Chapitre 12

Jarek

― Les gars ont récupéré des nouvelles pièces, boss, m'annonce Carlos au début de la soirée.

― Bien, dis-leur de me les apporter tout de suite, réponds-je.

Je suis un peu distrait, aujourd'hui, et je n'ai pas trop la tête à commercer. Je songe à Ray et je me demande comment elle va. Bien que j'aie son numéro de portable enregistré dans mon répertoire, je n'ai jamais osé la contacter. Pour lui dire quoi ? Ce n'est pas mon genre de demander à un personne comment elle va. Depuis notre fuite, je n'ai jamais osé amener le sujet, car je savais que Ray n'avait pas envie d'en parler. Je sais également qu'au fur et à mesure que les années ont passé, elle s'est mise à aller mieux.

Mes gars ont travaillé fort cette semaine. Nous ne nous rassemblons jamais au même endroit afin de ne pas nous faire coincer par les flics. Ils ont probablement eut vent de certains vols, mais rien qui ne puissent les mener jusqu'à nous...jusqu'à moi. Je suis le patron de ce commerce de pièces de voitures volées. Au début, je le faisais pour des potes qui n'avaient pas les moyens de se procurer des pièces neuves pour leurs voitures, mais lorsque j'ai réalisé à quel point la demande était forte, j'ai recruté quelques gars et ils se sont mis à voler pour moi. Ils savent qu'ils ne doivent jamais le faire au même endroit et certains sortent même de la ville afin de ne pas susciter l'attention sur eux. Ils s'en prennent souvent aux voitures stationnées dans les rues moins bien éclairées et me rapportent les pièces les plus recherchées, comme les catalyseurs. Certains rapportent des roues de voitures, d'autres sont plus intrépides et m'apportent des moteurs entiers. J'ignore comment ils font, mais je ne veux pas le savoir. Ce qui compte c'est le résultat...et ne pas se faire prendre.

― Patron, ce gosse a quelque chose pour vous, rajoute Carlos.

Je baisse les yeux sur un môme d'environ dix ans, qui tient quatre roues d'alliage dans ses bras.

― Où as-tu trouvé ça ? lui demandé-je d'emblée.

― Ce sont les mags de mon voisin, me dit-il, l'air mal à l'aise.

Je me penche afin d'être à sa hauteur.

― Quel est ton prénom ? lui demandé-je.

― Gabriel.

― Écoute-moi bien, Gabriel, lui dis-je bien sérieusement. Un voleur ne vole jamais son entourage, tu comprends ? Premièrement, c'est trop dangereux qu'on te démasque et deuxièmement, tu ne dois jamais connaître la personne que tu voles sinon tu ressentiras de la culpabilité plus tard. Chaque fois que tu le croiseras, tu te rappelleras ce que tu lui as fait.

― Il n'est pas gentil avec moi, il me dit toujours d'aller jouer ailleurs, m'explique le gamin.

― Ce n'est pas une raison pour lui voler ses biens. As-tu un chien ?

― Euh...oui.

― Alors, va lui faire faire ses besoins sur son terrain et tu verras à quel point tu te sentiras mieux lorsque ton voisin marchera dedans.

Il s'esclaffe, signe que cette idée l'enthousiaste.

― Et rapporte-lui ceci, ajouté-je en pointant les roues d'alliage qu'il tient.

― Mais...

― Ce n'est pas bien de voler, l'avertis-je. Il y a d'autres moyens pour gagner ta vie. Tu n'as pas besoin de cela. Vas à l'école et étudie. C'est le seul conseil que je peux te donner. Ne deviens pas comme nous ; ça ne t'apportera rien.

Sur ce, il décampe et je pousse un long soupir.

― Il aurait pu nous aider, se permet Carlos. Avec la taille qu'il a, nous aurions pu lui demander de se glisser sous les voitures...

Je me tourne vers lui, rouge de colère.

― Je n'utilise jamais les enfants pour faire le boulot, lui lancé-je. Ils ont toute la vie devant eux et il faut leur montrer le bon chemin.

Afin qu'ils ne finissent pas comme moi.

Carlos se retient de dire le fond de sa pensée, mais je la devine. Il pense que certains enfants sont fichus d'avance. Qu'ils sont prédestinés à terminés en bandits à cause de leurs familles.

Comme nous.

Je remarque deux mecs à l'écart qui me fixent un peu trop longtemps. C'est la première fois que je les aperçois ; de nouvelles recrues, donc. Leur habillement laisse à désirer. On dirait qu'ils flottent dedans, comme s'ils s'étaient approprié des vêtements qui ne sont pas les leurs, ce qui est fort probablement le cas. La plupart des gars qui travaillent pour moi sont nés dans la rue et voler est leur seul moyen de survie.

― Hey, vous deux ! les interpellé-je. Déplacez ces cartons au lieu de rester planter là comme deux abrutis.

