Chapitre 25 : Tirésias.

Je m’assis sur le plan de travail de la cuisine et retirais mon haut sous les directives d’Orphée. Il me jeta un regard appréciateur qui me fit rougir et vint subséquemment défaire le pansement déjà sur ma blessure. Me remémorant le haut le cœur que la vision de la plaie m’avait provoqué la dernière fois, je détournais le regard, me concentrant sur le visage d’Orphée.

« Putain » Jura Orphée « Ça ne guérit pas, je crois même que c’est pire. Je me demande comment tu peux encore être debout, à ce stade le talisman devrait être inefficace. Et tu arrives encore à dire que ce n’est rien. »

« Je te jures que ce n’est pas si terrible que ça en a l’air. »

« Raconte pas de conneries Mahé, pas à moi. »

Je n’ajoutais rien car c’est vrai que ces derniers jours la douleur était de plus en plus tenace mais je ne voulais pas qu’Orphée soit inquiété plus que de raison. Il désinfecta et refit mon bandage, tandis que je tentais de réprimer mes plaintes de douleur qui ne faiblissaient pas malgré le fait qu’il répétait ces gestes presque une fois par jour, je ne m’habituais pas à la douleur.

« On devrait peut-être demander à Helory de jeter un œil tu ne crois pas ? » Interrogeais-je.

« Ce n’est pas une blessure normale, la lui monter ne servirait à rien si ce n’est perdre notre temps en explications sur sa provenance. »

Je hochais la tête et attendis patiemment qu’il finisse de me soigner pour réenfiler mes vêtements. Quand je me remis debout, un vertige qui commençait à être habituel se fit sentir mais je ne dis rien et attendis simplement qu’il passe, comme je le faisais depuis plusieurs jours maintenant. Avant qu’Orphée ne remarque mon immobilisme, je me dirigeais vers le salon où Helory était toujours affairé à soigner le jeune blond. Il semblait cependant plongé dans une discussion houleuse avec Akihiko.

« Il lui faut un médecin, la blessure doit être recousue et je ne vais pas charcuter ce garçon dans un lieu qui n’est même pas stérile et sans instruments ! »

« Helory comprend bien, on ne peut pas l’emmener chez un médecin, alors soit tu acceptes de t’en occuper, soit je le fais moi-même. Choisi ce qui te semble le plus acceptable. »

« On ne peut pas faire ça, c’est un être humain, pas un mannequin de cire ! Ça n’a plus rien à voir avec les cours que j’ai suivi ! »

J’avançais jusqu’à eux et fis face à Akihiko puis approuvais les dires de Helory.

« On ne peut pas faire une opération ici sur un coup de tête. Ce serai de la folie. »

« Oui mais on ne peut décemment pas l’amener à l’hôpital. » S’interposa Orphée.

« Quoi ? Mais non Orphée, on ne va pas le recoudre au milieu de ce salon sans anesthésie, sans rien, réfléchis voyons ! » M’exclamais-je.

« Mahé, on n’a pas le temps d’aller à l’hôpital et de subir les interrogatoires des médecins puis d’attendre qu’il puisse ressortir de l’hôpital une fois soigné et que la période de garde en observation soit terminée. »

« Mais bien sûr qu’on a le temps, il n’y a rien de plus urgent que d’assurer sa sécurité et sa santé. C’est un être humain, pas un objet ! »

Orphée me prit par le bras et me tira un peu à l’écart.

« Mahé, ne dit pas de bêtises, tu sais comme moi que le temps nous presse, plus les secondes s’égrènent plus ta plaie s’infecte et plus c’est dangereux pour toi ! Je ne peux pas perdre plus de temps et mettre ta vie en péril pour qu’un inconnu ait une cicatrise un peu moins moche. »

Je ne trouvais rien à dire parce que je savais qu’il avait raison. Reste à savoir si Helory se sent capable de le faire ou pas et je pense que la réponse est non. Auquel cas nous seront obligés d’aller voir un professionnel.
Nous revenons vers Helory et Akihiko qui discutaient toujours vertueusement.

« Tu penses être en mesure de le faire, de le soigner ? »

Helory se tourna vers moi et parut réfléchir un instant, comme s’il considérait réellement la question pour la première fois.

