Chapitre 35 : le mot
- Non.
Le mot résonna dans la pièce comme une bombe. Et Ciela frissonna. La demande de Zack l'estomaquait autant que la réponse de Sheena. La température de la pièce sembla baisser soudainement, et la tension monter d'un cran. Même Amélia cessa de chantonner face à sa tasse de thé.
- Non. Et NON. Mais n'avez-vous rien entendu de ce que je viens de dire ?
- Si, Sheena, mais ...
- Taisez-vous. Pour la dernière fois, taisez-vous, répliqua Sheena d'un ton sec.
Elle tremblait comme une feuille. De fatigue, de colère, peut-être ... Et sans doute d'angoisse.
- Je veux juste ... rentrer chez moi. S'il vous plaît. Laissez nous rentrer chez nous.
Les épaules de Zack s'affaissèrent, et il secoua la tête, désolé.
- Et pourquoi nous, hein ? Et pourquoi nous ? On a rien demandé, on est rien ! On est les marionnettes de l'Inexistante ! Voilà ce qu'on est ! On est des gosses ! Vous comprenez, ça ? Des gosses ! Et on veut juste rentrer, et juste finir notre année convenablement ! rugit Romy en tapant presque du poing sur la table, ce qui lui valut un regard noir de la part de Rina.
Zack tressaillit mais ne pipa mot. Almarica se leva alors et posa une main apaisée sur l'épaule de Sheena, avec un doux sourire. Celle-ci se rassit avec raideur, toute tremblante, accompagnée de Romy qui se laissa lourdement retomber sur le fauteuil en croisant les bras, frustré. Quelque chose n'allait pas chez Sheena. Elle était plus tendue que jamais. Mais sans doute était-ce dû à son stress explosant enfin. En l'espace d'une semaine, elle était retournée dans sa ville natale, s'était faite poursuivre par une organisation terroriste, et avait retrouvé son père avant d'être bourlinguée à l'autre bout de l'état. À seulement quatorze ans. La situation ne devait pas être idéale pour elle, surtout connaissant Sheena qui stressait dès que quelque chose sortait de l'ordinaire. Elle lui adressa un sourire d'encouragement, que la jeune demoiselle ne sembla même pas remarquer, et enroula ses bras autour de ses épaules, avec une expression peu avenante. Même Crìs, à ses côtés, parut soudainement inquiet. Peut-être allait-il falloir une conversation avec Sheena, tout à l'heure.
En attendant, ce fut au tour d'Almarica de prendre la parole. Elle prit une légère inspiration, et commença à parler d'un ton doux, détaché, presque diplomatique.
- Je sais que l'Inexistante avait l'intention de tout finir par nous envoyer à Sunset Mansion. Mais durant l'été, pas vrai ? Pourquoi y tient-elle tant ? Ils ... On est des enfants. Des jeunes sans histoires qui tentons juste de rentrer à la maison. On a rien à voir avec cette histoire. Qu'y a-t-il de si important à Sunset Mansion ? Pourquoi nous ? Qu'avons-nous à y faire là bas ? Et pourquoi maintenant ?
Zack remonta ses lunettes sur sa tête et se frotta l'arrête du nez, les yeux clos, en cherchant ses mots, sans doute. La situation n'était simple pour personne.
- Il se passe des choses, depuis quelques temps. Il y a une grande agitation, et l'Inexistante l'a ressenti. Et si elle a choisi de précipiter les choses, ça n'a rien d'étonnant. C'est même compréhensible. Quant au reste de tes questions ... C'est long. Et compliqué.
Ciela croisa les bras sans un mot, fixant un point invisible sur la table. Toute cette histoire allait lui donner la migraine.
- De toute manière, avec Brunette, tout est toujours trop long et compliqué ... Je commence à en avoir marre ! rouspéta Ash.
Zack pencha légèrement la tête sur le côté, confus.
- Brunette ... ?
- C'est ... l'Inexistante. Elle ne voulait pas me donner son nom, alors je l'ai appelée ainsi, marmonna le jeune homme tirant sur une de ses mèches, nerveux.
La vieille femme s'offusqua en posant une main sur sa poitrine.
- Vous avez renommé l'Inexistante BRUNETTE ?!
- Rina, arrête. On dirait que tu vas exploser ... souffla son étrange compagnon en levant les yeux au ciel.
