Chapitre 7

Je suffoque. L'air du château, lourd, saturé de murmures et de regards inquisiteurs, me devient insupportable. Chaque pas que je fais résonne dans ma tête comme un glas. La scène de la salle, le corps figé dans la mort, la rune gravée dans le mur, et Solveig… tout cela se mêle dans un tourbillon oppressant. Je ne sais plus distinguer le réel de l’imaginaire. Mon souffle devient court, erratique, et mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il va éclater.

Je sors précipitamment, poussant les lourdes portes du château, m’échappant dans la nuit glaciale. La pluie tombe dru, comme un rideau impénétrable, chaque goutte s’écrasant sur ma peau comme une sentence. J’avance, trébuchant presque, mes pensées désordonnées éclatant en éclairs dans mon esprit.

Solveig.

Pourquoi me hante-t-elle autant ? Est-elle réellement une muse, une énigme à résoudre ? Ou est-elle le piège qui se refermera sur moi ? Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que mon esprit refuse de me laisser en paix.

La route pavée devant moi est glissante, et les lumières des lampadaires vacillent, comme si elles hésitaient à briller dans cette nuit d’Halloween. Je presse le pas, incapable de rester en place, cherchant désespérément à m’éloigner, à fuir ce sentiment d’étouffement qui m’écrase. Mais fuir quoi exactement ? Solveig ? Moi-même ? Ces deux entités semblent si profondément liées que je ne peux plus les séparer.

Une crise d’angoisse. Voilà ce qui m’envahit. Chaque fibre de mon être est tendue à l’extrême. Mon souffle est court, ma vision se brouille, et mes mains tremblent violemment. La pluie ruisselle sur mon visage, se mêlant à la sueur froide qui perle sur mon front.

Je m’arrête un instant sous un porche, tentant de reprendre mes esprits. La pierre froide contre mon dos me rappelle ma présence physique, mais cela ne suffit pas. Mes pensées continuent de tourner en spirale, impossibles à calmer.

"Respire, Hakon. Respire."

Ma propre voix me paraît lointaine, étrangère. Je ferme les yeux, tentant de me concentrer sur les sons autour de moi : le martèlement de la pluie, le vent qui siffle entre les bâtiments, le craquement des branches au-dessus. Cela m’aide, un peu, mais pas assez.

Mon esprit revient inévitablement à elle. Solveig, avec son regard énigmatique, ses paroles pleines de sous-entendus, et cette aura presque surnaturelle qui semble la suivre où qu’elle aille. Pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi moi ?

Je rouvre les yeux et reprends ma marche, cette fois d’un pas plus rapide, presque en courant. Je ne sais pas où je vais, mais je dois bouger. Rester immobile, c’est m’abandonner à ces pensées qui me consument.

Chaque rue que je traverse semble plongée dans une obscurité plus profonde. Les décorations d’Halloween, habituellement festives, me paraissent menaçantes. Une citrouille sculptée laisse échapper une lueur vacillante, son sourire béant semblant se moquer de moi. Des ombres dansent sur les murs, projetées par des bougies vacillantes, et j’ai l’impression qu’elles m’observent, qu’elles se rapprochent.

Mon esprit, déjà à bout, commence à me jouer des tours. Je crois entendre des murmures derrière moi, des voix indistinctes qui se perdent dans le bruit de la pluie. Je me retourne brusquement, mais il n’y a rien. Seulement l’obscurité et le vide.

Et pourtant, je sens une présence. Comme si quelqu’un ou quelque chose me suivait, m’épiait.

― Solveig…murmuré-je presque involontairement.

Mais elle n’est pas là. Elle ne peut pas être là. Pourtant, son ombre semble m’accompagner, invisible mais palpable.

Je continue de marcher, mes pas résonnant sur le pavé humide. L’air est glacial, chaque souffle que je prends se transformant en une brume blanche devant moi. Mais cela ne m’arrête pas. Je dois m’éloigner, même si je ne sais pas de quoi je m’éloigne vraiment.

Au détour d’une rue, je m’arrête à nouveau, les mains sur mes genoux, tentant de reprendre mon souffle. Mon cœur bat toujours trop vite, mes tempes bourdonnent, et mes pensées ne cessent de revenir à cette soirée, à cette rune, à ce cri qui a brisé le bal, et à Solveig, toujours Solveig.

Je me redresse lentement, mes vêtements trempés collant à ma peau. La pluie s’est calmée, mais une brume épaisse s’est installée, enveloppant la ville dans un voile spectral.

Je me tiens là, au milieu de la rue déserte, et pour la première fois depuis que j’ai quitté le château, je me permets de ressentir pleinement ce qui m’habite. Une peur viscérale, un doute profond, mais aussi une étrange fascination, une attirance irrésistible pour tout ce mystère qui m’entoure.

Solveig.

Son nom résonne dans mon esprit comme une incantation, une clé vers quelque chose de plus grand, de plus profond. Mais cette clé, je le sens, pourrait aussi m’ouvrir la porte de l’abîme.

Je décide de rentrer chez moi, mes forces s’amenuisant à chaque pas. Mais même là, je sais que je ne trouverai pas la paix. Pas tant que je n’aurai pas découvert la vérité. Pas tant que Solveig restera une énigme, une ombre dans ma vie.

Ce soir, quelque chose a changé. Je ne suis plus le même. Et je ne peux m’empêcher de me demander : est-ce le début d’une révélation ?

Ou d’une chute ?

