Chapitre 3
Ray
- Sale con ! m'exclamé-je après que Jarek eut quitté ma chambre.
C'était d'ailleurs la première fois qu'il y mettait un pied. Je me demande ce qu'il a pensé de mon fouillis. Je décore cette pièce avec tout ce que je peux grappiller. Des photos en noir et blanc, des fleurs séchées, des pierres que je trouve ici et là. J'aime la beauté de la nature, pas l'extravagant. Si je marche et que j'aperçois une roche sur mon chemin, je me mets à l'observer sous toutes ses facettes et si je la trouve belle, je l'amène avec moi. C'est ce que j'ai toujours fait, alors je ne changerai pas aujourd'hui. Et je réagis de la même façon lorsqu'il est question de problèmes. Je m'arrête, l'examine et décide par la suite de ce que je fais avec.
Et, en ce moment, mon problème se trouve dans cet appartement.
Jarek.
Ce mec est borné. Il ne m'écoute pas et n'en fait qu'à sa tête, mais je n'ai pas dit mon dernier mot. Il ne veut pas que je parte, mais il fait tout pour. Alors je vais partir, mais avant je vais tout faire pour qu'il n'oublie pas la « Ray » qu'il a façonnée au fil des années. Ce garçon manqué qu'il n'a jamais pris la peine de connaître, qu'il n'a jamais écouté.
Je me mets à la recherche d'un emploi, alors j'épluche les annonces sur des sites très connus.
Babysitter ? Je suis trop dans la lune.
Journalière dans une usine ? Je suis trop maladroite.
Secrétaire médicale ? Je n'ai pas les compétences requises.
Serveuse ? Mêmes raisons que plus haut.
Femme de ménage ? Il n'y a pas plus désordonnée que moi.
Plongeuse dans un restaurant ? C'est toujours mieux que d'avoir les mains dans l'huile, non ?
J'écris une lettre d'embauche, puis j'y joins mon curriculum vitae. Et voilà ! C'est envoyé. Je poursuis mes recherches car j'aimerais avoir quelques options et m'arrête sur une autre offre d'emploi.
Professeur privé pour enseigner le langage des signes.
Je relis l'offre et cligne des yeux, d'anciens souvenirs remontant jusqu'à moi. J'adore apprendre des langues étrangères. Outre le français et l'anglais, que je parle parfaitement, j'ai appris l'espagnol, l'allemand, le portugais, le turc et l'italien. J'ai commencé à m'intéresser très jeune aux autres langages et ça a commencé par la langue des signes puisque ma mère était sourde et muette. J'ai donc appris dès l'enfance comment communiquer avec elle. Ma sœur cadette est également née avec ce handicap. Malheureusement, je les ai perdues toutes les deux lorsque j'avais sept ans. Ma mère était allée promener ma sœur de deux ans en poussette et n'avait pas porté attention au camion qui roulait vers elles. Elle a donc traversé à une intersection et toutes les deux ont été percutées de plein fouet. Mon père a par la suite sombré dans une profonde dépression et ne pouvait plus prendre soin de moi. C'est ainsi que j'ai atterri chez les Windwood. Malheureusement. Mon enfer ne faisait que commencer.
Je secoue la tête en essayant de rejeter ces mauvais souvenirs. Je me souviens de la plupart des signes que j'utilisais avec ma mère, mais un petit cours 101 pour me remettre dans le bain serait de mise. Et ensuite, je pourrais poser ma candidature. C'est donc avec une certaine excitation que j'ouvre quelques vidéos et, deux heures plus tard, je peux à nouveaux utiliser les signes pour m'exprimer. Je suis surprise par ma mémoire de fourmi. Ce doit être pour cette raison que j'apprends aussi facilement différentes langues.
Une fois prête, j'envoie un courriel à la personne qui a posté l'offre d'emploi, puis décide qu'il est temps de dormir. L'appartement est silencieux, ce qui signifie que mes colocataires sont encore partis. Néanmoins, je n'ai jamais eu peur d'être seule. J'ignore pourquoi, mais je me suis toujours sentie protégée dans ce garage et ce logement. Mais pour combien de temps encore ?
Le lendemain, je suis mes cours en ligne, notamment ceux dont j'ai besoin pour avoir mon diplôme. Il ne me reste que trois examens à passer et j'aurais le bagage nécessaire pour poursuivre des études spécialisées et aller à l'université. J'en ai pour quelques années, mais je suis prête à travailler pour. Je connais déjà plusieurs langues, alors je crois être capable de le faire. Mais pour cela, je dois travailler. D'ailleurs, je suis un peu nerveuse puisque je n'ai pas encore reçu de réponse. Combien de temps cela prend-il généralement ?
