Chapitre 42 : la dernière heure

Il n'arrivait pas à respirer correctement. Il n'arrivait pas à ... Ralentir ...

- Crìs. Crìs, pour l'amour de ... Eh, regarde-moi, regarde-moi !

Il releva la tête, pour croiser le regard de son frère. Son frère, qui semblait à deux doigts de faire un apoplexie, à son tour.

- Ils sont là.

- Quoi ?

- Père et Mère. Ils nous ont retrouvés.

Il ouvrit de grands yeux, et un long frisson le traversa.

- Quoi ? coassa-t-il de nouveau, sous le choc.

- Les Saint Souls. Ils sont dehors. Ils sont dehors, Romy.

Son frère flancha un instant, avant de prendre une inspiration saccadée.

- C'est impossible. Ils ne sont pas censés ... Qu'est-ce qu'on va faire ?!

Sa voix frôlait maintenant l'hystérie ... comme la sienne.

- Ils vous ont suivis ? finit par leur demander Katherina, d'une voix tendue.

- C'est ... possible, souffla alors Ciela, en reculant de quelques pas. Ils nous traquent depuis New York.

- Et n'allez pas penser qu'on les a conduis ici exprès ! grommela alors Amélia, en renvoyant un regard noir à Zelphis et Katherina.

L'ancien roi secoua la tête, doucement, et se passa la main sur le visage.

- Je me doute de cela.

- Zelphis, on ne peut pas les laisser tomber entre leurs mains, intervint alors Fenror, d'une voix blanche.

- Je sais. Et ce n'était même pas sur la table.

Son ton avait changé. S'était fait plus grave. Plus sec. Zelphis Caerris était en colère. Et malgré lui, Crìs s'accrocha à Romy, en serrant les dents.

Fenror se leva vivement, et commença à faire les cents pas dans le salon, en se frottant le front.

- Comment ont-ils su que nous étions là ?

- Ils ont dû poser des questions en ville. Génial, ça va jaser ... soupira Zelphis, pressentant sans doute l'amont de ragots qui allait circuler dans les jours à suivre.

Mais s'ils ne réussissaient pas à éloigner les Saint Souls, il ne vivrait peut-être pas assez longtemps pour s'en assurer.

Ces fanatiques d'Eneria se feraient une véritable joie de mettre la main sur Zelphis Caerris ... Et vu la tête de Katherina, elle semblait en avoir parfaitement conscience.

- On ne peut pas les laisser s'approcher, siffla Fenror.

- Oh, crois-moi, ils ne s'approcheront pas.

- Zelphis, ce n'est pas ...

- Je n'ai peut-être jamais été un guerrier, mais crois-moi, mon ami. En huit mille ans, j'en ai appris, des choses.

Il plissa les yeux, et doucement, commença à esquisser un sourire ... un peu trop froid. Il préparait quelque chose.

- Ce n'est pas la première fois que nous sommes découverts. Ce ne sera certainement pas la dernière fois. Mais comme tous les autres avant eux ... Ils vont repartir bredouille.

Un courant d'air glacial passa dans la pièce, et malgré lui, Crìs frissonna. Aucun doute là dessus, ça ne venait pas de son frère ... Zelphis avait huit mille ans. En huit mille ans ... on avait largement le temps de perfectionner ses pouvoirs.

- Zelphis, ce n'est pas prudent. Nous sommes en ville.

- Personne ne s'approche d'ici, de toute manière.

- Les Saint Souls se fichent de mettre le chaos partout où ils vont. Ils n'hésiteront pas à détruire la ville si ça peut leur servir, intervint alors Amélia, avec une grimace.

- Encore mieux.

- Je ne suis pas sûre que ce soit quelque chose dont on devrait se réjouir ...

- Oh, si, crois-moi.

Un nouveau courant d'air, si froid, qu'il frissonna longuement, passa, avec plus de brusquerie. Les rideaux volèrent, et un vase vibra, non loin de là. Romy, s'accrocha à lui, en faisant de gros yeux. En temps qu'Element d'air, il était sensible aux changements d'atmosphère. Lui aussi, bien qu'en moindre mesure. C'était utile, pour prévoir la météo, ou l'arrivée de gros orages. Et au vu de la manière dont la chair de poule le parcourait ... son instinct lui criait qu'une grosse tempête était en train d'arriver.

Soudain, la luminosité ambiante baissa, et tout s'obscurcit. Par la fenêtre, Crìs constata qu'un énorme nuage noir commençait à recouvrir le ciel au dessus de la ville, menaçant, et prometteur d'une grosse catastrophe.

C'était absolument dingue. Même pas quinze minutes auparavant, le soleil brillait avec toute l'ardeur qui lui était attendu lors d'un beau mois de Mai, et là ... Le temps ne pouvait changer aussi vite, surtout dans un tel coin du monde.

- Il faut les chasser avant qu'ils ne commettent trop de dégâts ... soupira Fenror, en se massant le front, l'air de n'avoir rien remarqué.

- J'en fais mon affaire ... souffla Zelphis, le regard rivé par la fenêtre.

Un nouveau courant d'air souffla dans la pièce, et cette fois-ci, il ne put s'empêcher de claquer des dents. Merde. Ça promettait ...

- Le ciel s'est ... Pour l'amour du ciel. Des Saint Souls ?! Ils nous ont déjà retrouvés ?

Amélia poussa un cri de soulagement, à mi-chemin entre un couinement et un sanglot, avant de se jeter dans les bras d'Almarica, qui venait enfin de revenir.

Surprise, la jeune femme tituba un instant, avant de la serrer à son tour, maladroitement. Sa tresse était à moitié défaite, et ses yeux encore gonflés, mais elle paraissait en meilleure forme. Sheena vint la voir à son tour, l'air soucieuse, mais Almarica balaya son inquiétude d'un mouvement de la main avec un joli sourire. En quelques pas, elle fut devant la fenêtre, analysant la situation à l'extérieur, et son expression se fit bien moins joyeuse. La luminosité de la pièce baissa encore, et un grondement lointain se fit entendre. Crìs ne put s'empêcher de frissonner. L'orage allait être phénoménal.

- J'en ai vraiment assez. Je vais finir par intervenir, siffla Almarica.

- Ce ne sera pas la peine ... J'en fais mon affaire.

La voix de Zelphis avait baissé de quelques octaves, surprenant tout le monde ... même Almarica, qui recula de deux pas.

Et lorsque l'ancien roi se retourna vers lui, Crìs laissa échapper un grand juron. Il ne s'en était pas aperçu jusque là. Mais en cette instant, il ne pouvait que constater la légère différence de couleurs entre ses deux iris. L'un, presque argenté, et l'autre ... d'un gris orageux.

- Double-Element, souffla Romy, à ses côtés.

Comme un seul homme, ses amis se mirent à le fixer, avec surprise, avant de reporter leurs regards sur Zelphis. Qui se contenta de sourire, en glissant ses mains dans les poches de son jean.

- Exactement.

- Air et foudre ? demanda Crìs, sous son souffle.

Un Double-Element d'air et de foudre. Exactement comme Rezher. Quelle coïncidence ...

