Chapitre 14 : « Mais vous êtes ... »
Lorsque Julian ouvrit les yeux, il fut de prime abord bien surpris d'apercevoir tout ce beau monde sur son canapé, en face de lui. Six adolescents dont deux d'entre eux allongés à même le sol. Il faillit sauter sur ses pieds lorsqu'il crut reconnaître ses anciens amis ... Puis tout lui revint en mémoire. Les pauvres enfants chassés du siège par des Saint Souls ... Dans quel monde vivaient-ils ? Bien évidemment, Julian était inquiet pour toutes les personnes apparemment retenues prisonnières dans l'énorme gratte-ciel en verre qui servait de QG au Conseil des Elements ... Toutefois, il s'en était tenu à l'écart durant si longtemps qu'il avait l'impression d'en être totalement détaché ... Son seul souci actuellement était les jeunes gens qui dormaient sur son sofa. Sacrément téméraires, ces gamins.
Quand il avait entendu du bruit et des voix dans son grenier, il avait immédiatement su qu'il allait avoir des problèmes. Dire qu'il les avait pris pour des voleurs ... Et ... Il avait été à deux doigts de s'évanouir quand il avait cru reconnaître ... Céleste et Henry. Julian essuya une nouvelle larme, las, et contempla ses mains décharnées, rugueuses, couvertes de cicatrices. Treize ans auparavant, il avait cru sa vie finie ... Il se souvenait encore de ce soir si noir ...
Des nuages couvraient le ciel de New York, et l'espèce de neige flasque et souillée qui tombait ce soir-là achevait de le geler jusque dans ses os. Il était littéralement au fond du trou, sans le sous, sans espoir, sans rien ... Il s'était alors laissé glisser contre un mur en brique quelconque, le front contre les genoux, avec l'intention très certaine de ne plus bouger ... Plus jamais. C'est alors qu'il avait entendu des bruits de pas. Normalement, il n'aurait pas fait un geste. Mais les bruits de pas étaient légers, rapides, vifs. Anormaux. Et en relevant la tête, il avait vu une gamine lui tendre la main. Habillée de vêtements tous plus bariolés les uns que les autres, emmitouflée dans son écharpe bleu ciel presque plus grosse qu'elle, à moitié camouflée par sa grande gavroche, n'importe qui l'aurait prise pour une pickpocket et alerté la police. Mais son regard olive l'avait attiré. Il s'y reflétait une infinité de choses, comme si la petite fille avait l'univers entier ancré dans sa pupille. Poussé par sa curiosité, et peut-être une sorte de résidu d'instinct de survie, il avait pris sa main. Et elle lui avait gentiment souri. Ensuite, elle l'avait amené dans un restaurant, où il avait pu prendre son premier vrai repas depuis des mois. Amusée, la petite fille avait babillé pendant des heures, le laissant manger tout ce qu'il voulait, payant sans compter les plats qu'il avalait sous le regard médusé des serveurs et des autres clients. Il ne l'avait guère écoutée, trop occupé à manger. Il avait simplement compris qu'elle était en voyage dans le coin. Une fois rassasié, Julian avait tenu à remercier cette enfant. C'est à ce moment-là qu'elle l'avait amené ici, dans cette maison. La maison était belle mais très vieille. Toutefois, la bicoque tenait la route. Torturé par la fatigue et la quantité non négligeable de nourriture, il avait dû lutter de toutes ses forces pour ne pas s'endormir, et avait probablement déliré. Pour preuve, la petite fille avait même ri à gorge déployée en s'exclamant qu'elle avait acheté la maison durant les années folles, et qu'elle s'était même rendue à une fête organisée par un certain Gatsby le magnifique de manière clandestine ... Il avait vraiment une imagination fertile. Au final, le sommeil avait eu raison de lui. Le lendemain matin, il s'était réveillé sur le canapé, avec devant lui, au sol, une grosse clé en bronze rutilante, et une longue lettre, écrite d'une très belle écriture. L'enfant avait besoin d'un ''garde-fou'' pour la maison, pendant un certain laps de temps, et qu'il lui semblait être la personne parfaite pour occuper ce poste. Elle le payerait grassement à la seule et unique condition qu'il s'occupe de la petite bâtisse et qu'il y vive ''confortablement''. Elle avait même annoté qu'elle permettait deux, trois changements si cela pouvait améliorer son quotidien. Il avait fondu en larmes, et pleuré pendant plusieurs heures. Un tel cadeau du ciel, un tel miracle, à lui, le déchet humain qui une dizaine d'heures plutôt était au bord de la mort ... Ce n'est qu'une fois vidé de son liquide lacrymal qu'il avait remarqué un post-scriptum : une certaine somme d'argent servant ''d'avance'' avait été viré sur son compte. Il s'était rendu à sa banque et avait cru s'évanouir lorsqu'il avait constaté que ses très maigres économies avaient QUADRUPLÉ.