D'ailleurs, ils étaient qui, l'un pour l'autre ? Zack et Rina ... De bien étranges oiseaux. Ça l'inquiétait un peu, Ciela ... Qui étaient-ils ... ? Que pouvait bien faire une si taciturne vieille femme avec un garçon aussi nonchalant et étrange ? Ils n'avaient pas l'air d'agir comme une grand-mère et son petit fils ...
- Qui êtes-vous ? Quel est votre rapport à l'Inexistante ?
Tous se tournèrent vers elle, et Rina haussa les sourcils.
- Ce n'est pas à vous de poser les questions, petite intruse. Vous êtes déjà suffisamment ... rétorqua-t-elle, sèchement.
Zack se releva si soudainement que le fauteuil tomba à la renverse, faisant sursauter tout le monde. Ses lunettes lui retombèrent maladroitement sur le nez, de travers, rendant son expression colérique presque comique.
- Pourtant, c'est ce qu'ils font depuis tout à l'heure. Mais tu veux bien arrêter, oui ? Pour la dernière fois Rina, ils ne sont pas nos ennemis ! Bien au contraire ! Ce ne sont que des enfants qui ne comprennent rien de ce qu'il se passe ! Ils ont peur. Tu comprends ça ? Peur !
Peur ... Oui, en effet, ils avaient peur, et ils étaient au bout du rouleau. Ciela sentit quelque chose résonner en elle. Elle se frotta les mains, nerveuse. Depuis qu'elle était entrée dans cette maison, depuis que Zack et Rina s'étaient montrés à eux ... Un pressentiment grimpait en elle. Quelque chose n'allait pas.
- Les vrais ennemis, Rina, ce sont ceux qui en ont après eux. Les Saint Souls, Rezher ... et l'Autre, dit-il, radouci. Je sais de quoi tu as peur, mais ... C'est fini Rina. C'est fini. Et tu sais mieux que personne que ces temps-là sont révolus. Il nous faut aller de l'avant.
Et alors, pour la première fois, les traits de Rina se détendirent en une expression ... peinée, et ses yeux brillèrent un drôle d'éclat. Elle se passa la main sur le visage, vivement. Et hocha la tête.
- ... Je suis désolée. J'ai ... J'ai très mal réagi à votre égard. Mon ... Zack a raison. Cette situation n'est simple pour personne, et vous encore moins. Pardonnez mon hostilité.
Elle désigna d'un geste vague de la main l'ensemble des lieux.
- Vous pouvez rester ici aussi longtemps que vous le désirez. Même si je sais que vous préféreriez rentrer ... Mais malheureusement, je ne crois pas que ce soit possible. Si effectivement, les Saint Souls sont à vos trousses ... Il vous sera difficile de rentrer chez vous. Ils risquent de surveiller toutes les sorties du pays, quelles qu'elles soient. Ils en ont les moyen. Et qui plus est ... Je doute que vous puissiez rentrer à l'académie comme ça.
Romy tapa du poing sur la table, vivement, avant de se prendre la tête entre les mains avec un grognement sourd.
- Mais c'est quoi ce cauchemar ... ?
Zack sembla vouloir dire quelque chose, mais finit par baisser les yeux. Il semblait réellement désolé pour eux, tout comme Rina, finalement.
- La seule chose que je peux vous promettre, c'est qu'ici, vous êtes en sécurité.
C'est alors que Sheena sembla sursauter, et elle se recroquevilla sur elle-même, en frissonnant, avec un petit couinement. Son souffle était saccadé, et elle tremblait, elle tremblait tellement fort ...
- Sheena ?! Sheena ! l'appela Crìs en la prenant par les épaules, sa voix rendue stridente par la panique.
Elle repoussa le jeune homme, faiblement, pâle comme un fantôme, les cheveux hirsutes.
- Fenêtre ... murmura-t-elle, tremblante.
Ash bondit sur ses pieds, et se précipita vers la fenêtre la plus proche pour l'ouvrir en grand, laissant entrer un courant d'air puissant dans la pièce ... Clairement conduit par Zack. Un Element d'air, donc. Ça au moins était confirmé ... Sheena frissonna de nouveau, mais finit par lentement se déplier, le visage ruisselant de larmes, profitant comme elle le pouvait de la brise fraîche, qui acheva de la calmer. Le cœur de Ciela s'en brisa. Elle était beaucoup trop jeune pour ça. Ils étaient tous trop jeunes pour ça.
