Run or burn

FAYA

Notre salon à ce soir des airs de cinéma, après la séance. Des pop-corn, ainsi que quelques bonbons acidulés, sont allés jusqu'à se loger entre les coussins du canapé et quelques canettes de soda en piteux état jonchent la table basse. Le générique de fin défile encore sur l'écran, alors que je me décide à redonner un peu de décence à cette pièce, après m'être assoupie pendant la quasi-totalité du film. La tête encore dans le brouillard, je m'attelle donc à ma tâche, et en moins d'un quart d'heure, plus aucune trace de notre soirée chill & netflix.

Après un rapide coup d'œil sur l'horloge digitale dans la cuisine, je me saisis de mes AirPods et les coince dans mes oreilles, afin de faire défiler ma playlist du soir avant de monter dans ma chambre. Sur mon passage, je prends soin d'éteindre tous les éclairages, et de descendre les derniers volets roulant, d'où plus aucune sorte de lumière ne filtre, hormis celle des lampadaires dans la rue qui commence à s'allumer. Mon groupe préféré raisonne dans mes tympans, et je déambule en roulant des hanches au rythme de la musique, tout en gravissant les marches qui mènent à ma chambre. De l'index j'actionne les guirlandes lumineuses accrochées aux plafonds, j'adore cette petite ambiance tamisée.

- I'm not ready, eyes heavy now...chantonné-je en retirant un par un mes vêtements pour ne rester qu'en petite culottte et débardeur.

Pas de soutien-gorge pour moi, je n'en ai jamais été fan et j'ai sans aucun doute la poitrine là moins développée de toutes les filles de mon lycée.

- I wish you let met stay, i'm ready now...

Sur mon bureau, un élastique, dont je me saisis pour attacher mes longs cheveux roux en un bun complètement foiré. Des mèches se font la malle, et retombent sur mon visage.

Toujours en me déhanchant, jouant aussi des épaules et des bras, totalement mise en transe par la musique dans mes oreilles, je me dirige vers la porte qui donne sur ma salle de bain « privative ». Entre guillemets parce qu'elle n'est pas qu'à moi, mais également à mon frère, qui a de son côté une porte qui donne sur cette même pièce depuis sa propre chambre. Cette salle d'eau pourrait représenter métaphoriquement un pont entre nos deux mondes... mais nous partageons absolument tout de nos vies, même nos lits. Rare sont les nuits où chacun dort de son côté. Absolument chaque aspect de ce que nous sommes, de ce que nous faisons, est étroitement lié, nous pourrions être une seule et même personne, mais nous somme deux.

Devant le grand miroir qui trône au-dessus d'une large vasque double, je continue d'improviser quelques pas de danses, sans vraiment remarquer la buée qui trouble mon reflet. De même que pour l'eau qui coule derrière le rideau de douche. J'occulte tout, je suis dans ma bulle. Une bulle qui éclate en millier de plus petites lorsque Aelan se dévoile, entièrement nu, derrière moi. Dans mon dos, je sens la chaleur qui se dégage de son corps fumant, et malgré moi, je l'observe a travers le léger brouillard de condensation.

La bouche d'Aelan remue, mais je n'entends rien, alors ce dernier retire l'un de mes AirPods pour le glisser à sa propre oreille. Un sourire en coin se dessine sur mes lèvres quand je constate qu'il semble apprécier le son qui s'en dégage. J'ai presque oublié qu'il ne portait aucun vêtements. Je me retourne en lui tendant une serviette, à peine assez grande pour qu'il l'entoure autour de sa taille.

- Merci petite femme, murmure sa voix grave et éraillée.

Les sourcils et le nez froncés, je lui tire la langue, secouant la tête, comme une enfant. Le regard d'Aelan me fige complètement, sans que je ne le contrôle, lorsqu'il perd son sourire taquin et que ses deux billes d'un vert marécageux scannent délibérément mon corps à moitié dénudé. Ce n'est pas la première fois qu'on se voit ainsi, avec si peu de tissus sur le dos, mais ces derniers temps, quelque chose a changé. Je le vois dans ses yeux, et je suis à peu près sûr qu'il le voit dans les miens. Ça se ressent jusque dans l'air qui nous entoure, comme si l'oxygène se consumait lentement autour nous, et que notre seule façon d'y survivre était de s'accrocher à l'autre. C'est sûrement la sensation la plus étrange que j'ai connu jusque là.

