Chapitre 13


Ray

Maria et moi sommes assises sur le canapé, aphones.

― Je t'avais prévenue que Jarek n'était pas un ange, me fit enfin Maria en haussant les épaules.

― Je savais qu'il n'était pas un ange, rétorqué-je, mais de là à être un tueur...

J'ai eu chaud, très chaud. J'ai bien cru que Jarek allait me trancher la gorge avec la lame de son couteau. J'ai failli lui avouer qui j'étais, mais j'aurais probablement eu de plus gros ennuis. Je me souviens bien de sa mise en garde et j'aurais dû l'écouter.

Maria décèle probablement le regret sur mon visage, car elle ajoute :

― Aurais-tu préféré rester dans l'ignorance ?

― Non...

Oui.

Jamais je n'aurais cru Jarek capable de tuer. Je sais qu'il parait menaçant puisque tout le monde le craint, mais je pensais que c'était seulement une facette qu'il voulait propager. Qu'il voulait se donner l'apparence d'un dur à cuire pour ne pas se faire marcher sur les pieds.

Je me suis trompée. En plus d'être violent, il fait du trafic de pièces volées. Si je ne l'avais pas vu de mes propres yeux, jamais je ne l'aurais cru. Il n'est pas le simple mécanicien que j'ai côtoyé pendant dix ans. C'est un escroc. Un bandit. Un hors-la-loi qui fait des courses clandestines pour gagner de l'argent. Je me demande bien ce qu'il fabrique avec tout ce fric. Après tout, les seuls biens qu'il possède, ou plutôt, qu'il possédait, était son garage.

― Si ça peut te rassurer, Jarek ne blesse jamais les femmes, précise Maria. S'il avait su qui nous étions vraiment, il ne nous aurait pas menacées ainsi.

― Tu crois ? dis-je d'un ton amer.

― Oui. Il baise les femmes, il les jette lorsqu'il en a terminé avec elles, et ça ne les empêche pas de tenter de le reconquérir. Elles auront beau pleurer, s'agenouiller devant lui, lorsque c'est fini, c'est fini.

― Elles sont toutes folles. Qui voudrait d'une crapule comme lui ?

Maria fronce les sourcils et je rappelle qu'elle l'a également fréquenté.

― Je voulais dire...

― Je ne t'en veux pas de penser ainsi, me coupe-t-elle. J'étais jeune et naïve. Je croyais en l'amour et je croyais que pour moi, il remuerait ciel et terre. Mais ça c'est terminé brusquement.

― Penses-tu qu'il est le père de ta fille ? Après tout, tu es tombée enceinte peu de temps après ?

― Je...je ne sais pas. Nous nous sommes toujours protégés. Et j'ai eu deux autres amants après Jarek, alors ce doit être l'un d'eux.

― Tu n'as jamais fait faire de test d'ADN.

Elle hausse les épaules.

― À quoi ça servirait ? Tous ces mecs sont des connards. Je préfère que ma fille ne les connaisse jamais. Ils ne seraient pas un bon exemple pour elle. Je jure que mon prochain copain ne fera pas partie du milieu automobile.

― Alors, tu devrais fréquenter d'autres milieux, lui conseillé-je. Ce n'est pas en te rendant à des courses que tu vas rencontrer l'homme de tes rêves.

― J'y vais pour encourager mon frère, argue-t-elle.

Je crois qu'il n'y aurait aucune différence si elle ne s'y rendait pas, mais je garde cette pensée pour moi. Qu'il le veuille ou non, Estéban a entraîné sa sœur dans ses déboires et elle y est plus concernée qu'elle ne le croit.

Cette nuit-là, j'ai de la difficulté à trouver le sommeil. Je songe à Jarek et me demande si je dois couper les ponts avec lui. Il m'a menacée, ce dont je ne l'aurais jamais cru capable. Bon...il est vrai qu'il ignorait que c'était moi sous ce déguisement, mais cela signifie qu'il est ainsi avec les autres et je ne supporte pas ce genre de comportement. Je déteste les gens qui se croient supérieurs aux autres et j'ai désormais la preuve que Jarek fait partie de ces individus.