- Yep. Vous ne le saviez pas ?

Ni Fenror, ni Katherina n'avaient l'air étonné. Ce n'était pas une nouveauté, donc.

«- J'me demandais combien de temps tu mettrais avant de t'en rendre compte ...» commenta alors Guemnir, avec une pointe d'amusement.

Foutu guerrier antique.

«- Eh, ça, j'ai entendu, je te signale.»

Il s'apprêtait à lui retourner une insulte cinglante, quand un autre grondement se fit entendre. Bien plus puissant que le précédent. À l'extérieur, les Saint Souls commençaient à s'agiter.

- Parfait. Je crois que le moment est venu. Ils vont voir ce qui leur en coûte, de venir s'attaquer à moi.

Un autre courant d'air balaya la pièce. Et cette fois-ci, le vase tomba, pour se fracasser à terre.

* * * * *

«- Tu es sûre de ce que tu avances ?

- Oui, souffla-t-elle, en escaladant un tronc d'arbre tombé sur le chemin.

Elle ne mentait pas. Elle ne lui avait jamais menti, et elle ne lui mentirait jamais.

C'était la femme qui l'avait élevé, après tout.

Après l'attaque du village, les jours qui s'étaient écoulés avaient été pleins de doutes et de frayeur, pour les habitants. Jusqu'ici, ils n'avaient vu de la guerre que des nouvelles, apportées par les marchands. C'était à leurs yeux quelque chose de lointain, qu'ils pensaient ne jamais voir. Cette intrusion les avait tous profondément choqués. Et ils craignaient qu'une autre attaque ne se fasse. Heureusement, ils avaient été là, pour veiller sur eux. Ils les avaient aidés à se reconstruire, à se remettre ... Et les villageois qui s'étaient liés à eux, au fil des lunes et des saisons s'étaient mis à les voir d'un nouvel œil. Ils n'étaient plus de simples vagabonds, chassant les bandits de temps en temps, non. Ils étaient devenus ... des guerriers. Des guerriers surpuissants, légendaires. Les rumeurs avaient enflé... et avaient même quitté le village. Et l'une d'entre elle avait gonflé en renommée, plus que toutes les autres.

La rumeur stipulant que, là, dans ce petit village insignifiant, huit guerriers sortis de nulle part avaient sauvé avec brio un village des griffes de la mort et de la destruction, avec une puissance digne de véritables êtres divins.

Ce jour-là, ils n'avaient fait face qu'à une vingtaine de soldats, ressemblant plus à des mercenaires assoiffés de sang qu'à de véritables ennemis, mais comme toute rumeur qui se respecte, elle eut tôt fait de rapporter qu'ils avaient, à eux huit, terrassés plus d'une centaine de soldats surentraînés. Ça faisait jaser, bien sûr. Parfois, certains voyageurs faisaient un détour par le village exprès pour les apercevoir, entendre leur récit. Un Ishtar était même venu, à sa grande excitation, pour prendre en note le récit de leurs aventures.

Il clamait qu'on aurait tôt fait d'entendre dans tout le royaume, voire même au-delà, les récits incroyables des Huit Guerriers Légendaires.

Ça l'avait fait bien rire. Ils n'avaient rien de légendaire ... Ils étaient juste déterminés. Mais en tout cas, ils étaient bel et bien ... Huit, maintenant.

Leedna s'était jointe à eux. Un beau jour, quelques temps après l'attaque, et alors qu'ils commençaient à cesser de la considérer comme une ennemie, et une espionne, Leedna avait demandé à les rejoindre. À la laisser intégrer leur petite famille. Elle ne désirait plus repartir aux côtés de Zelphis et Katherina. Son seul et unique souhait, au plus profond d'elle-même, n'était ni plus ni moins que d'aider ceux dans le besoin. Et c'était à leurs côtés qu'elle pensait pouvoir accomplir son devoir envers sa patrie ... Et auprès du peuple Enerien. Qui plus est, Leedna se considérait endettée, envers Philios, elle, et Zelmaria. Pour avoir été aussi odieuse, aussi fermée d'esprit. Mais au fond, ils l'avaient un peu tous été, pas vrai ? Elle avait été acceptée à l'unanimité. Après ce qu'elle avait fait pour les villageois, les opinions et la méfiance qu'ils nourrissaient envers elle s'étaient changés en respect et en acceptation. Et Leedna n'était plus vue sans eux, au grand plaisir de Kryos, qui s'était rapidement rapprochée de la jeune femme.

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ils aidaient à reconstruire le village, en portant oreille aux nouvelles du monde extérieur, attendant le bon moment pour partir. Ils pouvaient faire quelque chose pour arrêter cette guerre insensée. Ils le pouvaient ... et ils se le devaient. Sinon, il ne resterait plus rien à sauver.

Et puis un jour, une caravane était arrivée, au village. Emplie de réfugiés, et de malheureux échappant les batailles du front. Le front, qui reculait de jour en jour. Certains villages, encore là la saison dernière, avaient été ravagés, ne laissant plus feux et cendres ... Leur village s'était déjà agrandi, exponentiellement. On accueillait sans cesse de nouveaux réfugiés, de nouveaux survivants ... Tous venaient ici après avoir entendu la rumeur. Et tous espéraient venir vivre en paix ici, sous la protection des Huit Guerriers Légendaires.

Mais dans cette caravane ... se trouvait une personne spéciale.

Au premier abord, Almarica ne la reconnut pas. Mais à l'entente de son nom, prononcé dans sa bouche, quand elle l'avait interpellée ... Almarica s'était souvenue. Elle s'était souvenue de sa nourrice. Sa tendre nourrice, qui l'avait aidée à s'enfuir du palais, et qui l'avait élevée, durant toutes ces années. Sa plus proche confidente. Ce qui se rapprochait le plus ... d'une mère à ses yeux.

Et une fois les effusions passées, une fois que la joie des retrouvailles se fut estompée ... Elle leur révéla un secret. Un grand secret, qui entre de mauvaises mains aurait pu servir au chaos et à la destruction.

Mais qui entre leurs mains ... pouvait devenir un rayon d'espoir, dans cette guerre sans fin.

Au loin, au-delà des frontières du royaume de Domitien, au loin du front et des batailles, près des grands monts du nord ... se trouvait un village. Le village où se trouverait la clé de leur espoir.

Et tout ça, elle le devait à ... sa mère.

Eïnhéria Reïsha. La dernière reine du royaume de Domitien ... et sa mère. Sa mère, qu'elle n'avait jamais connue, parce qu'elle était morte en lui donnant naissance.

Selon sa nourrice, avant d'être reine, elle habitait au sein d'un village un peu particulier. Un village qui, en secret, abritait un peuple depuis longtemps oublié : des forgerons, aussi alchimistes, capable de créer les armes les plus extraordinaires qui soient ... Et il restait encore quelques de ces armes dans ce village, aujourd'hui détruit depuis longtemps.

Et c'était là qu'ils avaient tous décidé de se rendre. Entreprendre cette route, sur une histoire peut-être fausse était une vraie folie. Mais une folie à laquelle ils se raccrochaient tous.

