Chapitre 36 : vivre

Karen hocha vivement la tête, passionnée. Ça commençait à surprendre Judith. Cela faisait quelques heures qu'elle abreuvait la jeune femme de récits quant aux travaux de sa grand-mère, et son intérêt ne tarissait pas. C'était surprenant. Peu de personnes hormis Rezher portaient attention aux anciens travaux de sa Seanmhá. Mais celle de la jeune Saint Souls semblait véridique. Sincère. Ça faisait ... du bien, oui.

- Les actes de Lily Verdana ... Je pense que je ne m'en remettrai jamais ! s'écria-t-elle, les yeux brillants.

- Elle n'a fait que ... rechercher. Trouver tout ce qu'elle pouvait sur Eneria, et ses légendes. Elle voulait simplement prouver son existence.

- Je me demande pourquoi ...

- Pardon ?

La jeune femme sursauta et s'éclaircit la gorge, apparemment gênée.

- Oh, et bien ... Je me demande simplement ce qui a pu pousser votre grand-mère à porter autant d'intérêt à Eneria, demanda-t-elle, l'air un peu gênée.

Judith se tourna vers le paysage défilant sous ses yeux, songeuse. Ce qui avait bien pu pousser sa Seanmhá à consacrer sa vie à Eneria ... Et bien, il y avait ça, oui.

- Là où a grandi ma grand-mère, et où j'ai aussi grandi, les habitants se transmettaient entre eux la légende d'Eneria et de ses derniers moments de la même manière qu'on partage aux enfants les contes de Cendrillon ou Blanche-Neige. Cette histoire l'intéressa. Je suppose que vous la connaissez aussi bien que moi.

- Oui ! Les derniers instants d'Eneria. Bellum le Sanglant, les deux derniers rois et reines, sans oublier les Huit Guerriers ... Je connais tout cela sur le bout des doigts ! s'écria fièrement la demoiselle, en agitant ses mains devant elle, tout heureuse.

Judith hocha la tête, simplement, et Karen rosit de plaisir. Ce devait être rare, que de pouvoir partager avec autant d'intensité une telle passion.

- Ma grand-mère adorait cette histoire. Et ça lui arrivait souvent, de partir en vadrouille dans les bois de l'île, en se grimant en guerrière d'époque, combattant aux côtés des Huit ... Mais un soir, elle se perdit. La nuit tomba, et elle ne retrouvait toujours pas le chemin de la maison.

Karen ne disait pas un mot, raide sur son siège, les yeux grands ouverts, suspendue à ses lèvres. Judith dissimula difficilement un sourire. Et continua.

- Alors qu'elle pleurait, apparut d'entre les ombres ... Une petite demoiselle.

Elle leva sa main, paume tournée vers le sol, jusqu'à une hauteur relative.

- D'environ cette taille, la jeune fille possédait de longs cheveux bruns, et des yeux d'un noir profond, semblable à l'onyx ou l'hématite. Ses vêtements bariolés furent ce qui la distingua d'un possible monstre des bois, autant que sa gentillesse. Elle la reconduit jusqu'au village, en lui parlant joyeusement pour la distraire de sa frayeur, lui contant des histoires que ma grand-mère n'avait jamais entendue, des choses qui lui mirent des étoiles plein les yeux. Des récits de l'ancien temps, mettant en scène ses héros favoris. De retour au village, la demoiselle s'en alla, et ma grand-mère ne la revit plus jamais. Plus tard, lorsqu'elle raconta son histoire à qui voulait l'entendre, personne ne la crut, l'accusant d'avoir rêvé, ou déliré. Mais ma grand-mère savait ce qu'elle avait vu. Elle en était convaincue. La jeune fille existait.

Judith serra ses mains l'une contre l'autre, et prit une grande inspiration.

- Des années après, ma grand-mère apprit l'existence d'une légende. Celle de l'Inexistante.

Karen bondit sur son siège, avec un petit cri, surprenant Judith au passage.

