Chapitre 5
Depuis notre dernière rencontre, mon esprit semble prisonnier d'une toile tissée par le mystère de Solveig. Elle hante mes pensées, et, bien que mon esprit rationnel cherche à dissuader cette obsession, je ne peux me défaire de cette image d'elle qui surgit à chaque instant. Son regard, pénétrant comme la lame d'un ancien poignard viking, a laissé une marque indélébile dans les profondeurs de mon esprit, réveillant en moi des questions, des doutes, des désirs insoupçonnés.
Je me retrouve souvent, dans la solitude de ma maison, à revoir mentalement nos échanges. La façon dont elle s'approprie chaque idée, chaque notion, pour en tirer des réflexions si personnelles me fascine. Elle semble saisir les nuances de chaque concept avec une facilité déconcertante, comme si elle percevait un monde invisible aux yeux de tous. Quand nous parlons de philosophie, elle a ce talent de transformer chaque idée en un poème sombre, une métaphore de la condition humaine. Je me demande si elle ne connaît pas déjà la fin de cette danse intellectuelle, et que moi, simple mortel, je ne fais que suivre un fil invisible qui me mènera là où elle l'a décidé.
- "Pourquoi les ténèbres nous attirent-elles autant ?" me demande-t-elle un jour, lors d'un de nos échanges.
Je lui réponds sans réfléchir, peut-être emporté par cette proximité nouvelle :
- "Parce qu'elles cachent tout ce que la lumière dévoile trop brutalement... elles sont le refuge de ceux qui ont compris que les vérités essentielles se dissimulent toujours dans l'obscurité."
Elle me dévisage, le visage pensif, presque ailleurs, avant de murmurer, comme pour elle-même :
- "Les ténèbres sont aussi un piège pour les âmes trop curieuses. Ceux qui y plongent sans préparation peuvent y perdre plus qu'ils n'y trouvent..."
Ses mots résonnent étrangement en moi. Ai-je réellement conscience de l'ampleur de cette attirance ? Peut-être suis-je en train de m'immerger dans un abîme, sans possibilité de retour. Pourtant, même si une part de moi voit le danger, une autre part, plus obscure, y trouve une excitation perverse, une sorte de frisson interdit.
Solveig représente, je le crains, bien plus qu'une élève à mes yeux. Elle est une idée vivante, un symbole de ces zones d'ombre que j'ai si longtemps explorées de manière théorique, sans jamais oser m'y aventurer pleinement. Elle incarne ce que je n'ai jamais osé toucher, une énigme qui attire et effraie à la fois. Mais suis-je prêt à braver cet inconnu ?
Les nuits, dans le silence oppressant de ma maison, ces réflexions m'assaillent, me torturent. Une ombre, celle de Solveig, semble s'insinuer dans chaque recoin de mon esprit. Elle est là, dans chaque interstice de mes pensées, remplissant le vide de mes insomnies d'une présence muette, presque palpable. Je me perds dans les bribes de nos échanges, ses mots qui résonnent comme un écho lointain, chacun d'eux creusant un peu plus ce gouffre en moi. Mon esprit logique, en désespoir, me rappelle sans cesse la frontière de notre relation, les risques, l'éthique, mais quelque chose en moi semble déjà au-delà de ces considérations.
Dans mes lectures, je cherche des réponses, des signes, des présages peut-être. Les runes nordiques m'apparaissent comme des fragments de destin, des symboles anciens que je tente d'interpréter pour comprendre ce lien qui m'attire vers elle. Les mythes évoquent souvent ces figures mystérieuses, ces guides ou sirènes qui égarent les âmes perdues. Solveig, dans mes pensées, devient peu à peu l'une d'elles : une créature intemporelle, détentrice de secrets que je crains et désire découvrir.
Ma curiosité pour elle devient presque une obsession. Que cache ce regard, que signifient ses mots ? Pourquoi semble-t-elle deviner mes pensées avant même que je ne les exprime ?
Dans la pénombre de mon bureau, seul avec mes pensées et une simple bougie qui éclaire faiblement la pièce, je laisse mon esprit divaguer et mes mots se coucher sur les pages. L'éclat de la flamme tremble, projetant des ombres mouvantes sur les murs comme autant de secrets murmurés par les pierres anciennes de cette maison.