- Où est...

- Il n'est pas là.

Ok. J'acquiesce en déglutissant, ne parvenant pas à effectuer le moindre geste. Je me contente de l'observer. J'ai envie de relever du bout des doigts cette mèche humide qui tombe sur son front, et j'ai l'impression qu'il aimerait faire de même avec les miennes quand il mord l'intérieur de sa joue tout en me fixant. C'est devenu si bizarre entre nous... tant que je suis certaine de ne pas me faire d'idée.

- Ne m'appelle pas comme lui, Ael, je parviens à dire finalement.

- Comment je devrais t'appeler, alors ? N'es-tu plus notre petite femme ? me taquine-t-il du haut de son mètre quatre-vingt. Qu'est-ce que tu penses de...

Aelan passe une main dans ses cheveux noir et mouillé, pour tenter de les ramener en arrière, ceci en comblant le peu d'espace qu'il y a entre nous.

- bébé ?

J'éclate de rire devant son air à la fois moqueur et séducteur auquel toutes les filles succombent.

- Tu veux mourir ? le nargué-je en imaginant la tête de mon frère s'il entendait ces mots.

- Non, pas vraiment, rit Aelan en retour. Mais avoue que ce serait drôle.

J'en conviens parfaitement, mais seulement le premier quart de secondes. Il faut dire que mon frère est à cran envers tout ce qui me concerne depuis cet été, et pour cause, je suis sorti avec un garçon pour la toute première fois. Malheureusement pour moi, et heureusement pour le garçon en question, nous ne sommes pas allés plus loin que le premier baiser. Ça lui a probablement sauvé la vie. Littéralement. Mon frère et moi avons toujours eu une relation très forte et étroite, comme si nous n'étions qu'une seule et même entité. Seul Ael a su s'immiscer entre nous, et nous partageons avec lui une affection aussi puissante que celle que nous nous vouons l'un à l'autre depuis toujours. Mais en dehors de lui, personne n'arrive à nous atteindre vraiment. Mon frère enchaîne les petites copines, mais m'empêche d'en faire autant. Pas seulement par possessivité ou par protection, mais aussi par insécurité. Je crois qu'au fond de lui, il a peur de me perdre au profit d'un petit ami, et que notre relation fusionnelle l'empêche de s'attacher à quelqu'un d'autre, tout autant que moi.

Alors, imaginer que ce soit Aelan, qu'il considère comme un frère, avec qui nous avons grandi et tout vécu jusque-là ...

Je secoue brièvement la tête en fermant les yeux pour chasser cette idée de ma tête, ce qui ne passe pas inaperçu, évidemment.

- Qu'est-ce que tu essaies de ne pas voir ? souffle Ael en plissant les paupières, ce qui me donne l'éternelle impression qu'il est capable d'entrer en moi et de deviner chacune de mes pensées.

- Tu veux dire, à part toi, nu, dans ma salle de bain ? je pouffe en me redonnant certaines contenances.

Seulement, la tentative est vaine, parce qu'il est impossible d'ignorer le physique aux multiples atouts qui se tient devant moi, droit et fier. Dégoulinant aussi... avec une élégance non négligeable. Et visiblement, mon propre corps me trahit, et avorte définitivement l'idée de faire abstraction de ce qui me trouble.

- Ça te dérange, maintenant ? questionne Ael, les yeux toujours plissés.

Mes lèvres s'entrouvrent, sans qu'aucun mots ne s'en échappent, et elles forment un O parfait lorsque les doigts d'Aelan viennent glisser de ma clavicule a l'orée de mon débardeur, soit quelques centimètres au-dessus de mes satanées tétons qui pointent droit vers lui, comme un appel à quelques choses d'obscène, d'interdit.

- Je... non, bien sûr que non, je dis en saisissant sa main pour l'écarter brutalement de ma poitrine, sans pour autant la lâcher lorsque cette dernière se tient enfin à une distance moins troublante.