Dès lors, il avait recommencé à vivre. Doucement, lentement, mais certainement. Il s'était racheté des vêtements, avait fait installer le chauffage et l'eau chaude dans la petite bicoque, fait rénover la plomberie, et aussi les circuits électrique datant de Mathusalem. Même l'électricien avait été impressionné par la vétusté de l'installation, lui disant qu'un collectionneur de sa connaissance pouvait lui racheter les câbles pour une belle somme. Il les avait alors offert au jeune homme, qui, des étoiles dans les yeux, lui avait promis de le remercier. Le soir même, il fut invité à la plus belle et fructueuse couscous-party qu'il n'avait jamais connu de sa vie. Enfin, grâce à la somme virée chaque mois sur son compte, Julian avait pu vivre jusqu'à présent une vie des plus tranquille et confortable, n'ayant même plus besoin de chercher un travail. Son seul ennui fut la gigantesque paperasse administrative dont il dut s'occuper durant presque un mois entier pour régler tout ce qui n'était apparemment pas en ordre, et avait même frôlé la case prison. Apparemment, l'enfant ne s'en était pas souciée ...
Plus tard, Julian se rendit compte que l'argent qu'il possédait, et qui s'accumulait au fur et à mesure, le chiffonnait. Tant d'argent dormant, dont il ne se servait même pas du quart ... Julian avait vécu quelques mois dans la rue, et il savait maintenant à quel point ces anonymes qui faisaient chaque jours la manche, qu'il pleuve, neige, ou vente, n'étaient pas que des parasites de la société. Il avait rencontré un professeur de maths, un ancien PDG, et même une pauvre gamine rejetée par ses parents à cause de son dégoût pour la gente masculine. Tous n'étaient pas des bisounours, et Julian s'était fait casser la figure un bon nombres de fois par quelques énergumènes, mais maintenant, il avait conscience que ces personnes avaient simplement besoin qu'on leur donne une autre chance. Alors il commença à faire quelques dons par-ci, par-là. Puis il s'investit dans certaines sociétés caritatives du coin, aux profits des refuges pour personnes sans domicile fixe, notamment. Et il trouva son bonheur, heureux de pouvoir vouer sa vie à aider autrui. Depuis lors, il n'avait que deux buts : aider son prochain, et attendre des nouvelles de l'étrange demoiselle qui lui avait offert une nouvelle raison de vivre ...
Les forts grondements de son estomac le tirèrent de ses pensées. Oh là. Il avait sauté son dîner, la veille. Pas étonnant qu'il ait faim. Il regarda les petiots, et se demanda s'ils avaient dîné, eux aussi.
Lentement, il reprit l'assiette qu'il avait délaissée à côté de lui, et engloutit ce qu'il n'avait pas touché. Non au gâchis, et même froid, il adorait les œufs au bacon. D'un pas feutré, il se rendit dans sa cuisine, recherchant dans ses placards quelque chose qui pourrait convenir à six adolescents Elements, probablement affamés, et aux habitudes alimentaires différentes.
- Voyons voir ... J'ai du bacon, et des œufs ... Et des noix de cajou ... Ah oui, et du café aussi. Mais peut-être que ... Du riz ? Que mangent les jeunes de nos jours ? Rah, je n'ai pas de céréales ... marmonna-t-il.
Alors qu'il cherchait où avait-il bien pu mettre ses derniers cartons de cookies destinés à l'orphelinat du quartier, Julian se retourna et faillit bondir au plafond. La petite Sheena, s'il se souvenait bien, le regardait de ses grands yeux bleu glaciers, un peu décoiffée , ses vêtements tout froissés, telle un fantôme de série d'horreur des années 1990.
- Pardon, je vous ai fait peur ! s'écria la petite demoiselle.
- Non, non, non. Tout va bien, ne t'en fais pas. Je ne t'ai pas entendue arriver, c'est tout.
Elle lui répondit par un petit sourire désolé, timide. Par réflexe nerveux, sans doute, elle commença à peigner ses cheveux blancs neige avec ses doigts, son regard volant un peu partout dans la cuisine américaine.
