Chapitre 17
Ray
Je suis trop estomaquée pour répliquer quoi que ce soit, mais Jarek fait comme s'il n'avait pas lâcher une bombe et déverrouille la grosse porte d'acier qui grince.
Je reste immobile en me demandant si j'ai bien compris le sous-entendu. Je lui plais. Ou, du moins, il me trouve jolie. J'ai toujours cru qu'il préférait les grandes blondes aux blondes interminables, après tout, il en baise une panoplie. Mais plus j'y pense, et plus je me dis que je me suis trompée. C'était probablement une blague...de très mauvais goût.
Jarek interrompt mes pensées en me soulevant.
― Aie ! m'exclamé-je en grimaçant.
Ma blessure me fait mal, surtout lors de gestes brusques.
― Tu tiens à peine debout, me répond le jeune homme. Mieux vaut t'allonger.
― Tu te prends pour un docteur, maintenant ?
― Oh, je suis très bon au jeu du docteur, crois-moi.
Je le crois, justement. La plupart des filles que je croise lorsqu'elles sortent de son bureau ont un sourire niais sur le visage, signe que le jeu en valait la chandelle.
― Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi prétentieux, marmonné-je. Et, en passant je peux très bien marcher seule.
― Ah ouais ? Pourquoi saignes-tu si tout va bien, dans ce cas ?
Je ne comprends pas immédiatement sa question, mais lorsque je distingue du sang sur ma chemise d'hôpital, je me sens blêmir.
― Tu t'es sans doute ouvert un point de suture en tombant par terre, tout à l'heure, rajoute Jarek.
Ça m'a tellement fait mal que je n'en doute pas une seule seconde.
Jarek ouvre les lumières de l'entrepôt et je reste sans voix. Jamais je ne me serais attendue à un loft aussi bien décorée, surtout en me fiant à l'extérieur de la bâtisse. Encore une fois, j'ai eu tord de me fier à l'apparence.
L'endroit est vaste et les hauts plafonds vitrés en forme de voute laissent entrer la lumière. Les murs sont composés de vieilles briques rouges, mais c'est le seul élément qui a été conservé. Tout le reste parait flambant neuf, en passant par les armoires de cuisines au plancher en grosses dalle de porcelaine effet béton et par le mobilier d'apparence contemporaine, mais aux couleurs claires.
― Tu aimes ? me demande Jarek.
― C'est...plus grand que l'appartement, réponds-je seulement.
Au diable l'intimité ! Tout est à aire ouverte. J'aperçois un petite porte au fond du loft, signe qu'au moins la toilette est isolée, mais il en est autrement de l'immense douche en marbre, que je repère immédiatement.
― Évidemment, répond Jarek. C'est un pied-à-terre que personne ne connait sauf les individus en qui j'ai parfaitement confiance.
― Heureuse de savoir que j'en fais partie.
À bien y penser, il ne m'avait jamais parlé de cet endroit auparavant, alors je suppose qu'il n'a pas eu le choix à cause du danger qui rôde autour de moi, mais que s'il avait pu garder le secret, il se serait bien abstenu de m'en faire part.
J'observe le grand salon occupé par le canapé en forme de L et le foyer à l'éthanol qui se trouve juste en-dessous de l'écran gréant. La cuisine, quant à elle, occupe l'espace au fond du bâtiment. Elle est spacieuse et le grand ilot me fait de l'œil. Je vais enfin avoir de l'espace pour cuisiner. La cuisine de l'appartement au-dessus du garage était si minuscule que je faisais rarement des plats autres que des pâtes.
― J'aimerais que l'endroit reste propre pendant ton séjour ici, dit soudainement Jarek en m'emmenant vers le grand lit situé à gauche du loft.
― Est-ce que c'est moi qui laisse des taches d'huile partout ? répliqué-je, piquée.
Quel idiot ! C'était moi qui ramassais ce que Jean-Simon et lui laissent traîner dans la maison.
― Jean-Simon ne se ramassait pas, mais il ne logera pas ici, répond Jarek. Et ce n'est pas lui qui laissait des pâtes collées par terre.
― Qu'est-ce que tu en sais ?
L'homme pousse un long soupir et me dépose sur le lit.
― Repose-toi, m'intime-t-il. Tu dois te rétablir.
― Et où vas-tu dormir ? Il n'y a qu'un lit ? interrogé-je.
― Sur le canapé. Tu devrais te reposer.
