Chapitre 11
Ray
Des éclats de voix me réveillent et cela me prend un certain temps avant de me rappeler où je me trouve. En jetant un regard à mon téléphone portable, je me rends compte qu'il est à peine sept heures du matin. J'ai dormi seulement quatre heures, ne parvenant pas à sombrer dans le sommeil. Trop d'événements se sont produits ces dernières heures et, surtout, mon cœur peinait à retrouver son rythme normal suite à mon entrevue avec Jarek. Ce mec est déconcertant. Tantôt froid comme la glace, tantôt chaud comme la braise. Je ne sais décidemment pas comment agir avec lui. Cependant, je dois avouer qu'il ne me laisse pas indifférente...et ce, même lorsque nous habitions chez les Windwood.
Je me lève en grinchant, mécontente qu'on m'ait sortie de mon sommeil par des cris. En tendant l'oreille, je réalise qu'un homme hurle à plein poumon dans la maison. Est-ce le père de Maria ? Je ne l'ai jamais rencontré, mais si c'est bien lui, j'espère ne jamais le croiser non plus. Je l'imagine aussi acariâtre que sa femme.
Je m'habille d'un pantalon en molleton et d'un t-shirt, comme à mon habitude, puis attache mes cheveux en une queue de cheval, puis sors de ma chambre sur la pointe des pieds. Je me dirige vers la cuisinette, où j'ai l'intention de me préparer un bon café afin de mieux affronter cette journée, et j'y retrouve Maria, qui m'a devancée.
— Bonjour ! me lance-t-elle, de bonne humeur.
Elle n'a visiblement pas été réveillée par des cris sinon elle serait moins enjouée.
— Bon matin, la salué-je avec moins d'enthousiasme.
— Je suis désolée que mon père t'ait réveillée. Il n'est pas de bonne humeur en ce moment.
— Ah oui ? Je n'avais pas remarqué.
Elle éclate de rire, trouvant ma réplique bien drôle.
— Au moins, il n'a pas réveillé Lilia puisqu'elle n'entend rien.
— Est-ce qu'il hurle souvent ainsi ? lui demandé-je, curieuse.
La jeune femme perd son sourire.
— Ouais. Au moins, ma fille ne saura jamais à quel point son grand-père est quelqu'un de colérique. Je suppose que c'est le seul avantage à sa surdité.
Vu ainsi...
— Et pourquoi est-il en colère ? questionné-je.
A-t-il appris que je logeais dans cette maison ? Il n'est peut-être pas d'accord pour abriter une sans-abri...
— Bah...à cause de mon frère, comme toujours. Ces deux-là ne s'entendent vraiment pas.
Ça doit être compliqué de travailler ensemble, dans ce cas. Je comprends pourquoi Estéban n'est pas motivé à bosser pour l'entreprise de son père. L'atmosphère semble tendue.
Je tends l'oreille et distingue clairement une phrase : « Que veux-tu faire avec cette saleté de garage ? Nous en avons déjà cinq. Démolis-le. Je ne veux pas m'encombrer d'une bâtisse en ruine. »
Je n'entends pas la réponse, alors je devine qu'il parle au téléphone, et sans aucun doute de la nouvelle « acquisition » d'Estéban.
— Je vois...
Je préfère changer de sujet. Je suis anxieuse au sujet du garage. J'espère seulement qu'ils ne le démoliront pas. Jai passé dix ans à cet endroit et, bien que je me sentais un peu seule, j'en garde de bons souvenirs. Et j'y ai également rencontré Adam, mon seul ami dans cette ville.
— Maria ! hurle son père, la faisant sursauter.
— Je dois aller travailler, m'informe-t-elle en se levant. Je serai de retour cet après-midi pour notre cours de langage.
— Que fais-tu comme travail, exactement ?
— Oh ! Euh, je suis l'assistante du vice-président, donc de mon frère. Mais comme il n'est jamais là, je réponds au téléphone et j'envoie des courriels de sa part aux clients.
— Donc, tu fais son travail, en déduis-je.
Elle se met à rougir.
— Il faut bien que quelqu'un s'occupe de la paperasse puisqu'il n'est pas très...assidu.
Et après, c'est lui qui se voit attribuer tout le mérite !
— Ton père est-il au courant ?
— Bien sûr, et ça le met encore plus en rogne. Bon, j'y vais. À plus tard et fais comme chez toi.