Je leur pointe les boîtes de pièces volées qui ont été récupérées au courant de la dernière semaine. Ils hochent la tête et s'exécutent. Ou du moins, ils essaient. Les pièces sont lourdes et je les vois peiner afin de soulever les cartons, ce qui me fait soupirer d'impatience. Mais où les gars les ont-ils repêchés ? Ce sont des femmelettes ou quoi ?

Je m'approche d'eux et je les voir se raidir. Ils me craignent. Bien !

— Ce n'est pas une cour d'école, ici, leur dis-je d'une voix agressive. Soit vous travaillez, soit vous partez, compris ?

Ils hochent frénétiquement la tête. Je ne vois pas le haut de leur visage puisqu'il est caché par une casquette, mais je jurerais qu'ils rougissent d'embarras. Tant mieux ! Je ne veux pas d'homme faible comme eux dans mon groupe. Ce sont les premiers à nous dénoncer lorsque les flics exercent de la pression pour les faire parler. Je sais de quoi je parle car ça m'est arrivé auparavant et j'ai dû tout quitter pour sauver ma peau. Des balances ! Voici ce que sont ces types.

Je sors un couteau de ma poche et m'avance vers eux. Jamais je ne m'en sépare car, dans ce milieu, la seule et unique façon de se faire respecter, c'est d'être armé. Et de menacer. Et c'est ce que je m'apprête à faire. Je veux leur faire peur afin que jamais ils ne parlent. Je me penche à l'oreille du premier tout en appuyant mon couteau sur sa jugulaire. Il déglutit, ce qui me fait jubiler. Ils sont faibles, malléables, et je sais qu'ils m'écouteront. Cela en va de leur survie.

Je lui dis :

― Je te ferai regretter d'être né si je découvre que tu me trahis, c'est clair ?

― Oui, monsieur.

― Et sache que je tiens toujours parole.

Je me redresse, mais je suis soudainement envahi par un parfum fruité qui me rappelle celui de Ray. Je reconnais les notes d'agrumes qui me font perdre la tête chaque fois que je la croise. Puis, je réalise que ce mec met du parfum de fille !

― Qu'est-ce que tu sens ? questionné-je.

Il se recule comme si je l'avais brûlé.

― Euh...j'ai volé le gel douche d'une meuf. Avoir su que ça sentirait aussi mauvais, je me serais abstenu.

Son pote s'esclaffe comme s'il avait dit une bonne blague. Quant à moi, je ne trouve pas ça drôle. Je ne devrais pas songer à Ray en ce moment, mais tout me la rappelle, même l'odeur de ce pauvre mec que je me mets à haïr.

― Dégagez et que je ne vous revois plus, leur lancé-je.

Le gars au parfum d'agrumes pousse son ami et ils disparaissent dans la ruelle.

¾ Tu les laisses partir ? s'enquiert Gustave, un vieux pote.

Je jette un coup d'œil à ma montre.

¾ Je ne tue jamais à cette heure, réponds-je en haussant les épaules, ce qui le fait marrer.

Il sait, tout comme moi, que je fais couler le sang seulement si c'est nécessaire. Je ne suis pas un meurtrier, mais je sais comment défendre mes intérêts.

¾ Qu'est-ce qu'on fait d'eux, alors ? me demande mon ami.

¾ Tu vas les garder à l'œil. Il ne faudrait pas qu'ils nous dénoncent à la police.

¾ Pas de problème.

¾ Si jamais tu découvre quelque chose sur eux, informe-moi le plus rapidement possible et, surtout, ne fait rien qui pourrait tout faire foirer. Compris.

Il hoche la tête et s'engage à la suite de ces deux zigotos. Ils ont quelque chose de bizarre, outre le parfum de l'un d'eux, et j'ai bien l'intention de découvrir ce que c'est. On n'erre pas sur les lieux d'un trafic clandestin pour aucune raison. Si Estéban a des taupes au sein de son équipe, j'ai bien l'intention de le découvrir.

Je me concentre à nouveau sur mon trafic de pièces. À l'exception de ces deux zigotos, tout se déroule à merveille. Les gars ont travaillé fort et je suis plus que satisfait du résultat. Je pourrai revendre ces pièces à mon plus gros client deux fois le prix qu'elles valent.

¾ Où va-t-on planquer ça maintenant qu'on n'a plus de garage ? me demande Emilio en parvenant à ma hauteur.

¾ Chez ton oncle.

Il hoche la tête comme si c'était tout à fait normal.

¾ L'emplacement doit rester secret afin qu'Estéban et ses sbires ne trouves jamais les pièces volées, ajouté-je.

Il hoche la tête d'un air grave. Il comprend l'enjeu et sait que personne d'autre ne doit le savoir, pas même son oncle.

¾ Mon contact passera dans trois jours afin de se procurer le matériel.

¾ Parfait.