- Je voulais un peu d'eau et euh ... Bah je vous ai vu et ...
Il attrapa un verre qu'il remplit rapidement d'eau fraîche et lui tendit avec un grand sourire. De ce qu'il avait compris, Sheena était la plus jeune du groupe. Sans en tirer une grande fierté, Julian se savait doué avec les enfants, malgré ses yeux rouges. Déjà, quand il était à l'académie, Aïdan ne cessait de lui en faire la remarque. Avec un remerciement, elle prit le verre d'eau qu'elle vida d'un trait.
- Ça faisait depuis hier après-midi que je n'avais pas pu ! Un vrai bien fou !
Il éclata d'un petit rire discret, craignant de réveiller le reste du groupe.
- Ne vous inquiétez pas pour eux, comprit Sheena. Il faudrait un éléphant pour les sortir des bras de Morphée.
- Belle expression.
- Merci ! dit-elle avec un grand sourire.
La petite demoiselle était adorable. Elle lui rappelait beaucoup ... Malgré lui, sa main se posa sur la pocha arrière de son pantalon. Même après tout ce temps, il ne pouvait se passer une heure sans qu'il ne pense à elles ...
- Au fait, que veux-tu manger ?
- Oh ! Euh ... Du pain ira pour moi.
- Et tes amis ?
Sheena tourna vers lui un visage surpris, qui s'illumina rapidement en un nouveau sourire.
- Vous êtes vraiment gentils, à vous soucier de nous ainsi. C'est nous les squatteurs pourtant.
- J'ai l'habitude d'aider les gens, dirons-nous.
Son sourire s'accentua. Elle qui pourtant le regardait craintivement la veille paraissait très à l'aise maintenant.
- Et bien ... Amélia aime les fruits, Romy et Crìs mangent de tout, quant à Ciela ... Du lait ira je crois. Oh, et vous avez du chocolat chaud pour Ash ?
- Du café seulement ... grimaça-t-il. Mais je sais cuisiner des pancakes !
- Des pancakes ? Vous avez tout gagné ! Avez vous besoin d'aide ? dit-elle en relevant ses manches.
Puis ils se mirent au travail. Bien qu'un peu maladroite, la petite demoiselle lui était d'un certain secours, même s'il refusait catégoriquement qu'elle s'approche des fourneaux. Rapidement, l'odeur de pancakes envahit toute la maisonnée, et du coin de l'œil, il aperçut les jeunes gens s'éveiller un à un.
- Ah pu ... Mon dos ! grogna l'un des deux roux.
- Mon bras ! J'ai plus de bras ! gémissait l'autre.
- Ouuuh ! J'ai trop faim ! se plaignit la jeune Element de lumière en s'étirant de toutes ses forces.
Quelques minutes plus tard, ils étaient tous les sept attablés autour d'un bon petit déjeuner qui les faisaient saliver d'envie. Sans faire plus d'histoires, ils commencèrent.
- Au faich, pourquoi on fait pas la prière ? demanda Crìs - selon la petite Sheena - la bouche pleine.
- Avale avant de parler, on comprends pas grand-chose. Et de quoi tu parles ? lui dit Amélia en fronçant les sourcils.
- Mais si, là ! Dans les films, quand les américains sont tous à table et qu'ils font la prière ! Genre : « Merci pour ce repas, mon Seigneur » et tout le blabla ?
Julian éclata d'un grand rire, comprenant où ils voulaient en venir.
- Je ne suis plus croyant, donc plus de prières ! s'amusa-t-il.
- Plus croyant ? Il s'est passé un truc ? intervint Romy cette fois-ci.
- Les gars, le respect de la vie privé, ça vous dit quelque chose ? soupira de nouveau Amélia.
Julian ne cessait de sourire, se rendant compte avec joie qu'avoir du monde à sa table, ça lui avait vraiment manqué.
- Au fait Ash, ça va, ta fièvre ? s'enquit Sheena en se penchant en avant.
- ... Mrouf ...
- « Mrouf » ? C'est même pas un mot ça ! s'esclaffa Ciela en avalant une gorgée de lait.
Sans doute plus par réflexe qu'autre chose, le jeune écossais amena sa main derrière sa nuque et tira sur son tee-shirt, comme s'il tentait de rabattre sur sa tête une capuche inexistante. Lorsqu'il s'en rendit compte, il devint comme confus, puis, avec une moue ennuyée, il glissa sur sa chaise, s'affaissant de tout son long sur cette dernière, ses poings enfoncés dans des poches imaginaires.
