Chapitre 31 : les Gardiens de Windy Hill - Partie 01

« Il fait noir, si noir ... Et il a mal. Mal, mal, mal, très mal. Partout. Sa tête le lançait atrocement. Il n'a que rarement eu aussi mal de sa vie, pas depuis que Zelphis l'avait libéré des expériences, sept ans auparavant.

On s'attendait à sa mort, après tout. Il était le dernier rejeton des Caerris. Le Rien Du Tout. Le Né Sans Pouvoir. Déjà qu'en général, les personnes comme lui n'étaient que des déchets inqualifiables, alors pour lui, né dans la famille royale... ? Un miracle que les Quatre Dieux bannissent le meurtre d'enfants, sinon il aurait probablement été jeté à la mer. À la place, il a été soit-disant ''sélectionné'' une fois ses cinq saisons pluvieuses passées, pour être un futur soldat de la patrie. Un programme, disait son père, qui viserait à le changer, à faire de lui quelqu'un d'important. Un honneur, disait sa mère. Quel tissu de mensonges ignoble. Du jour au lendemain, il était passé de l'amour de son frère et de sa sœur, aux journées dorées emplies d'innocence et de joie de vivre, à la haine et l'indifférence des adultes l'entourant, et à l'horreur des expériences. Les hurlements de douleur avaient remplacé les rires, et les plats succulents n'étaient devenus que des rêves éloignés. Il mourait constamment de faim, de soif, et de douleur. Si le suicide n'était pas considéré comme la pire infamie qui soit, pouvant leur refuser la paix éternelle, beaucoup d'entre eux, ceux servant de cobayes à ces opérations monstrueuses, auraient mis fin à leurs jours. Et au fur et à mesure des années, et au fur et à mesure du temps qui passait, Philios perdit quasiment tout. Sa candeur, ses rêves, son innocence, ses pensées, la parole, sa volonté de vivre, ... Petit, il aurait rêvé être chevalier de son frère. Il se voyait déjà gardien du trône de Zelphis, protégeant son frère contre des méchants voulant lui faire du mal ... Et le voilà à souffrir chaque jour un peu plus, condamné à n'être vu que comme un ver de terre que l'on tente de faire mourir de douleur par jeu, comme des enfants martyrisant un insecte pour le plaisir. Les transformer en guerriers Roch, disaient les adultes. Ces oiseaux gigantesques du nord du continent, qui se protégeaient de leurs ennemis en ayant la capacité de se rendre invisibles, leur plumage aussi gris que les montagnes où ils avaient élu séjour. Ils allaient être dotés des pouvoirs et des ailes de Roch, disait-on aussi. Cela pouvait faire si joli, théoriquement. Un soldat ailé capable de se rendre invisible ... Voilà une véritable idée de génie, n'est-ce pas ? Mais en pratique, cela était tout bonnement impossible. Et tous les cobayes mouraient un à un. Et Philios n'attendait plus que ça. Qu'on en finisse. Qu'il cesse de souffrir, et que les Quatre Dieux lui offrent la Paix Éternelle. Mais un jour, la douleur la plus ignoble qu'il n'ait jamais ressenti le frappa de plein fouet. Il avait l'impression qu'on lui arrachait la peau du dos, que chaque parcelle de son maigre et faible corps était transpercé de centaines de milliers d'aiguilles chauffées à blanc. Même les plantes anesthésiantes dont on les gavait pour les rendre apathiques et facile à manipuler ne réussissaient pas à calmer la souffrance. Ses hurlements résonnaient encore à ses oreilles, lui arrachant sanglots et le peu de supplications qu'il possédait encore en lui, jusqu'à ce qu'il s'évanouisse. Mais même dans l'inconscience, la douleur avait continué de le hanter. ''Ça y est'' c'était-il dit. '' Je vais enfin mourir !''

Puis, soudain, la douleur avait cessé. Au début, il avait vraiment cru à sa mort. Puis, il avait réfléchi. Non, il avait toujours un peu mal. Il était encore en vie, alors, vu qu'il respirait avec difficulté. La notion de temps et d'espace avait depuis bien longtemps cessé pour lui, à l'époque. Il savait à peine parler, et son esprit était encore celui d'un petit garçon, prisonnier d'une souffrance qui aurait dû le tuer, et qui a failli le rendre fou. Il dormit beaucoup, plus qu'il n'avait jamais dormi durant toute son existence. À son réveil, il n'était plus dans le sous-sol. Il était dans un endroit grand, sur ... Un lit, apparemment. Plus tard, lorsqu'il fut enfin en état de comprendre, on expliqua à Philios que les souffrances étaient terminées, qu'on l'avait tiré des griffes de ce programme abominable. Et on l'avait fait pour deux grandes raison : la première était la mort au combat de son père face au royaume de Domitien, et l'ascension au trône de son frère, Zelphis, qui avait aussitôt fait cesser les expérience. Et la seconde ... était la complète et sublime réussite qu'il était. La folle expérience censée échouer avait réussi avec lui. Il était devenu le but imaginaire et impossible à atteindre. Un guerrier doté d'ailes de Roch capable de se rendre invisible.