En attendant, j'ai envie de me dégourdir les jambes. J'ai congé de garage, aujourd'hui, mais je décide d'aller saluer Adam. Et si Jarek est là ? Va-t-il me réprimander de déranger mon ami ? Probablement. Mais j'ai bien envie de lui fournir une bonne raison pour le faire. L'idée m'est passée par la tête hier lors de ma conversation avec lui. Mais suis-je assez courageuse pour passer à l'acte ? Oui. Je dois prouver à cette brute que je ne suis pas invisible. Je suis une fille et je vais lui prouver.
J'ouvre ma penderie et perds le sourire lorsque je réalise que je n'ai rien de féminin à mettre. Jusqu'à présent, je n'avais jamais ressenti le besoin de m'habiller avec féminité, alors je n'achetais que des pantalons et des t-shirts amples. Je privilégie toujours le confort.
Toutefois, je me rappelle d'un achat que j'ai fait il y a quelques années. Je l'ai enfoui au fond d'un tiroir car je me sentais mal à l'aise dedans, mais je me souviens qu'il me faisait des fesses d'enfer. J'espère jusque qu'il me va toujours.
J'ouvre le dernier tiroir de ma commode et trouve les leggings que je cherchais. Ils imitent le cuir à la perfection. Je les enfile et ils me font toujours. Alléluia ! Pour le haut, par contre, c'est une autre histoire. Et si ?...Non, j'aimais je n'oserais ! Pourtant...
Le seul haut sexy que je porte, c'est pour dormir. Je lorgne la camisole en dentelle que je porte la nuit. Ses bretelles lui donnent un look sexy, sans compter son tissu de satin. En plus, elle me moule parfaitement. Avec un soutien-gorge noir, ce sera parfait. J'enfile finalement des bottes sans talon. Bon...ça elles enlèvent le côté sexy de ma tenue, mais je n'y peux rien. C'est soit ça ou des baskets.
Je prends une longue inspiration et détache mes cheveux, qui ondulent dans mon dos. Faute de ne pas avoir de blush, je pince mes joues pour me donner un peu de teint. Voilà ! J'ai enfin l'air d'une fille.
Je jette un coup d'œil à mes courriels et c'est avec une certaine excitation que je remarque deux nouveaux messages. Les deux employeurs, c'est-à-dire celui du restaurant pour le job de plongeuse et celui qui recherche un professeur pour la langue des signes m'ont répondu et m'offre une entrevue. Youpi ! Je fais une petite danse de la victoire. Bon...je ne dois pas m'enthousiasmer trop vite. Après tout, je n'ai pas encore été embauchée nulle part. Toutefois, c'est une bonne nouvelle. Je prends donc rendez-vous avec eux pour le lendemain. J'aurai une entrevue en avant-midi et l'autre, en pm. J'aurai un peu de marche à faire, mais pas plus d'une demi-heure.
Je descends donc au garage avec un grand sourire, fière de pouvoir annoncer la nouvelle à Adam...et en oubliant complètement mon accoutrement.
Le garage est en effervescence ce matin. L'automne arrive et c'est le temps des changements de pneus. Ce n'est pas le moment de chômer. J'hésite même à déranger mon ami, mais j'ai trop hâte de lui dire que je vais me trouver un nouveau boulot très prochainement.
- Adam ! m'écrié-je lorsque je l'aperçois près d'une voiture grise.
Il lève la tête et ses sourcils se froncent pendant que je m'approche de lui. Puis, il écarquille ses yeux se stupéfaction.
- Ray ? C'est toi ?
- Qui d'autre, gros béta, réponds-je en souriant.
Il me détaille de la tête aux pieds.
- Qu'est-ce qui t'est arrivé ? me demande-t-il. Tu ne t'habilles jamais ainsi.
Oh ! Il fait allusion à mon pantalon moulant et à mon haut en dentelle. Je me mets à rougir comme une tomate, tout à coup embarrassée.
- Euh...j'ai eu envie de changements, réponds-je. Parlant de changement, devine qui va passer des entrevues demain ?
Il semble totalement dépassé.
- Je me cherche un nouveau travail, lui expliqué-je.
- Quoi ? Pourquoi ?
- Tu sais pourquoi, Adam. Je suis nulle avec les voitures.
- Pas tant que ça. Tu parviens à changer des pneus. D'ailleurs, on aurait besoin d'aide aujourd'hui. Robert est malade.
- Malade ?
- En vérité, il s'est fait défoncé la gueule par je ne sais qui. C'est ce qu'il a expliqué à Jarek.
- Au fait, où est-il ?
- Dans son bureau avec un drôle de type. Ils n'ont pas l'air très potes, si tu vois ce que je veux dire. Jarek a l'air de vouloir l'étriper. D'ailleurs, tu devrais aller te changer, sinon c'est toi qu'il va vouloir zigouiller avec son regard de tueur.
J'éclate de rire. Il a parfaitement raison puisque Jarek est le seul que je connaisse qui est capable de faire peur à quiconque par un simple regard.
- Ne t'en fais pas, Adam. Je sais comment le gérer.