- Tu es... tu es sûre ?

Sa poigne prend le dessus, et se referme sur la mienne, comme s'il me piégeait entre des griffes acérées, mais ce n'est pas si douloureux qu'il n'y paraît, au contraire. Il y a une forme de douceur qui émane de lui, au milieu de ce chaos et de cette violence qu'Aelan a toujours cultivé. Je suis certainement la seule fille dans son entourage qui peut en profiter. Comme ce soir par exemple, lorsque nous étions dans le salon, devant la télévision. Mes pieds reposaient sur les cuisses de mon frère, tandis que ma tête était calés sur celles dAel. Je me souviens qu'avant de m'endormir, il caressait mes cheveux, machinalement. Je crois ne l'avoir jamais vu être aussi tendre avec une autre fille... pourtant ça parait tellement naturel, cette tendresse qu'il a envers moi, que même mon frangin n'y prête pas attention.

- Je...

Ma respiration s'accélère, est plus bruyante. Mes poumons soulèvent mon torse avec indécence, comme si mon buste tout entier essayait d'aller de l'avant pour fusionner avec celui de ce garçon aussi beau que ténébreux. Ce garçon qui, il n'y a pas si longtemps encore, me traitait comme sa propre sœur, avec qui je me chamaillais autant qu'avec mon frère. Celui-là même avec qui j'ai toujours joué au chat et la sourit, sans jamais m'imaginer qu'il pourrait un jour devenir un tout autre genre de prédateur. Le genre par lequel on finit par se laisser rattraper...

- Et toi ? je souffle à mi-voix.

- Et moi ?

Un court silence flotte entre nous, pendant qu'Aelan paraît sérieusement réfléchir à la question.

- Moi, je crois que j'aime beaucoup trop te voir comme ça, finit-il par admettre, en penchant son visage plus près du mien. Je crois que je pense beaucoup trop à toi, aussi. En permanence, en fait, depuis un certain temps.

Il ne ment pas. Ael n'a jamais su me mentir, il a déjà essayé bien sûr, quand nous étions plus jeune, mais il a vite compris que nous ne pouvions rien nous cacher tous les deux, sans qu'on ne comprenne jamais vraiment pourquoi. Alors j'imagine que c'est ce qui l'a poussé à toujours se montrer franc avec moi, sans détour.

- Je crois que...

Pas le temps de finir ma phrase, une porte claque au rez-de-chaussée. Ça ne peut être que mon frère, puisque ma mère et mon beau-père sont en week-end. La panique m'envahit, sans raison puisqu'après tout, il ne se passe rien. Pas encore. Pour autant, je n'ai aucune envie qu'il tombe sur nous à demi couvert dans notre salle de bain commune, alors sans réfléchir une seule seconde, je me planque derrière le rideau de douche après un dernier regard à Aelan, qui sourit comme un gamin sur le point de se faire prendre.

J'ai à peine tiré le rideau, que la porte du côté de mon frangin s'ouvre. J'arrête de respirer. Qu'est-ce qui m'a pris de ne pas simplement faire demi-tour dans ma chambre.

-Hé, Bro, salut Farrell en investissant la pièce.

J'entends le bruit de vêtements qu'on froisse, celui des boutons qu'on déboutonnent, de la braguette qu'on dézippe. Merde.

- Elle est où Faya ?

- Mhh, aucune idée, la dernière fois que je l'ai vu elle dormait sur le canapé en bas.

Ce qui est drôle c'est qu'Aelan est tout à fait capable de mentir à mon frère, son meilleur ami, sans sourciller.

- Je ne l'ai pas vu. Tu ne l'as pas entendu sortir, au moins ?

- Mhh, non, pas du tout. Tu es allé voir dans sa chambre ?

Farell répond à la négative. Aux bruits, auxquels je suis très attentive, je devine qu'il se dirige vers la porte qui donne sur ma chambre, mais Aelan l'interrompt.

- Fermer de l'extérieur, j'ai vérifié avant de prendre ma douche.