« Je n’en sais trop rien. Oui, je pense que je pourrais le faire mais il gardera une cicatrise qui ne sera surement pas jolie. Et ça c’est dans l’optique où j’aurais de bons ustensiles pour officier. »

« Et qu’est-ce qu’il te faudrait ? » Questionna Orphée.

« Une aiguille recourbée, du fil, des bandages et un sédatif ou au moins de la morphine et dans l’idéal des éponges chirurgicales. » Enuméra le petit aux cheveux noirs et ondulés.

« Je vais voir ce que je trouve à l’étage il y a tellement de choses ici qu’il est bien possible que je trouve ce que tu veux. » Souffla Akihiko évasif.

Il disparut dans le grand escalier du hall et, pas moins d’une minute plus tard, il revint avec exactement tout ce que Helory avait demandé, nous arrachant un froncement de sourcils de surprise et d’incompréhension.

Comment a-t-il pu réunir tout cela en si peu de temps et pourquoi diable a-t-il une seringue d’anesthésiant chez lui ? Tout cela est bien étrange.

Trop préoccupés par le petit blond qui avait déjà perdu beaucoup de sang, nous ne perdons pas de temps en questionnement superficiels.

Nous transportons le blessé dans cuisine, l’allongeant sur la table et Helory se mit de suite au travail, enlevant en premier lieu la flèche d’un coup sec après avoir administré le sédatif puis comprimant la blessure pour stopper l’hémorragie, utilisant les éponges chirurgicales puis il se mit à recoudre après avoir chauffé l’aiguille sur le gaz pour la stériliser. Ses gestes étaient sûrs et précis mais l’on voyait bien qu’il n’avait pas l’habitude de ce genre d’opérations et que c’était la première fois qu’il l’exécutait dans des conditions réelles.

Le tout fut fini après une demi-heure, et nous redéplaçons le blond pour l’allonger dans un lit, le laissant se reposer. Nous nettoyons en suite la table de la cuisine et Akihiko nous propose d’aller dormir car de tout façon, nous ne pourrons pas parler au garçon avant demain. En repassant dans le salon, je vis que Nolahn était endormis sur un canapé, ce qui me fit sourire. Je posais une couverture sur ses épaules et nous suivîmes Akihiko pour qu’il nous montre l’endroit où nous allons dormir. Il présenta premièrement une chambre à Orphée et au moment où il allait partir pour m’en donner une aussi, mon ange nous retint.

« Mahé reste avec moi, il est hors de question qu’il dorme seul quelque part dans cette barraque bizarre. »

Akihiko rit à cette remarque avant de nous signaler qu’il redescendait rejoindre Helory qui avait choisi de veiller sur Tirésias cette nuit.

Je pensais que dormir ici était une mauvaise idée, puis tout compte fait je me rendis compte que nous étions en week-end et que par conséquent, personne ne s’inquièterait de notre absence à l’internat.

Tout ce que nous risquons, c’est de subir dix fois plus de questions de la part d’Alphy’.

Je me défis de mes vêtements et me glissais sous les draps où Orphée m’attendait déjà. Il me prit dans ses bras et je m’endormis rapidement.

La nuit fut courte mais reposante. Aux premières lueurs matinales, je me levais et m’habillais, descendant en suite -non sans m’être égaré à plusieurs reprises- jusqu’à la chambre dans laquelle Tirésias avait été placé, soucieux de voir comment il allait, s’il se remettait où s’il avait besoin de quoi que ce soit. 
Quand je pénétrais dans sa chambre, j’eu l’agréable surprise de le trouver éveillé, assis dos au bois de lit, callé avec un oreiller.

« Bonjours. » Lançais-je prudemment, afin de prendre la température de son humeur.

Le sourire jovial qui prit place sur ses lèvres quand il m’aperçut me rassura, assez pour que je me présente à lui.

« Je suis Mahé. C’est… c’est moi qui t’ai blessé, enfin j’voulais pas, si j’avais su, je n’aurais pas tiré. J’espère que tu n’as pas trop mal. »

« Ne t’en fais pas, ce n’est pas de ta faute, je sais comment fonctionne Shitsumon-sha. Son pouvoir est immense mais il n’est pas tendre avec ceux qui l’utilisent. »

Ravi de constater qu’il était au fait de tout ce dans quoi nous baignons en ce moment, je lui souris, d’un petit sourire mi-désolé mi-reconnaissant.