Si seulement !
Une porte claque et nous nous détournons vers les éclats de voix.
- Dégage de mon garage, enfoiré, entends-je.
Impossible de se méprendre sur l'identité de la personne en train de crier.
- Si c'est moi qui gagne, tu pourras dire adieu à ton garage, Jarek, répond l'homme qui l'accompagne. Une seule erreur et tu perdras tout, mon pote. Et fait attention à la marchandise que tu vends. Tu es surveillé, au cas où tu l'ignorerais.
- Je suis au courant, Esteban.
J'aperçois enfin l'interlocuteur de Jarek et je ne peux m'empêcher de le détailler. Il est un peu plus petit que mon compagnon de fuite, mais parait tout aussi intimidant. Merde ! D'où vient ce type ? Il a une peau pâle et des cheveux noirs de jais mi-court. Ses yeux, eux, sont aussi foncés et ont une forme en amande. Il est habillé tout de cuir sombre comme la nuit.
Danger.
C'est ma petite voix intérieure qui me le dit.
- Tu devrais partir avant qu'ils te voient, m'avertit Adam.
Je hoche la tête et m'apprête à tourner les talons, mais mon regard croise alors celui de ce « Esteban ». Il me fixe avec intérêt et c'est à ce moment que je me reproche d'avoir voulu être féminine. Ses yeux me sondent d'une façon qui me fait déglutir. Et lorsque je croise ceux de Jarek, c'est un feu dévastateur que j'y aperçois.
- Qu'est-ce que tu fiches ici ? me lance-t-il en me reconnaissant.
Ça lui a prit moins d'une seconde avant de faire le lien entre moi et cette inconnue. Lui aussi me détaille comme si j'étais....une femme. Si la situation n'avait pas été aussi délicate en ce moment, j'aurais été enchantée par son air totalement confus. Il me fixe comme si c'était la première fois qu'il me voyait et j'en ai des frissons qui remontent le long mes bras.
- Tiens, tiens ! Je ne savais pas que tu cachais des petits bijoux dans ton garage, Jarek, lui dit Esteban d'un air narquois.
C'est drôle, mais j'ai l'impression qu'il ne parle pas des voitures...
- Qui est-ce ? Ta sœur ?
Adam étouffe un rire qui n'échappe à personne.
- Non, c'est ma petite amie, certifie-t-il en prenant ma main dans la sienne.
Euh...qu'est-ce qu'il fait ? Il veut se faire défoncer la tronche par Jarek ou quoi ?
- Lâche-là, immédiatement, gronde-t-il à Adam.
Celui-ci s'exécute rapidement, effrayé par le ton menaçant de Jarek. Leur petite joute de mecs n'a pas échappé au japonais, qui adresse un sourire sournois à Jarek.
- Et moi qui pensais que rien ne pouvait toucher le Grand Jarek, ricane-t-il.
Il ne tourne ensuite vers moi.
- Tu courses ? me demande-t-il.
De quoi parle-t-il ? Courser ? Courser quoi ?
- C'est évident que non, sinon je t'y aurais déjà aperçue, ajoute-t-il.
Il se tourne ensuite vers Jarek.
- On se voit bientôt, Jarek. Et n'oublie pas ce que je t'ai dit.
Il m'adresse ensuite un clin d'œil, puis prend congé, nous laissant plantés tous les trois, pantois. Que vient-il de se passer ? Parce que je n'ai rien compris...
- Bravo, Ray, me lance Jarek en s'avançant vers moi. Tu es toujours là lorsqu'il ne le faut pas.
Il a l'air énervé et j'ignore pourquoi.
- Tu n'aurais pas pu choisir un autre moment pour te présenter au garage accoutrée ainsi ?
- Je...
- Tu ne sais pas ce que tu as fait. Ce type n'est pas quelqu'un de bien, Ray.
Ça, je l'avais compris. Et ils ne semblent pas s'apprécier non plus. Pour est-il venu voir Jarek, dans ce cas ? Pourquoi se connaissent-ils ? J'aimerais bien poser la poser au mécanicien, mais il ne semble pas disposé à parler en ce moment. Il se met à faire les cent pas.
- Maintenant, il va penser que tu es mon point faible. Il pourrait s'en prendre à toi.
- Je ne comprends pas, rétorqué-je. S'il n'est pas quelqu'un de bien, qu'est-ce qu'il fichait ici ? Vous aviez pourtant l'air de vous connaître...
- C'est compliqué, souffle-t-il en se passant la main sur le front.
- Ouais, j'avais compris. Dans ce cas, je te laisse avec tes...complications. Adiós.
Sur ce, je lui tourne le dos et retourne à l'appartement, où je me change illico presto. Je range mon pantalon dans le fond de mon tiroir. C'était une très mauvaise idée de le porter. J'ai l'impression que je viens d'ouvrir la boîte de Pandore...
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