Je rentre chez moi sans réellement me souvenir du trajet. La porte claque derrière moi, le son résonnant dans le silence de la maison comme un coup de marteau. Chaque mouvement que je fais semble détaché de ma volonté, mécanique. J’abandonne mes chaussures, mes vêtements, et ma dignité au passage, me traînant jusqu’à la salle de bain.

Là, sous la lumière blafarde, je me contemple un instant dans le miroir. Mon reflet est celui d’un homme brisé : mes yeux, habituellement si vifs, sont ternes, marqués par des cernes sombres ; mes cheveux, trempés par la pluie, collent à mon front en mèches désordonnées. Mais ce qui me frappe le plus, c’est l’expression de mon visage : une sorte de vide terrifiant, comme si je n’étais plus vraiment là.

Je détourne les yeux, incapable de soutenir mon propre regard, et je tourne le robinet de la douche. Le bruit de l’eau qui jaillit me paraît apaisant, presque hypnotique. Je retire le reste de mes vêtements et entre sous le jet brûlant.

La chaleur est à la fois une agression et un réconfort. Elle mord ma peau avec une intensité que je laisse volontairement durer. La vapeur monte rapidement, enveloppant la pièce d’un brouillard qui reflète l’état de mon esprit : opaque, chargé, presque suffocant.

L’eau s’écrase sur mes épaules, ruisselle le long de mon dos, trace des sillons sur mon torse. Elle lave la pluie froide qui s’accrochait encore à moi, mais elle ne parvient pas à atteindre le froid intérieur, celui qui semble incrusté dans mes os. Je ferme les yeux, espérant que la chaleur puisse dissiper cette tension qui me comprime la poitrine, mais à chaque goutte qui frappe ma peau, je sens mes souvenirs de la soirée revenir en vagues douloureuses.

Les images se superposent, s’imposent :

La salle de bal, baignée de lumière vacillante. La danse avec cette femme dont je ne connais même pas le nom. Son parfum entêtant. Ses gestes calculés, presque hypnotiques. Puis la mort. Ce corps rigide, cette expression figée dans l’horreur, et cette rune gravée dans le mur, symbole d’une énigme que je ne parviens pas à résoudre.

Et Solveig.

Son visage surgit dans mon esprit avec une clarté troublante : ses lèvres, ses yeux qui semblent me transpercer. Sa voix, murmurant des vérités voilées, des phrases que je ne comprends pas encore.

Sous l’eau, je sens mon souffle s’accélérer. Les flashs se font plus intenses, presque insupportables. Mon cœur bat si vite qu’il me donne la nausée. Mes mains se crispent contre les parois de la douche, cherchant un ancrage, mais je ne trouve rien. Rien sauf ce vide, ce gouffre béant dans lequel je suis en train de sombrer.

Une boule se forme dans ma gorge. Mes jambes tremblent, et soudain, je m’effondre. Je me laisse glisser le long du mur jusqu’à ce que je sois assis, l’eau chaude continuant de tomber sur moi, comme une pluie qui n’a rien de purificateur.

Et là, tout éclate.

Je me mets à pleurer. Pas des larmes discrètes, mais des sanglots profonds, convulsifs, qui semblent jaillir de l’endroit le plus sombre de mon être. Chaque gémissement que je laisse échapper résonne dans la cabine, étouffé par le bruit de l’eau.

Je me sens idiot, pathétique, mais je ne peux pas m’arrêter.

Puis vient la douleur.

Mes mains, tremblantes et déconnectées de ma volonté, se dirigent vers mon avant-bras gauche. Du bout des ongles, je commence à gratter la peau, d’abord doucement, puis avec une intensité croissante. Le geste est instinctif, presque animal. Une tentative désespérée de transférer cette souffrance intérieure sur quelque chose de tangible, de contrôlable.

Le sang ne tarde pas à apparaître, de fines traînées rouges se mêlant à l’eau qui coule sur moi. La douleur physique, bien que vive, est étrangement apaisante. Elle me donne une prise, un point d’ancrage dans ce chaos.

Je m’entends murmurer, presque inaudiblement :

— Arrête… Arrête…

Mais je ne sais même pas à qui je parle. À moi-même ? À ces souvenirs ? À Solveig ?

Mes doigts finissent par s’immobiliser, épuisés. Les marques sur mon bras sont profondes, brûlantes, mais je n’ai plus la force de continuer.

Je reste là, assis, recroquevillé sur moi-même, laissant l’eau me noyer dans un silence oppressant. Mon esprit est vidé, comme si les larmes et le sang avaient emporté avec eux tout ce que je pouvais ressentir.

Mais au fond de moi, je sais que ce n’est qu’une illusion temporaire.

Solveig.

Son visage revient encore, toujours. Et avec lui, une question obsédante : qui est-elle vraiment ?

La réponse, je le sens, ne tardera pas à se dévoiler.

Mais aurai-je seulement la force d’y faire face ?

La chaleur de l’eau ne parvient pas à me contenir. Le soulagement espéré s’efface devant une tension insoutenable qui ne cesse de croître en moi. Mon souffle devient erratique, mes pensées se bousculent, se cognent, s’éparpillent dans un chaos qui échappe à toute logique. Chaque image de la soirée surgit avec une brutalité insoutenable. Le corps rigide de cet étudiant, la rune gravée dans le mur, Solveig et son regard, comme une brûlure persistante dans mon esprit.

Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il pourrait éclater. Une douleur sourde commence à se propager dans ma poitrine, montant jusqu’à ma gorge, m’empêchant presque de respirer. Je tente de reprendre le contrôle, de calmer ce corps qui ne m’obéit plus, mais c’est inutile. Je pose mes mains tremblantes sur mes cuisses, cherchant un point d’ancrage, quelque chose de solide, mais tout semble se dérober sous moi.

Une pensée effrayante traverse mon esprit : je perds le contrôle.

Je bascule en avant, mes mains glissant contre le carrelage froid de la douche. La chaleur de l’eau sur ma peau contraste violemment avec ce froid intérieur qui m’enveloppe. Chaque goutte qui frappe mon dos résonne dans ma tête comme un tambour. La pression dans ma poitrine s’intensifie, m’écrasant sous un poids invisible.

— Respire, Hakon, respire, murmuré-je, mais ma voix semble lointaine, étrangère.

Je tente de m’accrocher à ce mantra, mais mon souffle se bloque, coupé par des spasmes incontrôlables. Ma gorge se serre encore davantage. Je tousse, cherche désespérément de l’air, mais il n’y en a pas assez. C’est comme si l’air avait disparu.

Les flashs continuent, s’entremêlent : le sourire de Solveig, son murmure troublant, le parfum de cette femme inconnue. Puis cette rune… ces lignes gravées dans le mur qui semblent danser dans ma tête, me narguer. La scène du meurtre revient, plus vive, plus atroce : les yeux ouverts du mort, figés dans une expression de terreur pure.

Je sens mes mains se crisper, mes ongles s’enfonçant dans la peau tendre de mes paumes. Je serre les poings, presque jusqu’à me faire mal, espérant que cette douleur pourra stopper la tempête. Mais rien ne change. Mon esprit refuse de s’apaiser.

Je m’entends gémir, un son rauque et brisé qui m’échappe malgré moi. Je suis à genoux sous l’eau, tremblant de tout mon corps, incapable de me relever. L’idée de perdre complètement pied, ici, dans cette salle de bain, me terrifie. Je lutte contre cette marée, mais elle m’entraîne, m’écrase, me réduit à néant.

Puis, dans ce tumulte, une pensée émerge, perverse et insidieuse : Et si Solveig savait tout ? Si elle avait vu en moi quelque chose que je me cache ?

Cette pensée me transperce comme un couteau. Solveig, avec ses regards perçants, ses mots énigmatiques… et cette rune. Était-ce un message pour moi ? Une mise en garde ? Ou pire, un piège ?

Un sanglot m’échappe, suivi d’un autre. Les larmes se mêlent à l’eau chaude qui coule sur mon visage, mais elles brûlent davantage, comme si elles portaient en elles toute la douleur que je ne peux exprimer autrement.

— Arrête… ça suffit… soufflé-je à voix basse, comme une prière adressée à un dieu silencieux.

Ma main gauche, encore tremblante, trouve le robinet. Je tourne le mitigeur, réduisant progressivement la température de l’eau jusqu’à ce qu’elle soit tiède, puis froide. Le choc du froid sur ma peau me fait haleter, mais il apaise légèrement la fièvre de mon corps.

Je reste un moment ainsi, immobile, l’eau glacée coulant sur moi, jusqu’à ce que ma respiration retrouve un semblant de régularité. Mes mains cessent de trembler. Mon cœur ralentit, bien que chaque battement résonne encore douloureusement dans ma poitrine.

Enfin, je parviens à me redresser. Mes jambes flageolent, mais je tiens bon, appuyant une main contre le mur pour garder l’équilibre. Mes muscles sont lourds, mes pensées toujours désordonnées, mais un calme relatif s’installe, fragile comme du verre.

Je tourne finalement le robinet, coupant le jet d’eau. Un silence assourdissant remplit la pièce, seulement interrompu par le goutte-à-goutte régulier de la douche.

Je me passe une serviette autour de la taille et m’arrête un instant devant le miroir. Mon reflet me fixe à nouveau, mais cette fois, il semble différent. Toujours marqué par la fatigue et le trouble, mais il y a autre chose : une ombre, un doute plus profond.

Solveig.

Son nom résonne dans ma tête, aussi clair que la première fois où je l’ai entendu. Je ne peux pas m’empêcher de me demander : qu’a-t-elle vu en moi ? Et qu’est-ce que cela dit sur ce que je suis réellement ?

Une fois séché, je me laisse tomber lourdement dans le fauteuil près de la fenêtre de ma chambre. Le cuir froid et l’angle rigide du dossier me rappellent que même cet espace, censé être mon refuge, n’a rien de réconfortant ce soir. Mes mains tremblent encore légèrement, une trace persistante de la crise d’angoisse qui m’a assailli. Je fixe un moment le journal posé sur la petite table à côté. Son allure sobre, ses pages encore vierges depuis quelques jours, semblent m’appeler.

L’angoisse, ce parasite insatiable, grignote mes pensées. J’attrape le journal d’une main fébrile et une plume de l’autre. À la lumière faible de la lampe à huile, l’ombre vacillante du mobilier semble se mouvoir, comme si la pièce elle-même était un écho de mon trouble intérieur. Je respire profondément, essayant de calmer mes nerfs alors que je trempe la plume dans l’encrier. Les premiers mots surgissent maladroitement, hésitants.

"Halloween. Une nuit qui promettait mystères et mascarades, mais qui s’est transformée en cauchemar éveillé."