Chacun d'entre eux avait, au moins une fois durant sa vie, entendu parler de ces fameuses armes magiques, dans de grandes épopées, ou de simples rumeurs, colportées par des servantes un peu trop bavardes, des soldats avides de bonnes histoires, ou de pochetrons tenant à peine debout. Des armes capables de miracles, comme de grandes horreurs.

Des armes qui, entre leurs mains ... seraient capables d'arrêter la guerre. Le voyage durait depuis plusieurs lunes déjà. Mais ils touchaient au but. Enfin. Les pics des Hautes Montagnes leur semblaient chaque jour un peu plus proches ... et plus intimidant. Un tel village se trouvait-il vraiment à leurs pieds ... ?

Almarica y croyait. Dur comme fer. Et même si Leedna ou Kryos semblaient être sceptiques ... aucun d'entre eux ne se risquait à prononcer ses doutes à voix haute. De temps en temps, elle entendait des murmures ... mais jamais plus. Almarica était soulagée, en réalité. Ça avait été son idée, que d'entreprendre cette quête insensée. Ça avait été son idée d'écouter sa nourrice, de lui porter oreille. Mais ils l'avaient tous suivie. Et maintenant ... l'heure de vérité était proche.

La dernière heure de guerre. Pour la première heure de paix. Et rien que pour ce rêve, rien que pour cet idéal ... Elle s'y accrocherait.

- Attends, laisse-moi t'aider, souffla Philios, à côté d'elle.

D'un bond, il se hissa en haut du tronc d'arbre, probablement abattu par un éclair ou des nuisible, et l'attrapa par la taille pour la faire passer par dessus, avant d'aider les autres à franchir l'obstacle.

Depuis l'attaque du village, il ... ne cachait plus aussi efficacement ses ailes, surtout depuis qu'ils étaient partis en voyage. Parfois, il lui arrivait même de les user pour servir d'éclaireur. Mais au fond ... elle restait mortifiée. Voilà bien longtemps qu'elle connaissait Philios. Et elle n'avait jamais compris ... Qu'il avait des ailes ? Comment était-ce possible ? Et surtout ... pourquoi ne s'en était-elle jamais rendue compte ?

Lorsqu'elle y avait réfléchi, elle s'était rendue compte qu'elle ne l'avait jamais vraiment vu adossé à un mur. Jamais vraiment vu assis normalement à une chaise. Jamais vraiment vu ... appuyer son dos quelque part, en fait. Sur le coup, ça ne paraissait rien. Mais maintenant, en rétrospective ...

On lui avait un peu parlé de ce que Philios avait vécu. Jamais dans les détails, jamais dans les grandes mesures. Tout ce qu'elle savait ... C'est qu'il avait vécu de véritables horreurs.

Mais ce n'est pas cette histoire d'ailes ou son sombre passé qui la préoccupait. C'était bien plus sa tendance à esquiver son regard. Depuis qu'il avait éventé son secret pour lui sauver la mise, au village ... il s'était distancé d'elle. N'osait plus la regarder dans les yeux, et limitait les contacts physiques. Ils continuaient de se parler, de s'entraider quand nécessaire, comme à ce moment-là ... mais c'était tout.

Et au fond d'elle ... Ça la blessait. Plus qu'elle ne voudrait l'admettre. Plus que ça n'aurait dû le faire. C'était comme si ... Philios avait honte d'elle. Honte qu'elle ait appris son secret. Comme s'il était dégoûté qu'elle ait appris sa vraie nature.

Il lâcha sa main une fois qu'il l'eut passée par dessus le tronc, et il reprit rapidement la route. Elle l'observa partir devant eux, avec un soupir silencieux, et lui emboîta le pas, sans un mot.

Où étaient passés les jours où ils pouvaient parler de tout et de rien, dans la forêt, où elle lui racontait mille et une histoires, à le voir rire, pleurer, s'extasier ... ? Où était passé ce lien qu'elle chérissait tant ?

- Tout va bien ? Tu veux faire une pause ? lui demanda Svelja, en passant à côté d'elle, posant une main sur son épaule.

Almarica revint à elle, et secoua la tête, un instant. Elle ne s'était pas rendue compte qu'elle avait cessé de marcher ...

- Je vais bien. Continuons.

Elle rajusta les lanières de son grands sac de voyage, et se remit en chemin.

Voilà six jours qu'ils étaient entrés dans la forêt, et six jours qu'ils avaient l'impression de s'y enfoncer, sans jamais en voir le bout.

Mais pourtant, il n'était pas question de faire demi-tour. Après tout ce voyage, ç'aurait été du gâchis que d'abandonner en cours de route. Heureusement, la forêt était pleine de vivres à exploiter. Avant d'arriver ici, ils étaient passés par une gigantesque plaine où rien ne poussait. Ils ne leur restaient quasiment plus de vivres. Il avait été temps d'arriver ...

Et il était temps de continuer. Avec une vive inspiration, elle reprit la marche, ignorant du mieux qu'elle pouvait les cris de douleurs de son corps. Elle ne sentait plus ses pieds, ni ses jambes. Et elle se doutait bien qu'elle n'était pas la seule ... Tôt ou tard, une nouvelle pause serait nécessaire. Mais alors qu'elle était en train de gravir une pente raide ... elle se rendit compte que Philios s'était arrêté, au sommet.

Rapidement, elle le rejoignit, une question sur les lèvres ... qu'elle oublia lorsqu'elle vit ce que lui voyait.

Devant leurs yeux, à peut-être quelques centaines de pas de là ... s'étendait le fameux village des forgerons perdu.

Enfin, ils étaient arrivés.»

* * * * *

Lorsque Nancy, Violet et Kiwi arrivèrent devant l'infirmerie ... Ils découvrirent qu'ils n'étaient pas les seuls, à attendre. L'Inexistante se trouvait là, avec Erick.

- Ah, enfin. Merci, Kiwi, le remercia l'Inexistante, avec un léger mouvement de la tête.

- Je vous en prie ... murmura le jeune homme, en se frottant les mains sur son pantalon.

Nancy était hors d'haleine. Lorsque Kiwi était venu les chercher, toutes les deux, il avait mentionné que l'Inexistante voulait les voir ... mais que Helen était enfin réveillée.

Depuis sa blessure par balle, qu'elle avait reçue à New York, ça avait été pour elle un moment atrocement critique. Heureusement, Walter avait su gérer la situation, malgré la difficulté de la chose. De ce qu'elle avait compris, Helen était maintenant hors de danger ... Mais elle ne s'était toujours pas éveillée. Elle était sortie de la torpeur, quelques fois, pour finir par délirer à moitié, en balbutiant tout et n'importe quoi, avant de sombrer de nouveau dans un état comateux.

Jusqu'ici.

- Elle est réveillée ? Helen est réveillée ?

L'Inexistante finit par lui porter attention, et elle hocha la tête, deux fois. Nancy sentit ses épaules s'affaisser, et elle expira un long soupir de soulagement. Quelle victoire.

