Je cligne des yeux pour la seconde fois en regardant la femme devant moi. Le reflet que me renvoie le miroir me laisse sans voix depuis plusieurs minutes.

« Ma Lady, pourquoi vous êtes vous précipitée vers votre miroir ? »

La femme qui est entrée dans ma chambre quelques minutes plus tôt me regarde avec confusion. Celle-ci est habillée comme une femme de chambre, et ses cheveux bruns attachés fermement dans un chignon lui donne un air strict.

Sans lui répondre mon regard se repose sur le miroir. Une magnifique jeune femme de taille moyenne y reflète, avec de beaux cheveux blonds ondulés descendants en cascade le long de son corps et des yeux d'une couleur verte flamboyante. Mon regard s'attarde sur le bout des cheveux qui est de couleur grise, contrastant avec le blond.

« Comment m'avez-vous appelée ? »

Je lui pose la question cette fois en me décalant du miroir, afin de lui faire face. Son regard confus parcourt lentement mon visage.

« Mademoiselle de Holstein. »

Ce n'était donc pas un rêve.

Lorsque l'incendie avait ravagé mon immeuble, une partie de l'étage du dessus s'était effondré, bloquant le passage des secours. J'avais lentement fermé les yeux, alors que d'une part la chaleur brûlait mon corps et d'autre part la fumée brûlait mes poumons.

Lorsque j'ai réouvert mes yeux, la sensation désagréable qui lacérait mes poumons avait disparue et la chaleur écrasante avait été remplacée par une douce brise.

« ...dy. »

En plus de ne plus me sentir oppressée, l'endroit dans lequel je me suis réveillée ne ressemblait en rien à mon ancien appartement minuscule.

Tout était lumineux, spacieux, mais surtout... le décor ne ressemblait en rien à celui du vingt-et-unième siècle.

Mais après avoir entendu mon nom, Mademoiselle de Holstein, j'ai compris. Il s'agissait d'un personnage de mon roman préféré intitulé 'La larme de la sainte'. Ce roman se déroulait en Italie lors du quatorzième ou quinzième siècle. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, il semblerait que je me suis réincarnée en tant que l'un des personnages.

« ...Lady. »

Le personnage dans lequel je me suis réincarnée s'appelle Enide de Holstein. Simple figurante, elle n'avait été présentée qu'une fois dans le roman. Je m'en souviens aussi bien puisque dans mon ancienne vie, je passais tout mon temps libre à lire et relire ce roman nuit et jour. Si bien que je connais chaque personnage, même le plus insignifiant.

Lors du flashback du protagoniste masculin, Eadun, le personnage que je possède avait été assassiné devant lui des mains d'un Pape corrompu.

Ayant un grand sens de la justice, Eadun s'était juré d'arrêter tous les membres du clergé corrompus. Par la suite, il avait rencontré l'héroïne du roman, Rune, fille adoptive d'un Pape corrompu, qui avait rejoint le protagoniste dans sa cause suite aux agissements de son père. Leur romance s'était ainsi développée.

« Ma Lady ! »

Je sursaute en regardant la femme qui vient de m'appeler. Il s'agit de l'étrangère de tout à l'heure.

« Je vous appelle depuis tout à l'heure, et vous agissez d'une manière étrange. Êtes-vous malade, Ma Lady ? »

Soudainement, une vive douleur lance dans le côté droit de mon crâne. Ma vue se trouble alors que la femme devant moi, habillée comme une domestique, commence à se rapprocher de moi.

« Je crois que j'ai perdu la mémoire. »

Après cette unique phrase, mes forces me lâche et mes yeux se ferment lentement, me plongeant encore une fois dans l'obscurité.

***

Différents bruits résonnent autour de moi, alors que j'essaie de ne pas ouvrir les yeux pour vérifier leur identité. Je sers les yeux pour ne pas les ouvrir.

« Le duc a demandé de ne pas faire courir la rumeur sur son amnésie. Il vous récompensera grandement si vous gardez cela secret. »

Il s'agit encore une fois de la voix de la femme étrangère de tout à l'heure.

« Bien sûr. Encore une fois, il me semble qu'il n'y ait rien d'anormal avec son état, de toute manière. »

Cette fois-ci, une voix masculine retentit dans la chambre.

« Insinuez-vous qu'elle a encore monté ce plan pour obtenir l'attention du duc ? »

Suite à la phrase de la femme, un long silence s'installe.

Il semblerait donc que l'ancienne propriétaire de ce corps ait tenté plusieurs fois d'obtenir l'attention du duc, son père. Dans le roman, il n'y avait aucune information sur elle, elle n'a servi que pour un lamentable sacrifice. Il m'est donc impossible de décrypter son mode de vie, ses diverses relations et encore moins sa manière de vivre.

Je vais devoir m'adapter à cette nouvelle vie par moi-même.

« Jullia, prends soin de cette enfant. »

« Comme nous l'avons toujours fait, Giovanni. »

Mes sourcils se froncent suite à leur échange. La femme étrangère de tout à l'heure, Jullia, semble prendre soin de ce corps depuis un moment. Et l'homme également. Si bien qu'ils la voient encore comme une 'enfant'.

Au bout de quelques secondes de silence, des pas lourds résonnent et le son diminue lentement au fur et à mesure, signifiant que la personne s'éloigne. Un bruit de porte qui s'ouvre se fait entendre puis celle-ci claque à peine quelques secondes après le premier bruit, signe qu'une personne vient de partir.