- L'INEXISTANTE ! Oh, pardonnez-moi ! Il se trouve simplement ... J'ai toujours aimé cette légende ... ! Ça me fait penser à un cryptide ... rit la jeune femme, certainement nerveuse.

Un cryptide. Pourquoi pas.

- C'est bel et bien la légende de la jeune enfant ayant traversé le temps, n'est-ce pas ? On raconte qu'elle existait déjà au temps d'Eneria, et qu'elle aurait parcouru le monde pour aider les différents Elements dans le besoin, avant de disparaître et de réapparaître à sa guise au fur et à mesure des siècles ... Oh, du moins, c'est ce que mon père me racontait. Il aimait bien sa légende, mais il ne croyait pas plus que ça en son existence.

- Et vous, Karen ? Y croyez-vous ?

Karen sursauta, comme surprise de se voir demander son avis, et remua légèrement, presque mal à l'aise. Une poignée de secondes silencieuses s'écoula, uniquement troublée par les ronronnements du train, et la jeune femme finit par s'éclaircir la gorge.

- Je trouve cela ... Plausible. Enfin, dans le contexte de la légende d'Eneria ! Ils avaient la fontaine de Jouvence, voyez-vous ... Si l'enfant a pu en consommer, avant de partir d'Eneria, et de voguer à travers le monde, à condition qu'elle survive à toutes les périodes de l'histoire, ou que sais-je ... Pourquoi pas. C'est ... assez farfelu et improbable, mais pourquoi pas !

Soudain, son regard s'illumina, et un grand sourire naquit sur ses lèvres.

- Mais si votre grand-mère a aperçu l'Inexistante ... Ça veut dire qu'elle est vivante, n'est-ce pas ?

Judith pencha la tête sur le côté, presque surprise par les propos de Karen. Le respect qu'elle tenait pour sa grand-mère, qui avait toujours plus ou moins été considérée comme une allumée par ses pairs, lui donnait envie de ... passer plus de temps avec elle. C'était ridicule, bien sûr, mais Judith n'avait rencontré dans sa vie que peu de personnes s'intéressant à ces vieilles légendes, surtout pour y chercher un réel indice du passé.

Rezher était l'un d'entre eux.

- De son époque, oui, elle semblait l'être. À de nombreuses reprises, par la suite et au fur et à mesure des années, elle a écumé l'île à la recherche de l'Inexistante, mais en vain. Plus tard, elle mena de brillantes études d'archéologie, mais son ... Son affection pour Eneria finit par lui faire perdre tout prestige. Même son mari se détourna d'elle, et ma mère, sa fille, également. Mais pas moi. Je fus la seule à croire en elle, jusqu'au bout.

- C'est donc de la rencontre avec cet être mystérieux que découla sa passion si exceptionnelle ... murmura Karen, presque avec vénération.

Elle se redressa soudainement, et avec tout le sérieux du monde, hocha doctement la tête.

- Je comprends bien mieux tout cela. Si moi aussi j'avais rencontré un tel être de légende, je me serais aussi battue pour que d'autres me croient. Mais de là à consacrer ma vie entière à cet objectif ... Je ne sais pas si j'en aurais été capable. Surtout au prix de ma famille. Je ... J'admirais déjà beaucoup votre grand-mère, mademoiselle. Maintenant, permettez-moi de vous dire que si je l'avais en face de moi, je n'hésiterai pas à m'incliner face à sa bravoure et à sa détermination !

Ces mots laissèrent Judith sans voix. Si sa grand-mère avait rencontré quelqu'un comme Karen de son vivant ... Peut-être l'aurait-elle sauvée ...

Elle cligna des yeux rapidement, et s'éclaircit la voix.

- Je vous remercie, Karen. Votre passion est ... touchante.

C'était le mot. La demoiselle, à ces propos, sursauta, et se mit à rougir de plaisir. Encore une fois. La jeune femme paraissait facile à contenter.