Mon frère semble quitter la salle d'eau, ce qui me laisse quelques secondes pour quitter ma cachette et rejoindre mon lit en catimini. C'est Ael qui tire le rideau, quand il me tend la main pour sortir, je remarque qu'il porte un boxer à présent.

- Traîne pas, bébé.

Un battement de paupières plus tard, je m'éclipse de mon côté en prenant soin de verrouiller derrière moi. Il ne faut pas plus de temps à Farrell pour débarquer en caleçon et se jeter sur moi pour une étreinte fraternelle. Ses larges bras m'encerclent tandis que sa tête vient reposer sur la mienne.

- Bonne nuit, petite femme. On sort ce soir avec Ael, alors ne m'attends pas pour t'endormir. Je vais probablement rentrer très tard.

- Mhhh... pourquoi je ne pourrais pas venir avec vous ?

Je relève le visage vers lui, le forçant à faire face à ma moue la plus implorante et mignonne que j'ai en réserve.

- C'est une soirée étudiante, Faya. C'est pas pour toi, répond mon frangin, catégorique.

- Pourquoi ? Parce qu'il y aura un tas de connard comme toi ? rétorqué-je en haussant les sourcils.

- Entre autres, et parce que je vais devoir te surveiller, et par conséquent, je ne pourrais pas en profiter.

- Aelan n'aura qu'à le faire, l'un de vous deux devra bien se dévouer, il est hors de question que je finisse la soirée seule.

Farrell place ses paumes contre mes joues et me dévisage, relativement contrarié. Il lutte intérieurement, c'est sûr. Au même moment, Ael apparaît, l'épaule contre l'encadrement de la porte, les bras croisés sur son torse. Il a revêtu depuis un pull à col aussi noir que sa tignasse couleur corbeau, et un jean tout aussi sombre, accompagné d'une paire de basket blanche. Sa chevelure est séchée et disciplinée, mis à part cette mèche rebelle qui me nargue encore.

- Allez, bro', emmenons petite femme danser ce soir, suggère Ael en m'adressant un clin d'œil dans le dos de Farrell.

- Arghhhh, ronchonne-t-il, pressant un peu plus mes joues. Si tu étais moins mignonne aussi, se serait plus facile de te dire non... et toi, sale traître !

Mon rouquin de frangin me lâche et se retourne vers son ami, avance jusqu'à lui, s'arrête à sa hauteur, apposant une main sur son épaule.

- Toi, t'as intérêt à garder un œil sur elle.

- Même les deux, mon frère.

Farrell tapote amicalement Aelan avant de quitter la pièce, après m'avoir précisé qu'il ne me laissait pas plus d'une demie heure pour m'habiller.

- Merci, Ael.

- De rien, bébé.

- Ael... je soupire, un brin exaspéré, mais aussi amusé, je l'admet.

- Oui, bébé ? sourit-il de toutes ses dents.

- Laisse tomber...

Mes yeux aux ciels, son rire qui éclate, ma bouche qui soupire, son regard qui brille.

****

Je bouge, je me déhanche, les paupières fermées, ma main enserrant un gobelet. Il y a tellement de monde dans cette maison, que j'ai perdu de vue Farrell à la seconde où nous sommes arrivés. J'ai trouvé refuge sur la piste de danse. Rien ne m'a jamais autant fait vibrer que la musique, elle transperce ma peau et en prend possession. Rien, sauf le regard d'Aelan braquer sur moi en permanence. C'est tellement intense que j'ai cette sensation qu'il me possède tout entière. Pourtant il est à plusieurs mètres de là, accolé à un mur, entouré de copains, et de filles qui seraient capables de se sauter à la gorge pour n'avoir ne serait-ce qu'une seule minute de son temps. Mais il ne leur en accorde pas une seconde, prenant son rôle de baby-sitter très à cœur. Il ne me lâche pas. Même quand je lui tourne le dos, je sens le poids de ses yeux sur moi. Leur passage laisse sur moi comme une brûlure, échauffant chaque parcelle qu'il visite du regard. J'essaie d'agir comme si ce n'était pas entrain d'arriver, comme s'il ne m'atteignait pas. Mais ça arrive, il m'atteint, et mon être tout entier en est influencé. Je le sens dans ma façon de bouger. J'attire son intention volontairement. Chaque mouvement lui est dédié, alors je ferme les yeux pour ne pas voir l'évidence même. Je laisse mon subconscient voguer aux rythme des basses, me transporter hors de mon corps.