Elle n'avait ... jamais vraiment connu Helen, mais elle avait plus que conscience de l'amour et de l'affection que les étudiants et le professorat lui portaient. Elle était impartiale, mais juste. Parfois dure et autoritaire, mais jamais sans empathie. La définition même d'une main de velours dans un gant de fer.

- Elle est un peu désorientée, mais arrive à communiquer.

- Merci. Merci infiniment ... souffla Violet, les larmes aux yeux.

L'Inexistante n'en parlait pas, préférant se reposer sur les capacités de Walter ... Mais Nancy était prête à parier que c'était en grande partie grâce à l'Inexistante qu'Helen avait pu survivre. Elle avait littéralement sauvé Kiwi et Violet d'une mort similaire, après tout. L'Inexistante lui jeta un regard furtif, et Nancy le soutint, un court instant. Elle se contenta d'expirer, longuement.

- Vous vouliez nous voir pour nous parler d'Helen ? continua Kiwi, doucement, en frottant le dos de sa petite amie, qui peinait à essuyer les larmes qui coulait sur son visage.

- Oui. Et aussi pour vous dire ... que vous pourriez aller la voir, si vous le souhaitez.

Ils sursautèrent tous les trois, de concert, et les deux revenants échangèrent un regard stupéfait.

- Vraiment ?

- Bien sûr. Elle sera heureuse de vous voir. Il faut simplement attendre que Walter ait terminé de l'ausculter. J'irai après vous tous, pour ... lui expliquer les nouvelles conditions de vie sur l'île ...

Ah, ça, ça ne serait pas de la tarte. Pauvre Helen ... Nancy avait du mal à se représenter l'état dans lequel leur chère directrice devait se trouver. La dernière fois qu'elle l'avait vue, celle-ci dormait, respirant avec difficulté, plus pâle que la mort. Durant un instant, elle avait paru ... bel et bien morte. À ce souvenir, elle ne put s'empêcher de frissonner.

C'est à ce moment-là que Walter sortit de son infirmerie, avec un très long soupir.

- Elle va bien, finit-il par dire, en les voyant tous plantés là. Très fatiguée, mais elle va bien. Si vous voulez la voir, c'est maintenant. Il lui faudra du repos, après. Surtout après ...

Il émit une sorte de gestuelle vers Erick. L'Inexistante esquissa une sorte de petit sourire amusé. Il était vrai que ... Helen n'était pas au courant, pour Erick.

- Enfin. Dépêchez-vous, s'il vous plaît. Il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps. Et pas tout le monde à la fois ...

- Bien, merci, Walter. Kiwi, Violet, allez-y.

Les deux jeunes gens se redressèrent, et ils pénétrèrent dans l'infirmerie, les yeux brillants. Walter entra de nouveau à son tour, et referma la porte derrière eux, laissant Nancy seule avec l'Inexistante, et Erick.

- J'espère que ça va bien se passer ...

- Oh, ça se passera bien. Elle est au courant, après tout.

Nancy jeta un regard ébahi à l'Inexistante, qui se contenta de hausser les épaules.

- Helen SAVAIT ?! s'écria Erick, apparemment aussi surpris qu'elle.

- Helen SAIT. Ne parle pas au passé d'un être vivant, ça porte malheur, rouspéta la petite fille, d'une voix fluette.

- Tu es en train de me dire ... que Helen a tu le secret de la survie de ces deux-là ? balbutia Nancy, stupéfaite.

- Bien sûr ! T'imagine l'état dans lequel aurait été tout le monde, sinon ?

- Mais ... Et leurs parents ?

- Ah, eux ? Ils savent.

Nancy cligna des yeux un instant, complètement déroutée.

- Ils savent ? Que Kiwi et Violet sont vivants ?

- Yup.

- Mais ... C'est une blague. Je les ai vus aux enterrements ! Ils ... ils étaient dévastés.

Sa voix se brisa au dernier mot, lorsqu'elle se souvint de ces enterrements. De la douleur. Des larmes. Les parents de Violet avaient perdu, en l'espace de deux ans, leurs deux enfants. Ce n'était pas une douleur qui pouvait être feinte.

- À moins que ... ils ne savaient pas encore ?

- Non, ils savaient déjà. C'est simplement ... Savoir que son enfant n'aura jamais une vie normale, c'est parfois ... Affligeant. Certains souhaiteraient voir leur enfant mourir plutôt que de le reconnaître ''déviant''.

Elle tressaillit en entendant ce mot, et eut un mouvement de recul.

- C'est ... le cas des parents de Violet ?

L'Inexistante baissa la tête sur le côté, et posa son regard sur la porte qui séparait l'infirmerie du couloir.

- Non, bien sûr que non. Ils aiment leur fille, plus que tout. C'est simplement difficile à encaisser. Le fait que leur fille est devenue immortelle, telle les Eneriens de l'ancien temps. Et qu'ils ne pourront sans doute plus la voir comme auparavant.

- Comment ça ?

- Nancy, réfléchis. Officiellement, Violet et Kiwi sont déclarés morts. Ils n'ont plus de passeport, plus de carte d'identité, plus rien. Ils sont de véritables fantômes, administrativement parlant. Va prendre l'avion, ou le train, dans ces conditions. Et si jamais ça se savait ... Si jamais une telle information remontait aux oreilles des Saint Souls, ou du Conseil ... Ce serait la fin pour eux. Et je ne vous parle pas de moi.

Erick prit soudainement la parole à côté d'elle, manquant de la surprendre.

- Une preuve de plus qu'Eneria a vraiment existé ... Ce serait une vraie folie pour tout le monde. Surtout ... Rezher. Et Jonas, son espèce de savant fou.

- Jonas ?

- Il fait partie du conseil. Il a la vingtaine, mais c'est un génie dans son domaine. Et ... un énorme psychopathe. Enfin, si vous me passez le terme. Son rêve est de découvrir d'où proviennent nos capacités de maîtrise des éléments. Mais ses méthodes ... sont atroces. Il n'a aucune éthique, et aucune empathie. C'est peut-être le pire, après Rezher. Son dernier objectif en date était de mettre la main sur Sheena. Pour la disséquer, ou je ne sais quelle autre horreur. Il est persuadé que sa ''déviance'' pourrait l'aider dans sa quête. Alors mettre la main sur Kiwi et Violet serait une véritable consécration. Et je ne parle pas de ... vous, marmonna-t-il, en désignant l'Inexistante d'un vague geste de la main.

Il était assis à même le sol, le dos reposant contre le mur. Mais à sa manière de se tenir, complètement avachi, il semblait à deux doigts de glisser complètement par terre pour piquer un roupillon. Elle ne l'avait vu que le matin même, pourtant, mais à voir sa tête, on aurait juré qu'une semaine était passée ... il semblait abattu de fatigue.

- Je te remercie de ta remarque, Erick, mais ne t'inquiète pas pour moi.

Nancy vacilla, et recula jusqu'au mur, avant de se laisser glisser à terre, juste à côté d'Erick.

- Ils ... en ont après Sheena ?

