Chapitre 34 : adversité

Il commençait à avoir la migraine. Et ce foutu manoir lui fichait les jetons. Il détestait la sensation d'oppression qui était en train de lui prendre à la gorge. Quelque chose en lui grondait. De ... de colère, de frustration, de peur ? Ash porta la main à son visage, et s'arrêta tout net en plein milieu du couloir, les sourcils froncés. Non. Ce n'était pas lui. Ce n'était pas lui qui ressentait tout ça. C'était ... C'était Fenror ? Fenror n'aimait pas cet endroit ?

« - Ce n'est pas bien, non, ce n'est pas le moment ... » se mit-il à murmurer en lui, comme pour répondre à son questionnement.

- Eh, comment ça ? demanda Ash, à mi-voix.

Mais Fenror devint soudainement muet. Aucune réponse ne lui parvint ... Mais le sentiment de malaise qu'il possédait ne cessait pas de croître. Que se passait-il ... ?

- Ash ? murmura Ciela, en se retournant vers lui, interrompant la conversation qu'elle était en train d'avoir avec Almarica.

- ... Ça va, j'arrive.

Il cligna des yeux, et se frotta le front de la paume de sa main, perdu. Il allait vraiment finir par avoir une sacrée migraine ... Mais cela ne l'empêcha pas de suivre ses deux amies en direction du salon des deux inconnus. Le jeune homme et la vieille femme ... Ash n'arrivait pas à comprendre leurs rapports. Était-ce une grand-mère et son petit fils ? Ou alors une pauvre veuve ayant décidé de recueillir sous son toit un garçon fuguant une famille et un passé difficile ? Ouais ... Il allait beaucoup trop loin.

Lorsqu'ils parvinrent au niveau du salon, Amélia ayant fini par s'accrocher comme elle le pouvait à Romy pour avancer, tandis que Crìs et Sheena les rattrapaient, ils attendirent avec hésitation sur le pas de la porte, un peu gênés. Les éclats de voix qui leur parvenaient de par la porte à moitié fermée ne les incitaient pas à s'avancer plus. Ash se pencha un peu en avant, curieux, et à nouveau, fronça les sourcils. Ils parlaient trop fort et trop rapidement pour qu'il ne puisse comprendre quoi que ce soit, mais leur ton houleux semblait suggérer une dispute phénoménale.

- Je n'aime pas ça, murmura Almarica, les dents serrés.

Ash se retourna vers elle, la bouche plissée. Il n'avait qu'une envie, partir en courant. Cet endroit et ses habitants ne lui inspiraient vraiment rien de bon. Et l'inconfort plus qu'évident de Fenror ne l'aidait pas. Et à voir ses amis, il n'était pas le seul à ressentir cela. Le doute et la méfiance marquaient leurs traits.

Almarica baissa la tête sur le côté, légèrement. Un éclair de confusion sembla traverser son regard.

- Je ...

- Tout va bien ? lui demanda Sheena, en lui touchant le coude.

Ash eut un mouvement de recul. Leur jeune amie était blanche comme un linge. Elle semblait presque malade. Almarica ouvrit de grands yeux, et se pencha vers la petite demoiselle, posant sa paume sur sa joue.

- Tu es glacée ... murmura-t-elle.

Sheena secoua vivement la tête en se débarrassant brusquement de la main d'Almarica.

- Je vais bien ! Je suis juste ... nerveuse. Je n'aime pas cet endroit. Je n'aime pas ces gens. Je n'ai pas confiance.

« Je n'ai pas confiance. » Cette phrase aurait très bien pu être un excellent résumé de leur situation actuelle. Almarica fronça les sourcils, et se tourna vers la porte, l'air ... dérangée.

- Je me demande si ... Non, je dois rêver.

Ash croisa les bras et haussa un sourcil, curieux. Almarica secoua la tête à son tour, et soupira.

