Chapitre 4 : Alphonse

« Assieds-toi ici. »

J’attendis qu’Orphée prenne place sur l’une des tables de la bibliothèque du lycée et je déposais un vieil ouvrage devant lui. Le livre était relié en cuir et très ancien. Les élèves n’ont théoriquement pas accès à ces livres là mais j’ai découvert l’année dernière que la clef de la réserve de la bibliothèque était juste posée au-dessus de la porte, sur l’huisserie alors je vais me servir dedans de temps en temps. De toute façon, personne ne vient jamais à la bibliothèque.

Tout comme la bâtisse qui abrite le lycée, la bibliothèque est très ancienne et recèle quelques trésors, à condition de savoir où chercher. Les étagères en bois de chêne croulent sous les livres de toutes sortes, et dans les majestueuses allées, sont installées des tables en enfilades, en chêne également. Les rayonnages du fond regorgent de coupures de journal, classées soigneusement depuis près d’un siècle. Cette bibliothèque, moi je la vois comme une caverne d’Ali baba, et surtout, un havre de paix un antre de sureté, là où personne ne vient jamais me déranger et me blesser. J’y viens souvent pour dessiner ou seulement pour penser, me resourcer.

« Donc pour commencer, nous allons voir ce que tu connais, tu dois bien avoir quelques bases ? »

« Non, je te l’ai dit, la mythologie est proscrite là d’où je viens. »

« Oui mais quelques petites légendes ont bien dû filtrer à un moment où un autre. »

« Il y a certains groupes qui se réunissaient pour en parler, à la frontière de ton monde et du miens, enfin selon les rumeurs. »

« Ok, alors je vais te dire des noms mythologiques et tu vas me dire ce que ça t’évoque, si au moins tu en a déjà entendu parler. »

« Je t’écoutes. »

« Alors, commençons par cerbère. »

« A part ce que tu m’as dit ce matin, je ne sais rien. »

J’ouvris le livre à la page où était représenté la créature pour la montrer à Orphée.

« Cerbère est un chien à trois têtes, fils de Echidna et de Typhon, frère de Orthos, qui lui est un chien à deux têtes. Les trois têtes de cerbère représentent le passé, l’avenir et le présent ou la naissance, la vie, et la mort ou encore, l’enfance, la jeunesse, et la vieillesse. Cerbère est le gardien des enfers, se trouvant sur les berges du Styx, empêchant quiconque de quitter ou d’entrer dans les enfers. La chose la plus importante que tu dois retenir sur Cerbère c’est que pour le calmer et tromper sa vigilance, il faut lui apporter une galette de miel. »

« Ok et qu’est-ce qu’est le Styx ? »

« Le Styx, est le fleuve qui mène aux enfers. Métaphoriquement, c’est le lycée qui mène à l’enfer des cours. Tu remarqueras que le lycée s’appelle St. Laurent, comme le fleuve Canadien. Un nom de fleuve, alors il est évident qu’il s’agit en réalité du Styx. »

« Je crois que je commence à comprendre votre logique ici. »

« Ce n’est pas évident hein ? »

« C’est le moins que l’on puisse dire. »

« Alors, de quoi je vais te parler maintenant ? Ah oui, les gorgones. Elles sont trois créatures malfaisantes, à la tête ornée de serpents et au regard pétrifiant, leurs noms sont Méduse, la plus connue, celle qui était mortelle, Sthéno et Euryale. On a nos propres Gorgones ici, tu les reconnaitras dès que tu les rencontreras, de vraies vipères. Les gorgones ont trois sœurs ainées qui les protègent, les sœurs Grées, nommées Dino, Enyo et Pemphrédo. »

« Celles que tu appelles les Gorgones sont en fait les garces du lycée ? »

« En quelques sortes. »

« C’est plutôt bien trouvé. »

Un fracas en provenance du fond de la bibliothéque me fit me retourner, surprit. Personne ne vient ici généralement. Une jeune fille apparut finalement, s’excusant pour le vacarme. Elle était de taille moyenne, les cheveux violets coupés en un carré long et les lèvres purpurines. Sa peau était constellée de taches de rousseurs, principalement sur les joues et le nez, au bout duquel reposaient de fines lunettes à la monture dorée. Paradoxalement, malgré la couleur artificielle de ses cheveux, elle semblait incroyablement vraie et naturelle, que ce soit physiquement ou mentalement. Je n’aurais su expliquer comment mais au premier regard, on voyait qu’elle était pure et spontané, le genre de personne qui vit l’instant, sans réfléchir à la façon dont elle pourrait tourner les choses à son avantage.

