Chapitre 19 : une fleur abîmée.

« S'il y avait bien une chose qu'Almarica aimait quand elle se permettait d'aller au village pour troquer ses soins et ses potions contre des choses plus triviales, c'est qu'elle avait toujours ne serait-ce que la moindre chance de croiser un Ishtar, ces incroyables conteurs itinérants qu'elle admirait depuis toute petite. Ce jour-là, sur la place du village se trouvait l'un d'entre eux. Entouré de toute la marmaille du village et de certains voyageurs ou habitants ayant le luxe de se permettre un petit moment de pause, l'Ishtar racontait avec moult détails une légende passionnante qui mettait en scène un courageux paysan combattant un fier Rokh monstrueusement géant. Cette légende, Almarica la connaissait déjà, mais ça ne l'empêcha pas de l'écouter de nouveau. L'avantage avec les Ishtar, c'était que la même histoire pouvait être racontée encore et encore sans qu'elle ne soit jamais vraiment la même. Chaque Ishtar avait sa propre manière de raconter son histoire, sa propre manière de dérouler son récit, de provoquer les émotions chez ses auditeurs ... C'était chez elle, ce qui lui plaisait le plus à leur propos. Elle ferma les yeux, et se laissa aller à ses divagations anciennes, retrouvant avec plaisir ses rêves enfantins, où elle s'imaginait des années auparavant devenir une Ishtar, vivant de l'aumône généreuse de ses auditeurs, nomade heureuse, naviguant à travers le continent, à la recherche de toujours plus d'histoires à raconter, la tête pleine d'étoiles et de mots ... L'époque bénie où elle n'avait pas encore compris que son rêve n'en était bel et bien qu'un.

- Tu es là ?

Surprise, elle sursauta, relevant vivement la tête. Elle gronda méchamment en reconnaissant cette tête orangée et l'ignorant tout bonnement, se reconcentra sur l'Ishtar. L'autre poussa un soupir appuyé et se laissa tomber à côté d'elle, tentant d'attraper des bribes du récit du Conteur, de saisir l'histoire dans son détail. Du coin de l'œil, Almarica saisit la confusion qui paraissait sur le visage de Philios avec un sourire en coin.

- C'est l'histoire du Roi Rokh.

Il sursauta, sans doute surpris de la voir lui adresser la parole, et lui répondit par un hochement de tête, la confusion quittant son visage, mais pas son regard.

- ... Tu ne connais pas l'histoire, hein ?

L'archer grimaça en secouant rapidement la tête. Almarica souffla exagérément et commença à lui raconter l'histoire rapidement. Ce qui devait être un simple résumé se changea rapidement en récit complet. Prise dans l'histoire qu'elle racontait, Almarica ne se rendit pas compte de la fin du récit, du départ de l'Ishtar, ni de la dispersion des badauds, retournés à leurs activités habituelles. N'existait plus pour elle que son conte et son unique auditeur.

- Mais le paysan ne se laissa pas faire. Et avec une dextérité digne des plus grands guerriers, il assomma le Rokh, poussant l'oiseau géant dans les abîmes sombres du Ravin Sans-Fond. Acclamé dorénavant par ceux qui ne voyaient en lui qu'un idiot fainéant, le paysan devint dès lors le héros sans peur aux milles ruses, respecté aux quatre coins du royaume pour son exploit inouï.

Almarica expira lentement, reprenant son souffle égrainé au rythme de son long récit. Ce ne fut que lorsque Philios s'en rendit compte et comprit que l'histoire était terminée qu'il l'applaudit, ses prunelles vert feuille scintillant comme un joyau.

- Mais ... quoi ? balbutia Almarica surprise.

- C'était incroyable ! J'étais suspendu à tes lèvres ! Almarica, c'était ... j'ai pas les mots ! Je n'ai pas décroché un seul instant ! Où donc as-tu appris à raconter ainsi ?

Almarica attrapa l'une de ses mèches de jais et commença à la lisser, tentant de cacher sa gêne ... et le rouge qui lui montait aux joues.

- Hum ... Et bien ... Toute seule. Je suppose ? J'aime beaucoup les légendes alors ... Petite ... J'écoutais souvent les Ishtars qui venaient au ... enfin chez mon père, dit-elle en jetant un coup d'œil circulaire autour d'elle, s'assurant que personne ne les écoute.