Judith s'éclaircit la gorge, et jeta un coup d'œil à sa montre. Déjà presque midi ...

Quand arriverait-on à Windy-Hill, déjà ? Elle posa la question à Karen qui commença à se tortiller dans tous les sens, avant de toussoter légèrement, mal à l'aise.

- Vu que vous avez insisté pour que nous partions à l'avance, avant tout le monde, au cas où les enfants se seraient déjà échappés ... Et ce n'est pas un train direct, ni très rapide alors, et bien ...

Elle soupira, et pendant un instant Judith songea qu'elle ressemblait à un petit chien battu.

- Je dirais que nous arriverons en fin de journée. Et les autres nous rejoindront plus tard.

Judith ferma les yeux, tout en pestant intérieurement. Il fallait rester discret. Même s'ils avaient déjà plus ou moins la main mise sur le Conseil, ils n'allaient pas pouvoir agir tout de suite en pleine lumière sans que cela ne passe pour une sorte de ''coup d'état'', ou autre bêtise politique. Judith n'avait que peu d'intérêt pour ces choses-là.

Quoi qu'il en soit, si elle voulait récupérer les enfants, elle allait devoir faire dans la délicatesse. D'abord les repérer, attendre l'arrivée de sa petite équipe, s'occuper de les ramener avec elle sans trop faire de vague ... Le plus dur allait probablement être de les localiser pour de bon, tout simplement.

- V-voulez-vous à boire ou à manger ? demanda soudainement Karen en bondissant sur ses pieds, encore rouge.

Était-elle malade ?

- Non, merci. Allez vous rafraîchir un peu, cependant. Vous m'avez l'air d'en avoir besoin. Prenez du temps pour vous, allez vous dégourdir. Nous allons avoir besoin de nos entières capacités, si nous voulons mener notre mission à bien.

Karen hocha vigoureusement la tête, et sortit maladroitement de leur compartiment, en déglutissant nerveusement.

Et bien ... ?

Quelle étrange fille.

Judith se tourna vers l'immense fenêtre de par laquelle elle pouvait entrapercevoir le paysage, et ferma les yeux.

Peut-être que dormir lui ferait du bien.

Oui.

À son réveil ... Elle aurait du pain sur la planche.

* * * * *

« - Almarica ... souffla-t-il, tout doucement.

- Oui ?

- ... Les autres ?

- Chhh ... Ne t'en préoccupe pas pour le moment ! Pense à toi !

- 'te plaît ... Vont bien ?

Almarica tressaillit, et ne put s'empêcher de sourire. Philios était incroyable. Même durant les moments où il était le plus affaibli, il fallait qu'il pense aux autres avant lui-même. Il était vraiment extraordinaire.

Elle prit une petite inspiration, plus que consciente de leur proximité physique, un peu intimidée. Almarica n'avait jamais été aussi proche de Philios auparavant. C'était si intime ... et quelque peu inapproprié. Au palais, sa gouvernante aurait hurlé au scandale. Surtout que Philios était un Caerris ... Et bien.

C'était fort cocasse.

- Ils vont bien, finit-elle par murmurer, attentive à ses battements de cœur, peut-être un peu trop rapides.

Mais étant donné sa condition physique aussi faible, ce n'était pas étonnant.

- Tout le monde va bien. Nous avons réussi à rentrer sans problèmes. Le village des bandits, par contre ...

Elle soupira en fermant les yeux. Jamais elle n'avait vu son frère aussi en colère que ce jour-là. Ni Svelja d'ailleurs. Ils s'étaient battus, avec efficacité et ... et une ... cruauté presque choquante. Avec l'aide de Guemnir, et Kryos, ils avaient presque éradiqué la moitié des brigands, sans pitié. Fenror avait ensuite incendié le village, et leur avait ordonné de la voix la plus terrifiante qu'elle ne lui ait jamais entendu de partir de la forêt et de ne plus jamais y revenir. C'était à ce moment-là qu'Almarica avait entraperçu ce que pouvait être Fenror, aux yeux de ses troupes et de ses ennemis : un guerrier, efficace et sans pitié.

