Chapitre 5
Jarek
Mon adversaire hésite à s'avancer vers moi. Il sait que je suis furax par mes membres crispés et mon regard de tueur. J'a une protection buccale, mais si ça n'avait pas été le cas, j'aurais probablement montré les crocs tant j'ai envie d'écraser cet insecte. Il se déplace autour de moi, mais je ne le quitte pas des yeux. Et soudain...je fonce sur lui et lui administre une série de coups tous aussi rapides les uns que les autres.
Je sais que tout le monde nous regarde, me regarde, mais je les oublie rapidement, me concentrant sur mon combat. Mon adversaire fait un pas chassé et réussit à éviter mon crochet du droit. Il m'envoie un direct, que je pare sans problème. Ça ne me dérange pas d'accuser les coups. Au contraire, j'adore cela car la douleur est ma meilleure amie. Elle me permet de me concentrer sur ça et rien d'autre. Elle ne m'atteint pas, mais vit en moi et me permet de la sentir autrement.
Cependant, je suis tellement agressif ce soir que rien ne m'arrête, pas même Asher, Emilio ou Alex, qui s'entraînent avec moi. Ce n'est que lorsque cet abruti de boxer tombe par terre que ses potes l'entraînent hors du ring, non sans me jeter des regards furieux. Je suis en sueur, je suis assoiffé, mais pas moins en colère.
― Ce n'est pas en démolissant ce pauvre type que tu te sentiras mieux, me dit Asher. C'était sa première fois au centre, en plus. Crois-tu qu'il reviendra, maintenant ?
Honnêtement, je m'en bats les c$%?%$ et hausse les épaules, ce qui arrache un long soupir à mon pote.
― Tu n'avais qu'à te mesurer à moi, lui réponds-je.
― Même pas en rêve, s'esclaffe-t-il. Lorsque tu es aussi remonté, tu pourrais détruire n'importe quelle gueule, et je tiens à la mienne. Ma meuf va m'en vouloir si je ne peux pas la lé...
― Par besoin d'en dire plus, le coupé-je brusquement.
Je ne veux rien savoir de sa vie privé. Il a beau faire quelques courses pour moi de temps en temps, je ne m'intéresse pas à lui. Ni à sa copine, ni à leur trois enfants. Personne ne m'intéresse, point barre.
Emilio m'aide à retirer mes gants et j'en profite pour boire une longue rasade d'eau.
― Qu'est-ce qui ce passe, Jarek ? me demande Arthur, un ancien athlète qui ne boxe maintenant que pour le plaisir.
Il m'a coaché lors de mes débuts, mais maintenant, l'élève dépasse presque le maître.
― C'est à cause d'une petite brunette, plaisante Alex, qui reçoit un regard noir de ma part.
Rien ne lui échappe à celui-là.
― Depuis quand les filles te déstabilisent-elles ? questionne Arthur.
― Pas les, plutôt « la », le reprend Emilio. C'est sa petite protégée.
― Ah, je vois. C'est la mécanicienne qui travaille dans ton garage, non ?
― Plus maintenant, grogné-je. Elle s'est trouvé un autre job.
― C'est ce que tu voulais, non ?
Au début, oui, mais maintenant qu'elle m'a appris la nouvelle, je ne sais plus trop quoi en penser. Ray est un mystère pour moi. Elle parle quoi ? Vingt langues ? Et je n'étais même pas au courant. Où les parle-t-elle, elle qui ne sort jamais ?
J'avoue ne jamais avoir pris le temps de m'asseoir avec elle pour parler de tout et de rien. Pourquoi le ferais-je ? Je lui ai bien dit que je ne serais jamais son ami. Parfois, je me dis que j'aurais dû me la fermer, mais elle avait l'air si désespérée à l'époque que je craignais qu'elle me colle aux baskets. Je ne pouvais m'encombrer d'elle, surtout avec les projets que j'avais. En l'invitant à prendre la fuite avec moi et en étant très claire avec elle au départ, je ne l'ai jamais eu dans les pattes. Ray se fond dans le décor. À peu près...Chaque fois que j'entre dans l'appartement, je perçois une fragrance bien à elle. Un mélange de fruits tropicaux et de cannelle. Je ne sais pas si c'est son parfum ou son shampooing, mais l'odeur imprègne tous les endroits où elle se rend, même mon garage lorsqu'elle s'y trouve. Je m'y suis tant habitué que je la sens avant de la voir. Ray a beau se faire toute petite, elle ne passe pas inaperçue, du moins, pas à mes yeux. Toujours en train de gaffer ou de se prendre un cadre de porte en pleine face. Eh oui ! Elle a déjà foncé dans celui de mon bureau. J'ignore par quoi elle était distraite, mais parfois j'espère presque que c'était à cause de moi. Au moins, elle avait une bonne raison de se prendre le cadre de porte sur le nez.
Je ne suis rien sans elle.
― Je voulais qu'elle se trouve un boulot, mais elle l'a interprété comme un défi et, maintenant, je ne sais plus si elle le fait pour elle ou pour me foutre en rogne, bougonné-je.