- Tu as un vrai talent pour ça, Almarica ! J'ai adoré t'écouter. Je suis sûr que d'autres adoreraient également ! Pourquoi est-ce que tu n'as jamais tenté de raconter d'autres histoires auparavant ?

Almarica scruta Philios quelques instants, assez surprise. Était-ce un coup bas ? Non ... Ça n'y ressemblait pas. Le meilleur ami de son frère était réellement impressionné par le récit qu'elle venait de lui fournir. Impressionné et ... Amusé ? Non ... Pas amusé ... L'histoire qu'elle lui avait racontée ... Lui avait plu. Il avait aimé l'entendre. Il avait aimé qu'elle lui raconte l'histoire.

Au fond d'elle, Almarica sentit une petite chaleur naître, et un sentiment de joie intense l'envahit. Quelqu'un avait aimé qu'elle raconte l'histoire. Quelqu'un, qui en plus, n'avait aucune bonne raison de la flatter ou de vouloir s'attirer ses faveurs en louant son récit, comme bon nombre de courtisans l'avait fait quand elle était toute petite et qu'elle s'amusait encore à jouer à l'Ishtar. Il ... avait réellement aimé l'écouter.

- Je ... Je l'ai fait ... Une ou deux fois, avant. Mais ... J'étais petite et ... C'est sans importance. C'est quelque chose que j'aimais faire, mais j'ai arrêté en grandissant.

- Pourquoi ?

- Ce n'était pas nécessaire. J'avais autre chose à faire que batifoler le nez en l'air à écouter des histoires, ou tenter de les conter à mon tour.

Philios hocha la tête et la leva vers le ciel clairsemé de coton blanc. Aujourd'hui encore, la pluie n'arroserait pas la terre. Pas étonnant, en pleine saison sèche.

- Ce n'était pas nécessaire ... répéta-t-il. Qu'est-ce qui l'était, alors ?

- Mes potions, mes soins, mes poisons, mes recherches ... Plus important et bénéfiques pour le rrrr ... mon père et mon frère que des mots jetés en l'air.

Elle pinça les lèvres, se tortillant un peu. Puis elle laissa échapper un petit soupir et continua maladroitement sa confidence.

- Je ... j'aimais raconter. J'aime encore. Mais ... je n'en avais plus vraiment le droit, en grandissant. C'était comme ça, je n'avais plus le choix. Alchimiste plutôt qu'Ishtar n'était pas un choix de carrière des plus déplaisants pour moi non plus. C'était comme ça, et pas autrement. Tu ... tu es le ... premier à m'entendre depuis ... des années.

Philios tourna vers elle un regard réellement interloqué. Elle détourna le sien et le concentra sur une herbe folle, non loin d'elle.

- Qu ... Même pas ... ton frère ou Svelja ?

- Non. Non, non. Je ... Disons que je n'avais pas vraiment ça en tête ces derniers temps et puis ... Je suis une alchimiste. Pas une Ishtar.

- Tu aime être alchimiste ?

- Oui. Plus qu'avant.

- Tu aimerais être une Ishtar ?

- Oui ... Mais ce n'est qu'un rêve d'enfant, rit-elle.

- ... Plus rien ne t'oblige à être une Alchimiste, tu sais.

Interloquée, Almarica se tourna complètement vers Philios, qui la fixait de ses intenses prunelles émeraudes.

- Tu n'es plus sous les ordres de ton père ou de Be ... ton frère. Si tu souhaites devenir Ishtar dès maintenant, rien ne t'en empêche. Je suis même sûr que Fenror et Svelja t'encourageront dans cette voie. Si tu veux rester Alchimiste, tu peux le rester également. Qui sait, tu pourrais même devenir une Alchimiste-Ishtar, la première de l'histoire ! Tu peux devenir ce que tu veux Almarica. Maintenant, tu es libre.