Un prince combattant, Fenror l'Inconnu. Son surnom lui venait du fait que, contrairement à son aîné, qui était le Roi, et elle, une alchimiste de renom, Fenror savait se faire discret. Il n'avait de renommée que sur le champ de bataille. Pas aux grandes réceptions de la cour, ou auprès du peuple. Certains oubliaient même que la famille royale était composée de trois enfants, et les camarades de guerre de Fenror finissaient par en oublier son patronyme. À plusieurs reprises, Fenror lui avait dit qu'il se sentait plus légitime sans son vrai nom. Il n'était pas un prince. Il était simplement Fenror. Et reposait là sa vraie valeur, martelait-il. Mais la vérité était probablement que Fenror était un mélange des deux.

Peut-être qu'au fond, elle était la seule à savoir qui il était vraiment. Avec Svelja, sans doute.

- Il a été ... ? Village ?

- Détruit. Complètement. Il ne reste plus rien.

- Bandits ? D'venus ... ?

- Partis, chassés de la forêt. Ils ne reviendront pas de si tôt ! Tu n'as rien à craindre. Plus rien.

Philios poussa un soupir de soulagement, et finit par se détacher d'elle, lentement.

- Ne bouge pas, s'il te plaît, le gronda-t-elle en le retenant.

Il détourna la tête, et mais cela ne l'empêcha pas de voir la grimace qui déformait ses traits.

- ... Que se passe-t-il ?

- ... Incapable.

- Quoi ?

Le jeune guerrier secoua la tête, et se mordit vivement la lèvre inférieure, en soupirant longuement.

- Moi. Inca ... pable.

Il frappa le sol de son poing, et parut le regretter immédiatement, en articulant sans un mot un vilain juron. Elle s'apprêta à le rabrouer quand elle s'aperçut que ses yeux brillaient d'une manière ... Un peu anormale.

Des ... larmes ?

- Je ... guerrier. Battre. Tuer. Fort ! Je suis ... censé être capa-capable de ... protéger, aussi.

Il ferma vivement les yeux, et se recroquevilla sur lui même, tremblant de frustration.

- Et là, j'ai été incapa ...

Sa voix, pratiquement éteinte, parut l'énerver à un point inconsidérable. Philios détestait l'impuissance. Et c'était un sentiment qu'elle ne pouvait que trop bien comprendre.

- Philios, tu n'y es pour rien !

- Si ... !

- Bien sûr que non. Tu étais même bien parti pour nous secourir tout seul. C'est ... C'est Leedna, qui a réussi à t'avoir, et par surprise. Ce n'est pas ta faute, c'est la sienne. Ne t'en veux pas pour quelque chose dont tu n'es pas responsable ...

Il parut sur le point de répliquer, mais elle l'interrompit d'un regard.

- Je sais qu'un ''guerrier'' se doit d'être sur le qui-vive en toute circonstance, mais ce n'était pas juste. Il faisait noir, en plus. Ce n'était pas ta faute. Mais la sienne.

Philios parut la sonder, un instant, mais finit par déglutir, et passa furtivement sa main sur ses yeux, essuyant ses larmes. Philios parut penser que l'obscurité cacherait son émoi. Elle ne fit toutefois aucun commentaire. Philios avait également le droit de se sentir frustré et impuissant. Mais ça ne voulait pas dire qu'il était faible pour autant. À son sens, il était probablement une des personnes les plus fortes qu'elle connaissait.

- Leedna ...

- Elle est ici. Fenror et Svelja ont tenu à la ramener. Ils la tiennent captive dans un coin de la cabane. J'ignore pourquoi, mais je crois qu'ils tiennent à lui arracher des informations ...

Il secoua alors la tête, manifestement troublé.

- Quoi ... ?