- Et toi, aussi. En temps que Blood Element ... Enfin ! Qu'ils essayent. Je ne les laisserai s'approcher de personne, siffla soudainement l'Inexistante, en jouant avec les bouts de son écharpe. Quant à Sheena ... Elle est en sécurité, en compagnie de vos amis et d'Almarica. Rien de mal n'arrivera. Ce sera pas demain la veille que Jonas ou quiconque mettra la main sur nous.

Nancy lâcha un petit rire nerveux, et enroula ses bras autour de ses jambes, le cœur battant. Elle aurait voulu ne pas apprendre tout ça. Rien que d'imaginer ses amis en proie à de telles menaces la rendait presque malade. Malgré elle, Nancy ne pouvait maîtriser les tremblements qui prenaient part d'elle même.

Mais avant qu'elle ne puisse réagir, l'Inexistante fit volte face, et s'éloigna d'eux, sans un regard pour eux.

- Je dois passer au Sous-Sol. Je reviens !

Et elle disparu au détour du couloir. Nancy fixa le coin, déroutée, peinant à reprendre son souffle et le fil de ses idées ...

- Je hais quand elle fait ça, gronda soudainement Erick, les yeux mi-clos.

- De ?

- Ça. Annoncer les pires horreurs comme si de rien n'était, avant de se barrer.

- Ce ... C'est vrai qu'elle est douée à ça ...

- Elle ne s'en rend pas compte, la plupart du temps. Mais un jour, va vraiment falloir la coincer quelque part pour lui expliquer les prémices de la psychologie ... À croire qu'elle n'a aucune empathie.

Elle pencha la tête sur le côté, en pensant à Ash. Les affreux cauchemars qui mangeaient ses nuits à cause des multiples mises en garde de l'Inexistante avaient fais de lui un vrai zombie, tout en lui laissant certainement des séquelles. Heureusement, tout ça était derrière lui, mais ... tout de même. Est-ce que Erick était au courant ? Elle ne voulait pas être celle qui lui annoncerait ...

Enfin, connaissant l'Inexistante, elle avait dû le lui annoncer elle-même. Avec un peu de chance ...

Elle jeta un regard en biais à Erick, et le détailla, soudainement soucieuse. L'adolescent était inquiet. Et c'était quelque chose de peu commun, chez Erick Hunter. C'était un jeune homme plutôt fanfaron. Le silencieux de la fratrie, c'était Ash, pas lui. Quelque chose n'allait pas. Mais quoi ... ?

- Tu ... te sens bien ?

- Non.

Eh bien, au moins, il était honnête.

- Tu veux en parler ? demanda-t-elle, d'une voix douce.

Il soupira, longuement, et remua l'un de ses pieds, nerveusement.

- C'est ... C'est juste que ... Elle est là. Helen. Et ... La dernière fois qu'elle m'a vu ... Je ...

Il n'eut pas besoin de finir sa phrase. Elle savait où il voulait en venir.

- Helen sera heureuse de te revoir, tu sais. Tu lui manques beaucoup, j'en suis sûre.

- Elle va m'engueuler. Me renier, peut-être.

- Eh, ne dis pas ça !

- Elle va être tellement en colère ...

- Mais non ... Erick. Tu as disparu il y a deux ans. Tu as été déclaré mort. Tu as une tombe au cimetière ! Helen sera plus qu'heureuse de savoir que son neveu est toujours en vie. Qu'il est là, de l'autre côté de la porte, et en bonne santé.

Il lui jeta un regard un peu timide, et ses pieds s'agitèrent un peu plus.

- Elle va m'en vouloir.

- Peut-être. Mais je pense sincèrement que le fait de te savoir en vie sera pour elle un vrai miracle. Les engueulades viendront peut-être ... mais ce ne sera pas sa priorité. Elle n'aura pas honte de toi. Bien au contraire, Erick.

Cette fois-ci, il tourna pleinement la tête vers elle, les yeux grands ouverts. Malgré elle, Nancy déglutit, soudainement nerveuse. Elle haussa les épaules, et croisa les bras.

- Ce que tu as fait était, en effet, assez stupide. T'avais même pas seize ans à l'époque. Tu pensais vraiment pouvoir abattre les Saint Souls à toi tout seul ? Donc certes, c'était stupide. Mais ... Tu étais en deuil. Tu voulais simplement arrêter ce carnage. Tu voulais ... aider. Tu n'es pas devenu un Saint Soul de plein gré. Tu y as été contraint et forcé. Et finalement ... Regarde. Tu es arrivé à tes fins. Tu as aidé Ciela, au nez et à la barbe de ces enfoirés. Plusieurs fois, en plus ! Tu as saboté les Saint Souls, et tu es revenu. Tu es revenu, Erick. En quelque sorte ... Tu es ... un héros ? Un héros un peu stupide, mais un héros quand même.

Il haussa un sourcil, et fit un drôle de moue.

- Est-ce que tu viens de me traiter d'être stupide ?

- Ouais. Et c'est faux ?

- Je ... Ouais, non. T'as raison. J'ai été stupide.

- Tu as été stupide ?

- Bon, ok, je suis encore stupide.

- Bien. Merci beaucoup.

Il la fixa un instant, l'air boudeur ... Et ils explosèrent de rire. Soudainement, c'était comme si un poids s'envolait. La journée avait été bien remplie ...

Lorsqu'ils cessèrent enfin de rire, ils se mirent à fixer le mur, devant eux, sans un mot. Attendant que vienne Walter. Attendant qu'il leur permettent de venir, à leur tour. Mais au bout d'un petit moment ... Erick brisa le silence.

- Elle me manque atrocement.

Elle se tourna vers lui, un instant ... Et lui sourit. Il y répondit, maladroitement. Et instinctivement, elle prit sa main entre la sienne, fortement.

- Ça va aller.

Ils se regardèrent, un instant, et Erick entrouvrit les lèvres, prêt à dire quelque chose ... quand la porte de l'infirmerie s'ouvrit, sur Walter. D'un simple signe de tête, il autorisa Erick à rentrer avec lui, et derrière, dans son infirmerie, la douce voix d'Helen retentit, un instant, alors qu'elle parlait encore à Violet et Kiwi. Erick frissonna, et déglutit vivement, à l'écho du timbre de sa tante, et se frotta vivement les paumes sur son jean. Il était infiniment nerveux ... Et tremblait même, un peu. Elle lui lança un regard encourageant, avec un petit sourire, alors que le jeune Hunter se relevait ... quand il lui tendit la main.

- Viens.

- Quoi ?

- Tu ... peux venir avec moi ? S'il te plaît ?

De son autre main, il se gratta la nuque, et riva ses yeux argentés sur ses chaussures, un instant, l'air embarrassé.

- Je ... Je me sentirais mieux si ... tu venais avec moi.

Malgré elle, Nancy ne put s'empêcher de sourire. Fortement. Elle attrapa sa main, et il la hissa sur ses pieds, sans aucun souci. Parfois, elle avait tendance à oublier qu'il était plutôt fort, pour un simple mec de dix-sept ans.

- Aucun problème. Enfin, si Walter n'y voit aucun problème, lui ... ?

Il leva les yeux au plafond, et secoua la tête.