- Fais pas ta larve, Ash ! gronda Ciela en lui décochant un coup de pied dans les tibias, sous la table. Tiens-toi bien, bon sang de bonsoir !
- Fiche moi la paix ou je te renverse mon café dessus ! grogna-t-il en la fusillant du regard.
- Essaye pour voir !
- Me tente pas ... lui répondit-il en ricanant, toujours avachi sur sa chaise.
- Ça ne me dérange pas, déclara Julian d'une voix douce, avec une pointe d'amusement, se doutant que la nuit avait été courte et difficile.
Puis, ça le frappa tout d'un coup. « Bon sang de bonsoir » ? Il haussa les sourcils. Son regard glissa sur Ciela, puis sur Ash. La façon dont ils agissaient, dont ils se parlaient ... Il posa la tasse de café qu'il allait porter à ses lèvres, retenant à grande peine un sourire ému. Si jamais Gloria apprenait ce qui était en train de se passer entre leurs deux enfants, elle se serait sans aucun doute écroulée de rire. Qui l'eut cru ? Julian n'était plus croyant, mais parfois il se disait qu'il y avait bien trop de coïncidences dans ce monde pour que ce ne soit dû qu'au hasard.
- ... J'ai rêvé de Fenror cette nuit, finit par grommeler l'écossais.
Fenror ? Julian se sentit interloqué ... Ce nom lui disait quelque chose ... Comme aux cinq autres jeunes Elements. Romy s'étouffa avec son pancake, et Sheena en fit tomber sa fourchette.
- ... Madre de dios ... Et qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Immédiatement, Amélia se raidit et coula un regard ennuyé vers lui. Julian comprit le message.
- Je vais aller allumer l'eau chaude et prendre ma douche. Une fois que vous aurez fini, la salle de bain sera toute à vous ! dit-il en débarrassant son assiette.
Amélia, réalisant ce qu'elle venait de faire, piqua un des plus gros fards qu'il n'ait jamais vu.
- Non, ne ... commença-t-elle, sans doute morte de honte.
- Tout va bien, l'excusa-t-il avec un petit sourire.
Il fila vers le lave vaisselle, rangeant ses couverts et son assiette le plus rapidement possible, et sorti rapidement du salon, prenant garde à bien fermer la porte derrière lui.
* * * * *
Jamais. Au grand jamais elle ne l'aurait cru. Une chance sur combien ? A ses côtés, Walter pleurait. En face d'elle, Brunette souriait, presque contrite.
- Pendant combien de temps pensiez vous nous cacher cela ... ?
- Le temps des cachotteries est fini, Nancy. Je me suis cachée pendant très longtemps. J'ai masqué beaucoup de choses pendant très longtemps aussi. Mais c'est fini maintenant. Il m'a provoqué. A moi d'y répondre correctement. Je ne suis pas la seule à avoir un As dans ma manche.
- C'pas un As là ! C'est un carré d'As !
- Carré d'As ? Tu déconnes mon gars. C'est pas un carré d'As, ça. C'est une quinte flush royal.
Nancy se tourna vers les deux garçons à ses côtés. Leurs yeux pétillaient. Ils avaient l'air vraiment heureux. Rien d'étonnant. Après tout ce qu'il s'était passé ... Voir le fin fond de leur cauchemar devaient les ravir.
- Je ... Je me sens vraiment mal à l'aise à cette idée ...
- Ne t'inquiète pas, petite. Tout ira bien, cette fois-ci, murmura la grande femme d'une voix douce.
Nancy hocha la tête, et posa ses mains sur l'épaule de la jeune fille.
- Elle a raison. Nous n'avons pas fait tout ça pour rien.
Brunette hocha la tête, satisfaite. Dans son regard brilla un éclat d'acier. Nancy prit une grande inspiration, déterminée. Cette fois-ci, c'était la bonne.
* * * * *
- ... C'est affreux. Affreux, murmura Amélia, les yeux écarquillés.
- Je me disais bien que Philios avait vécu des trucs pas marrant ... Mais là ... C'est ... souffla Romy en ne cessant de secouer la tête.
Ash haussa les épaules. Le récit de son rêve et plus particulièrement ce que Fenror lui avait dit à propos du passé de Philios les avaient tous choqué. Mais si Sheena n'avait pas fondu en larmes, c'est que la situation allait bien.
