Chapitre 14
Jarek
Je prends une longue inspiration, parce que parler avec Ray ronge ma patience aussi sûrement que le fait un chien avec son os. Je ne voulais pas qu'elle sache que je faisais des courses de voitures parce que je savais qu'elle ne comprendrait pas. Je ne course pas pour jouer, mais plutôt pour vivre. Il y a beaucoup plus à gagner qu'une somme d'argent à la ligne d'arrivée. Il y a le respect des concurrents et aussi certains biens, comme des voitures.
— Je sais que la vie n'est pas un jeu, Ray, et je t'assure que je ne joue pas. Mais parfois, on ne peut rien contre le destin.
— Le destin ? pouffe-t-elle. Quel destin ? C'est nous-mêmes qui dessinons notre avenir.
— Pas toujours...
J'étais bien déterminé à débuter une nouvelle vie en arrivant dans cette ville, mais j'ai réalisé que peu importe où j'irais, les fantômes du passé me rattraperaient toujours. L'argent domine notre vie. Au départ, ça ne me dérangeait pas de vivre banalement. Avoir un petit garage a toujours été mon rêve. Mais lorsque mes amis ont eu besoin de moi, ça a changé. J'ai repris mes vieilles habitudes. Mon oncle m'a appris à conduire lorsque j'étais ado...tout juste avant de mourir d'un accident de voiture, ce qui est plutôt ironique en soit. C'est lui qui m'a élevé et qui m'a transmis sa passion pour tout ce qui roule. À treize ans, je savais déjà conduire. J'ai étudié la mécanique automobile et, ainsi, en sortant des études, j'étais prêt à travailler...mais j'ai commencé à fréquenté des individus qui m'ont propulsé vers un monde plus sombre, un monde que j'ai décidé de fuir pendant qu'il était encore temps.
J'ai débuté une nouvelle vie, mais ça n'a pas été suffisant. J'ai voulu aider mes potes, je me suis endetté, et ensuite, je n'ai pas pu arrêter. C'est comme un cycle infernal, une boucle sans fin qui m'empêche de devenir un honnête homme.
Et j'ai cessé d'essayer il y a bien longtemps.
Ray me fixe avec contrariété, comme si elle avait quelque chose à me reprocher et j'ignore quoi.
― Je ne t'ai jamais demandé de te mêler à ma vie, rétorqué-je. Tu peux faire ce qui te plaît, je ne t'en empêcherai pas. À l'exception de fréquenter cette famille démoniaque.
Elle croise ses bras sur sa poitrine et je ne peux empêcher mon regard de dévier vers sa poitrine, mise en valeur par cette position. Ray possède des seins hauts et fermes qui attirent l'attention même si elle ne les met pas souvent en valeur. Et c'est tant mieux car je défoncerai la gueule de tous ceux qui la reluqueront.
― Bien, répond la jeune femme. Je voulais simplement te dire que j'avais décidé de retourner à Ste-Lucie. J'ai reçu une réponse positive à ma demande d'admission à l'université.
Je cligne des yeux, incertain d'avoir bien compris. Elle veut aller étudier dans la ville où elle a vécu l'enfer ? Impossible. Ray n'a jamais parlé de retourner à cet endroit. Je croyais qu'en fuyant, elle mettait un trait définitif sur son patelin d'origine et repartirait à zéro. Il n'a jamais été question d'y retourner. D'ailleurs, ce serait une mission suicide. Trop d'individus se souviennent de moi, même après dix ans. Même en changeant de nom. J'ai toujours la même tête que lors de mon adolescence, je suis seulement un peu plus baraqué qu'avant.
― Pardon ? Peux-tu répéter, je ne suis pas certain d'avoir bien compris ?
Elle pousse un long soupir.
― Leur programme d'art et lettres m'a semblé intéressant. De plus, c'est la seule université que je peux me permettre de payer...
― L'argent n'est pas un problème, Ray. Je peux t'aider à payer n'importe quelle université.
― Je ne veux pas de ton argent sale, me coupe-t-elle.