Le lendemain matin, j'ai besoin d'un bon café pour commencer ma journée. Mes yeux sont cernés et à peine ouverts lorsque j'entre dans la cuisinette. Je suis parvenue à dormir environ trois heures, mais les bruits dans la maison me réveillent dès l'aube. Mes hôtes sont très matinaux...et crient beaucoup.

― Eh bien ! Tu as l'air d'une fille qui a baisé toute la nuit.

Je m'immobilise en reconnaissant l'individu assis à la table.

― Bonjour, ajoute Estéban avec un petit sourire satisfait.

S'il voulait me déstabiliser, il y est parvenu. Jarek a beau être un sacré connard avec la gente féminine, jamais il ne parle de sexe devant moi, contrairement à son adversaire.

Ce chimpanzé se marre devant mon air interloqué.

― Du café ? me propose-t-il en me désignant une tasse fumante sur le comptoir.

Je refuse de la prendre puisque je ne sais pas ce qu'il a mis dedans. Je ne fais pas confiance à ce type.

Comme s'il devinait mes pensées, il ajoute :

― Je n'ai pas besoin de droguer les femmes pour les avoir dans mon lit.

Je lève les yeux au ciel, mais me refuse à accepter le café. Je me dirige vers la cafetière et m'en fais un autre.

― Que fais-tu ici ? lui demandé-je finalement.

― Je devais parler à mon père, alors je suis passé.

Ce sont donc leurs cris qui m'ont réveillée.

― Et j'en ai profité pour saluer ma sœur et sa nouvelle amie, raille-t-il.

Maria arrive justement et salue son frère. Ouf ! Je suis rassurée de ne plus me trouver seule en présence de ce type. Il semble être le genre d'individu à vous attaquer par derrière.

Maria s'empare de la tasse qui m'était destinée et avale une gorgée de boisson chaude.

― Tu m'emmènes au travail ? demande-t-elle à Estéban.

― Euh...j'ai autre chose à faire.

― Tu dois faire acte de présence de temps en temps. En plus, c'est moi qui fais ton boulot, lui reproche-t-elle.

― Écoute, Maria, je fois travailler sur ma voiture pour la prochaine course. Cet enfoiré de Jarek a en tête de reprendre ses biens.

― C'est son droit, répond Maria en haussant les épaules.

― Non, il n'aura rien, éclate son frère. Il arrive dans cette ville et fait son petit trafic de pièces détachées comme si l'endroit lui appartenait. Je veux destituer ce type de tout ce qu'il a.

Apparemment, la seule mention de Jarek le met en colère. Il sort de la cuisine sans un mot de plus.

― Estéban est un peu susceptible lorsqu'il est question de travail, mentionne Maria.

― Un peu ? On dirait qu'il veut trucider Jarek.

― Oh, ce n'est pas nouveau. Je me suis habituée à son mauvais caractère.

Ce n'est pas un mauvais caractère, c'est sa personnalité qui est mauvaise.

― Bon, j'y vais, annonce Maria. Seras-tu là ce soir ?

― Non, je vais emménager dans mon nouvel appartement et, ensuite, je pars travailler au restaurant.

― Dans ce cas, on se voit lundi prochain pour mes cours de langage des signes. Fais attention à toi.

― Toi aussi.

J'emballe mes effets personnels et quitte ce manoir avec soulagement. J'arrive devant l'immeuble à logement qui deviendra mon nouveau chez-moi et frappe à la porte. Mon nouveau colocataire m'ouvre.

— Bonjour, Ray, me salue-t-il. Entre.

Je remarque un certain désordre dans l'appartement aussitôt que j'y pénètre.

— Euh...désolé pour le bordel. J'ai reçu quelques amis hier soir et je n'ai pas eu le temps de ramasser, s'excuser Larry.

Pendant une fraction de seconde, je me demande s'il n'a pas fait le ménage uniquement pour que l'appartement soit propre lors de ma visite, mais je secoue la tête en repoussant cette pensée.

— Voici ta clé, ajoute le jeune homme.