- Je suis tendue, énervée, et fatiguée. Ce doit être rien. Pourtant ... j'ai l'impression de ... Je n'arrive pas à me débarrasser de mon impression de déjà-vu.

- Déjà vu ?

- Oui ... J'ai un sentiment de familiarité qui ne me lâche pas depuis tout à l'heure, mais je suis incapable de savoir d'où il vient. Mon imagination, sans doute.

Ok ... Entre Sheena qui agissait bizarrement, les pressentiments d'Almarica, et la réaction plus qu'étrange de Fenror ... Définitivement, quelque chose n'allait pas dans cette maison. Ash commençait sérieusement à en avoir marre, d'être embarqué dans des situations aussi pourries.

* * * * *

« - Almarica ?

La jeune fille releva vivement la tête à l'entente de son prénom, rencontrant le regard doré de Svelja. Elle soupira longuement, mais hocha la tête, en guise de salut, auquel Svelja lui retourna un sourire.

- Comment vas-tu ? murmura Svelja en entrant dans la pièce assombrie, avec discrétion, venant s'accroupir à côté du tabouret d'Almarica.

Déjà deux jours étaient passés depuis leur retour à la cabane. Deux jours, et Philios ne s'était toujours pas réveillé.

Les souvenirs d'Almarica concernant ce jour-là étaient plus que flous. Après l'arrivée de Fenror, elle s'était surtout concentrée sur un Philios comateux, et une Zelmaria hystérique, plus que sur le reste. Mais après coup, ses amis s'étaient relayés pour lui faire une sorte de compte rendu.

Après avoir constaté que ni l'une, ni l'autre, ni Philios ne revenaient à la cabane, ils avaient tout de suite compris qu'un problème se profilait à l'horizon. Et à qui cela devait être dû. Et pour la première fois depuis longtemps, ils avaient tous repris les armes pour venir à leur rescousse. Apparemment, ils avaient été jusqu'à mettre le feu au village des bandits, avant de les sommer de ne plus jamais revenir dans cette forêt s'ils tenaient à la vie. Et ils étaient revenus ici sans plus de dommage. Zelmaria, en état de choc, était sous les bons soins de Svelja, tandis qu'Almarica s'occupait d'un Philios qui ne semblait pas prêt de s'éveiller. Elle n'avait pas quitté son chevet, ni fermé l'oeil, préparant décoction sur potion, faisant de son mieux pour soigner ses blessures, et surtout celle qu'il avait à la tête. Objectivement et rationnellement, elle savait qu'elle avait fait de l'excellent travail, mais le savoir encore endormi la rendait folle ... Elle le voulait de nouveau à ses côtés, joyeux, souriant, et surtout, vivant. Elle était tellement terrorisée à l'idée de le perdre qu'elle avait cru le voir partir deux fois la nuit dernière, alors qu'il était simplement sujet à de l'apnée du sommeil. À plusieurs reprises, Fenror était venu la voir pour lui demander de dormir, ou au moins de se reposer, mais elle avait refusé catégoriquement de quitter son poste. Philios ... il avait été blessé parce qu'elle avait été incapable de se débrouiller toute seule, parce qu'elle avait été jalouse, qu'elle était partie, et que Philios était venu à leur recherche ... Au plus profond d'elle même, Almarica savait que se blâmer ainsi ne mènerait nulle part, et qu'elle avait même tort, en quelque sorte, mais elle ne pouvait s'empêcher de se torturer l'esprit. Il fallait que Philios s'en sorte. Il le fallait. Elle ne lui laisserait pas d'autres choix de toute manière.

- Tu sais qu'il a besoin de repos, n'est-ce pas ? lui murmura doucement Svelja, en posant une main sur son épaule. Il va bien, j'en suis sûre. Il a simplement besoin de récupérer.

Almarica secoua la tête, fébrile, serrant ses mains tremblantes l'une contre l'autre.