Une part de moi s'en est allée, en partie grâce à l'alcool que j'ai consommé. Je me laisse aller entre les corps qui se frottent les uns aux autres. Je danse seule au milieu de tous, et je me sens foutrement bien. Mieux encore quand je vois que mon gardien veille toujours. Je décide de le rejoindre, remarquant qu'il s'est un peu isolé, tout en gardant l'angle de vue nécessaire à ma surveillance. Ce qui me fait rire intérieurement.

- Que fais-tu, tout seul ? je demande en m'accrochant à l'un de ses bras.

- Je veille. Bébé.

- Oh, arrête un peu avec ça, je pouffe, à moitié ivre, me laissant aller contre lui.

- Et toi arrête d'onduler comme une sirène contre moi.

- Mais, tu es mon Polochon, je proteste en faisant référence au meilleur ami d'Ariel.

Ael rit, en portant à ses lèvres le joint qu'il roulait.

- Pas le prince, le poisson donc ?

- Tu n'as rien d'un prince, Aelan, et tu le sais, je rétorque, d'humeur à le taquiner. Tu en as peut-être le physique, mais c'est loin d'être assez.

- Tu le penses vraiment ?

Un nuage de fumée nous entoure, et nous isole des autres. On se sourit bêtement, cherchant chacun une petite faille à exploiter chez les autres.

- J'imagine que je ne le saurais jamais, je finis par dire alors qu'il me tend son cône encore fumant.

- Qu'est-ce qui nous empêcherait de le découvrir ensemble ?

- Mon frère.

Le regard soudain plus sombre, plus obscur, Aelan se mord la lèvre en acquiesçant, suivit d'un « pas faux ».

- Et si...

- Et si quoi ?

- Et s'il ne le découvrait jamais.

L'idée me tétanise. Je ne sais pas si je serais capable de mentir à Farrell. Pas sûr quelque chose d'aussi gros, en tout cas. Je peux lui cacher cette ambiguïté naissante entre son meilleur ami et moi. Mais plus ? Je doute que mon jumeau puisse rester dans l'ignorance suffisamment longtemps pour nous permettre de découvrir quoi que ce soit.

- Oublie, fais moi plutôt une soufflette, bébé.

- Tu m'énerves, ris-je en coinçant le joint à l'envers entre mes dents avant de me rapprocher de son visage, plaçant mes mains entre nous pour créer une sorte de tunnel, pour y souffler la fumée.

Ael aspire puis bascule la tête en arrière avant de relâcher notre bouffé. J'admire son menton, la forme de sa mâchoire et sa barbe naissante. Mais aussi son cou, sa pomme d'Adam... il est un régal pour les yeux de n'importe qui.

- Tu baves, bébé.

- T'es con !

Par réflexe je passe tout de même ma manche sur mes lèvres, ce qui n'empêche pas Ael de venir y tracer le même chemin avec son pouce qui s'attarde plus qu'il ne le devrait.

- C'est trop dangereux, je souffle en jetant un œil autour de nous.

- C'est pourquoi c'est si amusant, et si stimulant, Faya.

- Je ne risquerais pas tout pour ça.

- Sans risque, pas d'histoire, bébé.

Je rends à Aelan ce qu'il reste de son joint et préfère m'éloigner avant que la discussion ne dérape pour de bon. J'ai la conviction que rien de bon ne sortira de cette histoire, si on décide d'aller plus loin. Puis, je le connais, Ael. Il n'est pas fait pour moi.

- Hé !

Alors que je traverse la piste, troublée, aussi bien par Aelan, que par les substances que j'ai consommées au cours des dernières heures, on m'interpelle. Puis on m'agrippe même, j'en ai la tête qui tourne.

- Hé, jolie rousse.

J'essaie d'extirper mon bras de cette emprise inconnue. Le gars devant moi ne me dit absolument rien, je connais très peu de gens ici ce soir, beaucoup sont plus âgés que nous de quelques années d'ailleurs.