Je la fixe, abasourdi.
― Mon argent sale ? répété-je. Explique-moi pourquoi tu penses cela de mon « argent » ?
― Je...
Un énorme bruit retentit au même moment et, grâce à mes bons réflexes, je saisis la main à Ray et la tire vers moi. Nous tombons par terre au moment où les vitres des fenêtres explosent. Des hurlements et des fracas retentissent autour de nous, mais je suis trop occupée à tirer Ray vers le bar. Nous rampons parmi les débris de vaisselles, des lustres qui ont explosé et de la poussière. Une fois en lieu sûr, je lève la tête et reste sidéré devant ce cauchemar. Un camion a littéralement foncé dans le restaurant et a traversé la vitrine. Plusieurs individus sont blessés et saignent, d'autres sont inconscients, et les autres, ceux qui se trouvaient à l'opposé du restaurant, s'enfuient en criant de terreur.
Mon attention se reporte sur ma compagne, qui est appuyée au mur. Elle me fixe avec une grimace qui m'alarme.
— Es-tu blessée quelque part, Ray ? lui demandé-je en inspectant ses vêtements tachés de sang.
J'ignore si c'est le sien, alors je lui retire sa veste et retiens un cri de stupéfaction.
Putain ! Un bout de verre est enfoncé dans sa hanche, et pas qu'un petit éclat. Il est si profond que je ne peux me risquer à lui retirer sans qu'elle ne se vide de son sang.
— J'appelle une ambulance. Ne t'en fais pas, ils vont te soigner, la rassuré-je en essayant de cacher la panique qui monte en moi.
Elle est blanche comme un linge et ne parvient même pas à hocher la tête. Elle gémit en guise de réponse.
J'entends des sirènes au loin, signe que les secours sont en route.
— Tiens bon, Ray, lui dis-je en prenant sa main dans la mienne.
Elle ferme les yeux et je comprends que ce n'est pas bon du tout. Merde ! Elle est en train de se vider de son sang. Ses pantalons et son haut en sont imbibés.
— Ne dors pas, bébé, lui ordonné-je en la prenant par les épaules pour la secouer.
Elle entrouvre les yeux pendant quelques secondes et son regard se bloque dans le mien. J'y lis de la peur pure. Les larmes perlent sur ses cils et j'ai envie de la prendre dans mes bras pour la rassurer. Cependant, je n'ose pas, car je sais qu'elle souffre. Et moi aussi ! C'est difficile de la voir blessé ainsi. Cette fille est la seule personne au monde à qui je tienne et il n'est même pas envisageable que je la perde.
Néanmoins, même en la secouant, elle finit par perdre connaissance. J'attends donc les secours avec impatience. Aussitôt que les pompiers arrivent, je porte Ray vers eux. Les ambulanciers et les policiers suivent peu de temps après.
— Êtes-vous un témoin, monsieur ? me demande l'un d'entre eux.
Je hoche la tête.
— Savez-vous ce qu'il s'est passé ?
— Un camion a percuté la façade de l'édifice et a traversé la vitrine du restaurant, lui réponds-je.
Il le sait déjà puisque le camion s'y trouve toujours. Miraculeusement, le conducteur est toujours vivant, quoique blessé.
— Vous devrez le questionner car je n'ai aucune idée de la façon donc cela s'est produit, ajouté-je.
— Nous n'y manquerons pas.
Sur ce, je monte dans l'ambulance, qui emmène ma jeune amie à l'hôpital. Elle n'a toujours pas repris connaissance et on la porte sur une civière directement au bloc opératoire. Je dois rester dans la salle d'attente en compagnie de la famille des autres individus qui ont été blessés où je fais les cent pas en attendant des nouvelles. Je ne sais pas ce que je ferai si jamais elle meure. Mon objectif depuis toutes ces années a été de la protéger et voilà où ça m'a mené. Je ne suis qu'un bon à rien. Ray mérite ce qu'il y a de mieux et c'est de ma faute si je n'ai pas pu le lui procuré. J'aurais dû lui acheter une jolie petite maison loin de cette ville et elle aurait pu vivre paisiblement. Au lieu de quoi, j'ai été égoïste et j'ai voulu qu'elle reste près de moi. Résultat : elle n'a plus de toit à cause de ma connerie.