Et Philios ponctua sa déclaration par un grand sourire chaleureux. Almarica sentit la petite chaleur exploser en un feu intense, rugissant. Libre ... Elle était libre. Philios avait raison. Même si la guerre faisait rage, elle était ... libre. Libre de devenir qui elle voulait. Elle n'était plus Almarica Reïsha, princesse du Royaume de Domitien, dont Bellum en était le roi incontesté. Elle n'était plus qu'Almarica, petite habitante sans importance du Royaume de Caerris, qui avait maintenant le droit d'être QUI ELLE VOULAIT, selon ses propres souhaits à ELLE. Almarica posa sa main sur son cœur, et un grand frisson la traversa. Elle était libre. Elle releva son regard vers celui de Philios, qui, lui, ne l'avait pas quitté du sien, et lui sourit à son tour.

- Merci, Philios.

Il hocha la tête, comme pour lui signifier que ce n'était rien. Puis il se releva, et lui tendit la main pour l'aider à se relever à son tour, et ils firent demi-tour, en discutant de tout et de rien.

Ce ne fut que lorsque Fenror lui en fit la réflexion qu'Almarica réalisa qu'elle ne ressentait plus de dédain ou de haine envers Philios. Et ce fut aussi à ce moment là qu'elle se mit dès lors à le chérir comme un ami proche, au même titre que Svelja, son frère, ou même Guemnir et Kryos.

* * * * *

- Oui, entrez ?

- Je suis désolée de vous déranger monsieur, mais je devais absolument vous parler.

- Non, non Judith ! Rentrez.

Rezher posa sur le côté de son bureau la petite figurine en marbre qu'il contemplait lorsqu'il était pensif ou un peu fatigué. Il en était déçu, mais ce séjour en ''prison'' lui avait enlevé plus d'énergie qu'il n'escomptait. Toutefois, cette petite visite des locaux ''privés'' du Conseil lui avait permis de revoir ses objectifs. Il était temps de prendre sa revanche. Judith, après l'avoir ramené au Q.G, lui avait expliqué que les ''enfants'' ayant bouté sa fière armée hors de l'académie étaient présents dans le grand immeuble de verre. Et parmi eux se trouvaient Ash Hunter et Ciela Page. Ceux qui l'avaient envoyé dans ce fichu trou à rat ... La vengeance était un plat qui se mangeait froid, généralement. Lui, il le dégusterait congelé. Mais mieux valait tard que jamais, n'est-ce pas ?

Judith s'inclina rapidement face à lui, et entra directement dans le sujet.

- Comme je vous l'avais dit précédemment, nous étions sûr à quatre vingt-quinze pourcent de la présence des six adolescents dont vous êtes à la recherche dans le building. Selon nos sources au Conseil, ceux-ci auraient pénétré le Sous-Sol de l'académie en plus de vous avoir mis en déroute.

- C'est ce que vous m'aviez dit, oui.

- Ils étaient introuvables dans le bâtiment, mais la présence de leurs valises dans leurs chambres nous a suggéré qu'ils étaient partis en catastrophe. Nous avons dès lors ratissé la ville avec nos agents, agrandissant le périmètre de recherche d'heure en heure. Et nous avons enfin réussi à en repérer une. Il s'agit d'Amélia Loiseau. Que devons-nous faire ?

- Attrapez-la. Dans le meilleur des cas, elle nous dira où se trouvent les autres, et dans le pire, nous pourrons toujours nous servir d'elle comme appât. Mais n'oubliez pas. Je la veux vivante, comme le reste du groupe, particulièrement Ash Hunter et Ciela Page.

Après tout, ils étaient les seuls à savoir, apparemment, l'identité de l'Ange qui lui avait laissé deux belles cicatrices sur ses épaules. Et il voulait mettre la main sur lui. Il voulait mettre la main sur celui que les deux enfants avaient appelé « Philios ». Un Ange archer roux appelé Philios ... Oui, il fallait qu'il le retrouve. Oh, oui. Il se le devait. Il repensa également à la description des armes utilisées par les jeunes gens, face à ses troupes. A la dénommée ''Almarica'' qui avait mis à terre une vingtaine, si ce n'est plus, de ses plus fiers guerriers. Sa Majesté Reïsha avait raison. Le Réveil était advenu.

- Bien, Sir.

Eneria était à portée de mains.