- J'ai fait tout ce que j'ai pu pour qu'il revienne, et là il ne ... Il ne revient toujours pas. Il ne se réveille pas, et ça fait deux jours et ...

Des larmes dévalèrent malgré elle le long de ses joues. Elle était exténuée, mais surtout, elle était en détresse absolue. Ses pensées se mélangeaient les unes aux autres en un brouillard si épais qu'elle même ne savait pas comment démêler tout cela. Une seule pensée cohérente en ressortait, comme une conclusion aussi désespérée qu'évidente : « Je veux qu'il revienne. »

Svelja passa un bras autour de ses épaules, et l'attira doucement à elle, contre son épaule. Almarica se laissa faire, en ne pouvant s'empêcher de continuer à pleurer, chaque sanglot secouant son corps un peu plus fort.

- Tout va bien, Almarica. Tout va bien. Il est vivant. Tu l'as soigné parfaitement, plus que personne n'aurait pu le faire. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne reprenne ses esprits, Almarica. Philios est un guerrier. Il est fort, et il sait se battre, mieux que la plupart du commun.

Elle releva la tête vers la fiancée de son frère, et distingua malgré la pénombre de la pièce le léger sourire fleurissant sur ses lèvres.

- Philios était mon bras droit, tu sais.

Almarica ouvrit de grands yeux, et se tourna vers la forme immobile respirant lentement, dans le lit.

- Ton ... bras droit ? Philios ?

Almarica savait que le jeune homme avait été un soldat, et qu'il avait déjà combattu, mais qu'il ait été un compagnon d'arme aussi proche de Svelja ... Non, ça ne lui serait pas venu à l'esprit. Mais cela devait être évident, après tout. Les deux étaient si proches ... Une relation telle que la leur n'avait pu se forger autre part que dans l'adversité.

- Et oui. Crois-moi, Philios en a ... Beaucoup vu. Un peu trop, tu sais. Un peu plus que nous tous.

À l'entente de ces mots, le cœur d'Almarica se serra. Que voulait-dire Svelja par là ... ? Elle se passa la paume de la main sur son visage, et essuya quelques larmes.

- Comment ça ... ?

- Philios ... Philios n'est pas comme nous, tu sais.

- Oui, on en a déjà parlé, lui et moi.

- Alors je te laisse imaginer le genre de vie qu'il a pu avoir.

Almarica ferma les yeux. Oui. Oui, elle pouvait imaginer.

- Il mérite mieux.

- Il mérite mille fois mieux, en effet. Philios est le petit frère que je n'ai jamais eu. Et je me suis toujours jurée de prendre soin de lui. Et pourtant, je l'ai abandonné pour Fenror ...

Dans sa voix résonnait un accent des plus amer. Almarica serra ses lèvres. Elle imaginait sans peine ce qu'avaient pu ressentir Philios et Zelmaria, en apprenant la ''mort'' de la jeune femme. Elle avait vécu exactement pareil.

- C'était égoïste de vous avoir abandonné, souffla-t-elle. Et je n'aurai jamais assez d'excuses à vous fournir, jamais. Aucune qui ne pourra pleinement excuser notre comportement à tous les deux. Nous voulions juste nous échapper, et partir loin, fuir nos actes, leurs conséquences, et nos responsabilités.

Svelja prit une grande inspiration, et sa voix ne devint qu'un murmure.

- L'on attendait de moi à ce que je prenne la suite de ma famille. Que je devienne une guerrière impitoyable et redoutable. Celle qui amènerait à sa chute le Royaume Domitien. Que j'amène à sa chute votre famille. Et que je prenne la main que me tendait Zelphis. Que je devienne Reine, et fonde une nouvelle lignée. Que je devienne quelqu'un que je ne voulais pas être.

Almarica enserra à son tour la jeune femme entre ses bras. Ça ... Ça, elle ne pouvait que trop bien le comprendre.