- Au point où on en est ... Et Helen est en meilleure forme que ce que je pensais. Mais attention, ne l'agitez pas trop. Et elle n'a pas le droit de se lever, ni de trop bouger. Compris ?

- Oui, prononcèrent-ils tous deux en cœur, peut-être avec une voix mal assurée pour Erick.

Puis Walter s'effaça, un peu. Et ils entrèrent tous les deux dans la pièce.

Kiwi et Violet étaient en grande conversation, avec Helen. Ils s'attelaient à résumer ce qu'elle avait raté, du mieux qu'ils pouvaient. Elle semblait confuse, mais soulagée. Sans doute à l'idée que l'île aille bien, quoi que pas vraiment dans sa dimension de départ. Elle ne remarqua pas que d'autres étaient rentrés dans la pièce, trop absorbée par la conversation. Erick en profita pour s'esquiver derrière Walter, qui lui lança un regard courroucé. Mais il secoua vivement la tête, comme un enfant apeuré à l'idée de se faire disputer.

Nancy fit un petit sourire d'excuse à Walter, qui se contenta de remuer la tête, un peu désespéré ... mais compréhensif.

Bon. Allez. Autant prendre les choses en main.

Elle se racla fortement la gorge, attirant ainsi l'attention d'Helen et des deux amants. Réalisant sans doute ce qui était en train de se produire, Kiwi et Violet reculèrent un peu, laissant de l'espace entre le lit, et eux trois.

Lorsqu'Helen la repéra, elle se fendit d'un merveilleux sourire, qui illumina ses traits tirés. Elle était épuisée, certes, mais à sourire ainsi, elle paraissait moins diminuée. La voir ainsi dans un lit, à l'infirmerie, engoncée sous les couvertures et sans doute couvertes de bandages lui faisait mal au cœur. Et dans sa vision périphérique, elle constata qu'Erick avait l'air aussi inquiet qu'elle.

- Bonjour, madame Hunter. Comment allez-vous ?

La question était un peu stupide, mais elle se voyait mal commencer la conversation autrement ...

Helen agita la main, avec un petit sourire, et ses boucles ternes glissèrent le long de son épaule, à son geste. Elle reposa son bras contre son abdomen, avec soin, et soupira. Grâce à quelques coussins, elle arrivait à se tenir à peu près assise. Pas totalement allongée, mais pas totalement droite non plus. Tout ce qu'elle espérait, c'est qu'elle ne souffre pas.

- Je t'en prie, appelle-moi Helen. Apparemment, le cadre scolaire n'étant ... plus d'actualité, je ne suis plus la Directrice de rien du tout. Mais je me sens ... bien. Enfin. Bien est un grand mot, mais je crois que les anti-douleurs font effet, alors je ne sens pas grand-chose. J'ai faim. Et une grande envie de douche ... Mais je ne crois pas que ce sera pour tout de suite.

- Attends au moins demain matin ... gronda Walter, en une attitude étonnamment très paternelle.

Parfois, Nancy oubliait qu'Helen avait été dans cette académie avant eux, et qu'elle avait probablement bien connu Walter.

- Promis, j'attendrai un minimum. Mais avant tout, je dois te remercier. Apparemment, c'est en partie grâce à ton sang si je suis là aujourd'hui. Et je crois que je n'aurais jamais cru dire ça un jour dans un tel contexte ...

Nancy se sentit rougir, et bascula d'un pied d'appui à l'autre, soudainement nerveuse. Ça lui faisait bizarre, que de savoir que son sang avait ... pu aider. C'était un peu glauque, aussi. Mais bon, elle n'était plus à ça près.

- Hum ... je vous en prie. Et ... ah, désolée, Helen ... Mais ... il faut que je vous parle de quelque chose d'important.

Erick lui fit les gros yeux, mais elle l'ignora promptement. Il fallait bien que quelqu'un fasse le premier pas. Et voyant comment c'était parti avec Erick, il n'était pas prêt de le faire. Elle comprenait qu'il paniquait. À sa place, elle n'en mènerait pas large.

Mais Helen aussi, avait le droit de savoir que l'un de ses neveux était rentré à la maison.

- Je t'écoute.

Son ton avait changé, s'était fait moins léger, plus grave. La Directrice prenait peut-être plus le pas que la personne, en cet instant ... C'était intimidant. Soudainement, son cœur se mit à battre la chamade, et elle déglutit à son tour. Ce ton, elle ne l'aimait pas. Ça lui rappelait de mauvais souvenirs. Ça lui rappelait avant, quand elle n'était ni plus ni moins qu'une mauvaise sorcière, tout juste bonne à rire des malheurs des autres, ou à les provoquer. Cette période de sa vie, encore douloureusement récente, la marquerait toujours au fer rouge, il faut croire ...

Mais alors qu'Helen la relançait, alors qu'elle fermait les yeux, alors qu'elle tentait de s'apaiser ... Une main se posa sur son épaule. Elle rouvrit les yeux, et trouva Erick, toujours derrière Walter. Un Erick au sourire doux, et compréhensif. Un Erick ... qui paraissait décidé. Enfin.

Helen émit un bruit étrange, surprise par ce bras sorti de nulle part ... et Erick prit une grande inspiration. Avant de faire un pas, s'éloignant de Walter ... et se présentant à la vue d'Helen.

Durant un instant, la Directrice ne pipa mot. Elle se contenta de regarder cette nouvelle apparition, les sourcils haussées, les lèvres légèrement pincées. Comme si elle faisait face à un inconnu, ou à quelqu'un qu'elle était sûre d'avoir croisé par le passé ... Sans toutefois qu'elle ne réussisse à se rappeler de qui il s'agissait.

- Hey ... Auntie.

La voix d'Erick sembla agir comme un électrochoc, sur elle. Elle sursauta, intensément, et Erick se figea, soudainement. Et durant un instant, elle ne se demanda pas si toute la pièce était en train de retenir son souffle.

Puis Helen finit par cligner des yeux. Une fois. Deux fois. Six fois. Elle se mit à trembler. Fortement. Si fortement. Et son regard commença à briller, intensément. Un regard plein de larmes.

- Frederick, murmura-t-elle, d'une voix brisée par l'émotion.

À l'entente de son nom de naissance ... Erick se remit en mouvement. Il prit à nouveau une belle inspiration, et déglutit, vivement.

- Je suis désolé, Helen, chuchota-t-il.

Durant un instant, Nancy eut envie de disparaître. Ou de partir de l'infirmerie. Ça semblait ... si intime, comme moment. Comme si ... elle n'avait pas sa place, ici. Mais malgré tout, elle n'arrivait pas à se détacher de la scène.

Helen avait serré les couvertures entre ses mains, si fortement que ses jointures en étaient devenues blanche. Et elle n'arrivait pas à quitter son neveu du regard, alors que les larmes dévalaient ses joues, encore et encore ...

- J-je suis désolé, Helen, je ... je sais que je n'aurais pas dû partir, je sais que je ... je suis désolé. Je voulais ... je voulais juste ...

- Viens là.

Sa voix, entrecoupée de larmes, fit pourtant taire Erick. Erick, qui peinait à retenir ses propres larmes, lui aussi.