- Je veux rentrer à la maison ... piailla-t-elle, en s'essuyant les joues, encore secouée de tremblements.
Crìs lui frotta l'épaule, avec un petit sourire qui se voulait réconfortant, et elle se laissa aller contre lui, profitant du doux courant d'air passant sur son visage.
Almarica soupira, et reprit de nouveau la parole. La lassitude et la fatalité se lisaient sur son visage, maigre indice de son état actuel, sans aucun doute.
- ... Je vous remercie, Rina. Sincèrement.
Elle hocha la tête.
- Reposez-vous. Nous reparlerons de tout ça plus tard. Vous en avez besoin, dit-elle doucement, sa voix ayant perdue toute inflexion brutale.
La vieille femme se releva alors, et disparu dans le couloir sans un mot de plus. Zack soupira longuement, et retira ses lunettes avant d'enfouir son visage dans ses mains.
Leur espèce de petite réunion/brainstorming semblait être terminée.
Et ils en étaient toujours au même point. Comme l'avait dit Crìs plus tôt, quel cauchemar.
* * * * *
« Tout était sombre, si sombre. Pendant un instant, il se crut revenu là-bas, dans son pire cauchemar, et il sentit son cœur battre plus vite, plus fort, un léger gémissement s'échappant de ses lèvres entrouvertes ... Puis, d'un coup, tout lui revint. La case de terre, le village des bandits, Zelmaria, Almarica, et ... Elle. Et le contact froid et dur du sol avait laissé place à quelque chose de plus moelleux, et agréable. Quant à l'odeur qui flottait autour de lui ... Nul doute possible. Il était de retour à la Cabane.
Philios se redressa doucement sur le lit, en grimaçant. Il n'était qu'un amas de chair terrassé par la douleur et les courbatures. Son dos lui faisait vivre un véritable martyr et il ne sentait quasiment plus ses pieds. L'effort demandé pour s'asseoir convenablement sur le lit le laissa haletant, et les bras tremblants. Depuis combien de temps était-il revenu à la Cabane ? Depuis combien de temps dormait-il ? Était-ce la nuit, ou le jour ? Sans repère, il se sentait perdu, vulnérable ... Dans son dos, quelque chose le chatouilla, et il frissonna. Il se concentra de toutes ses forces, et doucement, comme on froisse un muscle contracté, Philios détendit ses ailes.
Il avait presque tendance à les oublier, surtout depuis qu'il était ici, dans la forêt. Il ne les usait quasiment plus.
Dans la pénombre totale, il ne les distinguait même pas. Mais Philios les sentit s'étendre, derrière lui. La capacité des Rokh à se rendre invisible, en plus de leur taille titanesque, faisait ce qui participait à leur légende. Des êtres légendaires, vénérés par son peuple ... Et convoité. Puis un jour, quelqu'un eut l'immense et brillante idée de mêler leur espèce à la leur. On captura certains spécimens, des bébés, ou des femelles enceintes, et on se procura leurs atouts les plus précieux. Et on recruta des naïfs, des rêveurs ... ou des condamnés, leur faisant miroiter un rêve irréaliste, un cauchemar dissimulé sous un enrobage alléchant. Un soldat capable de voler et de se rendre invisible, quoi de plus beau ? Un atout inestimable, pas vrai ...
Il ferma les yeux, et refoula les souvenirs atroces, les cris, la douleur ... Ses ailes s'agitèrent de nouveau, témoins de son émoi interne. Il devait se calmer. C'était fini tout ça, c'était fini. Il s'en était sorti. Il s'était même sorti du champ de bataille. Il était en paix maintenant. En paix et avec les gens qu'il aimait. C'était bien mieux que ce qu'il aurait pu souhaiter.
Puis très doucement, il étira et rétracta ses ailes, plusieurs fois de suite, à but de les détendre et de les assouplir. Sa chute de l'arbre et son enchaînement l'avait bien courbaturé, et avait presque froissé ses ailes.
Un frisson le traversa, lorsqu'ils se souvint des filles. Elles étaient angoissées, terrifiées ... Et c'était un petit miracle que ni l'une, ni l'autre, n'aient remarqué ses ailes. Certes, elles étaient invisibles la plupart du temps, mais ... Elles étaient là, tout de même. Ce n'est pas parce qu'elles ne se voyaient pas, qu'on ne pouvait pas les sentir. Il avait toujours été très doué pour les dissimuler, toutefois, mais ça n'avait pas suffit, auparavant. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'on ne découvre ce qu'il était. Zelmaria et Svelja savaient, bien sûr. Mais le reste de ses amis, Almarica ... ? Non, il ne croyait pas. Et il espérait de tout son cœur qu'ils ne le découvriraient jamais.