- Leedna ... Connais.

- Comment ça ?

- Je la ... connais.

Almarica resta un moment figée, muette de stupeur.

- Tu connais cette femme ?

- Oui. Soldat.

- Soldat ... ?

Il prit une grande inspiration, et remua un instant, l'air gêné.

- Soldat au service de mon ... Frère. Caerris. Et sous le commandement ... Svelja.

Almarica cligna des yeux, et intégra lentement l'information délivrée par Philios.

Leedna était au service du Roi Zelphis. Et une ancienne sous-fifre de Svelja.

Ce qui voulait dire ... Qu'ils avaient avec eux une envoyée du royaume de Caerris. Et qu'elle savait parfaitement que Svelja, et Zelmaria, ainsi que Philios étaient avec eux.

Certes, apparemment, Zelmaria était activement recherchée, mais aux dernières nouvelles, Svelja et Philios passaient pour morts. Mais le savoir de Leedna ...

Cela changeait la donne. Cela changeait tout. Si jamais elle parvenait à rapporter l'information, ou si elle avait déjà délivré cela à un allié, qui l'avait rapporté au Roi ...

Cela voulait dire, qu'aux yeux du Royaume de Caerris, ils étaient coupables de trahison, pour fréquenter deux membres de la famille royale de Domitien, et de désertion.

Et par conséquent, ils étaient punissables de mort. »

* * * * *

La maison était vraiment grande. Tout et si bien que c'était réellement une maison. Cet endroit avait plutôt tout l'air d'être une sorte de vieux manoir. Mais ça ne dérangeait pas Ciela plus que cela. C'était même ... Amusant. Ça lui rappelait son enfance, où en regardant de vieux épisodes de Scooby-Doo, elle s'imaginait être avec la fameuse équipe d'enquêteurs, explorant des lieux abandonnés, résolvant des mystères insoupçonnés ... Elle ricana en songeant au Sous-Sol, sous l'académie. C'était exactement le sentiment qu'elle avait eu, à ce moment-là.

L'académie ... Ciela soupira en posant une main sur sa poitrine. L'île lui manquait, atrocement. Mais surtout ... Elle voulait voir ses parents. Voir Helen, Walter, Nancy ... Tout le monde.

Son petit coup de mou ternit son sentiment d'excitation d'auparavant. Elle releva la tête vers le vieux lustre étrangement propre comme un sou neuf pendant au dessus de sa tête.

Après la fin de la réunion, elle avait décidé d'aller se dégourdir les jambes, souhaitant s'aérer l'esprit après tout ça.

Zack leur ayant dit de faire comme bon leur semblait, que cet endroit était comme leur propre maison. Ciela l'avait pris au pied de la lettre et s'était mise à farfouiller de ci, de là.

Elle avait fini par tomber sur une petite pièce au rez de chaussée, non loin de la salle de réunion, qui ressemblait fort à une sorte de petite bibliothèque. Un seul fauteuil, semblant aussi confortable qu'ancien, une seule petite table, en bois laqué, et des étagères emplies à craquer de livres de toutes tailles et de toutes les couleurs, rangés sans ordre particulier.

N'osant pas sortir les livres de l'étagère, mais poussée par la curiosité, Ciela se contentait d'observer les tranchées des livres, reconnaissant certains titres ou certains auteurs, ignorant totalement de quoi pouvait bien parler la plupart.

Hérode, Sophocle, Ovide, Shakespeare, Austin ... Que des grands classiques de la littérature, devina-t-elle. Et toutes les couvertures semblaient très anciennes ... Rarement elle n'avait vu de pareils livres en aussi bon état. Même à la bibliothèque de l'académie, les livres étaient écornés ou décolorés par le soleil. Ici, ils semblaient presque comme neufs. Comme si on les avait achetés la veille ! Ou comme si personne ne les lisait jamais. C'était triste. Pourtant, pas une seule trace de poussière était en vue sur les livres.