* * * * *

La tête enfouie dans l'une de ses mains, son portable dans l'autre, Amélia s'était effondrée à terre juste après l'appel de Romy. Mais par tous les saints, pourquoi, POURQUOI fallait-il que ça leur tombe dessus PILE à ce moment là ? Julian était le père de Sheena. Nom d'un eucalyptus ! Il ne fallait surtout pas que Sheena ou ... Crìs l'apprennent sinon ... Sinon ... ARGH ! Sa tête allait exploser ... Elle laissa échapper une longue plainte désespérée, serrant son téléphone si fort entre ses doigts qu'elle crut entendre la coque craquer. Que devait-elle faire ... ? Parler à Julian ? Mais quoi lui dire ? Que devait-on dire dans une telle situation ? Et puis où était le vrai du faux dans cette histoire ? Julian disait être parti à contrecœur ... Nul doute qu'il était sincère ! Nul doute. Mais ... Mais ... ? Pourquoi la mère de Sheena avait-elle menti alors ? Quel méli-mélo de problèmes et d'embrouilles ... Amélia ne savait vraiment pas où donner de la tête ... Mais quel bor ...

- Mademoiselle Amélia Loiseau ?

Amélia se figea. Et leva la tête. Un grand homme de taille moyenne lui faisait face, lui souriant de toutes ses dents. Il semblait décontracté, nonchalant ... Mais ses yeux bleu océan scintillaient d'une lueur implacable. Un long frisson remonta le long de sa colonne vertébrale, et elle se redressa lentement, ne quittant pas l'homme du regard, se collant le plus possible contre le mur derrière elle. Lentement, elle se mit debout, ne le quittant toujours pas du regard, ayant une conscience plus qu'aiguë que le monsieur ne s'était certainement pas arrêté pour lui demander sa route.

- Je vais devoir vous demander de me suivre sans faire d'histoire.

- Et si je refuse ? souffla-t-elle.

Le sourire se transforma en grimace.

- Alors je vais devoir vous forcer la main.

Amélia déglutit, détournant légèrement le regard ... et avisa un lierre, au dessus de la tête de l'homme.

- Si jamais vous tentez quoi que ce soit, je hurlerai.

- Bon courage ! Il n'y a pas un chat. Et si jamais tu tentes quoi que ce soit, je n'hésiterai pas à faire couler un peu de ton sang ... On m'a dit de te ramener vivante. Pas forcément entière ...

Amélia serra les dents. Et d'un geste vif de la main, ordonna au lierre de descendre, et de s'enrouler autour du cou de son agresseur, qui n'avait strictement rien vu venir. Ce dernier s'en retrouva étranglé. Amélia se faufila rapidement loin de sa zone d'action, avec un léger sourire. Le temps qu'il s'en débarrasse et retrouve ses esprits, Amélia serait loin ... Mais elle ne put faire trois pas de plus qu'une forte poigne s'abattit sur son avant bras gauche et la tira rudement en arrière, lui arrachant un cri de terreur et de douleur mêlées. Le Saint-Soul n'était pas seul.

- Mais où penses-tu aller comme ça ? ricana l'homme d'une voix d'outre tombe.

Poussée par l'adrénaline et le désespoir, Amélia lui décocha un violent coup de talon dans le genou, priant pour qu'il la lâche. Mais il se contenta de pousser un grognement, de la fusiller de son regard gris métallique ... et de lui donner une claque si violente qu'elle eut l'impression de se faire un torticolis. Le monde tourna pendant quelques secondes et ses oreilles sifflèrent. Trop étourdie pour garder le contrôle sur le lierre, ce dernier se déroulant du cou de son premier attaquant. Avec un sifflement de rage, il l'arracha sans ménagement, le réduisant en charpie.

- La garce ! s'écria l'homme qui maintenant s'efforçait de la maintenir debout.

- Espèce de petite p ... croassa l'autre d'une voix étranglée, sa main sur sa gorge.

Le second attaquant la secoua sans ménagement.

- J'vais t'apprendre à respecter les adultes moi ... Et n'oublie pas. On doit te ramener vivante. Pas forcément en un seul morceau ... déclara l'homme avec un sourire qui n'avait rien d'amical.