Certainement pas ! J'ai peur d'ouvrir le réfrigérateur et d'être accusée de vol. Les plans de travails sont si propre que je crains de le salir.
— À tantôt, lui lancé-je alors qu'elle quitte la cuisine.
— Au fait, ma mère va venir s'occuper de Lilia, alors ne soit pas surprise si tu la croises.
Raison de plus pour m'enfermer dans ma chambre provisoire !
Je mange une pomme, puis retourne « m'abriter » afin de ne pas croiser la mère de Maria, qui me regarde comme si j'étais un déchet chaque fois que l'on se croise. J'en profite pour lire mes emails, puis lis mes messages textes. Tiens ! Adam m'a répondu.
« Désolée, Ray, j'avais des problèmes de famille à régler. C'est pour cette raison que je n'ai pas pu communique avec toi avant. »
Je m'empresse de lui écrire.
« Ce n'est pas trop grave, j'espère... »
« Non. En tout cas, moins grave que ce que je viens de découvrir à propos du garage de Jarek. »
« Mouais, ça craint »
« Toi, au moins, tu as un autre job. Dans mon cas, c'est hors de question que je travaille pour cette raclure d'Estéban. J'ai donné ma démission. »
Je suis triste pour Adam. Il aimait son job et je suis certaine qu'il est déçu. Mais il a raison sur ce point ; à sa place, je ne voudrais pas rester là-bas. Si Estéban est comme son père, ce doit être un vrai tyran.
Je profite de ma matinée pour étudier un peu en vue de mon dernier examen. Ensuite, je pourrai m'inscrire à l'université dans le programme « Lettres et Langues ». À ce rythme, je vais terminer mes études à presque trente ans, mais mieux vaut tard que jamais. Je ne sais pas encore quelle école que je vais choisir, mais je vais faire des recherches la semaine prochaine. Je me demande si je devrais rester dans cette petite bourgade ou si je devrais découvrir une nouvelle ville. Et Jarek ? Sera-t-il content d'être débarrassé de moi ?
Je préfère ne pas y songer pour l'instant. Impossible de prévoir la réaction de ce mec !
Je recherche par la suite des logements sur Internet, mais je ne trouve pas grand-chose. Je note toutefois un appartement pas trop cher. Le locataire a une chambre à louer, ce qui veut dire que je devrais partager les commodité avec quelqu'un d'autre, mais puisque je n'ai pas beaucoup d'argent de côté, il faudra sans doute que je partage le loyer avec quelqu'un de toute façon. Je contacte ensuite l'homme et nous convenons d'un rendez-vous afin que je puisse visiter l'appartement. Au téléphone, il m'a paru sympathique, alors je suis motivée.
Maria revient du boulot en après-midi et nous continuons ses cours de langage des signes. Elle s'améliore et peut maintenant faire quelques phrases simples. Elle est si enthousiaste qu'elle court chercher Lilia et commence à discuter avec elle avec les signes. Bon...il y a encore place à l'amélioration, mais c'est un bon début. Sa fille, radieuse de se faire enfin comprendre, sourit et prend sa mère dans ses bras. C'est vraiment attendrissant de les voir toutes les deux. Je suis fière de pouvoir les aider à communiquer.
Maria et moi jouons avec Lilia le reste de l'après-midi, puis je me rends à mon rendez-vous afin de visiter l'appartement que j'ai identifié. Je dois, bien sûr, sortir du quartier aisé de Maria et marcher jusqu'au centre-ville. Le bloc à logements se situe près des services essentiels, comme du supermarché et de la pharmacie, ce qui me permettra de ne pas marcher trop longtemps pour y avoir accès. La ruelle est remplie de voitures stationnées et je croise quelques passants qui promènent leurs chiens, mais il n'y a pas beaucoup d'effervescence à cette heure. L'extérieur du bloc datant d'une vingtaine d'années est banal mais c'est plutôt l'intérieur qui m'intéresse. Je remarque à mon entrée que n'importe qui peut pénétrer dans le bâtiment et qu'il n'y a pas de portes sécurisées. Cela m'inquiète légèrement au début, mais l'endroit semble assez tranquille, alors ça me ne dérange pas plus longtemps. Le logement se situe au troisième étage. Je frappe à la porte et attend qu'on vienne m'ouvrir. Quelques secondes plus tard, un homme imposant apparaît devant moi. Il me sourit d'un air avenant, ce qui contraste avec son look de dure à cuire. Ses cheveux sont très courts, presque rasés, et il porte un piercing à la lèvre. Ses traits portent à croire qu'il a environ mon âge. Malgré sa carrure, il possède une mâchoire étroite et un visage ovale. On dirait presque qu'en grandissant, son corps a pris de la masse, mais pas son visage.