- Je comprends mieux pourquoi il tient autant à Almarica. Et à Fenror.
Ils pivotèrent tous vers Ciela. Elle tournait sa tasse vide entre ses doigts, le regard absent.
- Toute sa vie, il n'a été traité comme un moins que rien. Et puis ... Il trouve des personnes, qui l'acceptent tel qui l'est, comme un être ''normal''. A sa place, j'aurais tout donné pour eux.
Ash la fixa, interloqué. Et il comprit ce à quoi elle faisait référence. Elle se tourna vers lui, le regard brillant.
- Ash, plus j'y songe ... Plus je me dis que ... Que nous avons raison.
Ash secoua la tête. Lui aussi, était de cet avis.
- De quoi vous parlez tous les deux ? les interrogea Romy.
- Une simple théorie. Laisse tomber la carotte, c'est trop compliqué pour ta petite cervelle.
Il s'offusqua d'une telle manière qu'Amélia le traita de ballon de baudruche. Ash ne put retenir un petit sourire. Entre ce qu'ils avaient vécu hier, et son rêve, il se sentait épuisé par le stress et l'inquiétude. Du coin de l'œil, il remarqua la bonne humeur forcée des jumeaux, et les cernes de Sheena. Même Ciela paraissait un peu éteinte. Intérieurement, il béni sincèrement Julian de les ménager à ce point. Il enfouit de nouveau ses poings ... dans des poches imaginaires. Encore. Sa veste à capuche favorite lui manquait ... Elle était dans son sac à dos. Il fallait qu'il aille la chercher.
Il se glissa hors de la table vers son sac, fouillant dedans sans vraiment y regarder, baillant à s'en décrocher la mâchoire ... Quand il ressentit une brève douleur aiguë qui le réveilla en sursaut. Avec un juron à moitié étouffé, il secoua sa main, les yeux écarquillés ... Avant de sortir l'écharpe rouge que Ciela lui avait offert à Noël dernier, sa veste, et la broche de son frère, accrochée à une maille de l'écharpe de son sac de voyage.
Interdit, il prit la broche entre ses doigts, et le petit papillon argenté chatoya dans la lueur du soleil matinal. Il ne se souvenait pas d'avoir mit dans son sac ni l'écharpe ni la broche. Les jumeaux ... ? Non. Ils n'étaient même pas au courant de l'existence du bijou. Il l'avait planqué dans le carton sous son lit. Mais alors qui avait bien pu la mettre là ? Rapidement, il enfila sa veste, et attacha la broche dans sa poche, soudainement tendu. Si les jumeaux avaient vraiment fouillé dans ses affaires, il ne le supporterait que très mal. Pourtant, ça lui paraissait hautement improbable. Les deux espagnols passaient leur temps à mettre sans dessus dessous sa vie, mais jamais, au grand jamais, ils n'avaient touché au carton sous son lit. Ils savaient à quel point il était précieux et inestimable à ses yeux. Amélia, Sheena, Almarica, Ciela ? Non. Elles ne connaissaient même pas son carton. La seule et unique personne à pouvoir avoir peut-être fait ça était ...
- Vous pensez que Brunette va bien ?
La question de Sheena tomba à plat. La question que tout le monde avait dû se poser, au fond d'eux même. Formulée différemment, sans doute. Avec Luis, les parents de Ciela, ou même le secrétaire d'Helen à la place de Brunette. Mais ces questions possédaient toutes le même sens : est-ce que l'Académie était en sécurité ?
- Almarica a-t-elle pu trouver Helen ? murmura Ash, plus pour lui même que pour les autres.
- Comment ça se passe, là bas ? Y a-t-il eu des morts ? continua Romy, faisant allusion au QG.
Ils égrainaient leurs idées, leurs pensées, leurs craintes. Ash enfouit de nouveau sa main dans la poche de sa veste, frôlant la broche du bout des ongles. La savoir à ses côtés le rassurait, étrangement. Soudain, un bruit fracassant le fit bondir, alarmé. Tout aussi surpris que lui, ils regardaient tous Crìs qui venait de renverser sa chaise en se levant brusquement, son regard rivé sur son smartphone.
- Madre de dios de la ... Ils sont partis.
- Quoi ?
- Ils sont partis ! Ils ... Ils sont partis du QG !
Ahuri, Romy attrapa le téléphone, Ash alla se planter derrière lui, le regard rivé sur l'écran. C'était un article de journal datant d'à peine quelques heures.