Amélia tremblait de tous ses membres. Jamais, pas même lors de l'attaque des Saint-Souls sur la S.E.A, elle n'avait eu aussi peur de toute sa vie. Elle avait le cœur au bord des lèvres, voyait trouble, se serait effondrée à terre si l'autre assaillant ne la maintenait pas debout. Elle aurait aimé pouvoir dire qu'elle gardait son sang froid, qu'elle réfléchissait à toute allure à un moyen pour se sortir de cette affaire ... Mais la vérité, c'était qu'elle était plus immobile qu'une statue et qu'elle suppliait de toute son âme que quelqu'un, n'importe qui, lui vienne en aide ... Elle était pathétique, et plus que tout, terrorisée. Leedna aurait honte d'elle.

- Alors dis-moi fillette, où sont tes potes, hein ? HEIN ?

- Laisse, on l'emmène et elle nous dira tout là-bas.

- Ouais.

- Quand même. Y'avait personne, ça nous a évité trop d'emmerdes. Ma patte de lapin a servi à quelque chose pour une fois.

« Personne » ? Mais ... Et Julian ? Il était là pourtant ... Elle ne l'a pas vu ... partir ?

- Pour une fois, en effet, ricana ce lui qui lui écrasait toujours le bras.

- Hé, t'as un problème contre ma patte ...

Amélia ne sut jamais ce que son premier assaillant voulu dire. Soudainement, une main le tira par l'arrière du col de sa chemise, et apparu derrière lui le visage pétri de colère de Julian Smith.

- Mais qu'est-ce que ...

- Faites un geste, et je vous brûle jusqu'aux cendres ! cracha Julian, ses yeux écarlates, encore bouffi par les larmes et la fatigue.

- U-un Element de feu ? Merde !

- Relâchez la demoiselle, sur le champ.

D'abord décontenancé par la voix grave et sans appel de Julian, l'homme raffermi de nouveau sa prise sur le bras d'Amélia, lui broyant un peu plus son radius.

- Il est un Element d'eau et moi de foudre, idiot. Que peux-tu faire face à nous ?

Julian haussa un sourcil et tira encore plus le col de la chemise du Saint-Soul qu'il avait fait prisonnier, qui se retrouva de nouveau étranglé.

- Je doute qu'il soit en état de faire ne serait-ce qu'une flaque d'eau. Hormis peut-être dans son pantalon. Et aux dernières nouvelles, ces vêtements ne semblent pas ignifuges.

Le doute traversa le regard de l'autre Saint-Soul, et Julian profita de ce dernier moment d'inattention légère ... Pour mettre le feu à la chemise du partenaire de celui qui tenait Amélia. Puis Julian l'envoya sans ménagement sur elle et son ravisseur, qui la lâcha avec un couinement de surprise et de peur mêlée. Déstabilisée, Amélia retomba sur ses fesses, haletante, mais Julian ne la laissa pas respirer une seconde. Il se précipita vers elle et lui attrapa la main, la forçant à se mettre debout et à partir en courant.

- J-Julian ?

- Garde ton souffle pour la course !

Ses baskets heurtèrent tellement de fois le bitume qu'Amélia finit par ne sentir rien d'autre que la brûlure qui lui dévorait la voûte plantaire et le point de côté qui l'étouffait à moitié. Au bout de ce qui lui sembla être des siècles, Julian s'arrêta devant une petite maison. Sa main toujours dans la sienne, il alla toquer vivement à la porte d'entrée.

- Liz ! It's me, Julian ! Please, open the door ! I need help !

La porte s'ouvrit quelques secondes plus tard sur une femme rondelette d'âge mur, qui poussa un petit cri en les voyant.

- Julian ! For god sake, please come ! lui somma-t-elle.

Sans hésitation, Julian s'enfonça dans la maison, tirant toujours Amélia derrière lui.

Hors d'haleine, Amélia finit par se laisser tomber à genoux, sa main enfin libérée de la prise du Blood Element. Encore tremblante, elle se recroquevilla sur elle même, le front collé au plancher noir du hall, à deux doigts du sanglot. Elle ... Elle ... Qu'est-ce qui avait failli se passer ? Mon dieu, avait-elle été à deux doigts de se faire ... K-kidnapper ? Argh, non, non, non, non ... Amélia se frotta vivement son bras encore douloureux de la poigne de son agresseur. Si Julian n'avait pas été là ... Qui sait ce qui serait advenu d'elle ... ? Le goût de la bile envahi sa bouche, et elle plaqua vivement sa main sur celle-ci, souhaitant à tout prix s'empêcher de vomir.