Mon téléphone sonne alors et je réponds.
— Quoi ?
— On a interrogé le type qui a foncé dans la vitrine du restaurant, me répond Alex.
— Et puis ?
— Ce n'était pas un accident. Tu étais la cible. Il n'a pas eu le temps de nous informer qui était derrière tout cela avant que les infirmières ne reviennent.
— Ne le perds pas de vue. Je veux des réponses.
— Entendu.
Je raccroche et serre les poings afin de ne pas laisser ma rage exploser. Quelqu'un a délibérément engagé ce type pour me blesser et c'est probablement le même qui a essayé de nous piéger dans le cimetière d'auto. Je ne peux laisser passer les derniers événements. Qu'il s'en prenne à moi, c'est une chose, mais qu'il blesse Ray, c'en est une autre. Je vais le trouver et, lorsque je saurai qui est derrière tout ça, je vais le détruire.
Un médecin entre alors dans la salle d'attente et je me dirige vers lui.
— Des nouvelles de Ray ? lui demandé-je.
— Êtes-vous un membre de sa famille ? dit-il.
— Oui, c'est ma...euh...fiancée.
Il me jette un regard signifiant que je n'ai pas vraiment la tête d'un homme à marier, que je soutiens.
— Comment va-t-elle ? insisté-je.
Je me fiche pas mal de son jugement sur ma personne pour l'instant.
— Elle a perdu beaucoup de sang, alors elle sera faible pendant un moment, mais elle est hors de danger. On lui a fait plusieurs points de suture, donc elle devra éviter de trop bouger le temps que la blessure se referme.
— Et éviter de marcher, en conclus-je.
— Pas tout à fait, elle pourra se déplacer, mais elle doit éviter de lever sa jambe, comme pour monter un escalier, donner un coup de pied, ce genre de mouvement.
Je hoche la tête et énumérant mentalement ce qui sera proscrits pour quelques semaines.
— Elle est encore inconsciente et risque d'être un peu déboussolée lors de son réveil, ajoute le docteur.
— Je vais attendre à ses côtés en attendant ce moment, annoncé-je. Merci de l'avoir sauvée.
Je ne suis pas le genre de personne à remercier, mais puisqu'il lui a sauvé la vie, il mérite toute ma reconnaissance. Je peux enfin respirer et je réalise seulement que maintenant à quel point j'étais tendu.
Le docteur va par la suite rencontrer d'autres familles, qui ne reçoivent pas toutes de bonnes nouvelles si je me fie aux cris de désespoir que j'entends à travers le corridor.
La chambre dans laquelle on a installée Ray est aussi vide que mon garage. Seul un lit et un fauteuil l'occupe. Mon attention est de toute façon posée ailleurs. La jeune femme semble minuscule dans son lit. Elle est blême et de gros cernes ont pris place sous ses yeux. Mon cœur se serre en l'observant. Elle ne ressemble pas à Ray-la-battante que je connais et j'hésite à l'approcher. Elle me rappelle celle d'il y a dix ans, l'adolescente que j'ai emmenée avec moi et qui a mis plusieurs mois à retrouver le sourire, du moins, ce qui lui ressemblait le plus. Elle ne m'a jamais sourit, si j'y réfléchis. Mais j'ai déjà entendu son rire lorsqu'elle se marrait avec Adam et jamais je n'ai entendu un aussi beau son. D'accord, ça ressemblait à un glapissement, mais l'entendre me rappelle qu'il y a de belles choses dans ce monde, et Ray en fait partie.
Je devrais arrêter d'être aussi égoïste et la laisser partir, néanmoins ce n'est pas encore le moment. Je veux profiter du temps à ses côtés et je me rends compte que sa blessure et une bonne opportunité. Et ensuite...je devrai la laisser prendre son envol.
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