- Alors, quand j'ai compris qu'une nouvelle route s'ouvrait devant moi, une route que je pouvais prendre sans me soucier de rien d'autre ... J'ai fait mon choix, sans un regard en arrière. Et j'ai pris ma vie en main. Fenror aussi. Et finalement, vous aussi.

- La liberté commence dans une petite cabane au fin fond de la forêt, murmura Almarica, presque amusée par ses propres paroles.

- En un sens, oui ... Tout ça pour te dire que ce qui est arrivé à Philios, ce n'est malheureusement pas la pire chose qui lui soit tombé dessus. Il s'en remettra, et sans dommage. S'il a pu se relever auparavant, il le fera ici aussi.

Elle hocha la tête, une nouvelle fois, et se laissa bercer un instant par les battements de cœur de son amie, bien à l'aise au creux de ses bras.

- Svelja ... Je peux te poser une question ?

- Oui ?

- Pourquoi est-ce que je me sens aussi ... Aussi mal ? Enfin je veux dire ... Rationnellement, je sais que ... Qu'il n'est pas en danger. Il est fort, physiquement, et mentalement, et je suis intervenue suffisamment vite pour qu'il ne souffre pas plus. Je sais qu'il a besoin de repos, et qu'il se réveillera ... Alors pourquoi est-ce que je me sens si angoissée à l'idée qu'il n'ouvre plus jamais les yeux ? Pourquoi ai-je aussi mal, rien qu'à cette idée ? Pourquoi, Svelja ? Tu as une idée ... ?

Elle prit une grande inspiration, et commença à lui passer la main dans les cheveux, démêlant doucement chaque nœuds sur son passage.

- Lorsque l'on tient beaucoup à une personne, il est normal d'avoir peur de la perdre. Il est ... Normal de craindre sa disparition, sa haine, sa colère, sa tristesse. C'est normal de craindre pour sa vie aussi. Perdre ceux qui nous sont chers est une douleur que je ne souhaite à personne. C'est le genre de douleur qui forge un être, et qui peut l'amener à réaliser un miracle, ou la plus grande des folies. Le manque est une des pires choses que nous puissions subir. Et l'amour est une grande puissance. Probablement l'une des plus grande. Ressentir des pensées qui nous semblent illogique par amour, c'est en soit naturel.

- Philios ... Oui, il m'est cher. Très, très cher. Je ... Je ne pourrais pas ...

Les larmes remontèrent.

- Oh, j'ai eu si peur pour lui, si peur. Quand je l'ai vu dans les bras de la guerrière, quand nous étions dans la geôle des voleurs ... J'ai eu tellement peur. Il était si fébrile, si ... Son regard, sa main si froide, sa peau si décolorée ...

Un sanglot franchi la barrière de ses lèvres.

- Je crois qu'il s'est mis à délirer, à un moment. Il tremblait, tellement, tellement fort ...

Svelja la serra de nouveau contre elle, encore plus fort.

- J'ai eu tellement, tellement peur ... Et j'ai encore tellement, tellement peur ...

Sa voix se brisa sur le dernier mot. Et elle éclata en sanglots.

* * * * *

Parfois, l'Inexistante se disait que les humains étaient tous les mêmes, Elements ou non, jeunes ou vieux, petits ou grands. Les mêmes besoins, les mêmes ennuis, les mêmes peines, les mêmes joies. Et pourtant, ils trouvaient le moyen de ne jamais être pareils. C'était fascinant. Ils étaient aussi simples que complexes, et pourtant, ils étaient aussi de véritables pestes, autant que de petits amours. Bourrée de contradictions et de ressemblances, voilà ce qu'était l'espèce humaine.