Tout était d'une propreté impeccable. Que ce soit Zack ou Rina, les deux devaient être des dingos du ménage. Ou alors le talent d'Element d'air de Zack devait y être pour beaucoup, sans doute ... Rudement pratique pour nettoyer la poussière, que de maîtriser l'air ...

- Que fais-tu là ?

Elle sursauta, en poussant un petit cri, et se cogna contre l'étagère avec un bruit ressemblant un peu trop à une couinement de petite souris.

Avec un grognement de douleur, elle se tourna vers la porte pour y trouver Zack. Il la regardait avec un sourire amusé, ses lunettes remontées dans ses cheveux de jais.

- J-je ne fouillais pas ... J'étais juste ... Curieuse, marmonna Ciela, cherchant à se défendre ... d'elle ne savait pas trop quoi.

Il ricana silencieusement, et vint à côté d'elle, en ne se départissant pas de son sourire à fossette. Il y avait quelque chose de très nonchalant chez Zack. Comme s'il se fichait de tout, comme si rien ne l'intéressait. Pourtant son regard disait exactement l'inverse. Il n'avait pas un regard de rêveur, comme celui qu'arborait Ash quand il se plongeait dans une lecture passionnante ou dans ses pensées. Non, il avait le regard de quelqu'un qui savait parfaitement ce qu'il faisait. Le genre de regard dont il valait mieux se méfier.

- Il n'y a aucun souci, tu sais ! Je vous avais dit de faire comme chez vous après tout. Il est normal de vouloir visiter sa propre maison, n'est-ce pas ?

Il rit à son trait d'humour, et vint se placer à côté d'elle, avant de prendre un livre au hasard dans la bibliothèque.

Elle ouvrit de grands yeux lorsqu'elle constata ce qu'il avait en main. The Great Gatsby, de Scott Fitzgerald. Et l'édition ... datait de 1925 ?! Mais c'était une édition originale ! Pourtant, on aurait juré que le livre avait été acheté la veille !

À la vue de son air médusé, Zack éclata de rire.

- Je prends toujours très soin de mes livres.

- D'où vient-il ? D'un ancêtre ?

- On peut dire ça, oui. C'est Rina qui me l'avait offert pour mon anniversaire.

- Oh ! Très bon choix.

- Tu l'as lu ?

- Non, mais Sheena oui. Elle n'en dit que du bien. Personnellement, je le trouve un peu pessimiste.

- Et pourquoi ? Parce que le personnage principal meurt à la fin ?

Il sursauta, comme surpris par ses propres mots, et plaqua une main sur sa bouche.

- Oh, pardon, j'ai révélé la fin de l'histoire ...

Ciela éclata de rire, et secoua la tête.

- Je connais déjà l'histoire. Comme si je l'avais déjà lu !

Elle haussa les épaules.

- Mais la raison pour laquelle je n'aime pas vraiment cette histoire ... C'est surtout à cause de l'ambiance du livre. Tout est sombre, triste, hypocrite ... Les personnages se tirent dans les pattes les uns les autres, et c'est simplement ... superficiel. Enfin, pas le livre ! Mais les personnages. Je les trouve détestables.

- Ils ne sont pas écris pour susciter de l'empathie, mais le contraire. Si tu ne les aimes pas, c'est que l'auteur a bien fait son job. Ou au contraire, que tu n'es pas dans leur état d'esprit. Ce qui en soit, est une bonne chose.

Elle lui jeta en regard en coin, auquel il répondit par un autre regard en coin. Quel type bizarre.

- Ce livre raconte la décadence des années folles, mais surtout et avant tout, cette histoire raconte la corruption et les bêtises que peuvent engendrer le pouvoir et l'argent. Et à quel point ces deux éléments peuvent amener les hommes à faire ou subir de terribles choses. Comment l'amour peut aussi conduire à faire des folies.

- Mais ça, c'est l'histoire de beaucoup d'autres choses.

