Chapitre 09 : « Mon frère. »
- Hé vous savez quel est le sport préféré des chèvres ?
- Non.
- L'aéro-bique !
La blague de Romy déclencha un fou rire incontrôlable chez son frère, et Amélia enfouit sa tête entre ses mains.
- Pitié que quelqu'un les fasse taire ... gémit-elle.
- C'est pas gagné ... Je les supporte depuis hier soir.
- Rectification, tu les supportes depuis presque trois ans et demi, répondit la française avec un sourire crispé.
Ash ne put retenir un ricanement et tourna sa tête vers les deux espagnols, qui venaient de s'embarquer dans un nouveau marathon de calembours de seconde zone. Ciela, à leur côté, la seule passagère à aimer leurs blagues, riait de temps en temps, aux anges.
Le jeune homme s'étira de tout son long, avant de bailler à s'en décrocher la mâchoire, jetant un coup d'œil à sa montre. Si son calcul était bon, il devait leur rester encore environ une heure de vol. L'Element retint un grognement en faisant la moue. Encore une heure ? Déjà qu'il s'ennuyait, alors s'il lui fallait encore attendre une heure, il allait vraiment mourir. Pour tromper sa frustration, il poussa un long soupir, et laissa son regard se promener sur ses amis.
Hors les jumeaux et sa petite amie, tous semblaient dans le même état que lui. Amélia, la tête entre les mains, tentait de venir à bout de l'exaspération provoquée par les jumeaux, tandis que Sheena griffonnait à toute vitesse sur une sorte de carnet bleu, absorbée toute entière à sa tache. Helen, tournée vers l'hublot à côté d'elle depuis le décollage, semblait à moitié perdue dans ses pensées ne portant que peu d'attention à son entourage. Ash se sentait un peu concerné par le drôle d'état de sa tante, mais il mettait son absence sur le compte de la fatigue.
Helen Hunter se tuait littéralement à la tâche, surtout depuis le mois de décembre. Son secrétaire ne cessait de lui dire de prendre un peu de repos, mais la seule réponse qu'il avait reçu était une menace de renvoi. Ash n'était jamais allé lui dire en face ses pensées à ce sujet. Il souhaitait ne pas perdre un autre membre de sa famille, surtout à cause d'une chose aussi stupide que le surmenage, mais il comptait bien profiter de ce petit voyage pour lui en faire part. Il serait temps qu'Helen pense à elle-même au lieu de mettre ses élèves et son travail avant elle trois cents soixante-cinq jours par an.
- A mon tour ! s'exclama Ciela, attirant l'attention de l'écossais. Savez vous quel est le comble pour un emmental ?
- Euh ... Non ? répondirent les jumeaux dans un bel ensemble.
- Avoir des trous de mémoire !
- AH NON ! PAR PITIÉ CIELA TU NE VAS PAS T'Y METTRE AUSSI ! hurla Amélia, l'air au bord de la crise de nerfs.
- CHUUUUUUUUUUUUUUUT ! Vous allez réveiller Marika ! les houspilla Sheena avec véhémence.
Tous se tournèrent vers la reine des glaces, sciés à l'idée de s'être fait rabrouer par la jeune américaine. Cette dernière, toujours plongée dans ses écrits, ne s'était sans doute même pas rendue compte du ton sur lequel elle leur avait parlé. Sur le siège à côté d'elle, Marika, roulée en boule, semblait effectivement profondément endormie. Une couverture, déposée sur elle par l'hôtesse de l'air, se soulevait doucement, au rythme de sa respiration apaisée.
- C'est moi où Marika dort souvent ces derniers temps ? demanda Ciela d'une voix moins forte, par égard pour leur amie.
- Hum ... Nancy m'a dit la même chose hier. Sans doute est-ce dû à ses recherches pour Philios ? supposa Amélia, en posant un regard préoccupé sur la fausse japonaise.
- Si elle se repose, c'est une bonne chose alors. On devrait tous faire de même. Surtout vous, les gars. Regardez-moi ça. Vous êtes pires que moi dans mes plus mauvais jours ! leur lança Ash en secouant la tête de désapprobation.
Les deux garçons soupirèrent de concert avant de grommeler en espagnol ... Et de bailler à s'en décrocher la mâchoire.
- Ouais ... Bon, une sieste rapide alors hein. Genre ... Quinze minutes ... Ouais ... marmonna Crìs d'une voix pâteuse, tout en se frottant les yeux, tel un enfant.
- Après tout on a fait trois heures de sommeil la nuit dernière alors ... acquiesça Romy en papillonnant des yeux.
- Vous êtes désespérants ... Sérieusement désespérants ... marmonna Amélia vaguement blasée.