Je m’arrête. La plume reste suspendue au-dessus de la page, tandis que les souvenirs de la soirée défilent devant mes yeux comme une pièce de théâtre macabre. La salle de bal, cette musique suffocante, les masques, les regards échangés. Je revois Solveig, sa silhouette énigmatique se mouvant dans la pénombre, ses mots soufflés à mon oreille comme un sortilège.

"Il y avait dans cette soirée une étrange fatalité. Un jeu orchestré dont je ne connais pas les règles, mais où je sens que je suis une pièce essentielle. Le meurtre, la rune, et Solveig... Tout converge vers un point que je ne peux encore discerner, mais dont la gravité m’écrase."

Je repose la plume un instant, les doigts crispés autour. Mon poignet me fait mal, mais je continue. Écrire est une manière de déposer cette douleur qui me consume. Les phrases s'enchaînent plus fluides, presque automatiques, comme si ma main était guidée par quelque force extérieure.

"La rune… cette marque sur le mur, gravée avec une telle précision. Algiz, un symbole de protection et de connexion avec le divin. Ironique, lorsque l’on considère le corps froid et terrifié de cet étudiant, allongé juste à côté. Était-ce une invocation ? Une menace ? Ou un avertissement ?"

Je m’interromps, le souffle court. L’image du corps revient, les yeux figés dans une expression de pure horreur. Une telle mort… Ce n’était pas seulement un acte de violence. C’était une mise en scène, une déclaration.

Je frémis malgré moi, passant une main sur mon visage. La fatigue commence à m’envahir, mais je ne peux pas m’arrêter. Pas encore.

"Et Solveig, toujours elle. Sa présence est comme une ombre portée sur tout cela. À chaque instant clé, elle est là. Ses mots, ses gestes, ses regards… ils me poursuivent. Elle sait quelque chose. Elle me connaît d’une manière que je ne comprends pas encore. Pourquoi ai-je l’impression qu’elle m’entraîne quelque part, inexorablement ? Vers quoi, je l’ignore, mais cela me terrifie autant que cela me fascine."

Je serre les dents, luttant contre cette tension croissante. L’écrire ainsi, noir sur blanc, me rend la chose plus réelle. C’est comme regarder un gouffre béant et se demander combien de temps encore on peut rester au bord avant de tomber.

"Je me sens pris au piège. Comme si cette nuit avait scellé mon rôle dans quelque chose de bien plus vaste que moi. Un jeu d’ombres et de lumières, où chaque mouvement semble calculé, chaque détail chargé de sens. Et moi, que suis-je dans tout cela ? Une victime ? Un pion ? Ou pire… un complice inconscient ?"

La plume s’arrête à nouveau. Cette dernière pensée m’étreint d’une manière presque insupportable. Serais-je capable de reconnaître les limites de ma propre moralité si je venais à les franchir ? Solveig semble voir en moi des choses que je ne veux pas voir moi-même.

Je reprends, mes mains plus sûres, bien que mon esprit reste embué de doutes.

"Il y a une peur qui grandit en moi. Une peur de franchir un seuil que je pressens de plus en plus proche. Solveig me pousse dans cette direction, je le sens. Mais suis-je prêt à découvrir ce qu’il y a de l’autre côté ? Peut-être que ce n’est pas une vérité que l’on cherche à comprendre, mais une vérité que l’on redoute."

La plume grince légèrement contre le papier. Je m’arrête. L’encre forme encore des gouttelettes humides, tandis que mon regard reste fixé sur la dernière phrase. Mes pensées s’emballent, tournent en rond, et je sens à nouveau cette angoisse sourde monter.

Je ferme brutalement le journal, le posant sur la table avec un bruit sourd. La pièce est plongée dans un silence oppressant, seulement brisé par le crépitement léger de la lampe à huile. Mon souffle se calme peu à peu, mais une part de moi sait qu’il n’y aura pas de véritable repos cette nuit. Solveig, la rune, le meurtre, et ce que tout cela signifie continuent de m’habiter, comme des ombres dans l’obscurité.

Je me lève lentement, dirigeant mon regard vers la fenêtre. Le verre reflète mon visage fatigué, marqué par les heures éprouvantes de cette nuit. À l’extérieur, la pluie a cessé, mais les nuages restent lourds, obscurcissant les étoiles.

Et pourtant, dans cette obscurité, quelque chose m’appelle encore.

Je ne sais pas quand je me suis assoupi. Le journal encore ouvert sur la table, la plume abandonnée dans l’encrier, je me suis laissé happer par l’épuisement, comme un naufragé par la mer. La dernière lueur vacillante de la lampe à huile semble s’être éteinte à mon insu, m’enveloppant dans une obscurité totale. Mon esprit, pourtant, refuse le répit. Il s’embrase dès que mes paupières se ferment, déversant un flot d’images et de sensations que je ne peux contrôler.

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Je suis debout, quelque part entre la réalité et le rêve. Tout est flou, vaporeux, et pourtant les détails me frappent avec une précision cruelle. Devant moi, Solveig se tient là, vêtue de cette même robe noire ornée de runes. Son masque a disparu, révélant son visage baigné d’une lumière irréelle. Ses lèvres s’entrouvrent, mais les mots qui en sortent ne m’atteignent pas. Ils sont comme un souffle, une mélodie étrangère et insaisissable.

— « Écoute, Hakon. Écoute ce que tu refuses d’entendre… »

Sa voix est douce, mais elle porte une gravité qui me glace. Je m’approche, tendant l’oreille, cherchant désespérément à comprendre. Pourtant, à chaque pas, elle semble reculer, son regard empreint d’un mélange de tristesse et de défi.