- Oh, my god. I-is she okay ? balbutia la voix grave de la femme.

Julian entama rapidement une conversation avec la femme, qui était sans aucun doute une humaine normale, dont elle ne chercha pas à comprendre les mots : elle était trop occupée à tenter de ne pas rendre son petit déjeuner.

- Amélia ? Amélia, s'il te plaît tu peux m'écouter ? finit par lui dire la voix douce de Julian.

Amélia releva la tête, et la hocha doucement. Julian, accroupit à côté d'elle lui fit un bref sourire.

- Merci. Lève-toi, d'accord ? Tu ne peux rester ici ...

Elle hocha encore une nouvelle fois la tête et se redressa en titubant, les bras croisés contre la poitrine. La femme fila immédiatement dans la cuisine, et Julian la conduisit vers un minuscule salon rempli à craquer de meubles ... confortables, où il l'assit doucement sur un canapé tellement rembourré qu'elle ne touchait même pas le sol.

- C-comment ... comment avez vous fait pour ... ? Vous n'êtes pas ... un Blood Element ?

- Oh, si. Mais on a tendance à nous confondre avec des Elements de feu. Ça sert, parfois. Quand à sa chemise ... J'ai la fâcheuse habitude de me trimballer avec mon briquet, dit-il d'une voix hachée, le regard voilé.

Amélia frissonna, et sortit de sa torpeur. Il est vrai qu'avant ... qu'avant l'attaque, Julian avait reçu un sacré choc émotionnel. Comment avait-il pu ... réagir aussi rapidement ?

- V-vous allez bien ?

Julian cligna des yeux, interloqué.

- Je ... Oui ... Mais ... Oh, bon ... Amélia, tu es incroyable. Pense à toi, tu veux ? lui retourna-t-il avec un demi sourire.

Amélia sourit à son tour, et desserra un peu ses bras. La nausée passait.

- O-où sommes-nous ?

- Chez une amie. Liz est une ancienne ... camarade de rue, dirons-nous. Elle vit ici, en colocation avec cinq anciennes connaissances. Ce sont ... des personnes de confiance. Ici, nous ne craignons rien.

- Merci.

- De rien. Et puis ... Je suis désolé. Je ... me suis éloigné sans prévenir. J'étais dans le brouillard. Je suis rapidement revenu mais ... Je n'aurais jamais dû m'éloigner. Mes plus plate excuses.

Amélia secoua doucement la tête.

- Vous ne pouviez pas savoir. Et puis ... C'est compréhensible. Après tout ce que vous venez d'apprendre ...

Julian grimaça.

- Par contre ... Désolé mais ... Je ... j'ai prévenu ... Romy.

- Romy ... L-le petit ami de Sheena ?

- Non, l'autre. Ah ! Ne vous inquiétez pas, il ne dira rien. Il ... Il sait que ça pourrait très vite dégénérer.

Une ombre passa dans le regard de Julian et ses épaules s'affaissèrent. Pour Julian aussi, la situation devait être sans équivoque une véritable catastrophe.

- Les sacs ! se rappela Amélia. On les a oubliés.

- Ce n'est pas grave, j'en achèterai d'autres.

La dénommée Liz revint de la cuisine en trottinant, un sourire un peu hésitant lui étirant les lèvres, avec un plateau argenté sur lequel trônait une assiette remplie à ras bord de petits gâteaux et de tasses de thé bouillantes. Elle la posa doucement sur la table basse devant le canapé, avant de lui tendre doucement l'une des tasses.

- Be careful sweetheart. It's very hot.

- T-thank you ...