Ash fronça les sourcils. Trois heures de sommeil ? Il en avait fait lui-même cinq. Qu'avait bien pu faire les jumeaux durant deux heures ? Malgré lui, sa main se posa sur son sac à dos, avant de se rappeler qu'il avait vérifié lui même le contenu de ce dernier le matin même. Avec les Altafuente, tout pouvait arriver ... Même une mygale géante en plastique coincée entre une lampe torche et un paquet de chips saveur barbecue.
- On devrait tous les imiter. Je doute que nous ayons tous beaucoup dormi la nuit dernière, intervint alors Ciela en s'enroulant dans le plaid qu'elle avait emportée avec elle.
- Pas faux. Sheena, lâche ça, et tente de te reposer, toi aussi.
Mais la jeune demoiselle fit la sourde oreille, continuant à écrire à toute vitesse sur son carnet. Amélia haussa les épaules, ne s'en souciant pas plus que ça, avant de se laisser aller sur le fauteuil confortable et de fermer les yeux. Les jumeaux, l'un dans les bras de l'autre, semblaient déjà gambader au pays des songes, en compagnie de Marika, marmonnant dans leur sommeil.
- Ils ne cesseront jamais de me surprendre, pouffa Ciela, emmitouflée dans son plaid turquoise, observant les jumeaux d'un air comique.
- Et toi alors ? D'où t'es venue cette blague digne de l'entreprise carambar ? l'apostropha Ash avec un sourire en coin.
- D'eux justement mon général !
Ash retint de justesse un éclat de rire, et Ciela tourna vers lui ses prunelles d'or pétillantes de joie.
- Ash ?
- Hum ?
- J'peux venir ?
- Où ?
- Bah sur toi gros bêta !
Pendant une seconde, l'écossais se figea, se demandant si il avait bien entendu ce que la demoiselle avait dit, quand elle se leva et lui drapa les épaules de son plaid avant de s'asseoir sur lui sans la moindre vergogne, s'enroulant dans le grand morceau de laine turquoise.
- Les sièges et le plaid que M'man m'a offert à Noël sont suffisamment grands pour faire ça. Tu m'en veux pas au moins ? demanda-t-elle d'une voix innocente en levant un regard espiègle vers lui.
L'écossais poussa un long soupir avant d'enrouler ses bras autour de la taille de Ciela et de poser son menton sur l'épaule de cette dernière, soufflant dans ses mèches bicolore pour se faire de la place.
- Bien sur que non. Tu ferais une parfaite bouillotte, tu sais ?
- Et c'est toi, un Element de feu, qui dis ça ?
- J'assume.
La demoiselle fit semblant de lui donner une pichenette sous son plaid et se laissa aller contre son petit ami, sourire béat à l'appui. Ash roula des yeux d'un air comique avant de lui aussi, se laisser aller.
* * * * *
- Est-ce que tout est prêt ?
- Oui, Madame. L'opération pourra commencer demain matin, grand maximum.
Un sourire suffisant étendit ses fines lèvres.
- Parfait. Tout bonnement parfait. Vous avez fait du bon travail.
- Merci, Madame. Que le Maître d'Eneria vous apporte bienveillance !
- Que le Maître d'Eneria vous enlève malchance.
* * * * *
« - Sheena ... Arrête s'il te plaît ... »
- Non Zelmaria ! Non ! J'y suis presque, je sais que j'y suis presque ... Il me faut encore quelques minute et ...
« - Cela fait presque deux heures que tu me le dis ! Je connais les prophéties, Sheena ! Ce n'est pas ainsi que tu vas réussir à les déchiffrer ... »
- Pourquoi a-t-il fallu qu'Ethan les tourne ainsi !? Elles sont tarabiscotées ... Même avec ton aide, je n'y comprends rien !
« - Elles ne sont pas tarabiscotées. Ou alors elles l'étaient même pour lui. Ethan s'est tout simplement contenté de retranscrire ce qu'il avait compris de ses visions, ce qu'il avait vu. Peut-être même que lui n'y a rien compris. »
La jeune reine des glaces s'arrêta d'écrire avant de prendre une grande inspiration.
- Explique-moi alors ! Je t'en prie, je veux savoir. Je veux savoir leurs significations ! gémit Sheena.
Car sous ses yeux, trois nouvelles prophéties venaient de voir le jour. Sorties le matin même du journal intime de sa sœur, déchiffrées à travers le mélange d'écriture et les pattes de mouche du défunt Chase :
« Cette nuit faite de flammes et de cendres dissimule une vérité bien plus sombre que celle que les deux innocents pensent cacher. »
« En la colline venteuse attendent deux gardiens de secrets »
« Les deux oubliés, accompagnés de deux disparus, pourraient bien être le miracle destiné, et la vérité durant si longtemps redoutée »
- Et il en reste encore ! Et il en reste encore ... Au moins deux pages. Je ne sais que faire ...