Il jette un coup d'œil à son téléphone.

— Je dois aller bosser, annonce-t-il. Le code du Wifi est sur le comptoir de cuisine si tu es as besoin.

— D'accord, merci,

Effectivement, je dois aller consulter mes emails.

— Bonne journée, me souhaite-t-il avant de sortir.

Bon...me voilà à nouveau seule. Ce n'est pas bien différent d'avant, après tout, à l'exception que je connaissais mieux Jarek que ce type. En fait, non. Je croyais connaître Jarek, mais je me suis fourvoyée.

Je pose mes couvertures sur mon nouveau lit ainsi que les rideaux aux fenêtres, puis je vide mon sac à dos et range mes vêtements dans les tiroirs de la commode de ma chambre. Je m'installe par la suite devant mon ordinateur. Je discerne immédiatement un email de la commission scolaire. Hourra ! Je bondis de joie en lisant mes résultats des derniers examens. J'ai réussi ! J'ai enfin mon diplôme ! Je vais pouvoir étudier le domaine que j'aime, c'est-à-dire les langues. J'ai déjà envoyé mes demandes d'admission à plusieurs universités. Pourquoi ne pas avoir attendu mes résultats ? Car les demandes se font au début de l'année et qu'après février, il est déjà trop tard. Souvent, les universités qui acceptent un étudiant à la condition que les résultats de ce dernier correspondent aux critères d'admissibilités. J'ai envoyé des demandes à cinq facultés. J'espère que l'un d'entre elles va m'accepter.

Avec les récents évènements qui m'ont empêchée de consulter mes courriels, j'ai un peu plus de cent messages. Certains sont sans importance, mais je repère rapidement ceux que je cherche. Alléluia ! Quatre universités ont répondu à ma demande et trois d'entre elles m'ont acceptée. Le problème, c'est que les frais d'inscription de deux d'entre elles sont exorbitants. Mes yeux sortent presque de leur orbites en apercevant le montant. Mince ! Je ne parviendrai jamais à accumuler un telle somme même en travaillant jours et nuits.

La déception m'envahit. Il ne reste plus qu'une université et c'est le dernier endroit au monde où je veux mettre les pieds : ma ville natale. J'ai envoyé ma demande dans cette université à cause du programme d'art et de lettres qui me semble vraiment intéressant, surtout pour une université qui demande peu de frais d'inscription. Peut-être est-ce à cause de sa taille, qui est plus petite que les autres, ou à cause du milieu rural qui l'entoure. Toujours est-il que je suis vraiment embêtée. Serais-je capable de retourner dans cette ville qui a fait de mon enfance un cauchemar ? J'y ai perdu des êtres chers, j'ai souffert en silence pendant des années et même si ça date de très longtemps, j'ai toujours une boule dans la gorge rien qu'en y pensant.

Bien sûr, je me suis inscrite avec ma nouvelle identité, alors personne ne comprendra qui je suis. J'ai beaucoup changé. Autrefois, j'étais blonde, mais j'ai foncé ma couleur au fil des années pour ne laisser que quelques reflets caramel, et j'étais beaucoup plus mince. Mes hanches se sont élargies et mes jambes se sont galbées. Bref, à treize ans, j'avais une silhouette d'enfant, ce qui n'est plus le cas.

Que devrais-je faire ? J'aimerais rester ici, mais je dois songer à mon avenir.

Je sors mon téléphone portable et appelle Adam. Le jeune homme a toujours une oreille attentive et il pourra me donner son avis sur la question. Cependant, je tombe sur sa boîte vocale et je préfère lui parler de vive voix.

Je lâche un long soupir. La seule autre personne qui saura m'écouter est Jarek. Je ne doute pas une seconde qu'il essaiera de me convaincre de ne pas y aller, mais j'ai besoin de lui parler. Lui seul connait mon passé.

Je compose son numéro avec une certaine angoisse car je lui parle très rarement au téléphone. Je pourrais compter le nombre de fois sur les doigts de ma main.

Jarek répond presqu'aussitôt.

— Oui, dit-il seulement.