Solveig. Ce nom résonne dans mon esprit, dans mes veines, comme une note de musique qui refuse de s'éteindre. Elle est l'incarnation d'un mystère que je n'ai pas encore résolu, et pourtant elle se déploie en moi comme une fleur étrange, aux pétales d'encre noire. C'est une flamme envoûtante, dangereuse, peut-être même destructrice, qui s'agite en moi et me consume avec une lenteur terrible.
Je me surprends à penser à elle comme on pense aux étoiles : distantes, inaccessibles, mais guidant d'une lueur lointaine ceux qui les contemplent. Elle semble émettre une lumière silencieuse, une lumière qu'elle seule voit. Et moi, comme un papillon, j'en deviens la proie, happé par cet éclat énigmatique et invisible.
"Sommes-nous faits pour connaître les ténèbres, ou sommes-nous simplement aveuglés par le désir de les toucher ?" écris-je. Les ténèbres... qu'elle incarne à la perfection, une ombre dans laquelle je m'aventure, conscient que je pourrais m'y perdre.
Il est étrange, absurde même, de sentir cette proximité, cet attachement, envers une personne que je ne devrais pas, que je n'ai pas le droit de toucher ni même de convoiter. Cette barrière invisible que j'essaie de maintenir est de plus en plus fragile. Je m'interroge : peut-on réellement maîtriser ses désirs quand ils deviennent une partie de soi, comme une ombre qui ne se détache plus de notre silhouette ?
La plume griffe le papier, laisse des traces noires, des cicatrices d'encre qui portent le poids de mes pensées. Ce que j'écris ne sont pas seulement des mots, ce sont des fragments de moi, déposés ici comme un secret. Ces pensées sont peut-être les dernières îles de mon esprit rationnel avant de sombrer dans un océan d'obsession. Pourtant, cette peur, cette appréhension est traversée d'un frisson délicieux. Solveig est bien plus qu'une énigme pour moi : elle est le miroir de mes propres failles, le révélateur d'une obscurité que je n'osais pas nommer.
Je sens que cette attirance n'est pas normale, pas saine. Mais que suis-je, sinon un homme égaré dans ses propres obsessions, un homme qui s'accroche aux fragments de sa raison tout en sachant qu'il est irrémédiablement attiré par l'abîme ? Solveig est cet abîme. Ses yeux m'apparaissent comme deux puits de mystères insondables, des fenêtres sur des mondes que je ne connais pas, des mondes interdits qui murmurent des secrets en silence."
Je repose un instant ma plume, et dans la danse de la flamme, je crois voir son visage se dessiner, fugitif, presque irréel. C'est elle qui m'attire vers ce gouffre, avec son sourire énigmatique et sa voix douce, une voix qui semble contenir des siècles de connaissances et de douleurs. Dans son regard, il y a la promesse d'une révélation, mais aussi la menace d'une perte irrémédiable. Que suis-je prêt à sacrifier pour approcher cette vérité, pour effleurer ce mystère ?
"Solveig est comme ces constellations oubliées, des vestiges de civilisations disparues, des points lumineux qui clignotent dans l'éternité, nous rappelant que notre existence est éphémère. Elle semble incarner une force ancienne, une sagesse que je n'ai jamais connue, une connaissance qui me dépasse."
- "Les étoiles meurent-elles seules ?" me demande-t-elle dans un murmure imaginaire.
Peut-être que, comme moi, elles se consument en silence, attirées par quelque chose de plus grand, de plus puissant qu'elles-mêmes.
En rentrant ce soir-là, je suis accueilli par un silence profond, presque solennel, qui imprègne chaque recoin de ma demeure. En posant mes affaires sur la table de bois ancien, mon regard est soudain attiré par une étrange enveloppe, d'un noir d'encre, posée là, comme un présage. Ce n'est pas une simple lettre, je le sens d'emblée, mais quelque chose d'important, de symbolique, comme si elle recelait un mystère à dévoiler.
Je m'approche lentement, mes doigts frôlant le papier noir, rugueux sous mes doigts. La lettre est cachetée d'un sceau de cire rouge sang, frappé d'une rune ancienne que je reconnais à peine - un symbole qui, d'instinct, me semble familier et menaçant à la fois. Je ressens comme un frisson, une vibration d'anticipation. C'est une invitation, mais une invitation à quoi ? La cire brille faiblement sous la lumière tamisée de la pièce, ajoutant une note de mystère et d'austérité.