« Prise d'otages au célèbre Potiri Building :
Le Potiri Building, célèbre building privé de Manhattan s'est retrouvé dans une prise d'otage effectuée par ce qu'il semblerait être un groupuscule terroriste la veille au soir vers minuit. La police a retrouvé la totalité des résidents et des employés de l'immeuble le lendemain matin même, et fort heureusement, aucun blessé ni mort n'est à déplorer. Peu avant l'aube, les terroristes se seraient enfuis de l'immeuble pour disparaître dans les ombres de la nuit ... Malheureusement, les descriptions physiques données par les victimes, sans aucun doute choquées par ce qui leur est arrivé, ne mènent nulle part selon la police, mais les recherches sont toujours actives. L'immeuble est actuellement interdit d'accès, et les perquisitions de la police ne cessent de ... »
Il n'eut pas le temps de terminer. Amélia lui prit le téléphone des mains et commença à le lire à voix haute. Mais qu'est-ce que c'était que cette histoire ... ? Les Saint Souls étaient partis du Q.G ? Mais pourquoi ? Apparemment, aucune mort ni disparition n'étaient à déplorer ... Mais alors où était Almarica ? Et Helen ?
- Tout va bien ? demanda Julian en rentrant dans le salon, les cheveux encore un peu mouillé.
- La télé ... Ils doivent en parler à la télé ! s'écria Sheena.
Immédiatement, Ciela bondit vers le petit poste, et l'alluma.
- Je ... Je voulais simplement ... savoir si on en parlait sur le net ... Et ... puis je suis ... tombé là dessus ... balbutia Crìs, apparemment choqué.
Ash lui tapota le dos, tentant de le calmer. Si jamais Crìs perdait le contrôle de ses nerfs, il n'avait pas envie que la petite maison se retrouve grillée par un éclair de plusieurs milliers de volts. Et eux avec.
- ... Romy, Crìs, c'est pas ... Votre mère ?
Les deux garçons se figèrent. Puis, comme un seul homme, ils allèrent se planter devant la petite télévision, bouche bée. En effet, il y avait là la mère des jumeaux, dans le hall du grand bâtiment en verre. L'air fatiguée, le front plissé d'inquiétude, enveloppée dans une couverture survie, un peu décoiffée, elle souriait gentiment à la caméra, comme si elle venait de traverser l'horreur.
- Nous n'avons rien vu venir ... J'ai eu tellement peur ... Mais au final, tout va bien, merci mon Dieu. J'ai mon mari à mes côtés, et toutes nos connaissances vont bien. Actuellement, je suis simplement soulagée que les choses se soient aussi bien déroulées. J'espère qu'on les attrapera très vite.
- Comment ose-t-elle ... Comment ose-t-elle faire un tel cinéma ? cracha Crìs.
Ash pivota vers eux. Et baissa son regard. Ils se tenaient par la main. Les jumeaux étaient très proches, et il ne les avait jamais vu se disputer. Ils s'écriaient au moins une fois par an que même si le monde entier se retournaient contre eux, ils seraient toujours là l'un pour l'autre Pourtant, ils n'étaient pas super tactiles. Certes, une accolade par-ci, une accolade par-là, pourquoi pas, mais les voir se tenir la main ... C'était rare. Et malheureusement, un signe d'anxiété ou de nervosité pure. Une marque de vulnérabilité. Comme s'ils retombaient en enfance. Comme s'ils ... avaient peur.
- Reine des hypocrites ... ricana Romy, avec un rictus quasi effrayant, lançant comme son frère un regard empli de mépris à la télévision.
Complètement médusé, Julian venait de se joindre à eux, comprenant la situation avec stupéfaction. Il ne pouvait quitter le petit poste des yeux, comme eux tous, concentré sur les propos des journalistes et de la mère des jumeaux. Les paroles de Crìs et Romy étaient presque passés inaperçus. Presque. Ash savait que les garçons avaient un souci avec leurs parents mais là, c'était un autre niveau que le « Papa et Maman sont méchants, bleeeeeeeeeeeeeeeh ! » habituel des adolescents en crise. Quel était le problème, le VRAI problème ?
Question géniteurs stupides, à l'Académie, pas mal de jeunes en tenaient un bon bout. Limite, voir quelqu'un comme Ciela qui était en quasi-osmose avec ses parents, était plus rare que de voir quelqu'un brouillé avec sa famille. Alors Ash se doutait bien qu'il y avait anguille sous roche.