— « Qu’est-ce que tu veux me dire ? » je demande, ma propre voix résonnant étrangement dans ce vide onirique.

Elle ne répond pas. Elle lève simplement une main, pointant vers quelque chose derrière moi. Je me retourne, et mon souffle se coupe.

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La rune est là. Gravée dans l’air, incandescente, elle pulse comme un cœur vivant. Algiz. Sa forme familière – une tige centrale avec deux branches s’élevant – semble s’animer, ses contours vibrant d’une énergie inquiétante. Je veux détourner les yeux, mais je ne peux pas. Elle m’hypnotise, m’attire, et plus je la fixe, plus je sens son pouvoir m’envelopper.

— « C’est une protection, mais aussi une porte. Sauras-tu l’ouvrir, Hakon ? » murmure Solveig, sa voix comme un écho distant.

La rune se met à bouger. Ses lignes se contorsionnent, se tordent, se multiplient jusqu’à former un labyrinthe complexe. Une chaleur intense m’assaille, et je comprends trop tard que le sol sous mes pieds s’effondre.

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Je tombe. Une chute interminable dans une obscurité profonde, mon corps se tordant dans un vide sans fin. Je ferme les yeux, mais cela ne change rien. Les ténèbres me pénètrent, envahissant chaque recoin de mon esprit. Puis, soudain, j’atterris.

Je suis debout dans un cercle de feu. Les flammes dansent autour de moi, hautes et menaçantes, leur chaleur insupportable me poussant à chercher une issue. Mais il n’y en a pas.

— « Tu ne peux pas fuir, Hakon. Regarde en toi. »

C’est ma propre voix qui parle, mais elle semble venir de l’extérieur. Et lorsque je lève les yeux, je me vois. Une version de moi-même, debout de l’autre côté des flammes, les yeux brillants d’une lueur que je ne reconnais pas.

— « Qui es-tu ? » je crie, mais mon double ne répond pas. Il se contente de sourire, un sourire glacial, avant de lever la main.

Les flammes s’intensifient, se rapprochent, et je sens la brûlure sur ma peau. Je hurle, mais aucun son ne sort de ma bouche. La douleur est insupportable, et pourtant je ne me réveille pas.

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Une autre vision surgit, brisant le cercle de feu. Je suis à nouveau dans le labyrinthe végétal de la cour, la nuit d’Halloween. La pluie a cessé, mais le brouillard est encore plus épais, rendant chaque pas difficile. Solveig est là, quelque part. Je l’entends murmurer mon nom, son intonation empreinte d’une étrange tendresse.

— « Hakon… tu as peur. Pourquoi ? »

Je me retourne, cherchant sa silhouette, mais elle reste insaisissable, une ombre parmi les ombres.

— « Dis-moi ce que tu veux ! » je crie, la voix brisée par l’urgence et l’incompréhension.

Elle réapparaît devant moi, si proche que je pourrais presque la toucher. Ses yeux, d’un éclat hypnotique, semblent sonder les tréfonds de mon âme.

— « Ce n’est pas ce que je veux, mais ce que toi tu cherches. Es-tu prêt à l’accepter ? »

Avant que je ne puisse répondre, tout bascule à nouveau.

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Un cri. Un cri si perçant qu’il me déchire les tympans. Ce n’est pas un son humain, mais quelque chose de plus profond, de plus ancien, comme le hurlement d’une bête ou le souffle de la terre elle-même. Je me réveille en sursaut, le cœur battant à un rythme effréné.

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Le matin est encore loin, mais une lueur pâle filtre à travers les rideaux de ma chambre. Je suis en sueur, tremblant, le souffle court. Mon visage est mouillé – de larmes ou de transpiration, je ne sais pas.

Je m’assois sur le bord du lit, la tête entre les mains, tentant de calmer les battements frénétiques de mon cœur. Le rêve me hante encore, chaque détail gravé dans mon esprit comme une vérité que je ne peux effacer. Solveig, la rune, le cercle de feu, et ce cri…

Je me lève, incapable de rester en place. Je me dirige vers la fenêtre et l’ouvre, espérant que l’air froid de la nuit puisse m’apaiser. Mais dehors, tout semble figé, comme si le monde retenait son souffle.

Et moi, je suis seul face à ces visions, ces questions, et cette peur grandissante de ce que je suis en train de devenir.

Le lendemain matin, une pluie fine enveloppe le campus d’un voile grisâtre, et l’atmosphère est lourde, presque oppressante. J’ai à peine dormi, hanté par les cauchemars de la nuit précédente et l’image figée du corps de cet étudiant retrouvé sans vie. Une étrange tension semble planer sur l’université, comme si chaque mur, chaque couloir chuchotait un secret indicible.

C’est en revenant de mon bureau, encore engourdi par une fatigue accablante, que je reçois une convocation. Une note formelle glissée sous ma porte, m’informant qu’on attend ma présence dans une salle à l’écart du bâtiment principal. Je devine aisément de quoi il s’agit.

La lettre ne précise rien, mais son ton est clair : il ne s’agit pas d’une demande, mais d’un ordre.

Lorsque j’arrive, la pièce est froide et impersonnelle, me rappelant plus une salle d’interrogatoire qu’un lieu de réunion académique. Les murs sont nus, et une table métallique trône au centre, flanquée de deux chaises. Une lumière blafarde pend au plafond, accentuant les ombres sur les visages des deux hommes qui m’attendent.