« - Mon trésor, calme-toi. Tout va bien. Nous, Oracles des Sables, pouvons avoir des visions du futur ... Mais pas forcément d'un futur proche, tu sais ! Nous pouvons entrapercevoir des événements qui ne se produiront que des années, voire des décennies plus tard ! Cesse de te ronger le sang ... J'apprécie de voir ta détermination, mais sache que tu n'as pas à tout porter sur tes épaules. »
- Je sais mais ... Même si ces prophéties ne nous concernent pas, elles n'ont pas été marquées ici par hasard ! Ethan a eu des visions. La moindre des choses que je puisse faire - que nous puissions faire - serait de les comprendre et de les interpréter ! Au moins pour les personnes concernées ! P-pour les aider ou ... balbutia la petite demoiselle, serrant son crayon si fort entre ses petites mains que les jointures en devinrent blanches.
Soudain, elle sentit une étrange vague de chaleur lui parcourir la poitrine. Cela arrivait de temps en temps : Zelmaria lui communiquait ses sentiments par ses drôles de sensations. Au départ un peu surprise, Sheena avait rapidement sû quels mots mettre sur chaque sensation. Et là ... Ce n'était ni plus ni moins que de la bienveillance pure ... Mêlée de ... joie ? Non. Ce n'était pas de la joie. C'était ...
« - Je suis fière de toi, trésor. Et j'admire le fait que tu t'inquiètes à propos de personnes que tu ne connaîtras peut-être jamais au sujet de ces prophéties et de ce qu'elles pourraient leur amener. Tu es altruiste. Mais ne prends pas sur tes épaules le poids de tant de secrets ... Beaucoup y ont perdu la tête. Au moins, parles-en aux autres. »
- Je ... Je ne peux pas Zelmaria. Je ne veux pas les inquiéter encore plus ! Nous avons déjà eu cette conversation. Partageais-tu tes visions avec tes amis ?
Un silence se fit, et Sheena comprit que l'Enerienne cherchait ses mots.
« - ... Non. Mais c'était avant que je ne rencontre tout le monde. »
Sheena se redressa, surprise.
- Ah bon ?
« - Ce ... C'est une longue histoire. Mais pas si différente de celles des Oracles des Sables. Philios et Svelja furent mes premiers amis ... Mes tout premiers amis. Toujours est-il que tu n'es pas seule Sheena. Je te prie de ne pas l'oublier. Ethan n'a pas laissé ses prophéties ici uniquement pour toi. Il l'a fait pour vous, j'en suis sûre. »
La jeune Reine des Glaces poussa un long soupir et baissa son regard vers les multiples mots enchevêtrés les uns dans les autres dans une tentative désespérée de déchiffrer ces fichues prophéties. Sheena referma lentement le cahier, en se pinçant les lèvres. Zelmaria ... Elle avait raison. Vu sous cet angle ... La jeune fille repensa au grand frère de Violet. Si bon. Si généreux. Si avenant, et pourtant effacé, silencieux ... L'avertissement qu'il leur avait laissé lui revint en mémoire. Malgré elle, deux phrases tournèrent en boucle dans son esprit : « Si vous avez suffisamment confiance, il ne vous arrivera rien. Maintenant, à vous de choisir à qui faire confiance ». Sheena avait la chance d'avoir des personnes de confiance à ses côtés ... Et eux aussi avait le droit de savoir ce qui les menaçait tous. Lorsque la jeune adolescente ferma les yeux, ce fut avec la certitude qu'elle ne garderait plus le secret bien longtemps.
* * * * *
« Au moment où il ouvrit les yeux, et aperçut l'immense ciel bleu qui s'étendait au dessus de lui, Ash se demanda sincèrement où il pouvait bien être.
- Si je m'attendais à ça ...
Le jeune écossais se redressa vivement, alerte. Tranquillement assis dans l'herbe verdoyante à côté de lui, Fenror, qui mâchonnait une feuille quelconque, regardait devant lui, d'un air à la fois songeur et surpris.
- Bon sang de bonsoir ! Tu m'as collé une de ces frousses !
- Oh désolé, répliqua innocemment le guerrier avec un sourire en coin, tout en continuant de grignoter sa feuille.
L'Element de feu leva les yeux au ciel, ravalant un juron bien senti et croisa les bras en se mettant en tailleur, foudroyant l'Enerien du regard.
- Et où sommes-nous ?