- En effet. Alors pourquoi ce livre en particulier te rebute ?

Elle haussa les épaules, de nouveau.

- Je ne sais pas.

- Uniquement parce que l'histoire est triste ? Et a une fin ... Pathétique ?

- Probablement. Je ne suis pas le genre de personne à aimer les mauvaises fins. Je préfère les fins heureuses.

Quelque chose passa dans ses yeux, et il rangea le livre.

- Pourtant, les fins heureuses n'existent pas toujours dans la vraie vie.

- Justement ! C'est peut-être une philosophie de vie ridicule, mais je pars du principe qu'il y a déjà suffisamment de mauvaises choses de part le monde pour les retrouver dans la littérature.

Il haussa un sourcil, et Ciela comprit sa demande silencieuse de développer ses propos.

- Pour moi, la lecture, la littérature ou toute autre forme d'amusement tel que les jeux vidéos ou le cinéma a toujours été une sorte d'échappatoire, de protection. Une bulle de joie, censée me ressourcer après une dure journée. Je n'ai pas pas eu une vie spécialement malheureuse, bien sûr ! Mais j'ai quand même eu certaines galères de mon côté. Pas la peine de m'encombrer avec autant de sentiments négatifs lorsque j'en ai déjà beaucoup dans mon quotidien. Selon Ash, je passe à côté de beaucoup de choses, mais ça m'est égal. Qui sait, peut-être changerai-je de point de vue à l'avenir, mais pour le moment, c'est ainsi que je vois les choses.

Il se tut, un moment, et détourna la tête en haussant les épaules.

- C'est une manière de voir les choses, en effet. Tu n'es pas du genre à te prendre la tête, pas vrai ?

- Pas sur ces choses-là, du moins.

Il ricana et enfonça ses mains dans les poches de son jean délavé.

- Tu dois être quelqu'un de positif, au quotidien. J'ai connu quelqu'un comme ça, il y a longtemps.

- Une personne positive ?

- Une personne qui ne s'encombrait pas de sentiments négatifs, ou de choses qui lui semblait superflues. Elle n'était pas du genre à courir après les richesses ou la gloire. Uniquement après ce qui comptait vraiment.

- Comme ?

- Et bien, la famille. Les gens qui lui tenaient à cœur. Le plaisir de ses proches. La santé, le bonheur simple ...

Il secoua la tête.

- Des choses que je n'ai compris que trop tard. Bien trop tard. À l'époque, j'étais jeune et stupide. Je croyais que la clé de l'épanouissement personnelle se faisait à travers la gloire et le pouvoir.

- Vous espériez l'impressionner avec votre richesse ?

Il lui paraissait bien trop jeune pour être bien riche. De quoi parlait-il ?

- Si on veut ... Je la voulais à mes côtés, mais elle n'a jamais été séduite par ce que j'avais à lui offrir.

- Ce n'est pas comme ça que l'on séduit une femme, vous savez. Enfin, du peu que j'en sais, moi aussi ...

- Mais tu as raison. Ce n'est pas comme ça que ça marchait, avec elle.

- ... Marchait ?

- Elle est morte, il y a longtemps.

- ... Je suis désolée.

Mais quel âge pouvait bien avoir ce gars ? Qu'est-ce que « longtemps » pouvait bien signifier pour un homme d'à peine une vingtaine d'années ? Soit il fabulait totalement, soit Zack était réellement étrange.

- Désolée de ?

- De la peine. Enfin ... C'est la chose à dire, lorsqu'on apprend ce genre de chose. Vous deviez tenir à elle non ? Je suis désolée que vous l'ayez perdue.

- Je ne l'ai jamais vraiment eue. Mais merci. Enfin. Le principal maintenant, c'est de s'occuper des vivants. De ceux qui doivent encore vivre.

Définitivement, quel type original. Elle s'apprêtait à répondre quelque chose, quand on toqua à la porte. Ils se tournèrent de concert pour y trouver Ash, les regardant tour à tour sans trop comprendre ce qu'ils faisaient là, ensemble.