Avec précaution, je brise le sceau. En tirant la feuille de son enveloppe, je découvre une écriture élégante et sinueuse, presque archaïque, un peu comme si elle avait traversé les siècles pour me parvenir. Le texte, rédigé en des termes formels et enveloppé d'une aura gothique, m'invite à un bal masqué d'Halloween, organisé par l'université elle-même. Cette convocation, de prime abord innocente, dégage un parfum d'inquiétude. Qui aurait pu rédiger de tels mots, avec cette calligraphie d'un autre temps ?
« M. Hakon Mørk, vous êtes cordialement invité à célébrer Samhain dans l'enceinte de notre ancienne institution, le soir du 31 octobre, à l'heure où la nuit atteint son apogée. Un bal masqué, où les ombres et les âmes errantes se confondront pour un rituel de réminiscence. Masque et tenue de cérémonie exigés. »
À chaque mot, un malaise s'installe en moi, comme si cette invitation n'était pas un simple événement social, mais bien une convocation. La solennité des mots employés, la manière même dont cette soirée est décrite, tout semble chargé de symbolisme. Il ne s'agit pas de la simple mascarade d'Halloween, d'une fête mondaine comme celles que l'université pourrait habituellement organiser. Non, il y a quelque chose d'autre sous ces mots, quelque chose de plus sombre, de plus ancien, presque un appel à participer à une cérémonie secrète.
Le ton de cette invitation me donne l'impression d'être appelé à une cérémonie où chaque geste, chaque présence, chaque parole aurait un sens caché. On dirait une ancienne cérémonie de Samhain, une fête druidique ancestrale, célébrant la fin de l'année celtique et le retour des morts parmi les vivants. Une soirée où les masques ne seraient pas seulement des déguisements, mais de véritables portes d'accès à d'autres réalités. Tout cela semble théâtral, absurde même, et pourtant, en moi, un sentiment d'anticipation et d'inquiétude ne cesse de croître.
En observant la feuille sous la lueur vacillante de la bougie, mon attention est attirée par des symboles plus petits, presque invisibles, gravés en bas de la page. Ce sont des runes, écrites à l'encre invisible, que seule la flamme révèle. En runes anciennes, une phrase se dessine lentement sous mes yeux :
ᛉ ᚲᚺᛖᛟᛉ ᚲᚺᛁ ᚠᚱᚨᚾᚲᚺᛁᛉᛉᛖᚾ ᛏᚺᛖ ᛋᛖᚢᛁᛖᛚ ᚨᛒᚨᚾᛞᛟᚾᚾᛖᛏᚾ ᛚᛖᚢᚱ ᛈᚨᛋᛋᛖᛏ ᛖᛏ ᛖᚾᛏᚱᛖᛏ ᛞᛁᚾᚾ ᛚᛁᛏᛖ
« Ceux qui franchissent le seuil abandonnent leur passé et entrent dans l'éternité. »
Je me redresse, le cœur battant. Cette simple phrase, cachée ainsi, me laisse perplexe, perturbé. Une invitation déguisée en défi. Cette nuit de Samhain serait-elle bien plus qu'un bal masqué ?
Je reste un moment là, dans l'ombre de ma propre réflexion, les yeux fixés sur cette phrase, qui se mue lentement sous la lueur vacillante de la bougie. "Ceux qui franchissent le seuil abandonnent leur passé et entrent dans l'éternité." Les mots me frappent avec une force disproportionnée, comme si l'air autour de moi se faisait soudainement plus dense, plus lourd. Le silence de la pièce devient oppressant, et une sensation de vertige m'envahit, une étrange sensation qui n'a rien à voir avec la simple inquiétude.
Que veut dire cette invitation ? Que se cache-t-il derrière cette promesse d'éternité ? Franchir un seuil, abandonner son passé... Cela résonne en moi d'une manière intime, presque comme un écho de mes propres luttes intérieures. Depuis mon arrivée à l'université, je me suis engagé dans une quête personnelle, non seulement pour comprendre les symboles et les mythes qui m'intéressent tant, mais aussi pour trouver une forme de sens, une direction. Et ici, à cet instant précis, je me sens comme si ce sens était en train de se dessiner devant moi, mais à quel prix ?