Il avait passé cinq années entre les mains de ses bourreaux. Quand il était sorti, Philios était terrorisé de tout et de rien. De la lumière trop vive du soleil, aux plantes un peu trop étranges, en passant par les voix trop graves ou les mots trop dur. Il était irrécupérable. Mais Zelphis ne l'avait pas abandonné. Lui et sa sœur, Catherina, lui avaient appris à revivre, lentement. Il n'y aurait plus personne capable de lui faire du mal, plus personne, disaient-ils. Lentement, il avait appris à prendre le contrôle de son corps modifié, de ses ailes monstrueuses ... Ça lui avait pris du temps, mais il y était arrivé. Il avait aussi appris à parler, à lire, et à écrire correctement, bien que cela ait pris un temps abominable. Petit à petit, il avait réussi à rattraper tout son retard, sur le reste du monde. Il avait même trouvé une passion et un talent particulier au tir-à-l'arc, et rapidement, Philios était devenu un archer remarquable. Puis, Zelphis, dans le cadre de sa convalescence, lui avait permis de rencontrer Zelmaria, la douce et gentille Oracle des Sables qui était devenue une petite lumière dans sa vie. Mais malgré sa résurrection soudaine, la joie apportée par Zelmaria, Catherina et Zelphis, malgré son statut royal, et la protection que son frère lui offrait, il était toujours un paria sans pouvoir, et un monstre aux ailes immondes. Sans oublier les cauchemars et les hallucinations qui continuaient de le hanter, l'horreur qui jamais vraiment ne le quittait vraiment. Il en eut très vite conscience : jamais il ne sera normal. Et il voyait le regard des gens. Leur dégoût, leur horreur, leur peur, leur appréhension, ou des fois, leur curiosité malsaine. Il n'était pas fait pour être aux côtés de son frère et de sa sœur, jamais. Il n'était pas fait pour être un Caerris. Mais ça ne voulait pas dire qu'il n'était capable de rien. Philios était donc un excellent archer, avait appris à se battre, et ses capacités d'être mi-Roch, mi-Enerien, lui offraient un avantage certain. Il s'était donc engagé au sein de l'armée de Zelphis, en essayant de rester incognito. Mais très rapidement, son frère avait repéré son manège et l'avait sommé de cesser toute histoire de ce genre : « Reste avec nous, il te faut juste du temps pour t'intégrer ... » lui avait dit Catherina. Mais ni elle, ni Zelphis ne comprenait. Aucun d'entre eux ne comprenait qu'il ne serait jamais rien d'autre qu'un être qui n'aurait jamais dû naître, et que l'on haïssait rien que de part son existence, détruit parce ce qu'il avait subit ... C'est alors que Svelja Astrium était entrée dans sa vie. Fille d'un ancien général de son père, qui avait repris son poste à sa mort, elle avait, de part ses nombreuses victoires militaires, une présence respectée et admirée au sein de la cour de Zelphis, qui la courtisait depuis des années déjà. Il tentait sans cesse de s'attirer ses faveurs, lui offrant privilèges sur privilèges, comme le droit d'assister à des audiences privées. Et c'était ce qu'il se passait exactement, lorsque Zelphis l'avait convoqué, lui interdisant toute action, appuyé par les supplications de Catherina. Svelja avait alors pris la parole. Et étant donné son statut, son avis allait être entendu. Philios pensait qu'elle allait l'enfoncer. Cependant, à sa grande surprise, Svelja s'était rangée de son côté, au sens propre, comme au figuré, en venant se placer à sa gauche, son regard fixé dans les yeux de son frère. « Si Philios souhaite devenir un brave guerrier de notre patrie, pourquoi tenter de l'en empêcher ? Laissez-moi évaluer ses capacités. Je serais sa tutrice, et son mentor. Nous verrons les résultats que cela donne à la fin de la saison des glaces ! ». Zelphis avait cédé, et Philios avait quitté la salle du trône aux côtés de Svelja, qui lui avait promis qu'elle avait l'intention de l'entraîner, comme n'importe quel soldat, sans privilèges ou discriminations.Et Svelja ne lui avait pas menti. Elle l'avait entraîné durement, mais toujours avec justesse et gentillesse. Et son admiration pour Svelja n'avait cessé de grandir, le faisant s'entraîner plus durement, avec plus de hargne et de détermination ... Et au début de la saison des glaces, Philios était devenu un soldat accompli de très haut niveau. Zelphis, impressionné, lui avait laissé choisir son affectation. Et il avait désiré rester aux côtés de Svelja. Lui, qui petit, ne rêvait que d'être aux côtés de sa famille, avait fini par la fuir. Finalement, Svelja s'était prise d'affection pour lui. Et il étaient devenus aussi bon amis que possible, elle le voyant comme le petit frère qu'elle n'avait jamais vu, lui la voyant comme la plus belle et la plus merveilleuse dame qui n'ait jamais existé. Au sein de sa brigade, Philios était devenu une sorte de garde de corps pour elle, bien qu'elle n'en ait aucunement besoin, l'équivalent d'un bras droit officieux. Et aux côtés de Svelja, il avait été pour la première fois de sa vie réellement heureux, et ce, pendant si longtemps ... Mais un jour, alors que Svelja était revenue d'une permission spéciale, elle semblait ... Perturbée. Moins souriante, moins douce, moins lumineuse ... Plus triste, plus cynique, plus déchirée. Si auparavant, elle laissait Zelphis la courtiser sans démontrer la moindre réticence, bien que cela la gênait parfois, avait-elle un jour confié à Philios, maintenant, elle ne cessait de le repousser. Même Zelmaria, leur plus proche amie, savait qu'il y avait un problème, mais refusait de lui dire quoi que ce soit à ce sujet. Et plus les jours passaient, plus Philios se rongeait les sangs à propos de sa mentor et meilleure amie. Puis, lors d'un entraînement où Philios a été particulièrement distrait, il s'était violemment démis l'épaule. Et il n'a pu aider et assister Svelja dans l'assaut prévu le lendemain sur une garnison de l'armée Domitienne, basée dans leur territoire. Assaut dont Svelja ne revint pas. Morte. Elle était morte, lui a-t-on annoncé avec désolation. Svelja Astrium, dite la Lumineuse, vue par beaucoup comme étant celle qui aurait dû devenir leur prochaine reine, morte, sur un champ de bataille ? Non, Philios ne pouvait y croire. Il était dans le déni, lui disait-on. Même Svelja la Lumineuse pouvait tomber au combat. Mais Philios n'y croyait pas. Non, non, il n'y croyait pas. Pourtant, au fil des jours, Svelja ne revint pas. Et il dû se rendre à l'évidence ... Sa chère et tendre amie, mentor, alliée ... Morte. Il avait besoin de soutien. Et ce n'était pas chez son frère, renfermé sur lui même