Et l'Inexistante se disait aussi que la philosophie, elle aimait bien ça. Enfin, tant que ça restait sa petite philosophie de bas étage à elle, elle aimait ça. Descartes, Voltaire, Platon ... Tous des vieux barbus qui tournaient en ronds sans prendre la peine de profiter des petits plaisirs de la vie. Barbants, tout simplement. Avec un léger soupir, elle regarda le jeune Hunter et la jolie Blood Element remonter la Grand Rue vers l'Académie, en pleine discussion. Elle était trop loin pour pouvoir entendre ce qu'ils disaient, mais la conversation avait l'air agitée. Suffisamment pour que les deux jeunes gens ne cessent de gesticuler dans tous les sens comme des signes couverts de puces, dans une discussion qui leur amenait grands éclats de rire. Mais elle avait beau avoir l'air moqueuse, l'Inexistante était avant tout heureuse pour eux. Depuis la mort d'Alexandre, la jeune Nancy ne lui avait jamais paru aussi vivante. À croire que le caractère exécrable de cet idiot d'Erick avait ravivé quelque chose en Nancy. Et lui aussi, semblait s'être ... Ranimé. Le jeune homme était arrivé ici, épuisé, consumé par ses regrets, ses remords, et sa soif de vengeance. Il n'y avait qu'en la compagnie de Nancy qu'il semblait enfin s'épanouir. Et en un sens ... C'était compréhensible. Les deux jeunes gens avaient souffert de la même perte aussi tragique, et ils en avaient tout deux subi les conséquences, de la pire des manières qui soit. Nancy, en devenant le souffre douleur de ceux qu'elles traitait plus bas que terre quelques mois auparavant, et Erick en acceptant de céder à ses pires démons pour accomplir son but. Ils avaient vu l'enfer. Ils l'avaient vécu. Et surtout, ils nageaient encore dedans, jusqu'au cou. L'un était, en un sens, le miroir de l'autre. Finalement, qu'une sorte de connexion se soit établie entre eux n'avait rien d'étonnant. L'adversité rapprochait les êtres. Le chagrin aussi. Ça lui faisait penser à cette drôle de règle mathématique. Moins, par moins, était égal à plus. Erick et Nancy étaient chacun au fond de leur trou. Mais en se rencontrant, ils avaient découvert qu'ils n'étaient pas seuls. Peut-être mettraient-ils plus de temps avant de se rendre compte que l'un et l'autre pouvaient s'aider mutuellement à se sortir de ce trou. Mais en attendant, les deux jeunes gens étaient à l'aise l'un avec l'autre. Et même si elle ne l'aurait jamais admis, ça lui faisait du bien, à l'Inexistante, de voir ces deux protégés sourire aussi sincèrement.

- Vous méritiez mieux.

Un coassement attira son attention. Venait de se poser à côté d'elle, sur la toiture de la maison sur laquelle l'Inexistante s'était installée, un corbeau. Qui coassa de nouveau, en écartant les ailes, penchant la tête sur le côté et clignant des yeux.

- Toi aussi, tu mérites mieux. Mais ... Ils sont si jeunes. Ils sont tous trop jeunes. Regarde quel monstre je suis. J'ai envoyé à l'autre bout de la planète des jeunes adolescents qui n'ont même pas achevé leur puberté pour retrouver ce que j'ai de plus cher à mes yeux. Parce que je ne peux quitter cette île sans provoquer une catastrophe.

Elle roula des yeux, et se laissa tomber sur le dos, face au ciel, avec un soupir.

- On se croirait dans un mauvais livre pour ados.

Le corbeau grimpa sur sa poitrine, coassant de nouveau.

- Ce n'est pas le rôle d'adolescents de sauver le monde d'un papy psychopathe obsédé par une quête de pouvoir insensée qui a ruiné la vie de dizaines de milliers de personnes ! C'est incroyable de se dire qu'une seule personne peut provoquer autant de dégâts ... Il faut mille ans pour construire un château, mais il suffit d'un seul homme et d'un canon pour l'abattre en une seconde. Quand on y pense, c'est déprimant tout de même.

Le corbeau secoua légèrement ses ailes, et l'Inexistante grimaça.