Je me lève, parcourant lentement la pièce. Les livres autour de moi, mes chers compagnons silencieux, m'observent depuis leurs étagères poussiéreuses. Ils m'ont toujours offert des réponses, ou du moins des fragments de réponses. Mais aujourd'hui, face à cette invitation, je me sens désemparé. Peut-être que la connaissance seule ne peut plus m'apporter ce que je cherche. Peut-être que j'ai atteint un point où il est nécessaire d'aller au-delà de l'intellect, au-delà des idées, pour expérimenter quelque chose de plus profond, de plus viscéral.
Et puis, il y a cette phrase : "Entrer dans l'éternité."
Ce concept m'échappe, et pourtant, il semble m'attirer comme un abîme mystérieux.
Qu'est-ce que cela signifie ?
L'éternité, dans cette optique, ne peut être qu'une métaphore. Une métaphore du changement, de la transformation. Peut-être l'université elle-même est-elle le lieu où cette transformation pourrait se produire, où ce "seuil" pourrait être franchi. Une partie de moi, la part rationnelle, la part qui cherche des explications claires et logiques, rejette cette idée, trouve qu'elle relève de l'irrationnel, voire de l'imaginaire. Mais une autre part de moi, une part plus intime et plus ancienne, celle qui s'éveille lorsque je contemple les runes ou lorsque je me perds dans mes méditations philosophiques, cette part-là, me dit que peut-être je suis à l'aube de quelque chose que je ne peux comprendre qu'en le vivant.
Je pose la lettre sur la table, mes yeux revenant inlassablement vers elle.
Pourquoi moi ?
Pourquoi ai-je été choisi pour recevoir cette invitation, un simple professeur parmi tant d'autres dans cette institution ?
Solveig, bien sûr.
Elle doit être en lien avec tout cela. Son regard, ses paroles, sa présence. Elle semble avoir des clés que moi, je n'ai pas. Elle semble savoir, comprendre, bien plus que ce que je pourrais saisir. Une partie de moi se sent attirée par cette mystérieuse jeune femme, mais une autre en moi la redoute profondément. Solveig, l'énigmatique, la fascinante. Elle ne m'a-t-elle pas dit un jour que "tout est écrit quelque part, et que certains livres ne peuvent être ouverts qu'à une certaine heure" ?
Ses paroles prennent un tour inquiétant à la lumière de ce qui se passe maintenant.
Et cette phrase cachée dans la lettre... n'est-ce pas comme un autre de ses messages énigmatiques, une porte vers une vérité qu'elle seule semble connaître ?
Un frisson me parcourt.
Si l'université est en quelque sorte le carrefour de mondes invisibles, un lieu où les secrets des anciens sont toujours palpables, alors cette invitation ne serait-elle pas un test, un rite de passage ?
Me serait-il demandé de traverser ce seuil, de me libérer de mes chaînes mentales et de m'abandonner à ce que l'univers, ou ce groupe mystérieux, attend de moi ?
En abandonnant mon passé, qu'est-ce que je sacrifierais réellement ?
Cette question me hante. Les livres, les études, mes théories philosophiques... tout cela, tout ce que j'ai toujours cru être moi, serait-il aussi part du passé à abandonner ?
Je secoue la tête, comme pour chasser ces pensées envahissantes. Mais elles ne s'en vont pas. Elles tournent et virevoltent autour de moi, me bousculant comme des courants d'air froids. L'éternité... c'est un mot qui appartient à un autre temps. C'est un mot que l'on associe à des forces plus grandes que l'individu.
Mais est-ce que l'on peut réellement atteindre l'éternité ?
Ne sommes-nous pas condamnés à être des créatures limitées, coincées dans le filet de nos perceptions et de notre raison ?
Ou bien, justement, cet appel au-delà de la raison, au-delà du rationnel, n'est-ce pas ce que j'ai cherché toute ma vie ?
Peut-être que l'éternité n'est rien d'autre que la possibilité d'une renaissance, d'une transformation profonde, au-delà de ce que la réalité semble vouloir nous offrir.
Il faut que je m'en aille. Il faut que je franchisse ce seuil, même si je ne sais pas exactement ce que cela signifie. Peut-être que ce bal, ce rituel étrange, est une sorte de portail. Un endroit où la vérité se cache, à la fois effrayante et exaltante.
Mais comment savoir si je suis prêt ?
Si je suis assez fort pour faire face à ce que je pourrais découvrir ?
Une part de moi veut me détourner, se cacher dans l'ombre de mon intellect, mais une autre, plus profonde et plus animale, désire ardemment aller de l'avant, voir ce qui se cache derrière le masque.