¾ Je vous accompagne afin que tout se déroule comme prévu.

Une fois toutes les boîtes empilées dans le camion, nous nous rendons à l'endroit prévu. Nous avons plusieurs acheteurs potentiels, alors je ne fais jamais affaire plus d'une fois avec eux. Ce serait trop risqué de se faire balancer.

Le bâtiment est situé à l'extérieur de la ville, dans un cimetière de voiture appartenant à l'oncle d'Emilio. Avec toute la ferraille qui s'y trouve, c'est presqu'impossible pour les policiers de retracer des pièces volée. Je n'aime pas trop impliquer la famille d'Emilio dans mes affaires, mais ce soir, je n'ai pas le choix.

Alex et moi suivons le camion, tendus. On ne sait jamais ce qui peut arriver lorsqu'on se promène sur la route avec un véhicule remplie de pièces volées. Je suis le meilleur en ville dans ce business, mais certains ont déjà tenté de me rouler et je me méfie de tout.

— Nous sommes presque arrivés, annonce Emilio. Personne ne surveille l'endroit la nuit.

— Ton oncle n'a pas peur de se faire voler ? questionné-je.

— Non, personne ne volerait une bagnole toute rouillée et il cache tout ce qui a de la valeur.

— Ah bon...

Nous arrivons finalement sur la terre de l'oncle d'Emilio et circulons dans les sentiers prévus à cet effet. La nuit donne un air macabre à l'endroit, ou plutôt, un air de film d'horreur.

— Cet endroit donne froid dans le dos, murmure Alex.

— Da nuit, ce n'est pas très accueillant, mais de jour, c'est sympa, répond Emilio.

— Nous avons des perceptions différentes du terme « sympa », réplique son pote.

Les deux commencent à s'obstiner jusqu'à ce que je les somme de se taire.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— J'ai un mauvais pressentiment.

On observe les environs, bien qu'on ne voie pas grand-chose dans l'obscurité.

— Envoie un message au conducteur du camion et dis-lui de faire demi-tour, sommé-je Alex.

— Mais...

Le regard que je lui jette le fait taire et il s'exécute.

— On retourne en ville, annoncé-je. Je connais un autre endroit.

— Pourquoi tu...commence Emilio, mais une explosion assourdissante retentit quelques allées plus loin.

— Qu'est-ce que...

S'ensuit un énorme vacarme. Plusieurs voitures explosent et j'appuie sur le champignon.

— C'est un piège, crié-je aux autres.

Je n'ai jamais été aussi heureux de savoir piloter une voiture. Je dérape et fait tourner mon volant afin de faire demi-tour. Le camion devant nous n'a pas cette chance. Il fonce droit dans le piège.

— Qu'est-ce qu'il fiche, putain ? jure Alex.

— Il est trop gros pour se tourner, lui explique Emilio. Il doit se rendre dans la cour de l'entrepôt afin de faire demi-tour.

— Il va se faire exploser !

En ce moment, nous avons un plus gros problème, et c'est celui de sauver nos fesses.

— Tenez-vous bien, conseillé-je à mes potes.

Boom !

Une fraction de secondes plus tôt et la carcasse de la voiture qui vient d'exploser nous aurait atteints.

— Plus vite ! hurle Alex.

Si je n'étais pas aussi concentré à nous sortir de là, je lui aurais écrasé la tronche contre le tableau de bord. J'évite de justesse une autre voiture fumante et je me rends compte qu'on y a placé au hasard des bombes afin qu'elles explosent les unes après les autres.

— Le camion a atteint l'entrepôt et fait demi-tour, nous annonce Alex.

— Faites qu'il s'en sorte. Il y en a pour des milliers de dollars.

Je sais que je suis cruel de ne pas me soucier du conducteur, mais la vie m'a rendu ainsi. Tout ce qui compte, c'est le businesse. Enfin, presque...

— On y est, s'écrie Emilio alors que nous atteignons la route.

Je me stationne et essuie la goutte de sueur qui perle sur mon front. Je croise les doigts pour que le camion nous rejoigne en un morceau.

Nous patientons ce qui nous semble des heures.

— Y a-t-il une autre sortie ? demandé-je à Emilio.

— Oui, mais c'est à l'opposé du cimetière, tout près de la maison de mon oncle.

— Allons-y.

Nous roulons en silence jusqu'à l'endroit indiqué et apercevons enfin de camion. Il semble intact, à notre plus grand soulagement.

— Quelqu'un savait que nous viendrions ici, déclaré-je aux autres.

— Mais qui ? Nous avons été discrets, pourtant.

— Pas assez, apparemment.

Je crois qu'il y a une taupe parmi mon groupe et j'ai bien l'intention d'investiguer afin de localiser ce traître...et quelque chose me dit que les deux imbéciles que j'ai croisés plus tôt n'y étaient pas pour rien...

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