« Je me permet. » Dit-elle alors qu’elle prenait place sur une chaise à notre table, s’asseyant en tailleur.

Il eut un instant de blanc avant qu’elle n’ajoute :

« Continuez, j’adore la mythologie et tu la raconte joliment. »

« Tu écoutais ? »

« Oui, au début je voulais pas puis forcée d’entendre, je me suis résolue à écouter. Tu es si passionné quand tu racontes. Puis ça aurait été trop bizarre si je sortais de nulle part alors je suis resté dans l’allée de derrière et après j’ai fait tomber les livres alors ça aurait été encore plus étrange de ne pas venir donc me voilà. Au fait, je m’appelle Alphonse. »

« Alphonse ? »

« Ouais, je sais, c’est bizarre comme prénom pour une fille mais à force on s’y fait et on finit même par apprécier, au moins ce n’est pas commun. Si ça te dérange trop, tu peux toujours m’appeler Alphy’ »

« Alors Alphonse, je te présente Orphée, et moi c’est Mahé. »

Elle nous offrit un grand sourire extravaguant et malicieux avant de nos tendre sa mains pour qu’on la serre.

« Maintenant que l’on est amis, je propose que l’on se retrouve ici tous les jours après les cours, pour faire comme un club mythologie. Oh et aussi, on aura qu’à manger ensemble les midis. »

Son enthousiasme me fit sourire, j’aimais sa simplicité et sa candeur. Le fait qu’elle ait décrété que l’on était amis va m’obliger à me sociabiliser un peu, ce qui ne me fera pas de mal je pense. Ça fait quand même beaucoup de bouleversements en seulement un jour. Je me retrouve à héberger un ange déchu chez moi et je me fais une amie dans le lycée où je vais depuis deux ans sans jamais avoir le moindre contact amical avec qui que ce soit. C’est comme si ma vie prenait aujourd’hui un tournant décisif.

Nous passons encore une heure de plus à la bibliothèque, notre échange ponctué d’éclats de rires provoqués par l’attitude joviale d’Alphonse. Cette fille c’est un concentré de bonne humeur comme je n’en avais jamais vu.

Vers huit heure, les lampes se coupent, nous signalant qu’il est l’heure de quitter la bibliothèque mais absorbés par nos recherches et nos babillages distraits, nous restons assis à notre table, mon téléphone et celui d’Alphonse au centre du meuble pour nous éclairer, créant une ambiance étrange, presque pesante autour de nous.

Nous ne remarquons l’heure tardive qu’au moment où mon portable vibre, affichant une notification inutile visant à ne rappeler que j’avais un compte Facebook. Franchement, ce genre de notification à minuit passé c’est un peu abusé.

« Je crois que l’on va rentrer. » Chuchotais-je.

« Non, c’est hors de question ! »

Finalement, cette fille est peut-être une psychopathe.

« J’ai loupé le repas à cause de vous alors on va devoir sortir en douce pour aller manger et après revenir pour dormir. »

« Ok » Souris-je attiré par l’interdit. « Mais tu connais un endroit ouvert à minuit quarante-sept ? »

« Précisément oui. »

« Alors c’est parti ! » Souffla Orphée, presque aussi excité que nous.

« Et après avoir mangé, vous revenez dormir ici ? Vous n’allez pas me laisser seule dans un internat rempli de macho et de pimbêches écervelées ? »

« Ça ce n’est pas possible, il faut que j’aille nourrir ma chienne, elle doit déjà m’attendre et aboyer dans tout l’appartement, je vais pas la laisser toute la nuit. En plus les voisins risquent de se plaindre. »

« Ah les voisins, quel fléau. »

Nous rîmes de nouveau avant que j’ajoute, sérieux :

« Non mais sans rire, je ne peux pas la laisser. »

« Mais on s’en fout, tu la prends avec toi, tant qu’elle est propre je veux bien que tu la mettes dans ma chambre. »

« Quoi ? Mais tu délires. »

« Mais non, allé Mahé, ce sera drôle ! » Insista à son tour Orphée.

C’est bien un ange lui, maintenant qu’il est déchus il se dévergonde et incite les autres à la débauche…

« Bon d’accord mais juste ce soir. Je suis plutôt abonné aux plans foireux, ça ne veut pas pour autant dire que j’en suis adepte. »

« T’es le meilleur Mahé ! » S’exclama Alphy’ euphorique.