« En fait, j’aurais besoin de ton aide, si tu veux bien. »

« Je... Oui, mais je ne vois pas comment je pourrais d’être utile. »

« Tu es bien Tirésias ? » Demandais-je un instant paniqué à l’idée qu’il y ait eu erreur sur la personne. 

Il eut un petit rire clair avant de me rassurer.

« Oui, enfin une de ses nombreuses réincarnations à travers le monde disons, appelle-moi Tÿas, je préfère. Ça fait moins mythologique et bizarre. »

Il rit de nouveau. Il avait réellement d’être quelqu’un de joyeux et plein de gaité. Un de ces optimistes invétérés qui voient toujours la vie du bon côté et qui ont toujours une raison pour sourire. Le genre de personne douce et agréable que tout le monde apprécie. Mon parfait opposé, tant bien sur le plan physique que sur le plan moral.

« Que veux-tu de moi ? »

« Et bien je voudrais que tu m’aide à ressortir des Enfers, je veux effectuer une catabase. »

« Oh, rien que ça ! » Rit-il à nouveau. « Et puis-je te demander pourquoi, si ce n’est pas trop indiscret ? »

« Et bien, par un concours de circonstances, je me suis retrouvé à héberger un ange déchu et je suis ainsi devenu la cible de ceux qui veulent le faire descendre en Enfer et j’ai fini damné. Alors je vais m’offrir aux enfers pour que mon ange regagne ses ailes et c’est lui qui fera une catabase pour venir me chercher. Enfin c’est l’ébauche de notre plan. »

« C’est… ambitieux. Et atypique aussi. Je veux bien vous aider mais tu penses bien que j’aurais besoin d’une compensation. Je te propose un marché équitable, un service de ma part maintenant et quand j’en aurais besoin je ferai appel à toi pour que tu me rendre ce service. Qu’en dis-tu ? »

« C’est d’accord. » Répondis-je sans même réfléchir.

« Oh et une dernière chose. »

Je fis un signe de menton vers lui, interrogatif et il poursuivit :

« Je veux que tu m’emmenes déjeuner, je meurs de faim. »

Son sourire candide eut raison de moi et je l’aidais à se lever pour l’emmener jusqu’à la cuisine. Tel un enfant, il s’émerveilla devant la beauté de chaque pièce que nous traversions, détaillant chaque objet d’art avec un intérêt pointilleux, des étoiles dans les yeux.

Une fois dans la cuisine, je fouillais quelques placards avant de trouver de quoi déjeuner, me rendant compte que j’avais très faim également. Ce fut donc avec joie que je préparais une salade de fruit et pressais quelques oranges pour remplir deux verres de jus.

« Et voilà, j’espère que ça te convient. »

« C’est parfait. » Sourit-il, rayonnant.

Nous mangeons, tout en apprenant à faire connaissance, se trouvant de nombreux points communs, comme notre amour pour la mythologie ou encore pour l’art.

Quelques heures plus tard, tout le monde était réveillé et Tÿas était en train de nous expliquer ce qu’il savait de la catabase et du chemin qui menait aux Enfers et plus important encore, de celui qui en revenait.

« En théorie, aller en Enfer n’est pas un problème et visiblement, vous avez déjà votre propre moyen de vous y rendre. » Dit-il en regardant Nolahn. « En revenir est une tout autre histoire. Premièrement, il vous faudra un repère, quelque chose qui saura vous rappeler que vous n’êtes plus sur terre, car l’Enfer est une superposition de strates sensorielles qui depuis longtemps ne sont plus composés de brasiers fumants et de corps en putréfaction, non ils ont un tout nouveau design qui joue sur le côté rationnel de l’âme. Les enfers sont une imitation casi parfaite de notre monde -si bien qu’on en oublie où on se trouve- cherchant à vous rendre fous. Par tous les moyens, les démons tenteront de vous faire croire à l’illusion et de vous perdre en vous-même. L’enfer n’est pas un lieu de souffrances corporelles mais de souffrances psychiques, ce qui le rend d’autant plus dangereux et infranchissable car rien n’arrête une idée, l’enfer c’est l’inception de la douleur au plus profond de l’esprit. Ensuite, il vous faudra trouver le chemin vers la sortie et surmonter tout ce qui se trouvera sur celui car croyez-moi, il sera semé d’embuches. »

« Un objet ? De quelle sorte ? Comme par exemple une b… » Commençais-je avant qu’il ne me coupe brusquement.