depuis la nouvelle, ou chez sa sœur, qui le harcelait pour qu'il quitte ''ses bêtises guerrières'', qu'il le trouverait. Alors il était allé voir Zelmaria. Elle le connaissait depuis quasiment le début de sa ''résurrection''. Elle était ce qui s'approchait le plus d'une petite sœur pour lui. Et elle était quasiment aussi proche de Svelja qu'il l'était. Et il l'avait trouvée en sanglots, aussi détruite que lui par cette perte. L'on interdisait de pleurer ou se désoler d'une mort. C'était blasphème. La mort n'était ni plus ni moins que le retour de l'âme entre les mains des Dieux. Ça n'avait rien de triste, ni de malheureux. Philios comprenait ça, d'une certaine manière. Pour lui c'était logique et naturel que de célébrer une mort, que de ne pas la pleurer. Mais maintenant qu'il avait celle de Svelja sur la conscience, il comprenait mille fois mieux ceux qui blasphémaient. Lui aussi, avait envie de se rouler en boule par terre, de hurler, supplier le retour de Svelja, et se voyait déjà égorger celui, celle ou ceux qui lui avaient ôté la vie ... Mais non. Il n'avait pas le droit. Et jamais de sa vie, il n'avait eu envie de se laisser aller ainsi. Alors ils avaient parlé, Zelmaria et lui. Elle refusait de songer à la possibilité de la mort de Svelja, comme lui quelques temps auparavant. Et plus il essayait de la convaincre, moins son être refusait de s'y plier, et plus Zelmaria le contredisait. Rien n'avait de sens, et il n'avait plus envie de croire en RIEN. En cet instant, pour eux deux, plus rien ne comptait. Alors, pour la première fois de sa vie, sur un coup de tête, Zelmaria avait invoqué ses pouvoirs, pour elle-même. Pour un seul et unique vœu. Savoir qu'était-il véritablement advenu de Svelja Astrium. Et c'est alors qu'au sein même du sable qui tapissait la cellule de son amie, Philios avait vu des figures se faire et se défaire, auxquelles seule Zelmaria pouvait donner un sens. Et au bout de ce qui lui parut une éternité, elle s'effondra, épuisée ... En lui disant que Svelja avait déserté. Philios n'y cru pas une seconde, au début, pas plus qu'il n'avait cru la mort de Svelja. Puis, Zelmaria lui avait raconté ce que le sable lui avait montré. Svelja était tombé amoureuse d'un soldat ennemi durant sa dernière permission, et lorsqu'ils s'étaient retrouvé sur le champ de bataille, ils avaient décidé de fuir ensemble. Et ils vivaient actuellement en paix, dans leur petite cabane en pleine forêt. Philios en avait été estomaqué, bouche bée. Comment avait-elle pu leur faire ça ? Comment Svelja avait-elle pu partir, abandonner son royaume, abandonner sa famille, abandonner son poste, l'abandonner lui ? Il n'avait pas réfléchi plus que ça. Il avait pris avec lui des affaires, de quoi se restaurer, et il était parti sans se retourner, ni prévenir personne, à la recherche de Svelja. Et il avait fini par la retrouver, au sein de cette forêt si grande et intimidante. Son but initial était d'arracher Svelja aux griffes de ce soldat ennemi qui paraissait lui avoir manipulé l'âme. Et finalement, il était resté, pour ne plus jamais repartir, lui aussi. Il se voyait Fenror comme un être abominable, plein de mauvaises intentions, avec peut-être la volonté de tromper Svelja ou de la prendre en otage ... Alors arrivé à la cabane, il avait eu pour ferme intention d'abattre cet étranger aux cheveux écarlates ... Avant de se faire écraser par Svelja. Qui lui avait longuement expliqué toute l'histoire. Philios avait mis du temps à tout digérer. Svelja avait trahi ses convictions, sa famille, et même son Roi, pour un des ennemis principaux de leur patrie, à savoir le second prince du royaume ennemi ... ? Il y avait de quoi devenir dingue. Mais il avait fini par comprendre l'épuisement de Svelja et du dénommé Fenror quant à cette guerre qui semblait durer depuis un peu trop longtemps maintenant. Au prix de leur paix et de leur tranquillité, ils avaient tout deux fait d'énormes sacrifices, d'un égoïsme monstre, dont ils étaient tout deux conscients. Et quand Philios comprit qu'il ne ramènerait pas avec lui Svelja ... Il ne sut plus quoi faire. Retourner auprès de sa famille, pour reprendre son rôle ? Quel rôle avait-il ? Il assistait Svelja. Si Svelja était morte, ça n'avait plus lieux d'être. Il revoyait encore Catherina, le suppliant d'abandonner ces ''stupidités guerrières'' ... Allait-il redevenir le simulacre de prince que Zelphis voulait tant voir à ses côtés ... ? Non, hors de question. Il ne pouvait revenir au palais royal, peu importe combien il voulait revoir Zelmaria ... Car s'il y allait, il ne pourrait plus jamais en repartir. Philios était libre d'aller où il voulait, donc, s'il n'avait plus à revenir au palais. Mais où pouvait-il aller, justement ... ? Il ne connaissait du royaume que le château et ses affreux sous-sols, en plus des champs de bataille. Et ... Cette forêt. Alors une idée lui vient. Une idée qu'il osa soumettre à Svelja et Fenror. Et les deux acceptèrent sa présence avec eux, au sein de la forêt. Et Philios n'était pas reparti. Il s'était même beaucoup rapproché de Fenror. Celui qu'il prenait pour un assassin cruel et vicieux s'était révélé être une personne généreuse et énergique, à l'humour plus que douteux. Ne voulant faire irruption dans leur bonheur commun plus qu'il ne l'avait déjà fait, Philios se construisit une sorte de petit nid à même les arbres de la clairière, non loin de la maison, qu'il baptisa ''le Cocon''. Et rapidement, il se fit à sa nouvelle vie à la cabane. Les journées s'écoulaient paisiblement sans que plus rien ne vienne le troubler ... Plus de regards en coin d'autres personnes dégoûtées par sa nature, plus de supplications interminables de sa sœur, plus de batailles incessantes, plus de murmures sur son passage, portant sur le fait qu'il n'avait rien à faire aux côtés de Svelja ... Plus de tout ça. Maintenant, et définitivement, il était libre. Son frère et sa sœur avait tenté de lui offrir la liberté, mais jamais il ne l'avait vraiment ressenti qu'en cet instant. Certes, parfois, son ancienne vie lui manquait. Zelmaria lui manquait, la serre à oiseaux de Catherina lui manquait, certains mets préparés par le chef royal lui manquait ... Mais il était infiniment mieux ici, mieux qu'il ne l'avait jamais été auparavant. Il laissait les regrets derrière lui, et accueillait sa nouvelle vie avec joie et sérénité. Les ennuis étaient enfin derrière lui ... Puis, il l'avait rencontré elle. Almarica. Et c'est à peu près à cette période que les ennuis recommencèrent.