L'Element aux yeux dorés désigna la direction devant lui d'un mouvement de tête, et Ash dut mettre sa main en visière pour se protéger du soleil afin d'apercevoir quelque chose ... Avant de laisser échapper une exclamation. A environ une dizaine de mètres devant lui, deux personnes familières se faisaient face : Philios et Fenror.
- ... J-je ... balbutia Ash, perdu.
- Un souvenir, l'interrompit l'Enerien. Un vieux souvenir assez précieux. Toutefois, je te l'accorde, ça fait bizarre d'assister en temps que spectateur à une chose dont vous avez été acteur.
Les yeux écarquillés, sans voix, Ash détailla les deux meilleurs amis, encore sous le choc. Vêtus de vêtements qu'il pourrait qualifier de tous les jours, du moins pour l'époque, leurs pieds nus foulant l'herbe grasse, tout sourire, ils semblaient totalement insouciants, poings levés devant eux, comme s'ils étaient sur leurs gardes. Puis l'archer se jeta en avant, tentant d'assener un crochet du droit à Fenror, qui l'esquiva sans la moindre difficulté, d'un pas de côté aussi rapide que furtif, qui répliqua par une grande claque dans le dos de son adversaire, l'envoyant bouler cul par dessus tête par terre. Le Reïsha éclata d'un grand rire en apercevant l'air mi-éberlué, mi-frustré de son meilleur ami.
- Nous nous entraînions sans nous prendre au sérieux. Nous faisions ça tous les jours avant de nous mettre à table, le midi. Histoire de bien nous mettre en appétit, expliqua Fenror.
Ash cligna des yeux en ne pouvant s'empêcher de penser aux jumeaux. Plus jeune, le meilleur moyen de savoir que l'heure de manger approchait n'était pas de regarder l'heure, mais tout simplement d'observer les deux Altafuente et leur agitation. Plus elle croissait, plus l'heure de se mettre à table arrivait.
- Tous les jours ?
- Ça nous permettait de rester en forme, répondit Fenror en haussant les épaules et en enfournant une nouvelle feuille.
- Est-ce ... Un rêve ou un souvenir ? Non parce que ... Rêver d'un souvenir ... Ça n'arrive que dans les livres ou les films.
Fenror ricana légèrement.
- Un mélange des deux je dirais. Tu rêves de mon passé.
Touché coulé.
- Et qu'est-ce que tu manges au fait ?
- Des feuilles. Vieille habitude. T'en veux ?
Ash secoua vivement la tête, regardant suspicieusement le guerrier en grignoter une troisième, tel un rongeur.
- Je me demande quel jour c'était ... Sans doute pas un jour particulier ... marmonna l'Element de feu aux cheveux rouge, pour lui-même.
Ash se re-concentra sur la fausse bagarre des deux amis : cette fois-ci, Philios avait réussi à mettre Fenror à terre d'un bon croche patte sans grande violence. Toujours est-il que l'ex général s'était étendu de tout son long par terre d'une manière tellement comique que l'écossais faillit laisser échapper un rire moqueur. Dont Philios ne se priva pas. Bien mal lui en prit : Fenror se redressa vivement, et lui flanqua son coude dans la cuisse gauche. Le combat reprit de plus belle, de moins en moins loyal à chaque coups donnés, qui finirent par les envoyer tout les deux à terre, complètement débraillés, couverts de sueur, mais souriant à s'en faire mal aux maxillaires.
- Temps mort Fenror, temps mort ! finit par dire l'Archer à bout de souffle.
Apparemment en accord avec son meilleur ami, l'ancien général approuva d'un claquement de langue et poussa un long soupir d'aise.
- Un bien fou !
- Tout à fait.
- ... Je vois bien que quelque chose te tracasse. Que t'arrive-t-il ? demanda le Fenror onirique en se redressant sur les coudes, interrogateur, au bout de quelques secondes de silence.
A côté de lui, Ash entendit le vrai Fenror cesser de mâchonner, et il le vit se raidir du coin de l'oeil.
- Oh oh. J'ai eu tort. Je ... n'aurais pas imaginé que ce serait ... Ce jour là.
- Qu'est-ce que tu veux dire ? dit Ash, sa curiosité piquée à vif.
- Tu vas voir ...
Philios pinça les lèvres et croisa les bras sur sa poitrine.
- Je ... n'ai pas confiance en ta sœur ... Elle est étrange. Pourquoi apparaît-elle ainsi, du jour au lendemain, sans la moindre explication ? Je n'aime pas ça. Et puis elle dit t'avoir cherché mais ... Elle nous a trouvé si facilement. Et on ne peut faire confiance aux Elements des ténèbres. Ils sont fourbes. On ne sais jamais ce qu'ils ont derrière la tête.
- Serais tu entrain d'accuser Almarica de trahison envers nous ?