Avec un léger soupir, il les rabattit définitivement derrière son dos, et baissa la tête, avec un râle. Ses ailes étaient à la fois son pire cauchemar et sa plus grande honte. Certes, elles l'avaient sorties de situation épineuse plus d'une fois, mais à tout choisir, il aurait préféré qu'elles ne soient jamais là. Elles faisaient de lui un monstre. Une créature abominable qui n'aurait jamais dû exister.
Philios secoua la tête, se reprenant en main. Il devait se lever, aller voir les autres, prendre des nouvelles de Zelmaria et Almarica ... Il s'était assez reposé.
Il réussit à se lever, en titubant, sa tête tournant violemment, mais se stabilisa, debout. Il ne devait pas tomber. Il ne serait pas capable de se relever. Il n'était même pas capable de savoir s'il était prêt à bouger ... Pourtant, il réunit toutes ses forces, prêt à amorcer un pas, quand ...
- Philios ?
La voix claire qui transperça les ténèbres de la chambrée le fit vaciller, et il perdit son équilibre.
Mais au lieu de s'effondrer par terre lamentablement, quelqu'un le rattrapa in-extremis, et le laissa doucement glisser à terre, alors que des petits bras l'enserraient fortement. Une odeur familière l'enveloppa, et les larmes montèrent toutes seules, de soulagement, sans doute.
- Tu es réveillé ... souffla-t-elle, d'une voix brisée par l'émotion.
La pénombre l'empêchait d'y voir correctement, mais cela n'avait jamais gêné Almarica.
- Al', réussit-il à articuler, la bouche pâteuse.
Oh, qu'il avait soif ... Sa gorge était tellement sèche ... Il avait du mal à déglutir. De l'eau, il lui fallait de l'eau ...
Puis, comme si la demoiselle avait lu dans ses pensées, elle lui prit doucement l'une de ses mains, et y apposa quelque chose de dur et froid. De la terre cuite.
- Bois, allez, le pressa-t-elle.
Il ne se fit pas prier, et engloutit entièrement le contenu de la cruche d'eau, avec une sorte de grognement de plaisir. En cet instant, l'eau fraîche offerte par Almarica parut lui être une boisson divine.
- Comment tu te sens ?
Il lécha ses lèvres, recueillant les dernières gouttes d'eau y perlant, en émettant un bruit de contentement, et replia ses jambes vers lui.
- Exténué. Mal aux jambes. Partout.
N'était-il même pas capable de faire des phrases entières ? Oh, c'était d'un pathétique ...
- C'est normal. Tu as perdu beaucoup de sang.
Philios réprima un frisson en sentant son souffle contre sa peau. Elle était proche, très proche. Plus qu'elle ne l'avait jamais été. La jeune femme était à sa gauche, une main posée sur avant-bras, une autre enroulée autour de sa taille, pour le stabiliser, probablement. Il était terriblement conscient des endroits où elle le touchait, de sa proximité, de son souffle, de sa voix ... le fait qu'il soit torse nu n'aidait en rien ce qu'il se passait. On avait dû lui retirer sa tunique pour avoir accès plus facilement à ses plaies, mais on lui avait laissé son bas, comme le laissait suggérer le contact du tissu contre ses jambes. C'était un petit soulagement. Depuis ... ses ailes, ils avaient beaucoup de mal quand il était dénudé devant autrui. Et le contact physique, aussi. Il lui avait fallut des années pour qu'il cesse de trembler à chaque fois que quelqu'un s'approchait de sa main. Même Zelphis ou Katherina n'avaient pu le toucher avant bien longtemps. Quant à Svelja ou Zelmaria, il avait bien fallu des mois avant qu'il ne s'autorise, ou ne les autorise, à une quelconque proximité physique. Et Almarica ... Il n'avait jamais ressenti ça auparavant. Son cœur battait à tout rompre, tellement fort, qu'il avait l'impression qu'elle pourrait l'entendre à tout moment.
Et c'est alors qu'il sentit un contact doux contre sa joue, et il cessa de respirer. Elle venait d'apposer son front contre sa joue, et ses cheveux, ordinairement tressés, tombaient en cascade contre ses épaules et son torse. Oh, par les dieux.