Almarica ... Sa tête pulsa. Quelque chose n'allait définitivement pas. Ce n'était pas un simple mal de tête. C'était beaucoup trop douloureux pour ça. Il essaya de bouger les bras, les jambes, mais tout était si lent et mou ... Soudain, il sentit qu'on le soulevait, de quelque peu, maladroitement. Il lâcha un gémissement de douleur, et il sentit quelque chose de chaud et désagréable lui couler sur le visage. Par réflexe, il lécha les gouttes tombées sur ses lèvres, et faillit s'étrangler en percevant ce goût métallique si caractéristique du sang. Pourquoi du sang gouttait-il sur son visage ?

Il réussit à entrouvrir les yeux, et se trouva quasi nez à nez avec Almarica. Il aurait reconnu les prunelles violette de son amie entre mille. En voyant ses yeux ouverts, elle laissa échapper un sanglot de soulagement évident, et sourit alors faiblement.

- Par les Quatre Dieux, Philios ... J'ai eu si peur, lui susurra-t-elle en dégageant quelques mèches qui lui tombaient devant les yeux.

Il cligna plusieurs fois des yeux, et se rendit alors compte qu'il était actuellement, allongé par terre, sa tête reposant sur les jambes de la jeune fille. Cela expliquait le brusque mouvement ... Il tenta de bouger légèrement la tête, mais de violents vertiges faillirent le renvoyer dans l'inconscience.

- Non, non, non, surtout ne bouge pas ! le pressa doucement Almarica. Tu saignes abondamment de la tête. Tu ne te souviens pas de ce qui est arrivé ?

Il fronça les sourcils, et petit à petit, ça lui revint. Le feu, les bandits, Almarica et Zelmaria, l'arbre, leur conversation, son arc bandé ... puis le choc et la chute. Il aurait pu en crever.

- Pour l'amour d'Aburilès, tu es vivant, couina une autre voix, familière.

Il tourna lentement la tête, et une Zelmaria ruisselante de larmes entra dans son champ de vision. Elle porta une main enchaînée à ses lèvres, à la fois paniquée et soulagée. Une main enchaînée. De son esprit embrumé émergea un sentiment de colère et de frustration. On l'avait encore enchaîné. ENCORE.

- I-il va bien ?

- Je ne sais pas ... Si seulement j'avais mes plantes et un peu de lumière ...

Philios détourna son attention d'elles et tourna encore un peu la tête malgré la douleur, pour se retrouver quasiment face à un mur de terre. Du dos de sa main, il caressa le sol, poussiéreux, et froid. Il redressa lentement la tête et regarda en l'air. Hormis les visages inquiets de ses amies, il distingua une sorte de toit de chaume et de paille, clairement fait à la va vite, d'où filtrait des traits de lumière. Le jour s'était donc levé. Combien de temps était-il resté inconscient ?

- Où sommes-nous ? coassa-t-il.

- Dans le ''village'' de ces fichus malotrus, siffla Zelmaria, plus hystérique qu'en colère.

Elle était couverte de terre, et sa belle tresse était presque complètement défaite. Malotrus. Les bandits les avaient donc amené chez eux ?

- Ils nous ont jetés ici avec toi, et nous on accrochés au mur, pieds et mains, chuchota Almarica en levant vers lui ses deux poignets attachés par de longues et lourdes chaînes rouillées.

Philios avisa qu'Almarica était aussi enchaînée. Un sentiment qu'il ne réussit à identifier brûla à l'intérieur de lui, et soudainement, il se dit que Fenror et Svelja avaient été bien trop indulgents avec eux. Il allait tous les massacrer un à un. Enfin, quand il parviendrait à se mettre debout, et avoir un minimum d'énergie suffisante pour pouvoir lever le bras. Il était pathétiquement faible, et il haïssait ça. La dernière fois qu'il s'était senti aussi incapable, il était encore entre les mains de ... À ce souvenir, une bouffée de panique intense s'empara de lui, et soudainement, il eut l'impression de manquer d'air. Son état déjà faible, plus ça ... De petits points noirs dansaient devant ses yeux. Non, non. Ça revenait, ça revenait, ils étaient là, ils ...

- Philios ? Philios ! s'affola soudainement Zelmaria, qui lui prit alors une main, et la serra de toutes ses forces.

Il la serra en retour, respirant par à coups, les points noirs grossissant, grossissant ... Il les revoyait encore, il revoyait leurs mains, il entendait les cris, les supplications ... Non, non. Il n'était plus là-bas. Il était ici. Mais ça semblait si ... « Non, non. Arrête. », se martela-t-il. « Tu es avec Zel et Al. Tu n'es plus là-bas, c'est fini, tout ça. C'est fini. »

Et comme pour se le prouver, il se raccrocha à la main de Zelmaria, de toutes ses forces, seul ancrage possible entre la réalité et son délire intrusif, meurtrier de son âme. Soudain, un nouveau contact physique s'établit, le faisant presque sursauter. Était-ce un délire ? Non. Non, ce n'en était pas un. Son être bouillant se réjouissait de la caresse presque glaciale sur son front. Il serra la main de Zelmaria plus fort, et s'imagina porter son autre main sur son front, serrant les fins doigts d'Almarica tout aussi fort ... Rien n'était réel. Rien n'était réel, sauf ces deux mains. Rien n'était réel, sauf Almarica, et Zelmaria.