Philios se tourna vivement vers son ami, alarmé.
- Je ... heu ...
Le Reïsha l'interrompit d'un mouvement vif de la main, l'air bien moins énervé qu'il n'aurait du l'être par une telle déclaration. Bien au contraire, il semblait ... on ne peut plus calme. Voire même compréhensif.
- Il est vrai qu'une telle apparition a de quoi surprendre. Surtout ainsi. Je le considère moi-même comme un miracle. Mais ne va surtout pas t'imaginer le pire ou te méfier d'elle. J'ai confiance en Almarica de toute mon âme, et de tout mon cœur. Et puis ne serais-tu pas le plus à même d'outrepasser les préjugés ? N'es-tu pas celui qui m'avait dit que les liens on ne peut plus houleux entre nos deux familles ne te faisaient ni chaud ni froid ?
Le visage cramoisi de Philios donna à Ash l'impression de voir un enfant mort de honte, en train se faire réprimander par son père.
- Je ... Heu. Il est vrai que ... avec tout ce que tu nous a dit d'elle ... Je n'ai pas de raison de m'inquiéter ... Mais ... tenta de se justifier le jeune homme.
- Le doute subsiste, je comprends. Mais par pitié, n'allez pas vous mettre en grippe l'un avec l'autre. D'accord ?
- Je vais essayer Fenror ... bougonna l'archer en fixant ses pieds nus.
- LES GARÇONS ! À TABLE ! rugit Svelja de la maison à travers la fenêtre.
Fenror bondit sur ses pieds en se frottant les mains.
- Argh, je meurs de faim. Tu viens ?
Philios l'imita et les deux s'engouffrèrent dans la maisonnée qui s'emplit rapidement de conversations entremêlées.
Ash, encore confus, se tourna vers le guerrier, cherchant des explications. Ce dernier fixait la petite demeure sans vraiment la voir, mâchonnant sa feuille sans grand entrain.
- ... Est-ce qu'Almarica vous a parlé de sa relation avec Philios ? le questionna-t-il après une longue minute de silence.
- Uuuh ... Hum, elle a dit à Ciela, Sheena et Amy qu'elle ne pouvait pas l'encadrer au départ, ouais. Si je me souviens bien.
- C'est un bon résumé je dirais.
Toujours aussi confus, Ash continua de fixer Fenror, en faisant les gros yeux.
- C'était le jour de l'arrivée d'Almarica. Cette scène. Elle nous est apparue presque comme sur un plateau d'argent. Philios l'a aidée à se débarrasser de bandits qui l'avaient prise en chasse et nous l'avons accueillie comme il se le devait. Je n'aurais jamais cru la revoir un jour, honnêtement. Et pourtant la voilà. Lorsque je l'ai revue ... Je ... J'ai cru ... Bref. Cette apparition avait tout d'un miracle. Un miracle bien étrange pour Philios, qui m'a rapidement fait part de ses doutes. Qui n'avaient absolument pas lieu d'être, bien entendu ! Almarica avait tout simplement fui le palais et nous avait retrouvés par hasard, aussi dur à croire que cela puisse être.
Ash grimaça en s'imaginant la suite de l'histoire.
- Il l'a réellement accusée ?
- Oh non. Enfin ... Pas tout de suite.
Fenror avala sa dernière feuille et posa sa tête sur ses genoux, ennuyé.
- Quand Philios a appris qu'Almarica était alchimiste ... Il s'est d'autant plus méfié. Attention. Nos alchimistes ne sont pas comme ceux de vos contes et légendes. Il n'a jamais été question de transmuter du plomb en or ou autres futilités. Nos alchimistes se rapprochent plus d'herboristes ou de guérisseurs. Fabriquer des potions à base de plantes qui guérissent même les pires blessures, ou concocter des poisons fulgurants et douloureusement mortels, relevaient bien plus de leur quotidien. Toutefois, ils avaient aussi bonne réputation que les vôtres : de grands parias.
Ash se mordit la lèvre inférieure, songeant qu'Almarica avait bien dû en baver. Une Element de ténèbres alchimiste ... Elle avait du en voir des vertes et des pas mûres, princesse ou non.
- Et ... Il s'est passé quoi ... Après ?
Un sourire sans joie fleurit sur les lèvres de l'Enerien.
- Une belle situation catastrophique.
L'écossais soupira, imaginant sans peine la situation dégénérer. Sa curiosité le poussait à demander des détails supplémentaires à son ami, mais Fenror se tourna alors vers Ash, et un éclair fugace passa à travers son regard doré.
- Je doute avoir le temps de te raconter la suite de cette histoire maintenant.