- On dirait que tu m'écoutes, tu es flippant. J'ai rien à te donner à manger.

Aucune réponse. Mais l'oiseau ne bougea pas, au contraire. Il sembla même s'installer, et prendre ses aises.

- Dites-moi que je rêve ... Rah, les corbeaux. Vous êtes un peu trop intelligents, pour des piafs.

Elle passa doucement ses doigts sur son magnifique plumage, avec un petit sourire.

- C'est pour ça que je vous aime, lui souffla-t-elle, de la même manière que l'on confierait un secret à quelqu'un de confiance.

L'oiseau se laissa faire, en fermant ses petits yeux noirs.

- Est-ce que tu sens que je cherche à faire de mon mieux pour protéger ta maison ? Même si je fais un pauvre boulot à cela ? Je suis l'Inexistante. Mais je suis incapable de protéger deux générations d'enfants. Crois-tu que j'aurais dû agir autrement ?

Elle soupira, et secoua légèrement la tête.

- L'on ne peut réécrire le passé avec des si. De la même manière que l'on ne peut laisser nos regrets nous avaler. Après tout, quelqu'un m'a un jour dit que nous devons apprendre de nos erreurs. Chaque erreur n'en est pas une, si nous en tirons des leçons utiles. Et j'ai appris. J'ai appris, crois-moi. Peut-être pas assez. Mais j'ai appris beaucoup.

Elle ferma les yeux, et prit une grande inspiration.

- Ça fait ... Combien de temps ? Très longtemps. Trop longtemps. Et là, en moins de six mois ... Rien ne va vraiment quand on veut dans la vie. Enfin. Je n'ai pas à me plaindre.

Elle se redressa soudainement, dégageant le corbeau de sa poitrine qui protesta vivement, avant de sautiller jusque sur ses pieds. L'Inexistante ne put s'empêcher de lui jeter un drôle de regard, déroutée.

- Tu es le corbeau le plus étrange que je n'ai jamais rencontré de ma vie.

Nouveau coassement.

- Décidément, je t'aime bien, toi. Tu n'as aucun sens. Tu veux un nom ?

Il cligna des yeux.

- Parfait ! Alors je vais t'appeler ... Balthazar. Parce qu'un corbeau qui s'appelle Balthazar, ça n'a pas plus de sens qu'un corbeau qui m'écoute. Ça te va, Balthazar ?

Il sautilla jusque sur ses bottes, avant de pousser un nouveau coassement rauque.

- Balthazar, donc.

Elle reporta son regard sur les deux adolescents, maintenant au bout de la rue, sur le point d'entamer la longue montée menant à l'académie, un peu plus proches l'un de l'autre qu'ils ne l'étaient auparavant. Non, elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas les laisser souffrir à nouveau. Elle ne pouvait plus laisser souffrir personne.

- Ils vont payer. Ils vont tous payer. Et moi en premier.

* * * * *

Lorsque la porte s'ouvrit enfin, sur un Zack souriant, Romy n'avait envie que d'une seule chose, prendre les jambes à son cou. Ou frapper les deux étrangers. Et l'Inexistante aussi. Si ces deux-là étaient aussi tarés qu'elle, ils n'étaient pas sortis de l'auberge.

Le jeune homme les invita enfin à rentrer dans la pièce, comme s'il n'avait pas passé les dix dernières minutes à se disputer avec la vieille dame, maintenant à côté de la fenêtre, aussi raide que la justice, les bras croisés, scrutant chacun d'entre eux telle un oiseau de proie prêt à fondre sur sa victime. Romy lui renvoya un regard noir quand elle se fixa sur lui, et elle se contenta de hausser brièvement les épaules avant de se reporter sur Almarica. Et Romy eut la très claire impression que son animosité redoubla alors de puissance. Et vu la position de son amie, elle l'avait très bien ressenti elle aussi.