- J'ai eu tellement peur, souffla-t-elle, d'une voix vibrante d'émotions. Tu ne te réveillait pas et tu avais déjà perdu tellement de sang ...
Il sentit ses mains se crisper sur lui, et son souffle se fit plus court, plus saccadé. Peut-être que son cœur à elle aussi, battait à tout rompre.
- D-désolé, finit-il par articuler. Suis là. Vivant.
Au dernier mot, elle frissonna. Longuement, violemment. Oui, il était vivant. Et il s'en était fallu d'un cheveux. Il avait traversé des champs de bataille sans une égratignure, et parfois avait cru y rester, mais jamais aucune de ces expériences ne lui avait provoqué cette sensation. Cette joie intense et ce soulagement infini de pouvoir être là, de se sentir vivant. D'être avec elle.
Doucement, à son tour, il réussit à bouger son bras, et entoura ses épaules, pour l'attirer encore plus à lui. Elle se laissa faire, et sa tête tomba dans le creux de son épaule.
Et ils se retrouvèrent là, dans le noir, l'un dans les bras de l'autre, battements de cœurs à l'unisson. »
* * * * *
- Ça n'a aucun sens.
- C'est toi qui n'as aucun sens ! T'es tout nul !
- NON C'EST PAS VRAI ! C'EST TOI QUI ES TOUT NUL !
Nancy leva les yeux au ciel, sans un mot. Et puis quoi encore, hein ... ? Ah, les mômes, sérieusement ... À ses côtés, Erick se marrait tout seul, amusé.
- Ils sont vraiment drôles, se justifia-t-il face à son regard dubitatif, en levant les mains devant lui.
La jeune fille secoua la tête, en soufflant longuement.
Alors qu'ils remontaient le chemin vers l'académie, ils étaient tombés sur deux gosses se chamaillant ... Comme des gosses, tout en s'insultant l'un l'autre de jurons stupides, avec ardeur. Et Erick s'était soudainement arrêté face à eux, presque fasciné par ce drôle de spectacle, qu'il regardait maintenant depuis presque cinq minutes, un sourire stupide accroché aux lèvres.
- Ils sont adorables.
- Adorablement épuisants, oui, soupira Nancy en croisant les bras.
Il haussa les épaules.
- Depuis le truc de l'Inexistante, on voit passer moins de gosses ... voire quasiment plus.
Nancy perdit sa moue ennuyée. Et la réalité de la situation lui retomba dessus, de plein fouet. Pendant un instant, elle avait presque oublié ce qu'il se passait, où ils étaient, ce qu'ils vivaient. C'était tellement effrayant ... Terriblement. Et peut-être était-ce le principe, avec l'Inexistante.
- Il ne reste plus que les enfants des habitants de l'île, murmura Nancy en tirant nerveusement sur une de ses mèches de cheveux.
Nancy n'avait jamais vraiment remarqué combien l'île pouvait paraître vide, sans les élèves de l'académie. Elle n'avait jamais mesuré combien cela impactait la vie locale. En réalité, peu d'habitants se trouvaient sur l'île. Peut-être moins d'un millier. Cinq cents ? Elle n'en avait aucune idée.
- ... C'était la meilleure des choses à faire, tu sais ...
- Je sais. Tu n'es pas revenu ici pour rien, après tout.
Erick hocha doucement la tête, le regard voilé, et retourna à la chamaille des enfants, avec toutefois moins d'entrain. Nancy s'enroula dans ses propres bras et s'accroupit à terre, les yeux quasiment clos. Ça faisait quoi, deux jours ? Tout au plus ? Ou moins, elle ne s'en souvenait plus. Ici, le temps s'écoulait de manière plus floue. Nancy en avait presque perdu le décompte.
Tout ça, parce qu'Erick était revenu. Et pas avec de bonnes nouvelles.
- Ça va ? s'alerta-t-il, en la voyant courber le dos.
Elle secoua la tête, muette, et des larmes vinrent lui brûler les paupières, qu'elle chassa d'un revers de la main.
- Excuse-moi ... C'est simplement ... Beaucoup.
Erick lui fit un discret sourire, mais rassurant, et désigna un banc en pierre, non loin de là. Ils allèrent s'y asseoir sans un mot, observant les enfants continuer à se chamailler, perdus dans leurs pensées.
- Ils n'ont pas l'air si perturbés que ça par la situation.