Soudain, Ash aperçut le monde autour d'eux se fondre sur lui même, les couleurs se mélanger, se déchirer, disparaître. Et Fenror disparu à sont tour en lui faisant un vague signe d'au revoir, portant une nouvelle feuille à sa bouche.
* * * * *
- Ash ? Ash réveille-toi. Ciela, debout ! Il faut que je vous parle !
Ils ne bougèrent pas d'un cheveux, profondément endormis. Frustrée, Marika s'assit alors en tailleur devant eux, avant de les foudroyer du regard, se maudissant de s'être endormie au mauvais moment. Elle comptait sur le voyage en avion pour donner à chacun le précieux cadeau de Nancy et leur expliquer son utilité inestimable. Manque de chance ... Ils avaient tous décidé de sombrer dans le sommeil. En grommelant, elle réunit ses cheveux sur son épaule gauche et commença à fermement les tresser, plongée dans ses pensées.
Le Conseil Mondial des Elements. Par le passé, ils leur avaient mis, à elle et l'Inexistante, tant de bâtons dans les roues que la petite immortelle avait menacé d'agir. Et jamais, pas une seule fois, Marika n'avait vu Brunette agir auparavant. Certes, elle avait toutes les raisons d'agir, qui ne sortaient pas de son cadre de la règle de la légitime défense, mais ... La rage qui avait transparu dans son regard à cette époque, une rage implacable et presque cruelle, lui avait montrée une face de la personnalité jusqu'ici inconnue chez celle qui avait partagé sa vie durant plusieurs siècles. Pendant un moment ... Marika avait même cru que Brunette pourrait briser sa règle ultime. Les menaces proférées par Brunette au Conseil Mondial des Elements et à cet espèce de ... lardon de Malcom Horace. Ce dernier avait eu si peur qu'il avait immédiatement quitté l'île. Sans aucun doute la décision la plus sage que cet homme n'ait jamais pris. Inconsciemment, l'Enerienne se mit à dessiner des cercles concentriques du bout de l'index, sur le tapis beige qui leur servait de plancher, ramenant ses jambes contre elle. Elle pinça les lèvres. Marika était mal à l'aise. Elle avait sous sa responsabilité ces six jeunes Elements, qui comptaient tous sur elle. Elle avait sous sa responsabilité les âmes plus ou moins contrôlables de ses amis plus si défunts que ça. Et elle se devait de retrouver Philios avant que les choses ne tournent mal, sans compter les innombrables secrets que son frère lui cachait encore. Pour la première fois depuis bien longtemps, Marika avait l'impression de nager dans un brouillard sans fin. Avant l'arrivée de Ciela, son seul but à l'Académie était de surveiller Léo, Kiwi, Violet, et les Last Hope, tout en envoyant régulièrement des rapports à Helen et en surveillant le Sous-Sol. Difficile de croire qu'en l'espace d'une nuit son monde avait basculé et ses convictions s'étaient réduites en miettes. Jamais de sa vie la Reïsha ne s'était sentie aussi perdue. Et le ciel seul savait qu'elle avait vécu énormément de choses perturbantes durant sa longue existence.
Marika poussa un long soupir et leva la tête, observant le début de crépuscule par le hublot le plus proche d'elle. Les rayons de soleil teintés de doré par son coucher lui rappelait ce qui avait été pendant longtemps sa couleur préféré : le orange flamme.
- Philios ... murmura-t-elle.
Pendant six mille ans, la demoiselle s'était interdite de prononcer son prénom. Et elle ne l'avait jamais autant répété en l'espace de six mois. Comment allait-il ? Ou était-il ? Pouvait-il manger à sa faim ? Boire à sa soif ? Dormir dans un endroit sec et chaud ? Ces questions lui retournaient sans arrêt la tête. Elles revenaient au moins deux à trois fois par jour, en même temps qu'un élan d'inquiétude sans nom depuis avril dernier ... Depuis avril dernier ... Au moins une fois par jour, elle craignait qu'il soit blessé, ou pire, à l'agonie ... Tout ça ... Tout ça à cause d'un stupide, stupide, stupide rêve. Elle se mordit la lèvre inférieure en se recroquevillant sur elle même, se berçant d'avant en arrière sans s'en rendre compte, tentant de chasser les images horrifiques qui lui venaient en tête :
« Une grotte. Sombre. Rien. Rien. Si ce n'est ... Une forme quasi fantomatique à terre. Famélique. Crasseuse. Couverte de sang. Ses ailes grises tordues en une position horriblement anormale. Son visage. Sans expression. Ses yeux émeraudes vitreux. Du sang. Du sang. Du sang. Du sang partout. Hurler. Encore. Encore. Encore. ENCORE. »
Une expiration. Une inspiration. Une expiration. Une inspiration. Marika ouvrit ses lèvres, retenant un gémissement. Le rêve ... Il lui avait paru si réaliste qu'à son réveil qu'elle avait couru jusque dans la clairière du pêcher éternel, prête à entrer dans le Sous-Sol, secouer l'Inexistante, lui exiger des réponses claires et précises, exiger la position actuelle de Philios ... Mais elle n'en avait rien fait. La lune de ce soir là, si lumineuse, ronde et apaisante, l'avait empêchée d'aller plus loin. Elle s'était tout simplement contentée de s'asseoir, et de contempler les étoiles. Quelques secondes plus tard, elle avait réalisé son rêve, et avait fait une promesse. Celle de retrouver Philios avant qu'il ne soit trop tard. Avant qu'on ne le lui arrache une nouvelle fois. Et peut-être aurait-elle alors ... La réponse tant attendue ? Pourquoi Philios lui avait-il menti ? Elle qui malgré toutes ces années, avait toujours lu au fond de son regard ...