― Ah, les meufs, soupire Asher. Elles ne sont que des emmerdes.
Les autres acquiescent, dont moi-même.
― Tu dois l'oublier et te concentrer sur ta course de samedi, me conseille Emilio. Tu as bien compris l'enjeu, non ?
J'en suis conscient. Si je perds, c'est mon garage que le vainqueur remportera puisque je n'ai pas cent milles dollars cash. Il les vaut bien largement. Cette course est mon ultime chance de remporter assez de pognon pour acheter le terrain juste à côté. Je veux construire une maison où Ray pourra se déconnecter de cette vie où elle n'a rien à y faire. Je ne veux pas qu'elle soit liée à ce qu'il se passe dans ce garage. Elle l'est déjà trop. En même temps, je ne veux pas qu'elle aille trop loin, car je sens un infime lien qui me retient à elle, comme un fil invisible. Je ne sais pas ce que c'est mais je suis certain que sans Ray, ma vie serait beaucoup plus morne qu'elle ne l'est déjà.
— J'en suis conscient, réponds-je. M'as-tu déjà vu perdre une course ?
— Non...
— Alors, n'aies crainte.
J'éponge une serviette sur mon visage, puis annonce que je rentre. Je dois encore faire quelques petites vérifications sur ma voiture avant le grand jour.
— À demain, lancé-je aux gars en partant.
— Bonne nuit, mon pote, me dit Emilio.
Ils restent jusqu'à très tard, comme moi d'habitude, mais pas ce soir. Ma caisse m'attend dans mon garage. Je l'utilise seulement pour les courses. C'était une voiture d'origine que mon grand-père m'a léguée pour mes dix-sept ans. J'en ai profité pour prendre le large et quitté ma ville natale aussitôt que je l'ai eue entre les mains. Depuis, j'en prends soin comme si c'était la prunelle de mes yeux. Je l'ai modifiée pour en faire une voiture de course et j'adore son rugissement. Noire avec deux lignes jaunes sur le capot, elle ne passe pas inaperçue, c'est pour cette raison que je ne m'en sers que pour les courses. Rien ni personne ne pourra m'en départir ; je préfère perdre mon garage, mais c'est hors de question que ma caisse appartienne à quelqu'un d'autre.
Une fois au garage, j'ouvre les lumières, puis inspecte une énième fois le moteur, l'huile, les freins et...
— Putain ! m'écrié-je en remarquant une paire de jambe sur le comptoir de pièces.
Ray y est assise et n'a pas l'air de se rendre compte qu'elle n'est pas seule. Elle a ses « Airpods » et écoute apparemment sa musique assez fort pour ne pas m'entendre travailler. Elle lit un livre intitulé « Si on s'aimait ». Quelle merdre lit-elle ? Et qui veut-elle aimer ?
Je m'approche subtilement d'elle. Ses cheveux sont détachés et légèrement humides, signe qu'elle sort de la douche. Une de ses jambes se balance dans le vide tandis que l'autre est pliée.
— Qu'est-ce que tu fiches ici ? lui lancé-je d'un ton de voix qui porte.
Elle sursaute tellement qu'elle manque de tomber. Et lorsqu'elle s'aperçoit de ma présence, elle pâlit.
— Euh...répond-elle en retirant ses écouteurs. Je n'arrivais pas à m'endormir et j'avais chaud, alors j'ai pensé que changer d'air me ferait du bien.
Je lorgne son pyjama, qui en dévoile beaucoup plus que ce dont je suis habitué. Elle porte des shorts très courts qui découvrent ses longues jambes et son débardeur muni d'un col en V laisse entrevoir la naissance de ses seins. Puisqu'elle ne porte pas de soutien-gorge, j'ai tout le loisir d'en voir l'extrémité à travers le fin tissu. Elle n'a pas l'air d'avoir si chaud, finalement...
— Tu viens souvent lire dans le garage la nuit ? lui demandé-je.
Ce n'est pas la première fois que je travaille si tard sur ma voiture, mais c'est bien la première que je la vois traîner ici.
— Non, habituellement je reste en haut, répond-elle, l'air nerveuse.
— D'accord...
Elle se tait et j'en profite pour poursuivre mon inspection. Toutefois, le silence n'est pas de longue durée.
— Tu l'as encore ? demande-t-elle.
— Quoi donc ?
— Cette vieille bagnole. Pourquoi l'as-tu gardée ? Elle ne roulait presque plus lors de notre arrivée dans cette ville.
Je retiens un long soupir. Il est vrai que ma vieille Ford a plusieurs années derrière elle, mais aussitôt que j'ai acheté ce garage, je me suis investi pour la transformer de A à Z. J'ai changé le moteur, je l'ai repeinte, j'ai remplacé tous les morceaux qui devaient être changés bref, je n'ai gardé que la carrosserie. Cette voiture est désormais la seule chose qui m'importe dans cette vie, enfin presque...
Je ne réponds pas à Ray. Je n'ai pas envie de m'épancher sur mes raisons. Elle ne connait pas mon passé et je veux que cela reste ainsi. Elle a probablement deviné mon attachement pour ma voiture, mais elle n'insiste pas.