- C'est ... l'heure de manger. Enfin, Rina dit qu'on peut venir déjeuner, si l'on a faim.

- Oh ! Parfait ! J'espère qu'elle a fait de la purée ... J'adore la purée !

Il lui tapota l'épaule, et Zack repartit de la pièce avec un grand sourire, saluant Ash au passage, qui le regarda partir, médusé.

- Il est ... Particulier, résumé Ciela en le rejoignant.

- Assez oui.

Elle lui jeta un coup d'œil ... Et constata son teint ... un peu trop pâle. Aussi pâle que celui de Sheena ... C'était anormal.

- Tu vas bien ? On dirait que tu vas tourner de l'oeil.

- Ça va ... je me sens juste ... Mal à l'aise. Ou plutôt ...

Il porta une main à sa poitrine, et la frotta, le regard voilé.

- C'est Fenror. Je crois. Il n'aime pas cet endroit. Il n'aime pas Zack. Ni Rina. Et son malaise se répercute sur moi.

- ... Je ... je crois que Svelja aussi.

Depuis qu'ils étaient arrivés ici, elle était restée très discrète. Certes, elle l'était toujours en général, mais là ... c'était en effet annonciateur de quelque chose. De quelque chose de pas forcément très positif. Svelja ne disait rien, mais elle ressentait son mal être jusqu'ici. De la méfiance, probablement.

- Tu penses qu'on devrait partir ?

- Non. Du moins, Fenror ne nous presse pas de nous en aller. Il est simplement ... pas bien.

- Mais son état te pompe ton énergie ...

- Ouais. Mais ça va.

Il secoua la tête.

- Allons manger, ça ira mieux plus tard.

Elle le regarda s'éloigner, sans qu'il ne remarque qu'elle ne le suivait pas, et se concentra en posant sa main sur la poitrine.

- Svelja ? Tu m'entends ? murmura-t-elle.

Elle ne communiquait avec l'âme ancestrale de son initiative que très rarement. Mais là était un cas d'urgence.

« - Clairement. »

Ciela frissonna longuement. Elle ne s'habituerait jamais à ça. Cette autre voix résonnant dans sa boite crânienne comme si elle était juste en face d'elle.

- Qu'est-ce que tu penses de ... Zack et Rina ?

« - ... Ils ne sont pas menaçant. »

- Mais pourquoi ce malaise, alors ?

« - Parce qu'ils rappellent de mauvaises choses. De très, très mauvaises choses. »

- ... Alors ils sont mauvais ?

« - Non. Ils ne l'ont jamais été. Ils ne vivaient simplement pas dans le même monde que nous. »

- ... Pardon ?

« - Ça ne devrait pas tarder. »

- Mais quoi à la fin ? Cesse d'être aussi secrète !

« - Tout va bien. J'en connais juste un qui ne devrait plus tenir très longtemps ... Le repas va être mouvementé. »

Ciela l'appela à nouveau, mais l'âme resta muette. Elle roula des yeux, exaspérée, et marmonna des insultes sous son souffle, alors qu'elle rattrapait Ash.

Et bien. Qu'est-ce que c'était que ça, encore ...

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ET BIEN FINITA ! Mon correcteur trouve que Zack n'est pas un personnage de confiance ... Est-ce le cas, pour vous ?

Bonjour à tous ! Je vous remercie de votre patience, et de votre soutien, vous êtes des anges ! Un tout nouveau chapitre pour vous ! Cinq jours de retard, ça va, j'ai fait pire ... Pas vrai ?

Almarica et Philios, ne sont-ils pas mignons ? Héhé !

Pour ceux et celles qui doivent passer des examens, ou le bac fin juin, vous avez tout mon soutien, et tous mes encouragements ! Courage, c'est la dernière ligne droite, c'est bientôt terminé !

À la prochaine, mes petits margoulins ! 

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