Fort heureusement, la langue de Shakespeare ne lui avait jamais posé grande difficulté, contrairement à Romy ou Crìs. Amélia se redressa vivement. Les autres ! Elle devait prévenir les autres ! Avec fébrilité, elle attrapa son téléphone, qui ne paraissait pas avoir subi de gros dégâts. Les doigts rendu gourds par le contrecoup de l'adrénaline, elle ouvrit son application, puis appela. Une fois. Deux fois. Trois fois. Aucune réponse. Mais zut ! Qu'est-ce qui pouvait bien empêcher Romy de répondre, lui qui était toujours collé à son téléphone ? Et à bon entendeur, impossible de laisser un message avec ses application d'appels par WiFi ... argh. D'un geste presque rageur, elle reposa vivement son téléphone sur la table basse, la tête entre les mains. Elle écouta à moitié Liz et Julian discuter à toute vitesse. Ce dernier racontait entre autres qu'Amélia était la fille d'un ami en voyage à New York et qu'elle venait de se faire agresser en pleine rue. Nouveau frisson. « Agresser ». Elle n'y avait jamais vraiment porté attention mais ... Ce mot ... agresser. Il était violent, le son qu'il émettait. Agresser. Rien que le mot en lui même faisait peur. Elle était pathétique. Sérieusement pathétique.

- Je suis désolée, Leedna ... souffla-t-elle. Sincèrement. Je suis une vraie honte ...

Mais elle aurait dû se défendre ! Elle aurait dû pouvoir ne serait-ce que s'enfuir ! Elle n'était pas faible à ce point, si ? Elle n'était pas une demoiselle en détresse, elle le savait. Pourtant ... Pourtant si Julian n'avait pas été là ... Que serait-elle devenue ? Rien que d'y penser, elle sentit des larmes lui monter aux yeux. Des larmes d'humiliation et de dégoût envers elle-même. Elle était horrible, vraiment.

- Je suis désolée, si désolée ...

Soudainement, un vague de fatigue la parcourut soudainement ... Et elle s'endormit sur le canapé.

* * * * *

« Amélia ouvrit de grands yeux, choquée. Tout autour d'elle s'étendait la prairie la plus verdoyante qu'elle n'ait jamais vue. Fleurs et insectes coloraient le vert de cette prairie d'une manière tellement irréelle qu'Amélia comprit quasi instantanément que c'était un rêve. Ce qu'elle comprenait un peu moins toutefois, c'était la présence de la jeune femme à sa gauche, en tenue de combat blanche, ses cheveux gris flottant doucement dans la brise, son regard couleur terre fixé sur le lointain. Avec appréhension, Amy se pencha vers elle, se demandant ce qu'il pouvait bien se passer. Alors qu'elle portait sa main vers le visage, cette dernière se tourna vers elle. Leedna. Amélia poussa un cri étranglé. C'était bel et bien la guerrière dont son esprit était devenu l'hôte qui était assise juste à côté d'elle. L'Element de terre la fixa de son regard insondable, l'expression indéchiffrable. Amélia se mordit la lèvre inférieure, fuyant le regard de la guerrière. Elle le savait. Leedna lui en voulait. Bien sûr qu'elle aurait dû tenter quelque chose, bien sûr qu'elle aurait dû se battre, se défaire de l'emprise de l'agresseur ...

- Je ... J'ai pas ...

- Amélia ? Arrête.

Amélia, qui s'apprêtait à se jeter dans une litanie d'excuses, s'arrêta soudainement. L'expression presque froide de Leedna se changea alors en un sourire bienveillant.

- Tu n'es coupable de rien, et je t'interdis de penser le contraire. Tu es un sacré morceau de demoiselle, c'est vrai. Mais rien de ce qui c'est passé n'est ta faute. J'ai même eu extrêmement peur pour toi, et j'ai songé à prendre ta place pendant une fraction de seconde avant que Julian n'arrive. Je suis heureuse de te savoir en sécurité, maintenant. Amélia. Ne t'en veux plus jamais pour ce qui est arrivé, tu m'entends ? Plus jamais. Tu as fait de ton mieux, et honnêtement, c'était déjà très bien. Tu n'as que dix-sept ans, trésor. Comment aurais-tu pu te défendre comme deux hommes comme eux ? Tu n'as pas à avoir honte. Ce sont eux, les coupables. Et crois-moi, je suis sûre que si Ash ou les jumeaux auraient été à ta place, ils ne s'en seraient pas mieux sortis, peut-être voire moins bien. Tu n'as pas à te fustiger pour ce qui est arrivé.

Les larmes qu'Amélia se démenait pour contenir jaillirent. Et les sanglots hystériques suivirent tout de suite après. Elle s'effondra dans les bras que Leedna avait ouverts pour elle, évacuant l'immense frayeur qu'elle avait ressentie, sa fatigue ... Et à peu près tout le reste.