― Salut, me dit-il. Tu dois être Ray. Je suis Larry.
― Salut, je réponds, légèrement mal à l'aise.
― Entre, je vais te faire visiter.
Contrairement à l'extérieur de la bâtisse, l'appartement est bien entretenu. Le plancher de vinyle semble presque neuf et les murs ne possèdent pas un seul trou visible. Je remarque qu'aucun cadre n'y est fixé, probablement un règlement du propriétaire.
― Mon colocataire s'est fait la malle, m'explique le jeune homme, alors je cherche quelqu'un pour occuper sa chambre jusqu'à juillet. La cuisine est assez spacieuse. Personnellement, je ne popote pas beaucoup puisque je mange à mon travail, alors il y a pas mal de place dans les armoires.
Je suis enchantée que la cuisine soit plus grande que celle chez Jarek. Je ne cuisine pas beaucoup non plus, mais lorsque j'aurai un peu de temps libre, j'aimerais m'y mettre.
― Le logement est chauffé et éclairé et je paie Internet. J'ai un téléphone portable, alors pas besoin de ligne fixe. Il ne doit plus avoir beaucoup de monde qui en ont une.
J'opine et il m'entraîne au salon, occupé par deux longs canapés. Il y a également une grande télévision à écran plat qui occupe presque tout le mur.
― Je suis un grand amateur de boxe alors j'aime bien regarder les combats avec des potes le vendredi soir, spécifie-t-il. J'espère que ça ne te dérange pas qu'il y ait un peu de monde dans l'appartement de temps en temps...
― Pas de problème, je travaille les soirs de fin de semaine, de toute façon.
― Parfait ! Les gars peuvent être bruyants dans l'action, alors je me sentirai moins mal si tu n'es pas là.
Et les voisins, eux ? Le bruit ne les dérange pas ? À moins qu'ils aient trop peur de les dénoncer. Après tout, si ses amis lui ressemblent, je ne leur chercherais pas des noises.
Dans mon cas, je suis habituée à travailler avec la gent masculine, alors je ne suis pas du tout intimidée par leur présence ni par leurs habitudes de vie parfois douteuses.
Larry me montre ensuite la minuscule salle de bain propre aux appartements, puis ma future chambre. Elle est plus petite que celle chez Jarek, mais elle me plait bien.
― C'est déjà meublé, alors tu n'auras pas besoin de déplacer beaucoup de choses, m'informe-t-il.
― D'accord.
De toute façon, je n'ai aucun meuble à moi. Tout appartient à Jarek.
Je réalise que jusqu'à ce jour, je dépendais vraiment de lui. C'est lui qui me donnait un salaire, lui qui payait le loyer et l'épicerie. Il m'entretenait, quoi ! Et dire que je suis restée pendant dix ans à ses côtés ! Il est temps que je vole de mes propres ailes et ce loyer va m'y permettre. Même si Jarek récupère son garage, je n'ai pas l'intention de retourner vivre chez lui. Il me traite comme un putain de meuble. J'ai des projets et de l'ambition et il va vite s'en rendre compte. Vive mon indépendance !
― Voilà ! termine Larry. Ce n'est pas bien grand, mais c'est propre et tout est bien entretenu comme tu as pu le constater. Je demande 400$ par mois. Si ça t'intéresses, tu peux emménager dès maintenant.
Je devrais prendre le temps d'y réfléchir, mais je suis trop impatiente de partir de chez Maria. J''ai l'impression d'être un cafard dans cette maison.
― D'accord, accepté-je finalement. Je devrais pouvoir emménager demain.
― Parfait ! Au début, je songeais à un colocataire masculin, mais je crois qu'on va bien s'entendre. Et ne vas rien t'imaginer ; j'ai déjà une meuf.
Ça me rassure parce qu'effectivement, je me suis demandé si la colocation mixte poserait un problème.
― Et ça ne l'embête pas que tu habites avec une autre fille qu'elle ?
― Non, ça ne fait que deux mois que nous sommes ensemble et je tiens à mon indépendance.
― Okay...
― Et toi, as-tu un mec ?
― Euh...non, mais j'ai dis amis masculins. Je travaillais dans un garage, alors la plupart de mon entourage fait pipi debout.