Sur ce, il me tourne le dos et part s'affaire dans la cuisine. Épuisée, je ferme les yeux et m'endors aussitôt.
Une voix qui hurle me réveille en sursaut et mon cœur s'emballe en ne reconnaissant pas l'endroit où je me trouve. Puis, je me souviens et me calme.
― Trouvez-les ! clame une voix grave que je reconnais aussitôt. Je m'en fiche. Ces pièces ont de la valeur, alors trouvez ces connards et ramenez-les moi. Ils vont regretter de m'avoir trahi.
Je me frotte les yeux et aperçois Jarek, qui parle au téléphone et qui semble hors de lui. Il se trouve dans le salon et fait les cent pas.
― Tout de suite ! fait-il avant de raccrocher.
Je le fixe méticuleusement. Il a enfilé un jean et porte un t-shirt noir qui moule ses muscles à la perfection. L'encre qui colore ses bras lui donne un air de dur à cuire, et son froncement de sourcil m'indique qu'il est très contrarié.
Il remarque au même moment que je l'observe et je sens mes joues rougir d'embarras à la pensée qu'il m'a surprise en train de le fixer un peu trop longuement.
― Tu es réveillée, constate-t-il.
― Les murs ne sont pas très bien isolés, réponds-je.
Je ne sais pas s'il comprend mon sarcasme, mais il hausse les épaules et dit :
― Je tâcherai de m'en souvenir.
J'ignore si c'est parce qu'il a peur que je découvre quoique ce soit sur lui ou s'il s'excuse de m'avoir réveillée. Toujours est-il que je suis incapable de me rendormir et que j'ai besoin d'une bonne douche. Et de vêtements propres. Surtout de vêtements. Je me rends compte que je porte toujours cette abominable jaquette d'hôpital. Une chance que le ridicule ne tue pas, sinon je serais déjà six pieds sous terre.
― Alex est allé récupérer tes effets personnels, m'informe Jarek. Je les ai mis dans la commode à côté du lit.
― Merci, soufflé-je du bout des lèvres.
J'aurais préféré que personne ne fouille dans mes affaires, mais je dois avouer que je préfère de beaucoup porter mes propres vêtements.
Je décide donc de tenter une promenade jusqu'à la douche et manque m'écrouler par terre tant mes jambes sont molles.
― Attention, me prévient-il en s'approchant du lit.
― J'ai besoin de me laver, l'informé-je, et si tu dis que tu peux m'aider, alors c'est mort.
― Tu vas ramper jusqu'à la salle de bain? Tu risquerais d'ouvrir tes points.
Il n'a pas tort.
― Et ton bandage va avoir besoin d'être changé, poursuit-il, sinon ça va s'infecter.
― Je vais m'en occuper, affirmé-je. Après ma douche.
Jarek me fixe comme si j'avais dit une bêtise.
― Sais-tu comment désinfecter une plaie ?
― Euh...avec du désinfectant ?
Il lève les yeux au ciel, puis ajoute :
― Vas te laver et on regardera ça après.
Je ne réponds rien et me dirige en claudiquant vers la salle de bain. Merde ! Je serre les dents en songeant que ça va être une vraie galère de me laver. Je souffre chaque fois que je bouge. De plus, les points tirent et me font mal.
― As-tu besoin d'aide ? interroge Jarek d'un air très sérieux.
Je lui jette un regard incrédule et secoue la tête de gauche à droite. Ce serait bien trop humiliant...
Et excitant.
― Vas-tu me fixer encore longtemps ? interrogé-je en fixant l'immense douche vitrée.
― Oui, c'est chez moi.
Je me crispe, comprenant à quel jeu il veut jouer. Il veut m'intimider, me pousser à bout, mais ça ne fonctionnera pas. Depuis un certain temps, nous nous provoquons sans cesse.
Je le provoque. Il me provoque. Nous nous défions verbalement.
Mais en ce moment, je n'en ai pas envie. J'ai seulement envie d'avoir de l'intimité, de voir l'horrible cicatrice qui me suivra pour le reste de mes jours...en privé. J'aimerais hurler...hurler pour cette vie dont je n'ai pas voulue et qui m'a emmenée dans cette ville merdique que j'aimerais quitter une bonne fois pour toutes.