Elle haussa les épaules.
- Ce ne sont que des enfants. Pour eux, il y a simplement moins de monde.
- Mais plus de télé ou d'internet.
Nancy ricana, et étira ses jambes devant elle, son regard rivé sur le bout de ses chaussures.
- Leurs parents ont dû leur dire qu'il y avait une panne d'électricité, renchérit le jeune homme en croisant les bras.
- Concernant uniquement la télévision et les ordinateurs ? Les enfants ne sont pas stupides. Ils finiront par comprendre que quelque chose cloche. Surtout quand ils remarqueront que rien ne change vraiment.
Lorsque l'Inexistante lui avait demandé d'aller chercher Walter, Nancy avait réussi à le traîner hors de son bureau. Il grognait beaucoup, mais il était venu. Et quand ils étaient retournés au Pêcher, ils avaient trouvé là l'Inexistante, accompagnée d'un inconnu. Un grand jeune homme brun, vêtu de noir et de gris. Puis, Walter s'était arrêté, stupéfait, avant de reculer d'un pas, la main sur le cœur. Et enfin, un cri, un nom, un mot. Erick. Erick Hunter était rentré à la maison.
C'était la première fois que Nancy avait vu Walter pleurer. Il avait explosé en sanglots silencieux, tremblant de toutes ses forces, avant de se précipiter vers le jeune homme pour le prendre dans ses bras. Erick tenta de se confondre en excuse, d'expliquer son départ et son retour, mais Walter n'en avait eu cure. Il s'était contenté de le prendre dans ses bras, avant de le serrer fort, contre lui.
Et une fois l'émotion passée, Erick avait expliqué d'où il venait, qui il avait été durant sa disparition. Et surtout, pourquoi il était revenu. Puis, l'Inexistante avait décidé d'agir, enfin.
La première fois, en décembre, elle avait été prise par surprise, n'avait pas osé agir, ou briser son serment, laissant les habitants de l'île gérer l'attaque des Saint Souls, à leur manière. Et cela avait fini funestement. « - J'ai délégué mon travail. », avait-elle dit, avec une expression sombre. Mais cette fois-ci, elle s'était préparée. Et déterminée. Elle ferait ce qu'il faudrait. Et la vie de Nancy avait changé du tout au tout.
Elle leva la tête vers ce ciel bleu dénué de nuages depuis que tout était arrivé. De la brume, le matin et le soir, mais un ciel toujours dégagé, semblant s'étendre à l'infini ... tout comme la mer calme et d'huile qui entourait l'île maintenant. Ils étaient seuls. Seuls au monde.
- Ça fait bizarre, hein ? souffla l'Element de foudre, en renversant sa tête vers le ciel.
- Très. On croirait être dans un film de science-fiction.
- N'est-ce pas ?
Tout allait bien. Enfin, autant que tout pouvait bien aller. Nancy avait découvert des choses extraordinaires, et fait des rencontres surprenantes. L'Inexistante leur exposait à tous son plan, qui petit à petit prenait forme. Puis, Helen était revenue, en sang, accompagnée d'une Almarica en panique, leur expliquant ce qui était arrivé ... Et tout s'était précipité. Et ce plan, qui aurait dû attendre juin avant de s'enclencher, s'était activé sur le champ. Et en l'espace d'une nuit, tout avait disparu. Et l'Inexistante avait démontré son véritable pouvoir.
L'Académie avait été évacuée. Vidée, entièrement, et la plupart des élèves et des professeurs avaient été renvoyés chez eux fissa. Une nouvelle menace de Rezher, avait-on dit, pour justifier ce départ précipité. Les étudiants n'étaient plus en sécurité sur l'île, et il était recommandé qu'ils partent sur le champ. Une fois la panique passée, tout le monde avait déguerpi. À Nancy aussi, on lui avait proposé de partir, de rentrer chez elle.
Mais elle avait refusé. Son vrai chez-elle, c'était ici, auprès des gens qu'elle aimait ... ou ce qui en restait. L'absence de ses amis la pesait toujours autant, mais cela ne dépendait pas d'elle.