- Romy, Crìs ? Vous êtes des Altafuente ? demanda Julian, d'une voix hésitante.
Les deux jumeaux se tendirent soudainement, et un courant d'air froid leur cingla les jambes. Romy perdait-il le contrôle ? L'attention des adolescents se détourna de la télé pour se focaliser sur les deux garçons.
- Hé, calmez-vous ! gronda Amélia, mécontente.
- Pardonnez-moi ... Mais ... Vos parents sont bien Encarna et Herman ?
- Oui, dirent-ils d'une seule voix, sombre et grave.
Julian fronça les sourcils. Et il grimaça.
- Je suis désolé.
Hum ? De quoi parlait-il ? Les jumeaux levèrent un visage blême vers lui.
- A l'académie déjà ... Ils avaient des idées très ... arrêtées, dirons-nous. Je suis terriblement désolé ... Pour ... Vous ?
Julian jeta un regard circulaire, et constata sans doute leur confusion. Cette fois-ci, c'est lui qui blêmit.
- Oh non. Je n'aurais pas du dire ça. Oh non, non, je suis ...
Il soupira et tête rentrée dans les épaules, il fila vers la cuisine, se resservant une tasse de café, sans doute froide, qu'il avala sans dire un mot.
- Les garçons ? Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda doucement Sheena.
Crìs serra la main de Romy encore plus fort, et se mordit la lèvre inférieure.
- Encarna et Herman ... ils sont des Saint Souls .
Un silence lourd tomba dans la pièce. Ash expira lentement et longuement. Ça y est. C'était dit.
Amélia se laissa tomber sur le fauteuil non loin d'elle, effarée.
- A-attendez ... Des Saint Souls ? Genre ... Eux ?
- Ouais. Et pas des petits sbires de bas étages.
- Des fanatiques comme pas permis, renchérit Romy, les yeux mi-clos.
Ciela lui jeta un regard effaré, semblant se demander si c'était une blague. Ash secoua imperceptiblement la tête. Non. C'était loin d'en être une. Vraiment loin. La télé, qui venait de passer sur un nouveau sujet d'actualité, à savoir le soudain bon du chiffre d'affaires d'une fabrique de confiture à la framboise, ne concernait plus personne. Toujours main dans la main, les jumeaux ne voulaient même plus lever la tête.
Sheena, les yeux grands ouverts, n'avait pipé mot, ou fait un geste. On aurait pu croire qu'elle n'était qu'une statue, si Ash ne s'était pas rendu compte du lent rythme de sa respiration qui soulevait doucement ses épaules. Amélia se passa la main dans les cheveux d'une manière qui lui fit penser à Romy, étrangement, et elle se redressa, perdue, ahurie.
- Vous êtes en train de nous dire que vous êtes les gosses de deux pontes des Saint Souls ?
- Exactement, répondirent-ils d'une même voix.
- Et ... Depuis combien de temps ?
- Depuis toujours.
Ash ferma les yeux. Maintenant il savait pourquoi les garçons étaient tendus à l'idée de venir, ou pourquoi ces deux-là étaient en froid avec leur famille. Selon eux, ils n'étaient que des ''bourges riches et prétentieux qui ne pigeaient que la langue du fric'', mais ... au fond, Ash s'était toujours demandé s'il n'y avait pas autre chose. Et là, autre chose il y avait. C'est alors qu'un déclic s'opéra dans son esprit. Et il se remémora. Lors de l'été qui avait suivi la mort des Mult'Up, il n'avait été qu'un zombie. Mais il avait toutefois remarqué que pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, les jumeaux étaient rentrés chez eux. Ash n'en avait pas vraiment eu cure, la tête prise par le deuil. Mais il se souvenait vaguement de les avoir vu revenir, le septembre de cette année-là, épuisés et mal en point. Il avait appris par Helen quelques temps plus tard que les jumeaux avaient été reniés par leurs parents. Amélia et Sheena avaient paniqué, mais ils avaient assuré en riant que ce n'était rien du tout et qu'ils se sentaient mille fois mieux comme ça.
- Helen est-elle au courant ? demanda-t-il.
- Oui. C'est même elle qui nous a soutenue et aidée, marmonna Crìs.
- Pour l'émancipation ?
- Ouais.
Ils l'avaient fait durant l'été qui avait suivi le meurtre de Shana, Érick, Ethan et Séraphina. Se pourraient-ils que ... Ça le frappa en pleine figure.