* * * * *

Judith laissait son regard courir sur le paysage qui défilait à toute vitesse sous ses yeux, le talon de sa bottine impatiente claquant à un rythme régulier sur le sol, rythmant ses pensées. Presque, presque, presque. Cela faisait presque sept mois qu'elle se répétait ce mot en boucle, sans voir la fin de sa mission approcher. Et enfin, ENFIN, elle y parvenait, maintenant. Encore, rien qu'un petit effort ... Elle se revit alors toute petite, dans le bureau de sa grand-mère, se dressant sur la pointe de ses pieds pour assouvir sa curiosité purement enfantine en voyant la vieille femme burinée par le soleil aux cheveux grisonnant, planchant sur ses croquis et ses notes, presque terrassée. À l'époque, Judith avait pris ça pour de la concentration, trop petite encore pour comprendre ce qu'était le désespoir. « Tu va y arriver, Seanmhá' ? », ne cessait-elle de lui répéter à longueur de journée. Et elle relevait alors la tête, un sourire factice illuminant son visage fatigué. « L'espoir fait vivre, honey. L'espoir fait vivre. », lui répondait-elle inlassablement. Ce n'est que bien plus tard que Judith prit conscience du poids qui devait alors peser sur les épaules de sa chère et tendre Seanmhá', comme elle l'appelait, à l'époque ... Et dieu, qu'elle regrettait ne pas en avoir pris conscience plus tôt ... Mais à huit ans, tout ce que Judith voyait, c'était le travail immensément précieux de sa tendre grand-mère, et les bonbons que celle-ci lui donnait quand elle lui rendait visite. Sa langue dansa dans sa bouche, se souvenant des petits morceaux de sucre acidulés qu'elle faisait rouler sur sa langue en inspectant, les yeux grands ouverts, les splendides enluminures des vieux manuscrits de sa grand-mère chérie ...

- Euh ... M-mademoiselle Judith ?

Elle revint à la réalité, et se tourna vers Karen, assise en face d'elle, dans leur cabine. Elle déglutit avec difficulté, lissa une mèche rebelle, frotta une paume moite contre son pantalon, son regard volant un peu partout dans le petit wagon. Sa nervosité amusait Judith. La jeune demoiselle paraissait complètement perdue, et surtout, très mal à l'aise. Un élan de compassion la poussa à lui répondre.

- Oui ?

Elle sursauta, comme électrocutée. Elle déglutit bruyamment, à nouveau.

- Euh ... Je ... Je voulais savoir ... P-pourquoi m'avoir demandé de ... venir avec vous ? Dans votre cabine je veux dire, s'empressa de répondre la jeune femme, butant sur chaque mots, son visage ayant viré au cramoisi, son regard rivé sur la moquette au sol.

Malgré elle, Judith ne put s'empêcher de sourire. Fut un temps où elle aurait pu être à sa place ...

- Et bien, j'ai été fort impressionnée par votre idée, pour être honnête. Je ne fais guère confiance à ce genre de chose. Les Réseaux Sociaux ne me paraissaient pas assez fiables. J'ai eu tort, et vous avez eu l'intelligence d'ouvrir votre esprit à cela. Je ne peux que le reconnaître.

La pauvre Karen en était rouge jusqu'aux oreilles. C'en était presque comique.

- Et donc, reprit-elle, j'ai eu envie de vous demander comment cette idée vous était venue.

Elle l'avait un peu informé quant à ce sujet avant qu'elle ne le lui donne son appareil, mais Judith avait envie d'entre un récit un peu plus détaillé.

- Et bien ... J'étais en train de faire ce que vous me demandiez ... Mais c'était frustrant, de ne rien trouver. Véritablement frustrant. Comme si ces enfants s'étaient évaporés dans les airs ... Mais ils sont des Elements. Et bien que les Elements aient parfois tendance à se cacher ... Je sais pas. Ils sont particuliers ? On passe rarement inaperçu, quand on ne fait pas attention. Et on connaissait leur noms, peut-être avaient-ils des réseaux sociaux, peut-être avaient-ils posté un commentaire ou quoi, durant tout ce temps ? En désespoir de cause, je me suis mise à écumer les réseaux sociaux dans l'espoir de trouver quelque chose et j'ai fini pour tomber sur ça pour ... Vous l'amener. C'était stupide, comme idée. C'est immense, les réseaux sociaux, mais je me suis dit que s'ils étaient assez intelligents pour esquiver les caméras de sécurité, peut-être ne l'étaient-ils pas assez pour les objectifs en général ?

Judith hocha la tête, comprenant la démarche. Alors qu'elle attendait la demoiselle à la réception, elle avait réussi à pirater plusieurs caméras de sécurité de la ville où avaient atterri ses cibles. Et alors qu'elle en inspectait une surplombant ce qui devait être un motel, elle reconnu le groupe sans difficulté, l'air en grande discussion. L'une d'entre eux finit par se détacher du groupe et les emmena du côté d'une ruelle sombre avec impatience. Judith tremblait d'excitation. Elle avait hâte que tout cela se termine. Elle croisa les jambes et cala son menton sur son poing, son coude reposant contre la paroi matelassé du wagon. Elle avait hâte d'arriver, mais en attendant, il fallait bien admettre que cette jeune Karen attisait sa curiosité.

- D'où venez vous, Karen ?

- D-du Paraguay, madame.

- Le Paraguay ? s'étonna Judith en haussant les sourcils. C'est fort loin d'ici !

Étrangement, très peu de ressortissants Elements Sud Américain avaient rejoint leurs rangs. Un infime pourcentage. Elle n'en avait même jamais rencontré. Qu'est-ce qui avait bien pu attirer Karen chez eux ? L'argent, le salaire élevé promis aux nouvelles têtes qui attirait toujours plus de monde ? La promesse de gloire et de pouvoir ? Avait-elle une dent contre le conseil ?

- Et bien ... finit par répondre Karen. C'est mon père. Il était membre des Saint Souls. Il s'était engagé durant les années soixante, dans l'espoir de rapporter un peu plus de monnaie au foyer. Puis ... Il s'est passionné pour l'objectif premier des Saint Souls. Trouver Eneria.

Judith tressaillit. La plupart d'entre eux n'était pas passionnée par Eneria, ou n'avait même pas conscience de la recherche de cette légende. Ils n'étaient là que pour la violence offerte contre le Conseil, les richesses, la promesse de supériorité ... Pas la recherche de leurs racines ou de ce continent légendaire.

- Pourquoi fut-il aussi passionné par cette quête ? demanda Judith, perdant son ton neutre.

- Il entendait son responsable en parler. Quasiment tout le temps. Il hurlait que retrouver la terre de leurs ancêtres était là le but le plus louable qu'il ait eu durant sa longue vie ... Alors mon père a creusé plus profondément et ... A découvert que ce but le passionnait tout autant. Retrouver Eneria ... Il aurait tout donné pour que cette découverte arrive de son temps.