« Bon, je remballe mes affaires et on est parti. Orphée, va avec Mahé, vous vérifiez qu’il n’y ait personne dans le couloir et vous courrez jusqu’aux toilettes des filles, je vous y rejoins tout de suite. »

« Ok. A tout de suite. » Murmura Orphée avant de m’attraper par la main et de me guider vers la porte de la bibliothèque, puis dans le couloir, à croire qu’une après-midi lui avait suffi à mémoriser le plan du lycée alors que moi, même après plus de ans, il m’arrive encore de m’y perdre.

Une fois dans les latrines féminines, je m’assieds sur le rebord d’un lavabo.

« Qu’est-ce qu’on est en train de faire ? Pourquoi on la suit dans ses idées farfelues ? Tu le sais toi ? »

Orphée rit, d’un rire communicatif, avant de me répondre, le plus simplement du monde :

« Parce que l’on veut vivre. La jeunesse n’est-elle pas faite pour ça chez vous les humains ? Faire des conneries, expérimenter, foirer, cent fois, mille fois mais toujours se relever, fier, écrasé, piétiné, rejeté mais sans jamais se départir de cette fierté adolescente qui au fil du temps s’amenuise, prendre des beignes, données par les parents, par les profs, par les hypocrites, par les égoïstes, par la vie tout simplement. Et le plus important, construire, espérer, rêver, parfois réaliser, parfois raturer, railler, barrer et tout recommencer, de nouveau édifier, ériger, bâtir et surtout, sourire, sourire tellement que l’on croit que jamais rien n’effacera ce rictus insolent, sourire à la vie, sourire à la mort, prendre des risques inconsidérés, relever des défi, faire de stupides paris, remporter des victoires, les lèvres constamment étirées en un gloussement euphorique, extravagant peut-être mais sincère, vrai et éclatant, éblouissant, teinté de cette spontanéité, de cette prompté à rire de tout que seuls possèdent les adolescents. Nous pouvons donc bien les qualifier d’insolent, d’immoraux, de stupides, ils n’en restent pas moins plus éclatants, plus purs, plus vrais, plus resplendissants, en un mot, plus vivants que les adultes qu’ils seront appelés à devenir, que tu seras appelé à devenir. En tant qu’ange-gardien, je suis forcé de te pousser à faire toutes ces conneries, pour que tu ne saborde pas ce qui peut et qui doit être la plus belle période de ton existence, celle que jamais tu n’oublieras, celle pendant laquelle tu rencontreras des personnes qui vont te devenir vitales, sur lesquelles tu souhaiteras pouvoir te reposer, tes amis les plus proches que jamais tu ne cesseras de chérir, même si tout contact est rompu. »

« Je ne sais pas si tu es vraiment au fait du rôle d’un ange-gardien mais celui-ci est chargé de nous empêcher de faire des conneries, pas de nous y obliger. »

« Je viens de te faire une tirade d’un quart d’heure, pleine d’envolés lyriques sur la beauté de la jeunesse, sur le fait que c’est un cadeau précieux sur lequel il y a une date de péremption et qu’il faut donc la consommer rapidement et toi tu niques tout parce que tu es trop prude pour croire que j’ai raison dans mes manières d’exercer mon rôle d’ange-gardien ! »

« Je rêve, mais t’es qui toi ? Molière ? Des envolées lyriques, ça ne te réussit vraiment pas les cours de français ! Et puis comment tu as retenu tout ça ? J’ai mis cinq ans de ma vie à ne pas oublier ce qu’était une tirade ! »

« Je suis un ange, on n’a pas la même capacité d’assimilation des données. Et puis moi je suis le haut du panier alors que toi tu as l’air sacrément limité comme garçon. »

« Je t’emmerde ! »

« Voilà, tu te décoince un peu. »

« Non mais tu n’es pas sérieux, tu n’as pas décroché un mot de l’après-midi et c’est moi le coincé ? Et puis d’où tu me juges, tu ne me connais même pas ! »

« C’est bon, calmes-toi Bouclettes, je plaisantais. »

Il m’ébouriffa les cheveux d’une main, ayant encore coupé court à notre dispute en me donnant un surnom idiot qui pourtant me faisait encore cet étrange effet. Je m’apprêtais à répliquer quand la porte grinça pour s’ouvrir sur Alphonse, les bras chargés par une couverture à l’aspect doux et moelleux, ses lunettes lui tombant sur le nez et ses cheveux colorés s’immisçant devant sa figure. Une fois de plus, elle était terriblement naturelle mais d’une élégance sophistiquée que j’eu envie de dessiner, une esquisse de ses courbes gracieuses s’imposant à mon esprit, je me promis de lui demander de poser pour moi un jour prochain.

Prochain update : mercredi ( Je pense que maintenant vous le savez 😂)

Merci de lire, d'être là, tout simplement.

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