- Asseyez vous ! Il y a de la place pour tout le monde ! s'écria Zack en se laissant tomber sur un épais fauteuil d'époque au tissu décoré d'éclatantes fleur blanches.

La pièce était très lumineuse, et dans le même style que le reste de la maison. Des sièges et des canapés anciens mais à l'air très confortable étaient savamment répartis autour d'une grande table ronde sur laquelle était disposées d'appétissantes pâtisseries, et une grande théière en porcelaine finement ouvragée, fumante à souhait. Ça embaumait le thé. À côté de lui, Amélia poussa un grand soupir.

Ils se répartirent autour de la table, et Romy s'installa à côté d'Amélia. Almarica prit la place en face de Zack, les traits tirés. Elle était aussi tendue qu'une corde d'arc. En réalité, les seules personnes à peu près détendues à cette table étaient Amélia, qui était totalement déconnectée de la situation, et regardait la théière comme si elle était sur le point de l'engloutir toute entière, et Zack, qui chantonnait gaiement en avalant goulûment un petit gâteau.

Romy frôla l'épais tapis à ses pieds du bout de sa basket. On aurait juré qu'il était d'époque. Tout ici semblait venir d'un autre temps. Même la dénommée Rina paraissait venir du XVIIIème siècle. Un véritable épisode de Doctor Who.

- Donc ! Sunset Mansion ... Pas vrai ? finit par demander Zack, brisant la glace.

Rina sursauta, et ouvrit de grands yeux, l'air estomaqué.

- Quoi ... ? Comment ça ? Comment ça, Sunset Mansion ?

Le jeune homme à lunette se retourna vers elle, avec un petit sourire.

- Si tu m'avais écouté, Rina, tu aurais compris qu'ils viennent de l'académie, qu'ils sont pourchassés par les Saint Souls et qu'ils m'ont donné un message venant de l'Inexistante. Si je me souviens bien ... Elle disait qu'il « était temps pour Sunset Mansion », pas vrai ? continua Zack, en jetant un étrange coup d'œil à Almarica.

Rina se mit à verdir instantanément, et posa une main sur sa poitrine, estomaquée. Elle vacilla en arrière d'un pas, et déglutit difficilement.

- Non. Non, je ...

- Rina, viens t'asseoir avant de tomber.

La vieille femme obtempéra sans un mot, et vint s'installer sur un fauteuil de style Victorien, brodé de roses jaunes, à la droite de Zack. Romy, lui, était soufflé. Comment et pourquoi deux mots pouvaient-ils avoir eu autant d'impact sur la jeune femme ? Sunset Mansion. Manoir Coucher de soleil ? Ça ne voulait rien dire !

- Qu'est-ce que Sunset Mansion ? L'Inexistante ne m'a jamais rien dit à ce sujet. C'est la première fois que j'en entends parler.

- Sunset Mansion est un cadeau de l'Inexistante.

- C'est ici ?

- Ouh là ! Non, loin de là ! Sunset Mansion est ... ailleurs. Très loin d'ici.

- Ce doit être important.

- Bien sûr que ça l'est ! protesta alors Rina, en agrippant les accoudoirs de son fauteuil, si fortement que ses jointures en devinrent blanches. Sunset Mansion est un interdit absolu, et cette ... CHOSE ne devrait jamais s'en approcher ! Ce n'est pas à elle de ...

- RINA.

Le rugissement de Zack les firent tous sursauter, et la concernée se rembrunit. Il lui jeta un regard qui n'inspirait rien de bon et prit une grande inspiration, avant de se servir une tasse de thé. Amélia émit alors un petit bruit joyeux, et Zack eut un temps d'arrêt avant de lui donner sa tasse de thé, avec un sourire amusé. Elle s'en empara avec un petit cri de contentement et la posa devant elle, la regardant refroidir avec un sourire enfantin. Ils avaient complètement perdu Amélia ...

- Sunset Mansion est ... interdit ? continua Almarica, déstabilisée.