- Je veux p-pas ... Je veux plus que ... Ça arrive ... Je ne veux plus être ... faible !

- Je sais, Amélia.

Jamais plus, jamais plus une situation pareille ne lui arriverait. Petit à petit, sur la terreur, la colère prenait le pas. Amélia n'était pas faible. Et elle allait le prouver. »

* * * * *

Nancy regarda par la fenêtre de sa chambre, en se mordant la peau de son pouce de toutes ses forces. Pitié, que tout aille bien, que tout aille bien.

C'est alors qu'une odeur maintenant familière l'enveloppa, et il vint s'adosser à côté d'elle, le regard fixé sur le plafond.

- Tout ira bien. Tu les connais aussi bien que moi.

- C'est bien ça le problème ! Sheena serait capable de grimper à un arbre pour sauver un chaton et se rompre le cou en tombant de celui-ci !

Il tourna vers elle un regard incrédule avant d'exploser d'un grand rire.

- Nancy ! T'es leur mère ou leur amie ?

- La ferme ! Je me soucie de leur bien être ! Je veux les voir revenir sains et saufs, je veux ... Je veux ...

- T'inquiète petit moustique, je comprends ta peur.

Elle le foudroya du regard, tandis qu'il lui renvoya un sourire en coin, mettant ses écouteurs dans ses oreilles, marmonnant les paroles de la chanson qu'il écoutait.

- C'est quoi ?

- T'en veux un ? lui répondit-il en lui tendant celui de gauche.

Nancy haussa les épaules et mit l'un d'entre eux dans l'oreille adaptée.

« - Some legends are told, some turn to dust or to gold

But you will remember me, remember me for centuries

And just one mistake, Is all it will take

We'll go down in history

Remember me for centuries »

Elle ne put retenir un sourire. La chanson était des plus adaptée à leur situation.

- I could scream forever, we are poisoned youth ... fredonna l'autre, l'air particulièrement amusé.

Nancy ferma les yeux et profita de la chanson, avec délectation.

- Très bonne musique.

- Fall Out Boys, c'est toujours de la bonne cam'.

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BAM LE RETOUR DE NANCY ET D'UN INCONNU ! Qui est-ce ? (Erik ptdr) <-- Rosette est une petite Yann. Faites pas attention à elle.

Ah ! J'allais oublier. Pour les gens qui ont du mal avec la langue internationale (J'vous lance pas la pierre, je suis une vraie quiche en espagnol), voici les trads :

« - Liz ! It's me, Julian ! Please, open the door ! I need help ! » → Liz ! C'est moi Julian ! Ouvre la porte, s'il te plaît ! j'ai besoin d'aide !

« - Julian ! For god sake, please come ! » → Julian ! Pour l'amour de Dieu, entre, je t'en prie !

« - Oh, my god. I-is she okay ? » → Oh, mon dieu. Est-ce qu'elle va bien ?

« - Be careful sweetheart. It's very hot. » Fait attention mon petit cœur. C'est très chaud.

« - T-thank you ... » → M-merci ...

Héhé. On connaît enfin le nom des royaumes des Huit. Donc pour résumer, le nom du royaume des « Noirs » (celui de Fenror, Kryos, Guemnir et Al) c'est le royaume Domitien. Le royaume des « Blancs » (celui de Svelja, Zelmaria, et Philios), c'est le royaume Caerris.

Alors, j'rentre direct dans le sujet. Bonne nouvelle ! Le chapitre est posté. Mauvaise nouvelle, pas de nouveau chapitre avant milieu Août. Hé beh les vacances c'est pour tout le monde !

Quand à ceux/celles qui n'ont pas compris le nom du chapitre, pensez à notre chère française.

Un peu d'action non terminée ! Qu'en pensez-vous ?

Amélia (et la correctrice) [← Je suis désolée Rosette.] s'en est prit plein la gueule dans ce chapitre (au sens propre en plus mais j'en peux plus de moi). Pas trop de haine envers l'auteur ? Vous inquiétez pas. Monsieur Lierre et Monsieur Baffe seront de la partie pendant le prochain chapitre. Amy sera vengée !

Et merci encore pour les gentils commentaires que je continue de recevoir. Encore et toujours, z'êtes adorables.

A la prochaine bande de girafes zébrées !

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