- Almarica ?
La fausse japonaise poussa un hoquet étranglé en sursautant, interrompue dans ses pensées. Clignant des paupières à plusieurs reprises, tentant de se retrouver, elle faillit s'étrangler ... Lorsqu'elle aperçu la paire d'yeux dorés qui la regardait avec une tendresse fraternelle douloureusement familière. Lentement, elle se tourna vers son frère, ne le quittant pas du regard, craignant que la perte de contact visuel soit une perte définitive. Lentement, Fenror dégagea le bras gauche du jeune Hunter en douceur, enroulé autour de Ciela, avant de se passer la main dans les cheveux, se les ébouriffant légèrement, remettant en place les mèches maintenant écarlates qui lui tombaient devant les yeux.
- B-bonsoir ... Fenror, balbutia l'Enerienne, en ouvrant de grands yeux un peu humides, la gorge serrée par l'émotion.
- Bonsoir Petite Istar, répondit-il à voix basse, d'une voix si chaleureuse que Marika sentit son corps se secouer par un violent spasme.
Malgré elle, un sourire démentiel vint étirer ses lèvres. « Petite Istar. »
- Nous n'avons plus dix ans, mon frère ...
- Je sais. Mais ce nom te va comme ... Comment disent-ils déjà maintenant ? Ah oui. Un gant. Il te va comme un gant.
- Héhé ...
Marika avala sa salive, tentant de chasser le nœud dans sa gorge, qui menaçait d'exploser en une salve de sanglots. Elle ne lui avait pas parlé depuis si longtemps ... Et ce surnom, elle ne l'avait entendu que dans ses rêves. Ce surnom qui a lui seul symbolisait ses espoirs, ce qu'elle aurait pu devenir après la guerre si ... Si ... Les choses ne s'étaient pas déroulées ainsi.
- Je doute qu'Istar soit une belle carrière, maintenant, reprit-elle, ignorant les accents un peu trop aigus que prenait sa voix.
Le doux sourire de Fenror s'accentua.
- Dommage. Tu aurais été la meilleure d'entre eux.
- Peut-être ...
Malgré elle, Marika sentit une larme dévaler sa joue gauche. La traîtresse. Elle l'essuya rapidement.
- Je sais. Je sais que ... J'aurais du venir te voir plutôt mais ... Je n'osais pas, Almarica. J'avais ... Peur. Et puis ... Ce corps n'est pas le mien. Et avec ce qu'il s'est passé en Janvier dernier ... Disons que je n'ai pas vraiment envie de réitérer une catastrophe.
- Je comprends. Et je te fais confiance ... Maintenant. Dernière chose ... Évite de m'appeler ainsi alors que je NE SUIS PAS Almarica, mais Marika. Watashi wa Haru Marika desu.
Un sourire amusé vint détendre ses traits soucieux.
- Je préfère ton vrai prénom ... Il a une belle signification.
- Hé là. Marika veut dire équilibre en hébraïque ancien. Et Haru, c'est le printemps en japonais. Je trouve ça plutôt joli, moi !
Fenror haussa un sourcil, amusé.
- C'est paradoxal. Le printemps est loin d'être une saison d'équilibre.
- Je SUIS paradoxale Fenror. Souviens-toi, je n'aurais jamais du naître. Même mon vrai nom est paradoxal !
L'expression de son frère laissa place à une tristesse lasse.
- Almarica ... Cesse. Je te l'ai déjà dis. Tu n'as pas à pleurer sur ton passé. Tu as ta place, maintenant. Regarde autour de toi ! Ces personnes t'aiment et t'estiment du plus profond d'elles-même. Comme nous l'avons tous fait avant. Comme nous le faisons toujours.