- T'as l'air un peu perdu, besoin de te reposer ?

Je le dévisage, son sourire pourtant avenant, ne me dit rien qui vaille. Je refuse, et le remercie quand même, mais il ne me lâche pas et insiste pour continuer à discuter. Je reste sur ma position, la négative, et lutte intérieurement contre le mal être qui me gagne.

- Écoute, euh, je ne me sens pas très bien là, je vais juste rejoindre mon...

- Oh, tu te sens mal, viens, suis-moi, on va t'installer dans une des...

- Elle n'ira nulle part avec toi.

Aelan se tient juste dans le dos du gars qui accroche toujours fermement mon bras. Quand il le remarque, son visage se transforme.

- Un conseil, lâche là.

- Tu veux quoi, t...

Un premier point s'abat sur le nez de celui qui me retenait, je vacille moi-même sous le choc, et quand je parviens à me dégager, c'est pour voir arriver Farell qui saute par dessus une table pour nous atteindre, et envoyer à son tour son poing dans la mâchoire du type. Chancelant, il se redresse seulement quand Ael l'attrape par le col de son t-shirt, puis lui inflige un coup de tête qui l'envoie directement au sol.

- Écoute les conseils avisés des autres à l'avenir, fils de pute.

- Bien dit, mec, encourage Farrell qui s'accroupit près de leur victime. Si tu venais à croiser ma sœur, pense à crever tes putains d'yeux plutôt que de les poser sur elle.

***

L'ambiance sur le chemin du retour n'est pas au summum. Je vis actuellement une descente aux enfers. Non seulement je dois supporter les nausées qui me guettent, mais je dois aussi faire avec les remontrances de mon frère, sans compter Aelan qui me fixe depuis le rétroviseur intérieur. Alors dès que nous arrivons je m'échappe, tant bien que mal - surtout mal, jusque là salle de bain. Mon corps décide pour moi, et se laisse aller contre le meuble à vasque. Assise par terre, je fixe un point invisible devant moi pour tenter de retrouver mes esprits.

- Comment tu te sens ?

Merde, j'ai oublié de verrouiller. J'essaie de répondre, mais je n'y parviens pas.

- Hé, bébé, viens par là.

Aelan me tend les mains et m'aide à me relever, puis il maintient mon corps debout grâce au sien, avant de me soulever par la taille et de m'assoir entre les deux vasques.

- M'appelle pas. M'appelle pas comme ça. Ael.

- Ton frère dort.

- M'appelle pas comme ça, Aelan.

Ses lèvres découvrent ses dents en un magnifique sourire rieur.

- Allez, ouvre la bouche. Petite femme.

Je m'exécute alors qu'Ael prépare ma brosse à dent, qu'il enfourne dans ma bouche une fois le dentifrice mis.

- Tu sais, Faya... c'est la première et la dernière fois qu'on vit ce moment précis, à l'âge qu'on a précisément. On ne pourra jamais revenir en arrière, le temps file inéluctablement.

- Alors, quoi ? je demande grossièrement, pendant qu'il brosse toujours les dents, le dentifrice coulant sur mon menton.

- Alors, à quoi va-t-on décider de donner de l'importance ?

Je réfléchis tandis qu'il me tend un gant de toilette humide pour débarbouiller mon visage.

- La loyauté. C'est la seule valeur qui doit compter. Plus que tout le reste.

Et notre loyauté va envers la même personne, Farrell.

- Ouais...bébé.

Ael colle ses lèvres sur mon front, puis m'aide à descendre de mon perchoir. Nous restons quelques secondes comme ça, ses mains autour de mes hanches, nos regards perdus l'un dans l'autre. Quand il s'éloigne finalement, une horrible sensation m'envahît. Comme si mon cœur, ou mon âme, s'ouvrait en deux. Cette chose que je ressens à toujours été là, au creux de moi. J'ai en horreur l'idée de le voir partir depuis toujours, mais ça n'a jamais été aussi fort que ce soir.

- Qu'est-ce qu'il y a ? demande Aelan, souriant malgré lui, tout comme je le fais.

- Rien... Bonne nuit. Bébé.

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