Le premier, un inspecteur au regard perçant, est vêtu d’un costume gris impeccable. Ses gestes sont mesurés, presque mécaniques. Le second, plus jeune, ressemble davantage à un étudiant qu’à un enquêteur, avec son carnet de notes et son air hésitant.

—  Monsieur Mørk, merci d’être venu si rapidement. Prenez place, s’il vous plaît.

Je m’assois, le cuir de la chaise émettant un craquement gênant. Mon cœur bat plus fort que je ne l’aurais souhaité, et je fais de mon mieux pour garder un visage impassible.

— Vous êtes professeur de philosophie, spécialisé en psychologie criminelle et en art nordique, c’est bien cela ?  commence l’inspecteur, sa voix neutre, presque monotone.

Je hoche la tête.

—  Oui, c’est exact.

Il prend une pause, ses yeux rivés sur moi, cherchant peut-être à détecter une hésitation, un tremblement, une faille.

— Vous étiez présent lors de la découverte du corps hier soir. Pourriez-vous nous raconter ce que vous avez vu ?

Je prends une profonde inspiration, rassemblant mes pensées.

— Je me trouvais dans les jardins lorsque j’ai entendu un cri. Je ne saurais dire précisément d’où il venait, mais il a attiré mon attention, ainsi que celle de plusieurs autres personnes. Nous avons suivi le bruit jusqu’à une petite pièce… et c’est là que nous avons trouvé le corps.

Ma voix est stable, mais à l’intérieur, tout vacille. Les souvenirs affluent, et je fais de mon mieux pour les compartimenter, les enfermer derrière une barrière mentale.

—  Pouvez-vous décrire la scène ?

L’interrogation est directe, presque brutale. Je serre mes mains sur mes genoux, veillant à ne pas montrer les tremblements qui les agitent.

— L’étudiant était allongé sur le sol, son visage figé dans une expression de… terreur. Ses yeux étaient ouverts, mais ils semblaient… vides. Comme s’il avait vu quelque chose d’insoutenable.

L’inspecteur prend des notes, son visage impassible, mais je sens qu’il analyse chaque mot, chaque inflexion de ma voix.

—  Et la rune ?

Je m’efforce de ne pas réagir, mais son ton change légèrement, devenant plus incisif.

—  Elle était gravée sur le mur à côté de lui. Une rune nordique, Algiz, si je ne me trompe pas.

—  Vous avez immédiatement reconnu son origine ?

— Oui. C’est une partie de mes recherches académiques.

Il s’arrête un instant, et le silence devient presque insupportable. Je sais où il veut en venir, mais je refuse de m’y laisser entraîner.

—  Cette rune, qu’est-ce qu’elle signifie ?

Je me penche légèrement en avant, cherchant à garder mon ton neutre, pédagogique.

— Algiz est généralement associée à la protection, à un lien avec les forces divines ou spirituelles. Mais son interprétation peut varier selon le contexte.

Il lève un sourcil, intrigué.

— Protection ?

—  Oui. Cependant, son utilisation dans ce contexte est… troublante. Elle pourrait également être un avertissement, ou une invocation. Les runes sont ambiguës par nature.

Il note mes paroles, et un silence s’installe à nouveau. Je sens leurs regards peser sur moi, et mon esprit commence à vaciller. L’image de Solveig surgit, son sourire énigmatique, ses murmures à peine audibles.

—  Monsieur Mørk, aviez-vous des liens avec cet étudiant ?

La question me surprend. Je secoue la tête.

— Non, aucun. Je crois qu’il suivait un de mes cours, mais je ne lui avais jamais parlé directement.

L’inspecteur semble insatisfait de ma réponse, mais il ne poursuit pas sur cette voie.

— Une dernière question, pour l’instant. Avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel lors de la soirée ? Une personne, un comportement, quelque chose qui aurait pu vous alerter ?

Je déglutis difficilement. Solveig. Mais je ne peux pas la mentionner, pas sans preuves, pas sans comprendre ce qui se passe réellement.

— Non. Rien de précis.

Le mensonge passe mes lèvres avant que je ne puisse m’en empêcher.

Ils m’observent un instant de plus, comme s’ils attendaient que je flanche. Puis l’inspecteur se lève, refermant son carnet.

— Merci, Monsieur Mørk. Nous vous recontacterons si nous avons d’autres questions.

Je me lève également, incliné sous un poids invisible.

— Bien sûr.

Alors que je quitte la pièce, je sens leurs regards fixés sur mon dos, et une pensée s’impose : ils me suspectent. Peut-être pas ouvertement, mais une part d’eux me considère comme un potentiel coupable, ou du moins comme quelqu’un en lien avec cette affaire.

Le couloir me semble interminable. Chaque pas résonne dans ce silence oppressant, et mes pensées tourbillonnent. Les souvenirs de la veille, les cauchemars, la rune, Solveig… Tout se mêle, m’échappe, m’emprisonne.

Je sors enfin à l’air libre, inspirant profondément. Mais même là, sous le ciel gris, je ne trouve aucun répit. Un frisson parcourt ma colonne vertébrale, et une certitude glaçante s’impose à moi : ce meurtre n’est que le début.

La semaine qui suivit l’incident se déroula comme un lent tourment. L’université entière semblait enveloppée dans une atmosphère d’attente anxieuse. Les discussions chuchotées, les regards fuyants, les couloirs étrangement silencieux, tout témoignait du poids qui pesait sur cette communauté soudain fragilisée.