— Euh...salut, réponds-je. J'ai besoin de te parler. Est-ce qu'on peut se rencontrer quelque part ?

— Au Tifanny, me répond-il avant de raccrocher.

Le Tifanny et un resto-pub à dix minutes du garage de Jarek. Je sais que son entourage et lui se rencontrent souvent à cet endroit. Les serveuses sont sympas et il y a beaucoup de touristes car le décor chic-bord de mer est un appel aux vacanciers. C'est également l'endroit idéal pour faire des affaires puisque personne ne suspectent la mafia de fréquenter cet endroit. Maintenant, je sais ce que Jarek y fabrique : il y rencontre ses clients.

Je serre la mâchoire en me demandant si je devrais lui révéler ce que je sais à son sujet. Et puis zut ! C'est son problème s'il veut ruiner sa vie.

En même temps, je n'ai pas vraiment envie de le voir crouler en prison, mais que puis-je faire pour le convaincre de devenir un homme honnête ? Rien du tout. Jarek ne changera jamais. Je me doute bien qu'il a mis les pieds dans l'escroquerie bien avant notre arrivée dans cette ville.

J'enfile une veste et sors de l'appartement vide. J'espère que mon nouveau colocataire va faire un peu de ménage en revenant de travailler car je ne supporterai pas de vivre dans une porcherie bien longtemps. Je lui donne néanmoins une chance de me prouver qu'il n'est pas ainsi dans la vie de tous les jours.

Lorsque j'arrive au Tifanny, Jarek n'est pas là. J'en profite pour commander un café et m'asseois en l'attendant. Je plonge mes lèvres dans la boisson chaude afin de vérifier sa température, mais au même moment, l'homme que j'attendais franchis la porte du resto-pub et j'avale ma gorgée sans m'en rendre compte, déconcentrée. Bordel ! Le liquide me brûle la langue et les larmes me montent aux yeux en avalant. Et voilà l'effet Jarek ! Même si je m'y attendais, je suis toujours décontenancée par cette aura menaçante qu'il projette. Les personnes autour de nous ont toutes cessé de parler et fixent le nouvel arrivant avec une certaine appréhension, ce que je fais également. Bon sang ! Qu'est-ce que je devais lui dire déjà ?

Insensible aux autres, Jarek me repère et s'approche de ma table. Il s'assit devant moi et mon regard percute le sien, toujours aussi ombrageux. Il n'a plus cet air féroce de la nuit dernière, mais il est toujours sur ses gardes, comme s'il se préparait à se battre. À se battre avec les mots, sans aucun doute, comme lors de nos précédents échanges.

— Tu voulais me voir, me dit-il de sa voix grave qui provoque un frisson derrière ma nuque.

Je hoche la tête et me souviens alors de ce dont je voulais lui parler.

— Loges-tu encore chez ces sociopathes ? me demande-t-il alors.

— Non, je me suis trouvé un appartement, réponds-je.

— Tu n'en avais pas besoin. Je compte reprendre on garage lors de la prochaine course, alors tu pourras revenir.

— Donc, c'est à ça que se résume ta vie ? Ne jamais savoir si tu vas remporter ou perdre la partie ? La vie n'est pas un jeu, Jarek. Peut-être que tu aimes l'adrénaline que te procure le fait de ne jamais savoir ce qui va arriver de tes biens, de ton garage, de tes connaissances, mais ce n'est pas ce à quoi j'aspire.

Voilà ! Il sait désormais ce que je pense de son mode de vie. Et encore...je n'ai pas parlé de son trafic de pièces illégales.

Ses prunelles s'assombrissent, signe que la colère se propage en lui. Je suis la seule qui ose lui parler ainsi sans avoir peur de représailles. Du moins, pas celles qu'il réserve à ceux qui le défient.

— La seule et unique fois dans ma vie où j'ai perdu, tu étais là, siffle-t-il entre ses dents.

Parte-t-il de sa course précédente ou de ce fameux jour il y a dix ans ? Je sais qu'il comptait quitter la ville, avec ou sans moi. Qu'a-t-il perdu, au juste ? Sans doute plus que de l'argent.

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