— Elle est différente, remarque-t-elle. Roule-t-elle encore ?
Je laisse échapper un petit rire. Si elle roule ? Elle fait mieux que ça.
— Qu'est-ce que tu en penses ?
Je préfère ne pas regarder Ray et me concentrer sur mon travail. Cette fille à elle seule est un divertissement. Et je ne parle pas que de son affublement. Ses grands yeux noisette me hantent souvent pendant des jours après nos altercations. Ils expriment tant d'émotions, ils sont le miroir de son âme. Par un seul regard, je peux connaître son état d'esprit, tout le contraire de moi. J'ai appris dès l'enfance à cacher mes émotions. Ce fut ma seule façon de survivre ; cacher ma peur. C'est ainsi que j'ai développé une carapace infranchissable. Ma volonté inébranlable me donne l'air féroce et insensible et je veux que tous me considèrent ainsi.
— Je pense que tu es plus sentimental que tu ne veux le laisser paraître, répond Ray avec un sourire en coin. La preuve : tu as gardé ce paquet de taule. Elle a une certaine valeur à tes yeux, non ?
Pourquoi ne retourne-t-elle pas dormir au lieu de m'importuner ? J'ai besoin de concentration. Or, avec Ray à quelques mètres de moi, c'est impossible.
— Comme tu l'as si bien dis, c'est un paquet de taule, réponds-je entre mes dents.
— Tu veux nier que...
— Ray, la coupé-je. J'ai besoin de travailler. Soit tu la fermes, soit tu pars.
— Travailler à minuit ? Tu fais de l'insomnie, toi aussi ?
Je lève les yeux au ciel. Je me souviens qu'elle était un vrai moulin à parole pendant notre voyage en voiture dix ans plus tôt. Au début, je la laissais parler seule, puis j'ai commencé à lui répondre par onomatopée. Quelques sons de temps en temps émis de ma part pour lui donner l'impression qu'elle ne parlait pas dans le vide, car je devais avouer qu'elle me distrayait. La seule règle, c'était de ne jamais évoquer le passé et elle s'y est conformée. Alors, pourquoi insiste-t-elle pour discuter à cette heure ? Elle sait que cette voiture appartient à mon passé, pourtant...
— Tu n'étais pas en colère contre moi, toi ? lui demandé-je plutôt que de répondre à sa question.
Elle hausse les épaules.
— La frustration ne sert à rien, dit-elle seulement. Mes choix sont faits, alors on peut s'engueuler comme du poisson pourri, ça ne changera rien.
Parfois, je la trouve d'une maturité surprenante. Et ensuite...ensuite elle s'habille avec impudeur et vient tout gâcher. J'ai encore la vision de son pantalon lui moulant le postérieur comme une seconde peau en tête. Elle a beau être magnifique, le garage n'est pas l'endroit pour elle où se montrer. Elle est tombée sur la seule personne que je voulais qu'elle ne croise jamais : Esteban. Ce connard fini est un joueur invertébré dans tous les domaines. En plus de tricher, il cherche toujours à tout tourner à son avantage. Courser contre lui, c'est comme marcher sur le bord d'une falaise. Au moindre coup de vent, tu peux tomber.
Cette ville était la sienne avant notre arrivée, à Ray et moi. C'était le petit prince que tout le monde respectait à cause de la fortune de ses parents. Mais ne vous méprenez pas : il était loin d'être le fils parfait à papa. Dès son adolescence, il a commencé à s'adonner à des affaires louches et c'est de cette façon que nous nous sommes croisés. Je n'ai jamais insinué que j'étais honnête non plus. Non...je suis aussi pire que lui. Notre seule différence, c'est que je ne trempe pas dans la drogue. Mon petit business me convient parfaitement.
Ray se lève et s'approche de ma caisse, à quelques centimètres de moi. Ses cheveux sont détachés et s'éparpillent en une longue masse dans son dos. Quelques mèches glissent sur ses épaules lorsqu'elle se penche. Je ne peux m'empêcher de jeter un regard à son décolleté, ce qui est une grave erreur. Ses deux fruits murs sont encore plus attirants que je ne me l'étais imaginé. Sa peau laiteuse a l'air d'une douceur singulière, si douce que ce serait tentant de la caresser afin de vérifier mon hypothèse.
Ray, en douce petite innocente, ne se rend pas compte que je la reluque et lance :
— Tu devrais vérifier la pression de ce pneu. Il semble mou.
Son commentaire suffit à me faire revenir sur le droit chemin car je m'avançais sur une voie sinueuse. J'ai envie d'éclater de colère...contre moi-même. Je ne dois en aucun cas laisser mon désir me dominer. Ray est belle et très attirante, mais je ne pourrais jamais l'entrainer dans les sables mouvants de ma vie et la salir.
La jeune femme se recule et me sourit avant de me tourner le dos. Je ne peux détacher mon regard de son derrière et jure comme un charretier. Je finis par laisser tomber mon travail et pars également me coucher en espérant que les images d'elle que j'ai en tête finiront par s'estomper.
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