Quant aux résidents de l'île, il était bien moins aisé de les emmener loin de là. Alors, Nancy, Erick, et tout leur petit groupe s'étaient débrouillés pour faire passer un message, au nom de l'Inexistante : « Partez, ou restez, mais quoi qu'il arrive, votre vie ne sera plus jamais la même. »
Et étrangement, contrairement à ce à quoi Nancy s'attendait, ils avaient tous choisi de rester, certains s'écriant à corps et âme qu'ils étaient là depuis le début, qu'ils n'avaient pas fui en décembre, qu'ils ne fuiraient pas plus aujourd'hui. Leurs ancêtres étaient ceux qui, avec Gilbert, le fondateur de l'Académie, étaient arrivés sur l'île, et s'y étaient établis, des siècles auparavant. Ils étaient arrivés ici dans l'espoir de trouver un lieu les abritant, eux, Elements pourchassés par tous pour sorcellerie, ayant fui une Europe ravagée par l'inquisition pour trouver un lieu où ils pourraient tous vivre en paix, et loin des menaces du monde extérieur. Ce lieu avait toujours été un refuge. Et il avait été bafoué. Mais l'Inexistante n'était pas prête à le laisser être de nouveau. Alors elle avait sorti les grands moyens.
Et ils avaient disparu.
- Comment les autres arriveront à revenir ? Nous ne sommes ... plus vraiment là.
Erick pencha la tête sur le côté, en expirant longuement, ses mains posées en éventail de part et d'autre de son corps, sur le banc. Ses doigts frôlaient presque ses cuisses, mais il ne semblait pas le remarquer.
- Almarica est avec eux. Quand elle aura fini de les guider, elle les ramènera ici.
- Ça lui a beaucoup coûté de venir ici, avec Helen ... Elle n'aurait pas dû repartir aussi rapidement ... Et si elle ne les avait pas rejoints ? Et s'il lui était arrivé quelque chose ?
- L'Inexistante dit que tout est bien allé, et qu'elle les a rejoint saine et sauve. Elle s'en est assurée. Et certes, ça lui a coûté de venir jusqu'ici, mais n'oublie pas ce qu'elle nous a raconté juste avant ... Elle a dû accompagner tes amis jusqu'au fameux refuge, avant de revenir au QG, secourir Helen, et l'accompagner jusqu'ici le plus rapidement possible. Tu m'étonnes que ce fut dur pour elle. Lorsqu'elle reviendra, elle n'aura qu'eux à transporter, et elle aura eu largement le temps de récupérer.
- J'espère ! J'espère vraiment ...
Ils avaient disparu. L'île entière avait disparu. Elle était ... ailleurs.
Lorsque la petite fille avait expliqué en détail ce qu'elle comptait faire, Nancy avait cru vivre un rêve éveillé. Était-ce possible ? Était-ce sans danger ? Était-ce raisonnable ? Et surtout, pourraient-ils survivre au voyage ? Et comment justifier une telle chose aux habitants, leur expliquer qui était l'Inexistante, l'un des secrets les mieux gardés de cette île ?
Et bien la petite fille avait apporté la réponse par elle même. Elle s'était montré à eux. Et ils avaient vu, estomaqués, une enfant leur raconter une histoire complètement hallucinante.
Son histoire à elle. Qui elle était, d'où elle venait ... Et ce qu'elle avait déjà fait pour eux.
Depuis toujours, l'Inexistante avait côtoyé les habitants de l'île, le plus souvent sans Almarica, et les avait aidés durant les périodes de leur histoire les plus dures. La dernière fois qu'elle était intervenue, lui avait-elle confié, c'était durant la seconde guerre mondiale. Elle avait réussi à détourner l'attention de navires de guerres de la petite île, et avait même hésité à intervenir de la manière dont elle venait actuellement de le faire. Les interventions de l'Inexistante étaient toujours discrètes, se vantait-elle. Mais peut-être ne l'était-elle pas suffisamment, pour que l'entièreté de la populace de l'île sache qui elle était ...
Certains avaient parfaitement conscience de son existence, tandis que d'autres ne la voyaient que comme une légende urbaine, ou un conte pour enfant. Une figure lointaine, un peu mythique et légendaire, qu'il valait mieux reléguer au rang de fabulation que de croire qu'une telle personne existe ... Ou n'existe pas. Le mot même ''inexistante'' était paradoxal. Mais quand Nancy avait fait part de ses pensées à la jeune fille, elle s'était contentée d'éclater d'un grand rire, laissant Nancy prise au dépourvu.
Toujours était-il que finalement, peu de personnes s'étaient retrouvées étonnées de voir l'Inexistante s'adresser à eux, et que tout le monde avait accepté de se fier à son plan. Qui était ... De transporter l'île dans une dimension de poche.