Helen leva ses mains, doucement, secouée de tremblement, et réitéra son appel, doucement. D'une si petite voix ... Malgré elle, Nancy sentit naître les larmes, aux coins de ses yeux.

Erick s'avança vers sa tante, d'un pas mal assuré ... Mais finit par tomber à genoux, à côté de son lit. Et Helen le prit dans ses bras, avec une force qui eut l'air de tous les surprendre, avant d'éclater en sanglots. Et apparemment ... Erick aussi. Il enfouit sa tête dans l'épaule de sa tante, sa tête blonde presque recouverte par la chevelure plus foncée d'Helen, et se laissa aller à l'étreinte de celle-ci, envahi par l'émotion à son tour.

Elle était soulagée, pour lui. Elle était soulagée pour Erick. Et elle était aussi soulagée pour Helen. Helen, qui méritait d'avoir retrouvé son neveu. Helen ... qui elle aussi, méritait un petit miracle.

Soudain, Walter posa sa main sur son épaule, et fit signe à Kiwi et Violet.

- Je pense qu'il est temps de les laisser un peu tout seuls ...

Lui aussi, avait les yeux un peu trop brillants ...

* * * * *

Zelphis ouvrit la porte d'entrée, sans un mot, avec un grand sourire sur son visage. À sa recommandation, ils étaient tous restés à l'intérieur ... sauf elle. Almarica savait se battre. Elle leur avait déjà fait face, en décembre dernier. Et elle était une guerrière. Depuis bien huit millénaires. Elle saurait parfaitement se défendre face à eux.

Au dessus d'eux, le ciel grondait si fortement que les vibrations semblaient se répercuter dans la terre même. Aucun habitant en vue. Tous semblaient s'être barricadés chez eux. Tant mieux. C'était la meilleure chose à faire. Les choses allaient devenir ... compliquées.

- Bonjour ! les salua Zelphis, fortement, malgré le vent qui sifflait autour d'eux, semblant être les prémices d'un violente tempête ...

Les Saint Souls étaient déstabilisés. Certains apeurés, même, comme la mère d'Amélia, qui s'était recroquevillée sur elle-même, se demandant sans doute ce qui était en train d'arriver. Et par les dieux, qu'est-ce que cette affreuse femme pouvait bien faire ici ? Amélia devait bouillonner ... Enfin. Ce n'était pas le sujet.

Le vent puissant que Zelphis était en train d'amasser autour d'eux se calma soudainement, quand la mère des jumeaux leva une main, et refermant le poing. Oh, une maîtrise d'air contre une autre ... intéressant. Zelphis plissa les yeux, un instant, et esquissa un léger sourire. Ils ne savaient pas à qui ils avaient à faire.

- Bien le bonjour, monsieur. Je suis désolée d'interrompre votre journée, mais il semblerait que vous hébergez au sein de votre ... maison, des délinquants. Recherchés, voyez-vous ... commença Encarna, d'une voix forte, couvrant du mieux qu'elle le pouvait les hurlements du vent.

Almarica explosa de rire. Un rire si puissant qu'il la surprit elle, et son entourage. En résulta un silence, uniquement coupé par la force du vent.

- Aaaaah ... Vous êtes de bien piètres menteurs. Et dans tous les cas, si délinquants il y a dans ce lieu, quel mandat ou autre connerie auriez-vous en votre possession pour leur demander de venir avec vous ?

À côté d'elle, Zelphis haussa un sourcil, l'air passablement étonné. Son ton, sec et tranchant, lourd de menace, l'avait surprise également. Elle ne s'était pas rendue compte à quel point elle était frustrée ... et en colère. Furieuse, en fait. Entre ce qu'elle venait d'apprendre, à savoir que son frère avait caché un secret plurimillénaire sur son fiancé, en plus de révéler la vérité sur sa propre mort, et l'apparition de ces rats de Saint Souls ... oui, elle pouvait raisonnablement penser qu'il y avait de quoi être en colère.

Et si elle s'y laissait aller ... ce serait un véritable carnage. Les Saint Souls les pourchassaient depuis des jours, comme on pourchasse une misérable proie. Mais ils auraient tôt fait de se rendre compte qu'ils n'avaient pas à faire à de pauvres souris ... mais à des chasseurs encore plus terrible qu'eux.

Almarica avait des décennies d'années de combats et d'entraînement à son compteur. Ces misérables ne feraient pas le poids face à elle. Et encore moins face à Zelphis.

Elle se campa sur ses positions, les mains sur les hanches, et tourna le regard vers l'ancien roi.

- Que compte-tu faire ?

- Leur donner une bonne leçon.

- J'ai envie d'en découdre ...

- Retiens-toi. Le temps viendra. Mais pour le moment ... laisse-moi faire. Ils ont marché sur MES plates bandes, au sein de MON territoire, et en plus de cela, ont le culot de venir me provoquer pour me regarder de haut ... Je suis un peu rouillé, je n'ai pas fait ça depuis des années. Mais je crois que je ne vais pas me priver ...

À ce moment-là, le vent retenu par Encarna échappa à son contrôle, et se déchaîna sur le groupe des Saint Souls. L'un d'entre eux s'envola en un cri de terreur suraigu, pour aller s'écraser contre le bitume, quelques centaines de mètres plus loin. Il se releva, haletant ... avant de faire demi-tour en courant. Elle ricana en le voyant faire, amusée par sa couardise. Au moins, il avait un semblant d'instinct de survie. Les autres, par contre ...

Certains avaient dégainé des armes à feu, ou des couteaux. D'autres avaient allumé des flammes, qu'ils peinaient à maintenir dans la tempête, avec une détermination assez inattendue. Ou plutôt si, attendue. Ces crétins les avaient poursuivis jusqu'ici, tout de même ...

- Allez-vous en, vous n'êtes pas assez payés pour ce job ! s'écria Almarica, avec un malin plaisir.

Encarna poussa un cri de rage, à sa provocation, et tenta de reprendre le contrôle sur la tempête, mais Zelphis la balaya d'un mouvement du bras. Elle se retrouva à terre, alors que son mari tentait de lui venir en aide, malgré la force sans cesse croissante du vent autour d'eux. Même Almarica peinait à tenir position, alors que l'attaque de Zelphis n'était pas dirigée contre elle. Les flammes s'étouffèrent comme de misérables flammèches, et la mère d'Amélia poussa un cri silencieux dans les rugissements du vent, avant de tomber à terre, la tête sous ses bras. Ça lui apprendra, à venir ici.

Herman, le père des jumeaux, tenta de leur hurler quelque chose, mais ses cris se perdirent dans le vent.

Toutefois, ceux de Zelphis leur parvinrent à merveille.

- CETTE VILLE EST MON TERRITOIRE. CES ENFANTS SONT SOUS MA PROTECTION. JE NE LAISSERAI PAS UNE MISÉRABLE ORGANISATION COMME LA VÔTRE NOUS NUIRE.

Sa voix était décuplée par la force de la tempête, se répercutant autour d'eux comme un écho démultiplié. C'était extraordinaire. Jamais Almarica n'avait vu un Element d'air faire preuve d'autant de puissance. Mais d'un autre côté, c'était la première fois qu'elle voyait un Element d'air aussi vieux que Zelphis agir.