Judith ne réagit pas au sous-entendu, l'esprit en ébullition. La jeune Karen s'éclaircit la voix, l'air particulièrement mal à l'aise.

- Sa passion m'a été communiquée lorsque je fus en âge de comprendre ce que cela pouvait bien signifier ... Mais je n'avais pas vu ça comme étant l'objectif de ma vie, jusqu'à très récemment. Lorsqu'il nous quitta ... J'ai eu l'impression de recevoir une révélation. Je devais prendre la relève, je me le devais. Pour lui, et son but ultime. J'ai plaqué mon job, et je me suis engagée. Bien sûr, les Saint Souls ne sont pas les meilleures personnes qui soient, je m'en aperçois tous les jours un peu plus ... Mais je crois en leur but louable. Retrouver Eneria, et prouver au monde entier que ce soit-disant continent légendaire n'en est pas un. Vous rendez-vous compte ? Toutes les coutumes ensevelies, les explications sans réponses, les mystères irrésolus ... On ne cesse de nous rabattre à tout bout de champ qu'Eneria n'est qu'un tissu de mensonges, que nos origines ne sont pas bien différentes des humains, que nous ne sommes qu'une ''espèce'' plus ''évoluée'' et ''avancée'' qu'eux ... Mais je n'y crois guère. Nous sommes pareils que les humains, avec nos pouvoir en plus. Taita ... Euh, mon père, je veux dire, était plus qu'en colère contre l'interdiction du Conseil que de rechercher ces terres mythiques. Pour lui, ça n'avait aucun sens que de nous empêcher d'accomplir un but aussi noble. Surtout si le principal argument en faveur de cette interdiction était le risque d'attirer à nous l'attention de la communauté humaine. Avant la création du Conseil, des centaines d'autres personnes avaient bien passé des siècles à tenter de retracer le parcours de notre peuple jusqu'à nos jours ! Je veux découvrir la vérité quant à nos origines.

Judith ferma les yeux. Si elle savait ... ! Rezher n'était pas intéressé par le patrimoine que renfermait Eneria. Non, son intérêt principal résidait en la force et le pouvoir que pourrait lui offrir Bellum. On le raconte scellé sur Eneria depuis bientôt huit millénaires. Sa puissance, tant recherchée par Rezher, lui servirait à rétablir sa supériorité sur le Conseil, à écraser ses bureaucrates ridicules, et à faire sortir de l'ombre ''leur peuple depuis bien trop longtemps oppressé par ces homos sapiens égoïstes et sans foi ni loi''. Judith n'était pas de cet avis. Mais là n'était pas la question. Elle ne pensait pas que la recherche d'Eneria en un but aussi noble que de simplement accumuler plus de savoir et découvrir plus de vérité intéressait quiconque à part elle. Elle s'était trompée, il fallait croire.

- Et vous miss ? Pourquoi êtes-vous engagée chez les Saint Souls ?

Judith rouvrit les yeux pour trouver sur le visage de Karen une expression de curiosité innocente toute particulière ... Qui vira rapidement en gêne très profonde, une nouvelle teinte de rouge particulière.

- J-je suis désolée, cette question ne se pose ...

Judith leva la main pour l'arrêter, et changea à nouveau de position.

- Ma grand-mère était une archéologue spécialisée dans Eneria. J'ai grandi dans son bureau d'étude, à l'entendre me raconter ses suppositions et théories, ses histoires de fouilles, ses travaux ... Elle rayonnait. Mais elle faisait tout cela en secret, dissimulé sous couvert d'autres missions, consciente de l'illégalité de ses objectif. Et c'est alors que le pire arriva. Quelqu'un dut la dénoncer, ou elle fit un faux pas, ou manqua de discrétion ... Toujours est-il que le Conseil la repéra. Des agents vinrent confisquer tous ses travaux, tous ses essais, toutes ses notes ... Elle perdit tout. Sa réputation, sa maison, ses amis, sa famille ... Même sa fille, ma mère, la renia. Et c'est ce qui finit par la tuer. Six mois plus tard, une crise cardiaque la terrassa. Ma grand-mère était une archéologue de génie et ses compétences valaient mille fois celles de n'importe quel barbu prétentieux sur cette terre. Son enterrement aurait dû se faire en grande pompe, la communauté entière aurait dû la pleurer ... Mais nous n'étions que quatre. Elle fut enterrée discrètement dans un petit cimetière d'Angleterre par un jour brumeux. Plus personne ne voulait entendre parler d'elle. Et je ne l'ai pas supporté. Ma mère a tenté de m'en empêcher, mais j'ai repris tous les travaux de ma grand-mère, sans doute partis en fumée. Je partais de zéro. Mais je les avais lu et relu un nombre incalculable de fois. Je les connaissais quasiment par cœur. Ce ne fut qu'une question de temps, pour moi, que de les retranscrire. Et un jour, j'ai entendu parler des Saint Souls, de leur but ... Je me suis engagée. J'ai grimpé les échelons très rapidement, et dix ans plus tard, j'en suis là. Et je sais que après tout ce temps, nous touchons au but.

Judith se fichait du reste. Elle se fichait de tout. Elle voulait juste accomplir le rêve de sa grand-mère, et détruire ceux qui l'avait détruite. Peu importe ce que cela lui coûterait. Peu importe qu'elle poursuive de pauvres adolescents qui n'avaient rien demandé à personne. Peu importe que soit relâché une puissance monstrueuse au nom aussi ancestral qu'évocateur de douleur. Peu importe qu'elle se salisse les mains en ce faisant. Peu importait tout ça. Seul son but comptait : prouver au monde entier que sa grand-mère n'était pas une folle sénile, et anéantir jusqu'aux cendres le Conseil des Elements. Et elle y arriverait.

- Je suis désolée pour votre grand-mère, Miss ... lui murmura Karen, d'un ton empli de compassion et de sincérité. Votre grand-mère ... était-elle ... Lily Verdana ?

Judith hocha la tête. Karen la hocha en retour.

- J'ai déjà entendu parler d'elle de part mon père ... Il se désolait de ce qui lui était arrivé ... Et se disait qu'il aurait aimé l'aider dans ses travaux. Parler avec elle de ses découvertes, ses idées et suppositions ... Il disait aussi qu'elle devait être une brave dame. Il avait beaucoup d'admiration pour elle.