Dit ainsi, ça semblait tout à fait hallucinant. Et Nancy s'était même demandé si elle avait correctement entendu l'Inexistante. Transporter l'île dans une dimension de poche, et disparaître totalement de la surface de la terre ... Pour un temps, seulement, disait-elle. Sans voix, Nancy avait simplement attendu que l'Inexistante développe son idée, aux côté d'un Erick aussi perdu qu'elle.
Comment pouvait-on rapetisser une île et ses habitants pour les faire rentrer dans une poche ? Ça n'avait aucun sens. Puis, Nancy avait compris ce que l'Inexistante entendait par là : il ne s'agissait pas de rapetisser l'île, ou autres âneries, mais bel et bien de la transporter ailleurs, dans un petit univers créé par l'Inexistante, où il n'existerait que les habitants, et l'île. Une Dimension inviolable, sauf pour les personnes que l'Inexistante laisserait rentrer. Pour représenter un peu mieux son idée, l'Inexistante avait alors tracer un long couloir, dans un sillon de poussière devant elle. Puis, elle avait alors tracé une petite alcôve, comme un renfoncement discret dans l'une des deux parois de son couloir. Une alcôve secrète, dissimulée aux yeux de tous et toutes, qui les mettraient à l'abri des regards. Le couloir était le monde, et l'alcôve l'endroit où l'île se trouvaient actuellement. Un petit univers composé d'une mer et d'un ciel infini, régi par l'Inexistante elle même, et de leur île. Alors, bien évidemment, une fois arrivés ici, le contact avec le ''vrai'' monde, fut totalement rompu. Plus d'internet, plus de ferrys amenant les voyageurs, plus rien du tout. Ne restait qu'eux.
Pour José et Liliane, deux habitants de l'île, vieilles connaissances d'Helen, la situation était on ne pouvait plus désirable. Séculaires, voire quelques peu xénophobes sur les bords, ils étaient ravis de s'être débarrassés de la marmaille de l'académie, et attendaient avec hâte de finir leurs jours sur l'île sans le moindre problème.
Petit souci, même si l'île pouvait se débrouiller toute seule sur la plus part des points, et qu'elle l'avait fait durant quelques siècles, elle restait dépendante du monde extérieur, sur certaines denrées. Si l'électricité fonctionnait encore très bien, grâce à des panneaux solaires, ou des moulins à eau ci et là, il était évident qu'à un moment où à un autre, ils allaient tomber en pénurie de nourriture. Et même si l'Inexistante s'était engagée à leur fournir tout ce dont les habitants pourraient avoir besoin, elle même était consciente que la situation ne pourrait jamais durer pour toujours.
Il fallait juste attendre. Attendre qu'Almarica revienne, avec ses amis ... et ce qui leur permettrait définitivement d'effacer la menace de Rezher, disait l'Inexistante.
Attendre. C'était tout ce qui leur restait. Attendre, et espérer.
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Alors. Oui, je sais, c'est bordélique et confus au possible, et ça a l'air de sortir de nulle part, mais je vous jure que ça fait très longtemps que j'ai cette idée en tête, et que j'essayais de la diffuser petit à petit dans les chapitres précédents. Et je peux vous dire qu'il m'en a fallu, du temps, pour élaborer tout ça ! Si vous avez des choses que vous ne comprenez pas, n'hésitez pas à commenter, ou à m'envoyer un message, j'y répondrai, promis !
Sinon, sinon. Ça pâtine à Windy-Hill, mais ça roucoule côté Alios. J'adore Alios, que voulez-vous. Mais de ce que j'ai compris, ça vous plaît aussi, pas vrai ? Héhé, je suis contente.
[note du correcteur: ok guys sondage : à ce moment de l'histoire c'est quoi votre ship fav ? (même si nancy et erick au dessus de tout) ] Faites plaisir à Rosette, les gens.
Je vous prie de m'excuser du retard du chapitre, sincèrement. J'ai eu des gros soucis durant le mois de février qui a rendu difficile beaucoup de choses, comme l'écriture, et j'ai eu très peur de devoir me remettre en pause de nouveau, mais finalement, ce chapitre n'aura eu qu'un (gros) retard.
J'espère qu'il vous aura plu, et que vous n'êtes pas trop perdus, j'y ai mis toute mon âme !
À la prochaine, mes petits maracas désincarnés !
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