Mais au-delà de la tension ambiante, un autre sentiment, plus profond, plus insidieux, commençait à m’envahir : l’obsession.

Solveig.

Son visage revenait sans cesse dans mon esprit, avec une netteté presque douloureuse. Son regard pénétrant, son sourire cryptique, ses paroles ambiguës… tout en elle me hantait. Je me souvenais de son souffle chaud lorsqu’elle avait murmuré à mon oreille, de la manière dont elle s’était éclipsée dans la nuit, comme un spectre insaisissable.

Et pourtant, il y avait aussi autre chose : une logique tordue qui liait sa présence à tout ce qui s’était passé.

Je m’étais lancé dans une quête frénétique pour la retrouver. Dès le lendemain, j’avais interrogé mes collègues, d’abord avec prudence, puis avec une insistance grandissante.

—  Solveig… vous avez croisé une étudiante ou une invitée portant ce nom à la soirée d’Halloween ?

La réponse était toujours la même : un froncement de sourcils, un regard interrogateur, puis un non.

—  Non, ça ne me dit rien.

Certains semblaient sincères, d’autres paraissaient agacés, comme si ma question les dérangeait, mais aucun ne pouvait m’aider.

Les étudiants n’étaient pas plus utiles. Ceux à qui je posais la question semblaient perplexes, et certains me regardaient avec une curiosité teintée d’inquiétude. Peut-être que mes traits tendus, ma voix trop insistante, ou le désespoir dans mon regard les mettaient mal à l’aise.

— Désolé, professeur, mais je ne connais aucune Solveig. Vous êtes sûr qu’elle était là ?

Sûr ? Non, je n’étais sûr de rien. Mais il y avait ce pressentiment, cette certitude viscérale que tout tournait autour d’elle.

Et pourtant, après des jours de recherches, elle restait introuvable.

Je commençais à douter de ma propre lucidité.

Avais-je imaginé sa présence ? Était-elle réelle, ou simplement une création de mon esprit, façonnée par mon angoisse et ma fascination pour le mystère ?

Ces questions me tourmentaient la nuit, tandis que le souvenir de la rune gravée sur le mur continuait de brûler dans mon esprit comme une énigme insoluble.

Puis, un matin, elle réapparut.

C’était dans l’un des couloirs déserts de la bibliothèque. J’étais plongé dans un livre sur les rituels anciens, feuilletant distraitement les pages à la recherche de quelque chose — je ne savais même pas quoi exactement.

Et là, je l’aperçus.

Elle se tenait à l’autre bout du couloir, vêtue d’une robe sombre, une écharpe légère nouée autour de son cou. Ses cheveux blonds tombaient en vagues fluides sur ses épaules, et son regard était fixé sur moi, calme, imperturbable.

—  Vous me cherchiez ?  demanda-t-elle d’une voix douce, mais étrangement ironique.

Mon cœur rata un battement.

Je refermai le livre avec un claquement sec et me levai précipitamment, trop précipitamment peut-être.

— Solveig… où étiez-vous ?

Elle sourit, un sourire énigmatique qui n’apportait aucune réponse.

— Ici et là. Vous semblez tendu, professeur.

Son ton était léger, presque moqueur, mais il y avait une gravité sous-jacente dans son regard qui me déstabilisait.

— Vous… vous avez disparu après la soirée. Personne ne sait qui vous êtes. Je commence à me demander si vous êtes réelle.

Elle éclata d’un rire cristallin, un rire qui résonna étrangement dans le silence de la bibliothèque.

— Réelle ? Quelle étrange question. Mais si j’étais une illusion, est-ce que cela changerait quoi que ce soit ?

Je la fixai, frustré par son évasion constante, par sa manière de transformer chaque question en énigme.

—  Arrêtez. Vous savez quelque chose, n’est-ce pas ? Quelque chose sur… ce meurtre. Sur cette rune.

Son sourire s’effaça légèrement, et pour la première fois, je crus apercevoir une lueur de sérieux dans ses yeux.

— La mort, professeur, est une étape nécessaire.

Je fronçai les sourcils, pris au dépourvu par cette déclaration.

—  Une étape… nécessaire pour quoi ?

Elle s’approcha lentement, réduisant la distance entre nous.

—  Pour accéder à des vérités profondes. Des vérités que peu de gens ont le courage d’affronter.

Sa voix était basse, presque un murmure, mais ses mots résonnaient avec une force troublante.

— Et cette rune… elle n’est que le début. Une porte. Ceux qui comprennent son sens, vraiment comprennent, savent ce qu’elle exige.

Je secouai la tête, déconcerté par ses paroles.

—  Exige ? Qu’est-ce que vous insinuez ?

Elle haussa légèrement les épaules, comme si ma question était futile.

—  Toute connaissance véritable demande un sacrifice, Hakon. Vous devriez le savoir.

Sa proximité était presque étouffante. Je pouvais sentir son parfum, léger mais enivrant, et son regard semblait sonder les tréfonds de mon âme.

—  Pourquoi me dites-vous tout ça ?  demandai-je, ma voix à peine audible.

Elle ne répondit pas tout de suite, laissant le silence s’étirer, comme si elle savourait ma confusion.

—  Parce que vous êtes déjà impliqué, que vous le vouliez ou non. Et parce que vous êtes celui qui pourrait comprendre.

Avec ces mots, elle recula légèrement, son expression redevenant sereine, presque détachée.

— Solveig… qu’est-ce que vous attendez de moi ?