- Mais vous êtes cons.
C'était sorti tout seul. Ciela sursauta, et fronça les sourcils. Les Saint Souls leur avaient VRAIMENT pourri la vie.
- Par pitié, ne me dites pas que vous pensiez qu'on allait vous rejeter en bloc parce que vous êtes les gosses de deux pourris ?
Les garçons relevèrent la tête vers lui. Et Ash vit la culpabilité se peindre sur leur visages. Ils le pensaient vraiment.
- Mais vous êtes vraiment des imbéciles. Des putains d'imbéciles ! Des putains d'imbéciles égoïstes !
- Euuuuh, Ash ? l'appela Amélia.
Il l'ignora superbement, totalement concentré sur les deux Elements.
- Qui serions-nous pour vous juger ainsi, par votre famille, si ce n'est que des hypocrites de premier ordre ? La mère de Sheena était une mauvaise personne, et son père les a lâchement abandonnées, pourtant, elle est l'être le plus gentil que l'on connaisse ! Et Amélia, hein ? Tu as vu sa mère, Romy. Est-elle son portrait craché ? Non ! On est pas ce que nos parents sont ! C'est le principe de différence, espèces d'andouilles !
- Ash ? recommença Amélia.
- On va pas vous juger ! On va pas vous détester ou vous haïr ! Vous êtes nos amis !
- Ash !
- QUOI ?
- TES MAINS ! rugit-elle en bondissant sur ses pieds.
Il baissa son regard. Elles étaient entièrement enveloppées de flammes rouges et jaunes. Oups. Au final, c'était lui qui avait perdu le contrôle. En grommelant il se retourna vers la cheminée et les y jeta sans vraiment s'en soucier. Elles crachotèrent dans la cendre avant de s'étouffer à cause du manque de combustibles. Il fit de nouveau volte-face, un peu gêné par son sursaut d'énervement qui avait littéralement failli cramer sa veste favorite, et prit une grande inspiration.
- La famille, ça craint toujours un peu. On a tous des défauts, qu'ils soient physiques ou mentaux. On a tous plus ou moins des casseroles au cul, même si certaines sont plus grosses que d'autres. Mais là les gars, on en a rien à faire. Est-ce que vous avez participé à des meurtres de No Elements, participé à l'invasion, participé au kidnapping de Ciela ? Non ? Parfait. Dans ce cas, il n'y a pas de souci. Et le premier qui dira le contraire, je le baffe.
Il avait tout débité d'un seul coup, sans prendre de pause. Légèrement essoufflé, il expira lourdement, en se frottant la tête, crevé. Il n'avait pas passé une bonne nuit, c'était franchement pas le moment de s'embêter avec des trucs comme ça ! C'est alors qu'il s'aperçut d'une chose parfaitement anormale. Incongrue, parfaitement ... incroyable. Une larme. Puis deux. Puis trois. Sur le visage de Crìs. Puis Romy. Bah merde alors. Il avait fait pleurer les jumeaux.
« - Décidément, tu m'étonneras toujours. »
- Ta gueule Fenror.
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Pauvres jumeaux. Z'avez raison, chuis vraiment une garce.
Avril quand tu nous tiens ~ Allez, la fin de l'année arrive à grands pas ! Faut y croire les gens !
Nancy ... Qui est avec toi ?
Et Julian ? Vous le trouvez cool ? (Personnellement, je l'adore. Il en a pris plein la gueule pour que dalle en plus !)
Helen ? Et Al' ? Mais où sont-elles ?
Je sais. « Mais Pi-pig (JE NE SUIS PAS UN COCHON BANDE DE NAVETS MALPOLIS), Rezher et Judith ils avaient dit qu'ils voulaient prendre le contrôle du QG, non ? Alors que se passe-t-il ? » Ha ha. Bah je sais pas moi même. //SHBAAAAFF//
Ash était assez remonté dans ce chapitre X) Ça n'a choqué personne j'espère. (Lol qui je trompe ? Z'êtes tous des sales mômes.)
J'espère que vous êtes passés à travers les saletés d'épidémies qui traînent sur le territoire métropolitain français. Ça craint ces trucs là. Et vous, de l'autre côté de l'océan ?
Au fait, je suis simplement curieuse, mais d'où venez vous ? J'suis française, mais je vois parfois passer dans les commentaires des Québécois ou des Canadiens ... Y a-t-il des gens qui viennent d'autre part ?
Bref.
A la prochaine bande d'algues desséchées !
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