« Non ! Ne me dit pas ! Cet objet, vous seuls devrez en connaitre les caractéristiques spéciales, n’en parlez à personne sinon les démons pourront s’en servir contre vous et ce qui devrait vous servir de repère se transformera en une arme que vous leur aurez offert sur un plateau d’argent. Je suis la dernière personne à pouvoir être au courant de ce que représente cet objet car en prenant contact avec vous, je deviendrais la première cible des démons. »

« Tu veux dire que cela va te mette en danger ? »

« Pas si vous agissez vite. »

« Et comment prendras-tu contact avec nous une fois que l’on sera là-bas ? »

« C’est là que ça se corse, je n’ai aucune idée de la démarche à adopter. Je ne gère pas pleinement mon don de vision et je ne peux pas le contrôler pleinement. »

« Putain mais ce n’est pas possible cette histoire, il faut toujours qu’il y ait un lièvre quelque part ! » S’exclama Nolahn.

Tÿas prit une petite moue contrite avant d’ajouter :

« De ce que je sais, mes visions me viennent de mondes parallèles, elles ne sont donc pas la réalité future mais une des réalités possibles qui se retrouvent enchevêtrées dans l’existence jusqu’à ce que l’une d’elles devienne la seule qui puisse exister. En quelque sorte, mon esprit voyage entre toutes ses réalités parallèles et c’est d’autant plus facile d’y accéder si j’utilise un conducteur, comme l’eau par exemple. »

« Et c’est tout ce que tu sais ? Il n’y a rien d’autre qui puisse t’aider à contrôler ton don et gérer là où ton esprit s’égare ? »

« Et bien pour tout dire, le thé à la camomille me permet de me détendre plus facilement alors il est possible qu’en boire me permette d’être plus concentré. »

« Super, la seule chose qui peut nous aider c’est du thé à la camomille. Putain. » Jura Nolahn, d’une humeur massacrante depuis que nous étions entrés dans cette maison.

« Je sais c’est nul mais je n’y peux rien ! Je voudrais savoir gérer mes visions. J’aurais aimé vous aider plus que cela mais… »

« Ne te justifie pas, mon frère dit n’importe quoi, il est un peu à cran. » Soupirais-je.

« Ton frère ? » S’étonna Tÿas.

« Ouais, Mahé ici présent est mon demi-frère. » Sourit Nolahn pour la première fois depuis que je lui ai dit que nous allons demander l’aide à Akihiko. 

Tÿas lui rendis son sourire et continua :

« Mon grand-père, celui qui m’a élevé, m’apprenait à utiliser mes pouvoirs, mais il est mort avant d’avoir pu m’enseigner ne serait-ce que le quart de ce qu’il savait. Et depuis j’essaye d’apprendre seul. »

Un élan de tristesse me prit en apprenant ça. Mais je ne dis rien, ne voulant pas sortir une de ces phrases clichées qu’il a dû entendre des centaines de fois, je ne dis rien du tout. Prenant sur moi, souffrant en silence pour une personne que je ne connais à peine.

Foutue empathie !

« Ok, il nous reste plus qu’à trouver un autre barjo pour t’apprendre à contrôler ton don et tu pourras nous aider. » Résuma Nolahn.

« On n’a pas le temps, il va falloir tenter le coup sans préparation, jouer le tout pour le tout. » Rappela Orphée.

« Réfléchissez bien, il n’y aura pas de deuxième chance. » Nous dits Akihiko avant de sortir, nous informant qu’il allait réveiller Helory qui était le seul encore endormi, fatigué de sa nuit à veiller sur Tÿas.

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Avec amour et dévotion,

ParadoxalementParadoxale.

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