Mais c'est hors de question. Maintenant que je sais que quelque chose de grave se trame autour de Jarek (il est apparemment impliqué dans quelque chose d'illicite et je devine que mon accident n'est pas un hasard), je veux découvrir le pot aux roses. Je ne partirai pas avoir d'avoir découvert tout ce que ce séduisant crétin me cache.
Le garagiste me tourne enfin le dos et se dirige vers le salon, où il s'assoit sur le canapé et allume la télévision, ne se préoccupant plus de ma présence. Il semble fort concentré par son émission de télévision. RPM, je suppose...(Série d'émission télévisée traitant des actualités auto, des essais routiers, des vidéos, des spécifications, des véhicules usagés ainsi que des chroniques automobiles.)
Je me traîne jusqu'à la douche et dépose mes vêtements propres sur le comptoir de pierre muni d'une vasque de porcelaine. Le décorateur a vraiment bon goût...et un penchant pour la grandeur. Non mais...au moins dix personnes pourraient entrer dans cette douche. Et je n'exagère même pas.
Je jette un coup d'œil rapide vers mon colocataire, qui m'a momentanément oubliée, et retire rapidement la jaquette d'hôpital que je brûlerai volontiers lorsque j'en aurai l'occasion. Une chance que le ridicule ne tue pas, car je serais morte au moins dix fois ce soir !
Jarek ne jette pas un seul regard dans ma direction et je me demande si ça me déçoit ou non. En tout cas, ça prouve une chose : cet homme n'est pas du tout attiré par moi. Je me demande seulement pourquoi il ne me laisse pas me débrouiller seule. Après tout, il m'a aidée à m'enfuir il y a de cela dix ans. Il aurait pu me laisser sur le bord du chemin quelque part entre ici et là-bas et poursuivre seul sa route. Pourquoi vouloir s'encombrer de moi ? Encore aujourd'hui, le questionnement demeure. Si je ne l'intéresse pas et qu'il ne me considère même pas comme une sœur ou une amie, je me demande quel est son motif. A-t-il pitié de moi ? Probablement...
J'entre dans la douche vitrée qui ne laisse place à aucune intimité, puis démarre les robinets. Une dizaine de jets démarrent en même temps et me surprennent en giclant de l'eau froide. Je me recule le plus loin possible afin de leur laisser le temps de réchauffer. Je grelotte et j'ai hâte d'évacuer cette tension que je garde depuis plus de vingt-quatre heures. Enfin, lorsque je vois de la vapeur se disperser dans la douche, j'avance sous les jets et laisse échapper un gémissement de bonheur. Mes tremblements cessent et je profite pleinement des massages que me procurent les jets de corps. La tête parapluie tombe directement sur ma tête et trempe mes cheveux sales. Je me détends enfin et ferme les yeux pour en profiter. Puis, je me savonne avec la grosse éponge suspendue à un crochet. Le savon sent la nature avec une petite note de romarin. C'est un parfum plutôt masculin qui appartient sans aucun doute à mon colocataire. Ça va être bizarre de sentir comme lui, toutefois, j'ai tellement envie de respirer autre chose que le désinfectant que je m'en moque.
Ma hanche me fait mal à force d'être debout, alors je m'installe de le banc de céramique et poursuis ma douche jusqu'à ce que je sois ultra propre. Le seul petit problème, c'est que mon bandage est en train de décoller, alors il va effectivement falloir le changer, comme l'a précisé Jarek. Je suis certaine que je peux le faire seule, alors je retire le pansement et...bordel de merde !
Je crois que j'aurais préféré ne rien voir. La plaie est en train de cicatriser, mais suinte et c'est au-dessus de mes forces de l'examiner plus longtemps. Je me sens tout à coup faible et je n'ai pas la force de me lever sinon je crains de tourner de l'œil.
J'arrête l'eau et saisit ma serviette pour éponger mes cheveux, puis l'enroule autour de moi. Il ne me reste qu'à trouver assez de force pour me lever. J'ai terriblement faim et ce doit être pour cette raison que je me sens faible. Mon dernier repas remonte au moment où l'infirmière cinglée a essayé de me faire la peau.
Je prends trois longues respirations et me lève en me tenant au mur.
Un pas. Deux pas. J'ouvre la porte vitrée et...pers pied.
Je lâche un cri en m'affalant par terre.
Bravo, Ray ! Pour la discrétion, on repassera. À force d'habiter seule(ou presque) je suis devenue empotée.
J'entends des bruits de pas et essaie de me relever de peine et de misère, mais c'est peine perdue. Mon drap de bain m'enserre comme un saucisson et plus je me débats pour me relever, et plus il remonte sur mes cuisses.