Elle me fixa un long moment, et pour la première fois, je crus percevoir une ombre de vulnérabilité dans ses yeux.

—  Rien. Tout. répondit-elle finalement, avant de tourner les talons et de s’éloigner dans le couloir, disparaissant comme elle l’avait fait tant de fois auparavant.

Je restai figé sur place, incapable de bouger, incapable de penser. Ses paroles résonnaient en boucle dans mon esprit, et un frisson glacé parcourut ma colonne vertébrale.

Je savais, au plus profond de moi, que ce qu’elle avait dit n’était pas une simple provocation. C’était un avertissement. Un défi.

Et peut-être une condamnation.

Je restai là, les mains tremblantes, figé dans le couloir, comme si chaque mot prononcé par Solveig avait créé une fissure profonde dans ma perception du monde. Les murs de l’université, ces murs que je croyais connaître, semblaient désormais étrangers, empreints d'une menace invisible. Une vague de froid m’envahit, bien que l’air autour de moi fût encore chaud et moite de cette journée d’automne.

Je la voyais encore, son visage impénétrable, son sourire énigmatique, et surtout, ces mots lourds de sens, lourds de conséquences. La mort, un sacrifice pour accéder à la vérité, la rune comme clé d'un savoir interdit. Chaque phrase semblait lier une part de ma propre existence à quelque chose de beaucoup plus vaste et effrayant que ce que j'avais imaginé. Et pourtant, une partie de moi, la plus sombre peut-être, était fascinée. Fascinée par cette promesse de découverte, par cette perspective de comprendre l'inconnu, de percer le mystère qu'elle incarnait.

Mais une autre partie de moi, plus rationnelle, plus saine, se débattait. Le meurtre. La rune. Le danger de tout cela. Qu'est-ce qui m'attendait vraiment si je suivais cette voie qu'elle m'indiquait, si je me laissais emporter dans ce jeu dangereux dont les règles m'étaient encore inconnues ? Le sacrifice qu’elle évoquait – était-ce une simple métaphore ou une vérité plus terrible encore ? Chaque fibre de mon être criait de fuir, de quitter cette obsession avant qu’elle ne me consume tout entier. Mais alors, pourquoi ce sentiment d'être déjà trop loin pour revenir en arrière ?

J’inspirai profondément, tentant de calmer les battements effrénés de mon cœur. La vérité, l’illusion… Quelle différence y avait-il ? Solveig m’avait laissé sur le fil, oscillant entre la réalité et la folie. Si je m’aventurais plus loin, quelle serait la vérité à laquelle je serais confronté ? Et si cette vérité n’était rien d’autre que la porte vers ma propre destruction ?

J'avais l'impression de tenir dans mes mains les bribes d'un puzzle dont chaque pièce me menait plus profondément dans un abîme dont je ne pourrais plus sortir. Je n'étais pas naïf. Je savais que l’inconnu pouvait être une bête féroce, un monstre caché sous une apparence séduisante. Mais j’étais également bien conscient de ma propre fascination. C’était un cercle vicieux. Un combat interne entre la peur et l'envie de savoir.

Alors que je commençais à m’éloigner du couloir, mes pensées s’embrouillant dans un tourbillon d’incertitudes, un détail me frappa. Un petit morceau du puzzle que Solveig m’avait volontairement laissé :

Vous êtes déjà impliqué, que vous le vouliez ou non.

Elle ne me l’avait pas dit par hasard. Elle savait, avant même que j'en sois pleinement conscient, que l’ombre de ce mystère s’était déjà insinuée dans mes veines, comme un poison lentement diffusé dans mon corps. Je n’étais plus un simple observateur des événements. J’étais désormais acteur, enchaîné par ma propre quête. Et Solveig, avec sa présence éthérée, savait exactement comment manipuler cette soif insatiable de comprendre, d’approfondir, de descendre plus bas dans les ténèbres.

Je m'arrêtais dans un coin désert de l’université, sentant le poids de l’air autour de moi se densifier, comme si l'atmosphère elle-même me retenait, me tirait dans cette spirale infernale. Je savais que je n’avais plus le choix. Chaque tentative de m’éloigner de tout cela n’était qu’un faux-semblant. Je l’avais laissée entrer dans ma vie, dans ma pensée, dans mon âme. Et maintenant, il n'y avait plus de retour possible.

Les portes du savoir s’étaient ouvertes, et je m’y engageais avec la conviction que ma quête m’amènerait inévitablement à la vérité. Mais à quel prix ? Et si cette vérité n’était rien de plus qu’une illusion ? Ou pire encore, un piège dont je ne pourrais sortir ?

Je n’étais plus seulement piégé par Solveig. J’étais piégé par moi-même. Dans cette danse avec l’inconnu, je devenais à la fois le chasseur et la proie. Et je n'avais plus la moindre idée de ce qui m'attendait, mais je savais une chose : cette quête, que j’avais choisie, m’entraînerait plus loin que je ne l’avais imaginé.

Le silence qui m’enveloppait semblait de plus en plus lourd, de plus en plus suffocant. Chaque minute qui passait, chaque pensée qui traversait mon esprit me rapprochait davantage de l’inévitable. Solveig, la rune, la mort… tout était lié. Mais de quel côté du miroir me tenais-je désormais ?

Les réponses se faisaient de plus en plus floues, et chaque pas que je faisais me rapprochait un peu plus de cette vérité, ou peut-être de cette folie, que je n’étais plus certain de vouloir affronter.

Mais une chose était certaine : il n’y avait plus de retour en arrière.

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