Plus brave que n'importe qui d'autre, en effet. Il y a quelque instants, Karen ne lui paraissait être qu'une jeune femme un peu timide et maladroite. Apprendre tout cela l'avait faite changer d'opinion. Avoir quelqu'un comme elle dans son entourage ... Cela faisait du bien, réalisa-t-elle.

- Et ... vous dîtes être familière avec ce qu'a accompli votre grand-mère ?

- Oui.

- Pouvez-vous m'en parler, s'il vous plaît ? lui demanda-t-elle en un souffle, le regard brillant.

Judith prit une grande inspiration. Après tout, pourquoi pas ? Karen Flores était la seule mis à part elle à s'être intéressée à sa défunte grand-mère. Et elle avait besoin de partager tout cela avec quelqu'un.

- Et bien, par où commencer ...

* * * * *

Almarica était fulminante, et Ash commençait sérieusement à en avoir marre. Les voilà jetés comme des malpropres, sans toit au dessus de la tête pour la nuit. Crìs grommelait qu'il se voyait déjà dormir à la belle étoile, et Sheena proposait d'aller voir à la mairie si quelque chose pouvait être fait. Lui baissa le regard vers l'herbe verte, en lâchant une longue expiration. Savoir Helen en sécurité lui faisait du bien ... Mais il restait très inquiet. Lui aussi, n'avait qu'une envie, c'était de rentrer. C'est alors que la porte d'entrée s'ouvrit de nouveau. Ils levèrent tous la tête vers le nouvel arrivant, perplexe. Un jeune homme à la peau tannée par le soleil, qui devait avoir la vingtaine, probablement. Pieds nus, vêtu d'un jean sombre et d'un simple tee-shirt, il se tenait sur le haut du perron en les regardant curieusement, la vieille dame derrière lui regardant la scène avec horreur. Il les fixait en plissant les yeux, penché en avant, ses mains posées sur les hanches, en une expression concentrée. Puis, il se redressa soudainement en claquant des doigts, et sortit de la poche arrière de son jean une vieille paire de lunettes l'air tout droit sortie des années quatre-vingt, avant de les mettre avec un air de contentement non feint. Ses yeux gris perle se posèrent tour à tour sur chacun d'entre eux avec une attention assez perturbante, quand Almarica finit par prendre la parole.

- Hum ... Bonjour ?

- Ah ! Oui, bonjour, pardon ! s'écria le jeune homme d'une voix très énergique et enjouée.

Il descendit les marches rapidement et fut sur eux en deux enjambées. Il secoua vivement la main d'Almarica avec un grand sourire. À voir sa tête, elle devait probablement se demander si elle allait lui mettre son poing dans la figure ou non ...

- Qui êtes vous ? leur demanda-t-il enfin.

- ... Euh, c'est une longue histoire, intervint alors Sheena de sa toute petite voix.

Il se tourna vers elle et pencha la tête sur le côté, quelques mèches de cheveux noirs s'échappant d'une sorte de chignon qu'il avait noué sur sa nuque.

- Bah ça alors. Une Reine des Glaces.

Elle sursauta et Ash soupira à nouveau. Bah bien sûr, un Element. Foudre ou air avec de tels yeux, sans doute. L'étranger se retourna vers Almarica, qu'il observait avec une attention toute particulière, et Ash ressentit en lui une sorte d'appréhension étrange. Ce type tournait pas rond, et ne lui inspirait certainement pas confiance.

- Pourquoi vous êtes là ?

- À cause de l'Inexistante, répondit Romy en s'avançant un peu, toisant l'inconnu avec méfiance.

Ce dernier ne fit pas un geste, n'eut aucune réaction. Puis au bout de quelques secondes, il prit une grande inspiration, et se retourna vers la vieille dame, droite comme un I, les bras croisés, l'expression coléreuse. Elle secoua vivement la tête, et l'inconnu se contenta de hausser les épaules.

- Ils ne ...

- Je ne veux pas t'entendre. Tu es désagréable au possible, Rina. Une vraie mégère, répliqua-t-il d'un ton placide, la coupant sans vergogne.

Ash ne put s'empêcher d'être surpris. Il avait beau être un gosse pas forcément très bien élevé, voir quelqu'un parler ainsi à une personne âgée, aussi ''désagréable'' soit-elle le ... dérangea.

- Mais je ne ...

- Ça suffit ! N'oublie pas pourquoi on est là et grâce à qui. Sans elle nous ne serions probablement même plus en vie à l'heure actuelle, continua-t-il sur un ton égal en se retournant vers elle, les mains dans les poches de son jean.

Elle se contenta de le regarder droit dans les yeux durant une poignée de secondes avant de faire volte-face et de claquer la porte derrière elle sans ménagement. Il poussa un long soupir et grimaça de quelque peu.

- Désolé. Rina a horreur des étrangers. Faut pas lui vouloir, elle est juste très impétueuse.

Il se retourna à nouveau vers eux tranquillement, avec un petit sourire au coin des lèvres. Il ne paraissait absolument pas ressentir la tension et le malaise ambiant. Cet énergumène l'épuisait déjà. Dans quel pétrin Brunette les avait-elle envoyés ?

- Appelez moi Zack. Heureux de vous rencontrer, jeunes gens. J'aimerais beaucoup vous inviter à rentrer mais je crois que Rina a fermé la porte à clé, déclara le jeune homme sans se départir de son sourire en s'asseyant sur la dernière marche du perron.

Ash regrettait beaucoup Julian. L'Inexistante avait vraiment un don pour se lier avec des gens aussi atypiques que particuliers ...

- Bon, alors, je peux faire quoi pour vous ? Enfin, on peut faire quoi pour vous.

- Euh ... On est vraiment enfermés dehors ? demanda Romy, les yeux ronds.

Zack haussa de nouveau les épaules.

- Bah, elle viendra nous rouvrir quand elle sera calmée. Ou alors on pourra passer par la porte de derrière. Mais en dernier recours on peut toujours casser un carreau.

Ciela lui jeta un regard qui en disait long sur son état d'esprit. Ce type était vraiment bizarre ... Il claqua dans ses mains, attirant leur attention.