La jeune fille laissa son regard dériver vers les visages endormis des Last Hope. Et elle repensa à Nancy, ainsi qu'à Kiwi et Violet. Et l'Inexistante.
- ... Je ne sais pas si je le mérite.
- Almarica Reïsha. Tu es une battante. Tu as survécu durant six mille ans. Et les Dieux seuls savent quelles épreuves tu as pu vivre, ma sœur. Tout ça à cause de moi, et mes erreurs.
La demoiselle releva son regard vers son frère. Maintenant, c'était à son tour d'avoir les yeux humides. La culpabilité qui y scintillait fit monter en elle une foule d'émotions contradictoires.
- Je ne voulais pas ... Je ne voulais pas te voler ce qui aurait dû être ton futur. Je ne voulais pas tout te prendre. Je ne le voulais pas, Almarica. Je ... ne peux pas revenir en arrière, mais sache que si j'avais pu, les choses auraient été bien différentes.
- Je sais, Fenror. Je le sais parfaitement.
- Almarica. Je te jure, je le jure sur nos ancêtres que je n'ai pas ... Je n'ai pas brisé les règles. Je n'ai pas ... Nous n'avons pas blasphémé la règle ultime. Nous n'avons pas violé le principe le plus élémentaire qui soit. Je te le jure.
« Nous » ? Marika fronça les sourcils.
- Qu'avez vous fait, alors ? murmura-t-elle en un souffle.
- Nous avons simplement ... Trouvé un détour.
Mais avant que l'Element ne puisse répliquer quoi que ce soit, un voyant lumineux s'alluma juste au dessus du siège sur lequel reposaient Ash et Ciela, et la lumière jusqu'à présent diffuse de l'avion s'alluma doucement : l'appareil s'apprêtait à atterrir, comme l'annonça la douce voix de l'hôtesse de l'air à travers le haut parleur de l'avion, réveillant les Last Hope avec douceur.
- Je t'aime, Almarica.
- Je t'aime aussi.
Puis peu à peu, les yeux d'Ash retrouvèrent leur couleur écarlate habituelle, et ses cheveux redevinrent noir d'encre. L'Element de feu, encore embrumé par la fatigue, inconscient de la conversation que Fenror avait eut avec sa jeune sœur, grommela en anglais, mécontent. Ciela s'étira en baillant, manquant de justesse de décocher un malheureux coup de poing à Ash, sans s'en apercevoir.
- C'était confortaaaable ... Marika ? On peut t'aider ? demanda la francophone d'une voix inégale en se dégageant du plaid.
- ... Non. Non, plus maintenant.
Et l'Element de ténèbres se releva prestement, laissant une Ciela intriguée, allant s'installer sur son siège, bouclant violemment sa ceinture, la resserrant à son maximum, ignorant la buée d'eau salée qui troublait sa vision.
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Au cas où si vous vous demandez, oui, la signification du prénom « Almarica » a une importance. : 3 Et c'est un spoil.
J'ai traînassé pour ce chapitre. Bien trop. J'ai parfaitement conscience que mes études ou mes problèmes personnels n'excusent en RIEN les écarts de chapitres complètement aléatoires que je vous fournis, et même si à chaque fois j'essaye de me raisonner et de mettre les bouchées doubles, j'arrive à rien. :') J'essaye d'au moins vous fournir un chapitre par mois, maiiiiiis bon. Toujours est-il que je suis désolée de ça. L'année prochaine, j'espère RELLEMENT pouvoir me consacrer plus souvent à l'écriture. J'vous adore tous. J'veux pas vous décevoir. S.E.A n'en est ici que grâce à vous, chers lecteurs. Merci infiniment pour votre patience et votre présence. (C'est fini, rangez les violons. //SHBAAAAAAAFF//)
Ciela se met aux blagues des jumeaux ! :D Enfin j'ai envie de dire.
Dormir ~ C'est bien de dormir. Tout le monde devrait dormir. Même toi là bas, avec les cernes de trois kilomètres de long et ton bol de café en te disant que la caféine t'aidera à passer la journée tranquillou. Oui, oui. Y'en aura au moins un ou deux qui se reconnaîtra. Et c'est pas moi. Je déteste le café.
Oh et oui. A l'époque, c'était pas rose rose entre Philios et Almarica, déjà. Tout ça parce que notre piaf de service est ... un brin trop sur ses gardes. On va dire. O;)
Mais bon sang de bonsoir, qu'a pu bien faire Fenror ?!
Vous (ne) le saurez (pas) dans le prochain chapitre ... >8D //SHBAAAFF//
A LA PROCHAINE BANDE DE SWEET GUM A LA PÊCHE ! (c'est trop bon ces trucs là !)
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