Il éclate de rire.
― Donc, tu ne feras pas de crise d'hystérie si je ne ferme pas la lunette de la toilette ?
― Seulement si je tombe dans la cuvette en pleine nuit.
― Je sens qu'on va bien s'entendre. Si tu as besoin d'aide pour t'installer, je peux t'aider.
― Non merci, je n'ai pas grand-chose.
Il me fait signer un bail temporaire et je repars l'esprit plus tranquille qu'à mon arrivée.
Je retourne chez Maria et entre sans frapper ; après tout, je dors dans cette maison, et je tombe nez à nez avec sa mère, qui me regarde comme si j'étais un rebus. Elle me dévisage, si bien que je regrette mon habillement plus qu'ordinaire.
― Ma fille a beau t'héberger ici, ça ne te permet pas de faire comme chez toi, me lance-t-elle.
― Ne vous inquiétez pas, Madame Rodriguez, j'ai trouvé un logement, alors je vais partir dès que possible, lui réponds-je sèchement. Veuillez m'excuser.
Sur ce, je la laisse plantée là et je rejoins l'aile de Maria. Ça aurait été bien qu'elle ait sa propre porte d'entrée, de cette façon, je n'aurais pas eu à croiser sa mère hautaine.
La jeune femme m'attend dans la cuisinette, où je lui annonce la bonne nouvelle.
― Tu es certaine de vouloir partir ? me demande-t-elle, l'air inquiète. Tu ne connais pas ce type. Imagine que c'est un psychopathe.
Cette idée a en effet traversé mon esprit, mais je me fie toujours à mon intuition et celle-ci me dit qu'il ne me fera aucun mal.
― Je prends le risque, réponds-je en haussant les épaules.
― C'est vrai qu'il ne peut être pire que Jarek, ricane-t-elle.
Toutefois, sa réplique ne me fait pas rire et elle s'en rend compte.
― Je voulais dire que côté « bad boy », Jarek remporte la palme.
Et son frère ? On en parle ?
― J'ai des bagages à faire, lui dis-je seulement.
― D'accord, si tu as besoin d'aide, je suis là.
― Ça ira, merci.
Je m'en veux d'être aussi froide avec elle, mais je n'aime pas qu'elle parle de cette façon de Jarek. D'accord, c'est un connard avec les femmes, mais il a d'autres qualités. Je ne connais pas un seul homme à peine sorti de l'âge mineur qui risquerait la prison pour enlèvement afin de sauver une fille comme moi. Après tout, je suis tout ce qui a de plus banal.
Trente minutes plus tard, Maria revient avec une pile de vêtements.
― Qu'est-ce que c'est ? questionné-je pendant qu'elle les laisse tomber sur mon lit.
― Tu veux connaître les revers du métier de Jarek, non ?
― Euh... ouais, mais à quoi ces habits vont m'y aider ?
― Ils vont nous servir de déguisement.
― Quoi ?
Je soulève un jean typiquement masculin. À quoi pensait-elle ? Je vais littéralement flotter là-dedans.
― Ray, nous ne pouvons pas aller là-bas comme deux nunuches. C'est un univers de mecs. Jamais ils ne laisseront entrer des filles, à moins d'être leurs putes.
Je grimace de dégoût.
― Donc, nous allons nous déguiser en hommes, deviné-je.
― Exactement.
― Ça ne fonctionnera pas. Ils vont nous démasquer.
― Pas si notre déguisement est impeccable. Je suis excellente dans l'art de me fondre dans la masse.
― C'est bon à savoir...
Maria éclate de rire.
― Je n'en saurais pas autant sinon.
Effectivement.
― Donc, reprend-elle, nous allons enfiler ces fringues et mettre ces chapeaux.
Ma complice me tend une casquette.
― À qui appartiennent ces vêtements ? lui demandé-je.
― À mon frère. Ne t'inquiètes pas, il ne les mets plus depuis des années, alors personne ne fera le lien. De toute façon, il ne risque pas d'y avoir de ses amis là où nous allons.
― Et ça doit me rassurer ?
Elle hausse les épaules et sort un crayon noir de son sac.
― On va même se dessiner une barbe, m'apprend-elle d'un air excité.
Misère ! Je sens que c'est une mauvaise idée, mais c'est la seule qui me permettra de démystifier l'univers de Jarek. Et je suis prête à prendre le risque...
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