Lentement, mes yeux s'ouvrent avant qu'ils ne clignent rapidement afin de s'adapter à la lumière.

« Oh, mademoiselle. Vous êtes enfin réveillée. »

Jullia m'interpelle alors que celle-ci porte un plateau dans ses mains. Tout en détaillant mon visage, un sourire se dessine doucement sur son visage.

« Jullia... C'est bien cela? J'ai besoin de votre aide, s'il vous plaît. Pouvez-vous me donner des informations sur ma vie dans les grandes lignes ? »

Je lui pose la question désespérément, bien qu'elle ne pense pas que mon amnésie soit réelle. Mon regard croise le sien, qui paraît à la fois confus et curieux. Comme si elle cherchait quelque chose.

« Vous êtes la... fille du duc de Holstein. »

Dit-elle après quelques minutes d'hésitation. Mes sourcils se froncent soudainement suite à son hésitation.

« Pourquoi avez-vous marqué un temps de pause avant de prononcer le mot 'fille' ? »

Je lui demande en la fixant fermement sans détourner le regard, afin qu'elle m'avoue la vérité.

« ...Vous n'aimez pas que l'on vous rappelle que vous êtes sa fille... illégitime. »

Sa... fille illégitime. La fille illégitime du duc de Holstein. Enide de Holstein est un enfant illégitime. Tout en essayant d'accuser le coup, je me prépare à poser une autre question.

« Bien. Tu as d'autres informations ? »

Celle-ci fronce soudainement les sourcils. Puis elle inspecte lentement mon visage avant de lâcher un léger soupir tout en fermant les yeux.

« Vous êtes âgée de vingt-quatre ans. Votre mère est décédée lorsqu'elle vous a mise au monde. Vous avez un demi-frère, né de la duchesse de Holstein et du duc de Holstein. Et puisque vous n'avez pas le droit de vous rendre dans la résidence principale du duc, vous vivez dans l'annexe. »

J'essaie d'enregistrer chaque information que la domestique me donne, bien que chaque information donnée m'assène un coup dans la poitrine.

Enide vivait une vie difficile en plus d'avoir une fin tragique.

Dans mon ancienne vie, j'étais orpheline et je vivais dans la pauvreté, donc à côté ce mode de vie reste convenable. Mais je ne peux pas mourir une seconde fois. Cette sensation était horrible.

« Jullia, peux-tu m'aider à me préparer ? »

La femme de chambre fronce les sourcils.

« Bien sûr, mademoiselle. Je vais appeler d'autres domestiques et préparer vos affaires. Où souhaitez-vous vous rendre ? »

Tout en enlevant la couverture de mon corps, je me redresse dans le lit. Je pose mes pieds froids dans les chaussons posés au pied du lit.

Puis me dirige lentement vers la femme de chambre afin de lui faire face en souriant.

« J'aimerais m'entretenir avec le duc de Holstein. »

« Le duc? D'acc- Attendez. Le duc! »

Celle-ci lâche son plateau en ouvrant grand la bouche. Le bruit strident des objets et le bruit sourd du plateau résonnent dans la pièce. Elle paraît tétanisée pendant plusieurs secondes. Alors sans lui répondre, je m'abaisse pour ramasser le plateau.

« Mademoiselle, ce n'est pas à vous de- »

« Ne t'inquiète pas pour le plateau. Et je sais que je ne suis pas disposée à me rendre dans le bureau du duc, mais j'ai besoin de discuter d'une chose importante avec lui. Fais-moi confiance. »

« Bien, mademoiselle. »

Je lui rends le plateau que j'ai ramassé quelques minutes plus tôt. Elle me lance un dernier regard avant de quitter la pièce, tout en refermant la porte derrière elle.

Je lâche en soupir en me regardant une nouvelle fois dans le miroir. Comparé à mon ancienne apparence, ses cheveux blonds sont bien plus longs, épais et ondulés que mes cheveux foncés qui étaient courts, lisses et raides. Notre seule attrait en commun était la frange bien que la sienne soit plus longue. Même ses yeux verts flamboyants contrastent avec mes anciens yeux marrons. Son apparence ressemble à celle d'une princesse de conte de fées.

Une si belle créature a été vainement sacrifiée.

Étant désormais devenue Enide de Holstein, je ne peux pas me permettre de mourir une seconde fois. Pour moi et pour la mémoire de ce personnage.

La seule manière est de me marier dans une famille riche, qui me permettra d'avoir une protection qui n'est pas donnée par la famille de Holstein. Ainsi, même le clergé ne pourra rien contre moi.

Il existe un système de pouvoir dans ce livre, l'empereur est, sans grande surprise, en haut du classement et le grand frère de l'empereur, le père du protagoniste masculin, est le second personnage le plus puissant de ce roman.

Il me faut agir rapidement puisque je ne sais pas à quel moment du roman nous sommes. Je ne peux donc pas savoir à quel moment je vais mourir, cela peut se dérouler demain comme dans deux ans.

Je dois absolument rencontrer Eadun, le protagoniste masculin et Aslan, son père.

Et pour cela, je dois convaincre le duc de Holstein.

***

Btw : Les deux dessins plus haut sont des représentations approximatives du personnage principal avant et après sa réincarnation. Vous pouvez imaginer vous-même son physique, ce n'est que pour donner une idée pour les personnes (comme moi) qui n'arrivent pas à visualiser les choses dans leur tête :-) Merci d'avoir lu !