- ... Sunset Mansion est avant tout compliqué. Et un sujet délicat.

- Certes, mais pourquoi nous avoir fait venir jusqu'ici pour vous transmettre un tel message ?

Zack soupira une nouvelle fois avant de fermer les yeux, croisant ses bras sur la nappe couleur nacre de la table.

- Nous ne voulons qu'une chose, c'est rentrer chez nous, murmura Sheena. On ... on devait être à l'académie pour demain. Nous n'y serons jamais à temps. Nous sommes dans un pays étranger, avec pour seule ressource, vous, et une personne habitant à New York, et les Saint Souls aux trousses. Et l'Inexistante nous a envoyés ici, dans votre ville, à Windy-Hill pour délivrer un message qui n'a aucun sens pour nous. C'est ...

Elle serra les lèvres, et Romy se rendit compte qu'elle était probablement furieuse. Elle se tourna vers la vieille femme, qui haussa les sourcils.

- Et vous nous traitez comme si nous venions de vous insulter, avec suffisamment de mépris et de suffisance pour vous rendre détestables chaque seconde un peu plus ! se mit-elle à crier.

Rina en resta bouche bée, et eux aussi. Seule Amélia ne trouva rien à redire, tout absorbée qu'elle était par la fumée s'élevant de sa tasse.

- Nous sommes perdus. Nous sommes effrayés. Nous étions originellement venus pour nous expliquer devant le Conseil, et nous voici à des heures de train de l'endroit où nous étions censés rester DEUX JOURS, et maintenant nous sommes ici, à être traités comme des malotrus, avec Amy qui en plus est dans le coton, et ... Et j'ai mes examens dans un mois ! Il faut que je révise ! Mais au lieu de ça, il y a Sunset Mansion, vous, Windy-Hill et ...

Elle avait mille fois raison. L'Inexistante les prenait pour ses coursiers, ou bien ? Il commençait sérieusement à en avoir marre.

Zack sembla se radoucir, et un sourire que Romy ne put qualifier que de ... désolé, fleurit sur ses lèvres.

- Je comprends, ma petite. Crois-moi, je comprends. Mais ... Oh, pardonnez-moi. Si vous êtes chez moi, en ce moment même ... Et la raison pour laquelle ce message m'a été donné ... C'est pour que vous, mes enfants, puissiez atteindre Sunset Mansion.

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Et non, la quête n'est toujours pas finie, ah, joke's on you. Les pauvres, ils veulent juste rentrer chez eux ...

Et Almarica n'a toujours pas l'air de se rendre compte qu'elle ressent quelque chose pour Philios ... Non ?

Je crois que j'adore réellement écrire du point de vue de l'Inexistante. C'est si drôle ! Je l'aime beaucoup. C'est un de mes tous premiers personnages, vous savez ? Je crois l'avoir crée avant Ash et Ciela !

Que pensez-vous de Balthazar, le corbeau ? J'adore les corbeaux personnellement. Ils sont vraiment sympa, quand on y pense !

Et pouvons nous parler de Nancy et Erick !? Vous les trouvez mignon tous les deux ? Je vous avoue que j'ai un faible pour eux ... Et toi Rosette, tu les trouves comment ? Sincèrement ? Je les aime bien. Sincèrement (::

Je suis par ailleurs désolée de l'absence de chapitre pour le mois de Décembre, mais j'ai eu des soucis de panne d'inspiration, et malheureusement j'ai fini en retard ... jfscndc pour une fois c'est pas moi qui ai corrigé en retard je suis fier Alors, plutôt que de vous donner un chapitre en décalé, j'ai préféré vous en donner deux d'un coup pour le mois de janvier. Ça vous fait plaisir ?

J'espère que la reprise s'est bien passée pour vous, et que vous avez eu vos examens ! Je crois en vous, et vous avez mon soutien !

À la prochaine, bande de peintures vivantes !

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