― Qu'est-ce que tu fiches par terre ? me lance Jarek en s'arrêtant à un mètre de moi.
― Je nettoie le plancher, ça ne se voit pas ? rétorqué-je.
Il pousse un soupir et prend mon bras en me relevant comme si je ne pesais rien. Toutefois, je sais que je fais mon poids...et il appuie sur ma hanche, me faisant gémir de douleur. Mon colocataire s'en aperçoit et, sans me demander la permission, me prend dans ses bras. Je ne porte qu'une simple serviette et je me sens terriblement nue. Mes joues me chauffent et je suis certaine que je dois être aussi rouge qu'une pivoine.
Jarek me dépose sur le canapé et, aussitôt que mes fesses touchent le tissu, je m'éloigne de lui. Il fait comme si de rien n'était et annonce :
― Il faut s'occuper de ta plaie avant qu'elle ne s'infecte.
― Je sais, réponds-je. Et je t'ai dis que j'allais m'en occuper toute seule.
Il émet un petit rire.
― Ah ouais ? Et je suppose que tu sais où se trouve la trousse de premiers soins ?
― Non...Peux-tu aller la chercher ?
― Je n'en ai pas envie.
Et pour confirmer ses paroles, l'enfoiré se laisser tomber à côté de moi sur le canapé et commencer à zapper.
Je serre les dents, me retenant de l'étriper. Il sait que je peux à peine bouger sans souffrir, alors je ne peux pas partout dans le loft.
― Tu es vraiment un sale con, lui lancé-je, furieuse.
― Et toi, tu es une petite conne qui a trop d'orgueil pour demander de l'aide.
Je ne sais pas quoi répondre. Lui ai-je déjà demandé quoique ce soit ? Non. Ce type est tellement ténébreux qu'il ne semble pas très affable.
― Je ne suis pas...
― Ah ouais ? me coupe-t-il. Pourquoi ne veux-tu pas que je t'aide à payer tes études, dans ce cas ?
― Parce que tu n'as pas à le faire, lui assuré-je. Je ne suis ni ta sœur, ni un membre de ta famille.
Ni un membre de ton gang.
― Par chance, souligne-t-il avant de se concentrer sur la télé.
Je ne comprends pas pourquoi il pense que c'est bien que je ne sois pas sa sœur. D'ailleurs, en a-t-il une ? A-t-il des parents ? Je suppose que non puisqu'il était, tout comme moi, en famille d'accueil.
Je grimace en essayant de trouver une position qui me fasse moins mal, mais ma blessure gratte et je serre les dents.
Jarek arrête son choix sur une série que je ne connais pas et semble captivé. Ou du moins, il fait semblant d'avoir oublié ma présence. Dois-je abdiquer ou m'obstiner à refuser son aide ? Parce que je me trouve présentement à moins d'un mètre de lui vêtue que d'une serviette. Je suis TRÈS mal à l'aise.
― D'accord, tu peux m'aider, soufflé-je finalement, énervée.
― Je suis occupé, dit-il seulement.
― Arrête de faire l'enfant...
― Ce n'est pas moi qui fais l'enfant.
Je pousse un long soupir et l'observe. C'est vraiment un gâchis d'être aussi beau et aussi con à la fois.
― S'il te plaît, murmuré-je difficilement. J'ai vraiment mal.
Il tourne enfin la tête vers moi et plonge son regard dans le mien. Nous restons silencieux, les yeux dans les yeux, pendant que je me dis une nouvelle fois à quel point il est séduisant. Je sais qu'il est brisé, tout comme moi, et que jamais je ne pourrai l'approcher, mais qu'est-ce que j'aimerais passer ma main dans ses cheveux qui semblent si doux ! Bordel de merde ! Je suis vraiment en train de divaguer. Sans doute la faute à la douleur.
― Tu vas me laisser m'occuper de toi ? interroge-t-il doucement.
Je hoche la tête, nerveuse.
― Tu vas rester tranquille le temps que je désinfecte ta plaie ?
― Oui...
Celle-ci est à un endroit où il me sera difficile de cacher le reste de mon corps. J'espère seulement qu'il ne concentrera sur ta tâche uniquement.
― Dans ce cas, je vais chercher ce qu'il faut.
Il se lève pendant que je le traite mentalement de tous les noms qui me passent par la tête.
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