- ALLEZ-VOUS EN. ET NE REVENEZ JAMAIS, SI VOUS TENEZ À LA VIE.

- Zelphis ! Non, il faut les arrêter !

Son regard commençait à luire de manière inquiétante, alors qu'il se tournait doucement vers elle.

- Je ne les tuerai pas maintenant. Je ne risquerais que d'attirer l'attention des habitants.

Il avait raison ... Mais tout de même. Ces êtres leur avaient fait suffisamment de mal comme ça.

- Alors laisse-moi m'en occuper. Si j'arrive à les avaler dans mes ténèbres ... Ils ne pourront plus faire de mal à personne.

Un lent sourire s'esquissa sur ses lèvres, et durant un instant, la lueur de son regard s'intensifia.

- J'avais d'autres projets, pour eux ... parfois, la peur est plus puissante que la mort.

Quoi ? Qu'est-ce que c'était que ce proverbe à deux balles ?

Mais avant qu'elle ne puisse protester, Zelphis ferma les yeux. Et commença à psalmodier à mi-voix, des paroles qu'elle ne comprit pas.

Qu'était-il en train de faire, à la fin ? C'était quoi, son délire ?

Mais avant qu'elle ne puisse intervenir ... soudainement, le vent changea de nature. Sa direction tourna, encore, se retourna, et ... s'incurva sur lui même. En une sorte de micro-tornade à la puissance démentielle, qui engloba le groupe des Saint Souls, instantanément, sans qu'ils ne puissent rien y faire.

Puis, Zelphis claqua des doigts, fortement. Un flash de lumière intense inonda alors la rue, l'aveuglant un court instant, et une explosion sortie de nulle part la fit tomber à terre, violemment.

Le souffle court, désorienté, elle mit un instant avant de recouvrer ses esprits. Mais lorsqu'elle réussit à basculer sur le ventre, à voir de nouveau ... la rue était vide. Les Saints Souls avaient disparu, sans laisser la moindre trace. Et la tornade s'était changée en de violentes bourrasques, menaçant d'arracher tuiles, et toitures. Au loin, un poteau électrique pliait sous la force de la tempête.

- Qu'est-ce que tu as fait ?! hurla Almarica à l'intention de Zelphis.

Mais il l'ignora promptement, en rugissant. Son regard brilla, un peu plus intensément, et soudain ... ce fut comme s'il se mettait à TIRER la tempête vers lui. Comme s'il pouvait physiquement attraper le vent, de ses doigts, tel les rênes d'un cheval fou, pour l'apaiser. Malgré elle, Almarica ne put que rester sans voix, face à cette vision absolument ubuesque.

Les Element d'air pouvait maîtriser le vent et l'air, certes, mais à un certain degré seulement. Une tempête pareil devrait être hors de contrôle. Non. Une tempête pareille, aucun Element d'air, tout puissant soit-il, n'aurait pu la créer. Surtout en l'espace d'une poignée de minutes.

Mais qu'est-ce qu'il venait de faire ? Zelphis ... de quoi donc était-il capable ?!

Il tirait, encore, et encore, et encore, face à ce vent récalcitrant, face à cette tempête qui manquait de tout dévaster ... Quand alors, de la même manière qu'un élastique, en claquant, renvoie sa propre force ... la tempête se calma d'un coup. Et Zelphis bascula cul par dessus tête, deux fois, avant de se heurter au porche, hors d'haleine. Le ciel gronda, fortement, comme en réponse à son acte insensé ... Et un éclair s'abattit, non loin de là. Suivi d'une goutte. Puis d'une autre. Et le ciel sembla s'ouvrir en deux, en un déluge absolument démentiel.

Almarica se releva en titubant, et réussit à marcher jusqu'à Zelphis, qui peinait à se relever.

Alors qu'elle venait tout juste de passer un bras autour de sa taille, réussissant à le hisser sur ses pieds, la porte s'ouvrit à la volée, et Katherina se précipita vers eux, les aidant à rentrer avec rapidité.

Elle s'effondra sur le plancher, une fois la porte refermée derrière eux, la respiration sifflante, le cœur tambour battant. Elle grelottait de froid, et dégoulinait d'eau.

Par les quatre dieux ... que venait-il de se passer ? Tout c'était passé si vite ... bien trop vite. Elle n'arrivait pas ... pas à réaliser. Que ce qu'elle venait de voir ... était vrai.

Quelqu'un l'enveloppa dans une serviette épaisse, et lui parla, mais Almarica n'en entendit pas un mot. Elle avait l'impression que le vent hurlait encore à ses oreilles. Et ce qu'il venait d'advenir ... tout lui revenait en tête, en boucle, tel un manège lancé à pleine vitesse.

Elle n'arrivait pas à comprendre. Elle n'arrivait pas à comprendre ce qu'il venait de se passer. Et surtout ... Elle n'arrêtait pas de trembler.

Une telle puissance, une puissance si phénoménale ... Ce n'était pas permis. Pour personne. Et Zelphis, qui venait de balayer un troupeau de Saint Souls avec une telle facilité, qui venait de ... les faire disparaître ... Ce n'était pas normal. Non, ce n'était pas normal.

Et lorsqu'enfin, son ouïe finit par lui revenir, lorsqu'elle commença à entendre les paroles affolées des uns et des autres, qu'elle aperçut Zelphis bouger, dans sa vision périphérique ... elle se tourna vers lui.

- Qu'est-ce que tu as fait, Zelphis ?

Ses épaules s'affaissèrent. Et il prit une grande inspiration, avant de lui répondre, d'une voix rendue rauque par ses cris :

- Ce que nos ancêtres craignaient le plus. J'ai relâché notre vraie nature.

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En vrai, je crois que je suis en train de vous écrire des chapitres de plus en plus longs ... J'aime ça ! Et j'espère que vous aussi.

Joyeux noël ! Vous avez eu de bons cadeaux ? J'espère. Vous avez tous mes meilleurs vœux pour l'année à venir, tant qu'à faire ! J'espère également que votre réveillon s'est bien passé, et que vous avez pu passer du temps de qualité avec votre famille ou vos amis ! Vous méritez le meilleur, surtout en cette période !

Sinon, que dire ... Nancy et Erick sont mignons, pas vrais ? (eux >>>>>>>>>> le reste, signé Rosette) Et les retrouvailles avec Helen ? Ah, j'attendais de l'écrire, ce moment-là ... Vous imaginez, ce qu'il se passera, lorsque ce sera les retrouvailles avec Ash ? Ah, ça va être drôle ...

Cette partie de l'histoire est quasiment terminée. Après ... il sera temps de s'attaquer à, si mes calculs sont corrects, l'avant dernière partie de l'histoire. Après tout ce temps, S.E.A touche bientôt à son terme. Ça me fait bizarre, je crois ! À vous aussi ?

Eh bien, sur ce, mes chers amis, je vous souhaite le meilleur pour 2020, et plein de bonheur !

À la prochaine, mes petits lapins lindt !

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