- Restez pas plantés là comme des palmiers ! Asseyez-vous, l'herbe est confortable. J'aimerais avoir des chaises et des petits biscuits à vous proposer mais bon, ce sera pour plus tard.

Leedna fut la première à obtempérer et s'assit gracieusement sur le sol en croisant les jambes, aussi droite qu'à son habitude. Rapidement, ils la rejoignirent, et Ash s'étira avec délice. Les sièges avaient beau être confortables dans le train, le plancher des vaches, il n'y avait que ça de vrai.

- Par contre, j'ai des questions. Vous venez d'où ?

Un silence gênant s'installait. Si avec Julian ils n'avaient eu aucun problème à tout déballer, avec lui, ça allait certainement être plus complexe ...

- Euh ... J'ai un message de la part de l'Inexistante, marmonna Almarica.

- Ah oui ?

- Euh ... Oui. Elle disait qu'il était temps pour Sunset Mansion.

Zack vrilla son regard sur Almarica avec une telle intensité qu'elle eut un mouvement de recul. Puis, il ferma les yeux, et croisa ses chevilles en étendant ses jambes devant lui, avant de lever la tête vers le ciel. Quand il se tourna de nouveau vers eux, son expression curieuse avait été remplacée par une moue sombre. Il brillait dans son regard une lueur peu chaleureuse ...

- Il s'est passé quoi ?

- Un fou furieux a tenté d'envahir l'île de la Saint Elena Academy en Décembre à cause d'un conte pour grand-mère ! résuma très sommairement Romy.

- Un conte pour grand-mère ? répéta Zack, surpris.

Ash prit la parole pour la première fois, un peu blasé par la situation.

- La recherche d'Eneria.

Cette fois-ci, le jeune homme ne put retenir sa surprise. Il ouvrit de grands yeux avant d'enlever ses lunettes pour les essuyer avec son tee-shirt, les lèvres pincées.

- Rezher Ombrien, se contenta-t-il de répondre.

- Vous le connaissez ? s'étonna Romy.

- Toute la communauté connaît ce fanatique. Quand j'ai appris ce qui est arrivé au Conseil il y a quelques jours ... J'ai su que les soucis allaient arriver. Pas que l'Inexistante m'enverrait un commando de gosses. Sunset Mansion ... C'est pas n'importe quoi, et c'est pas pour n'importe qui.

- Écoute, nous, on s'en contrefout de tout ça, mec. Tout ce qu'on voulait c'était délivrer cette saloperie de message, arriver ici, et repartir à la maison ! fulmina Crìs en bondissant sur ses pieds. On vient de New York jusqu'ici, à l'aveugle, pour fuir les Saint Souls et parce que la gamine nous a dit de le faire !

- Pourquoi vous fuyez les Saint Souls ?

- Parce qu'ils ont déjà tenté de nous tuer à plusieurs reprises ! répondit leur ami du tact au tact, sa voix montant d'un octave.

- Elle disait qu'on aurait ... des réponses ici, renchérit Ciela.

Ils étaient tous épuisés, sur les nerfs, et Sheena paraissait être à deux doigts des larmes, le petit journal de sa sœur serré contre sa poitrine.

- Nous ne sommes pas une menace, mais eux, si. Et j'espère que tu en as bien conscience, se fit alors entendre Leedna, d'une voix froide et sèche.

Zack l'observa alors et se mit lentement à gonfler ses joues, rentrant la tête dans ses épaules, tel un hamster à moitié tortue. Il remua un peu une de ses chevilles, et expira bruyamment.

- Ah. Je vois. Les problèmes arrivent, c'est ça ?

- Oui.

- J'aurais aimé que ça n'arrive pas.

- Bien fait pour toi ! lui siffla-t-elle, en proie à une animosité jamais vu chez Leedna auparavant.

- ... Je n'ai rien demandé.

- Nous non plus.

Une expression peinée passa alors sur le visage de Zack, les surprenant tous. Puis Leedna se releva d'un bon, se dressant de toute la hauteur d'Amélia, le pointant du doigt d'un regard accusateur.

- C'est de ta faute, toute cette histoire, n'est-ce pas ? Tout est à cause de toi. Tu n'as pas le moindre intérêt à ... À ... vacilla alors Leedna, soudainement bien moins droite et fière.

C'est alors qu'elle se plia vivement en deux, et s'affaissa à terre sans un bruit. Romy prit une inspiration bruyante en se jetant sur le corps d'Amélia, une expression affolée plaquée sur son visage. Il la retourna, la prenant contre lui ... avant de laisser échapper un hoquet de stupeur. Ash bondit à côté d'eux, inquiet ... avant de constater avec surprise ... Que le gris de la chevelure de Leedna virait petit à petit au brun foncé d'Amélia. Ash releva son regard pour rencontrer celui de Crìs, et de ses amis. Ça ne pouvait vouloir dire qu'une chose. Amélia se réveillait.

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BON. LE CHAPITRE EST TERMINÉ ! CLAP DE FIN, TOUT LE MONDE S'EN VA, ALLEZ ZOU !

Ouais non, pas tout de suite quand même.

J'espère que vous avez passé une bonne rentrée ! Vous vous êtes fait des amis ? Vous avez de bons profs ?

Bon, et bien dans ce chapitre, on fait un peu plus connaissance avec le passé lointain de Philios qui est quelque peu morbide, avouons-le, et de l'étrange Zack. Alors, ami ou ennemi ? Les deux ? Ou ni l'un ni l'autre ? En tout cas, il est un des pivots de cette histoire ... Je suis curieuse de votre avis à son sujet !

Bon, vous vous souvenez du tome 02 tout ça tout ça ? Et bien je crois que la fin approche. Si on veut hein. La dernière fois que j'ai dis ça, j'étais au chapitre 50 de S.E.A. Et il en contient 80, alors bon ...

Tout ça pour dire ! On approche d'un gros truc et j'ai hâte héhé ...

Je vous remercie d'avoir patienté aussi longtemps, et pour toute l'attention et l'amour envoyés. Vous êtes de vrais trésors. Merci infiniment, à tous. Me voici de retour, et pour de bon j'espère !

À la prochaine, bande d'haricots sauteurs !

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