les cheveux, et tourna sur lui-même.

- Quoi qu'il se soit passé ici, les habitants étaient clairement visés. Ce n'est pas qu'un simple pillage. C'est ... un massacre méthodique.

- Le but était que personne ne s'en sorte vivant? souffla Almarica. Et ... Mère venait de cet endroit ? Mais pourquoi ne pas l'avoir tuée, elle aussi ?

- Je ne sais pas ... Peut-être est-elle partie avant tout ça ? Par les dieux, c'est immonde ...

- Ils cherchaient à éliminer quelque chose ... Le savoir des forgerons, peut-être ?

- C'est possible ... Ou alors ...

Philios tourna sur lui même de nouveau. Et eut un grand frisson. Il venait de comprendre.

- Une armurerie.

- Quoi ?

- Dans les camps, dans les bastions ... Les armes sont toujours stockées dans une partie spéciale du camp. Dans un endroit à l'écart des habitations, pour éviter tout désagrément. Certains villages, fondés par des vétérans de guerre, usent du même système. Leurs armes sont cachées dans un endroit à part, au cas où. Certains les enterrent, d'autres les rangent dans une cabane, les dissimulent dans les bois ... C'était une pratique courante, à l'époque où les escarmouches entre villages étaient chaotiques.

- Philios ... Es-u en train de suggérer ...

- Les armes des villageois, celles qu'on cherche ... Elle sont peut-être ici. Et je pense que c'est la raison pour laquelle cette maison n'a pas été incendiée non plus.

- Ils cherchaient les armes ?

- Ça expliquerait aussi pourquoi tout est sans dessus dessous. Et si tu veux mon avis ... ils n'ont rien trouvé.

Il se tourna vers Almarica. Son regard brillait d'une telle intensité ...

- Ce qui veut dire, Almarica ... Que les armes sont à portée de main.

* * * * *

Almarica cligna des yeux, un court instant, encore abasourdie par sa déclaration.

- Notre vraie nature ... l'étendue réelle de nos pouvoirs.

- Hein ? Mais ... Ok, nous sommes bons quand il s'agit de maîtriser les éléments, mais pas au point de ... ça ! s'écria Crìs, en gesticulant.

- Oh si ! Si, mon cher ami. Tu ne t'es juste pas donné la peine d'essayer, ricana Zelphis, d'une voix rocailleuse.

Le jeune espagnol tiqua, en l'entendant le qualifier d'''ami'', et Sheena secoua la tête. L'ancien roi se releva, avec difficulté, sa petite sœur le soutenant du mieux qu'elle le pouvait.

- Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi vous êtes ce que vous êtes ? Comment cette maîtrise des éléments vous est venue ? demanda Zelphis.

- Nous sommes nés comme ça ... ? bafouilla Ciela.

- Vous, oui. Mais ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'un de vos ancêtres est un jour venu au monde avec cette maîtrise ?

- Je ... Les scientifiques travaillent sur cette question depuis bien des siècles ... Et personne ne sait vraiment. Une ... modification génétique ? Une mutation ? suggéra Amélia, en se frottant les tempes.

- Huum ... une théorie logique, je dirais. Une réponse suffisamment floue mais plausible pour que la plupart ne cherchent à voir plus loin. Mais erronée. Enfin ... Pas tout à fait.

- Alors ... c'est un mystère de plus ? répondit à nouveau Ciela, en jetant un coup d'œil à Fenror, qui avait soudain trouvé un intérêt particulier aux chaussures de Ash.

- Oh, plus vraiment pour moi. Et la clé se trouve précisément non loin de vous.

Sa réponse laissa place à un silence de plomb. Un silence qu'Almarica brisa d'une voix blanche.

- Nos armes ?

Les armes, découverte des millénaires auparavant, qui les avaient aidés à mettre un terme à une guerre qui n'avaient plus aucun sens. Et qui récemment, avaient mis en déroute les Saint Souls. Ces armes ... qui, au fond, avaient toujours été spéciales.

- Précisément, Almarica. Toujours aussi vive !

- En quoi est-ce que nos armes ... peuvent avoir quelque chose à voir là dedans ?

- Parce que le secret de vos armes, ces armes presque divines, est le même que le nôtre.

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Enfin ! Terminé, fouah. Je crois que c'est le chapitre qui m'a pris le plus de temps ... J'en suis navrée. Le mois de janvier a été un mois très compliqué et très anxieux pour moi, et couplé avec la fac et les soucis de santé ... Bref, excusez-moi, mais le chapitre de Janvier est devenu celui de Février. Merci à vous d'être encore là, malgré tout ! Vous êtes géniaux, héhé.

Dans ce chapitre, beaucoup d'Almarica et de Philios, et très peu du reste. Ce n'était pas censé être aussi long, mais j'étais portée par le besoin d'écrire sur eux. Et ne vous y trompez pas : ce chapitre est d'une grande importance, au sein de l'univers. Croyez moi, vous comprendrez plus tard ... Ou dans peu de temps, qui sait !

J'espère que vous avez passé un bon début d'année, et que tout va bien pour vous ! N'oubliez pas de bien prendre soin de vous, et ça passe aussi par le droit de se laisser du temps pour glander ! Se reposer, c'est aussi prendre soin de soi, pas vrai ?

Sur ce, je vous laisse, et à la prochaine, mes petits diamants brut !

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