Je ferme les yeux un instant. La bougie vacille, projetant des ombres inquiétantes sur les murs. Peut-être que ce n'est pas le mystère qui me terrifie. Non, peut-être que ce qui me fait peur, c'est cette partie de moi qui se réveille lentement, cette part de l'inconscient qui se sent attirée par le mystère, par la magie, par l'inconnu. C'est cette part de moi qui voudrait faire face à la vérité, quelle qu'elle soit, sans aucune retenue.
Et alors, sans comprendre tout à fait pourquoi, je sens que je dois y aller. Ce bal, ce rituel... il est mon destin, un destin que je n'ai pas choisi, mais qui m'a choisi. L'université, Solveig, la rune mystérieuse sur mon bureau... tout cela est une même force, un même appel. Peut-être que je suis à la croisée des chemins, prêt à devenir autre chose, prêt à me libérer de ma perception limitée et à entrer dans un autre monde.
Je prends la lettre dans mes mains, la laisse se consumer sous la flamme vacillante de la bougie. Je ferme les yeux, et pour un instant, tout semble se taire.
La soirée d'Halloween est arrivée, et je me tiens devant le miroir dans la lumière tamisée de ma chambre, observant la silhouette qui se reflète. Ce soir, je ne suis plus simplement Hakon Mørk, le professeur d'université, mais un homme en quête, un homme qui doit se déguiser non seulement physiquement, mais aussi intérieurement, pour entrer dans un monde dont je n'ai aucune idée des règles. Le costume que j'ai choisi est simple, mais énigmatique : une tenue noire, impeccable, un costume d'apparence sobre, mais avec des détails qui trahissent une intention bien plus complexe que ce qu'un premier coup d'œil pourrait laisser paraître.
Une chemise en soie noire, légèrement froissée pour donner une impression d'usure, une veste à la coupe impeccable mais nonchalante, et des gants en cuir fin qui semblent appartenir à une autre époque. Sur mon visage, un masque.
Ce masque...
il est l'élément crucial, la pièce maîtresse de mon déguisement. Fait de cuir sombre, orné de motifs fins gravés à la main, représentant des symboles mystiques, des runes, des lignes et des formes qui pourraient être interprétées de mille manières. Le masque couvre partiellement mes traits, dissimulant mes émotions et mes pensées sous une surface lisse et sans âge, mais il laisse mes yeux, mes yeux bleus, visible. Et ces yeux, je le sais, seront les seuls à trahir ce que je ressens ce soir.
Je respire profondément, ajustant le masque sur mon visage. Il me donne une sensation étrange, comme si je devenais autre chose. Non pas un autre homme, mais une autre version de moi-même, un moi plus mystérieux, plus abstrait, un moi que je ne reconnais pas tout à fait, mais que je perçois étrangement familier. Je me demande si ce costume est vraiment ce que je crois qu'il est.
Est-ce une métaphore ?
Une transformation symbolique ?
Ou est-ce simplement un déguisement, un moyen de me cacher derrière une apparence, de fuir l'inconfort de la réalité pour plonger dans une illusion ?
Mais une illusion de quoi ?
De qui ?
Ces questions tourbillonnent dans mon esprit alors que je termine les derniers ajustements.
Je m'apprête à partir, mais une dernière pensée me traverse : le bal. L'invitation était claire :
"Ceux qui franchissent le seuil abandonnent leur passé et entrent dans l'éternité."
Ce n'est pas une simple promesse. C'est une énigme. Et ce bal, ce lieu étrange où l'invitation m'a conduit, semble être un rite, une porte vers quelque chose que je ne peux encore comprendre. Mais je dois y aller. Je dois savoir ce qui m'attend. Ce soir, tout est flou. Tout semble se tordre et se recomposer sous une forme nouvelle, et je suis à la fois spectateur et acteur dans ce théâtre étrange, où le temps et l'espace semblent jouer à des jeux inconnus.
La route vers le bal est brève, mais longue dans son effet psychologique. Je ne suis pas pressé. Chaque rue, chaque pavé, semble me rapprocher d'une vérité dont je ne peux deviner la nature. Arrivé devant la porte imposante de l'université, je me sens absorbé par l'atmosphère qui s'en dégage. L'université, habituellement si rationnelle, semble ce soir être le théâtre d'une magie plus ancienne, plus insidieuse. Les lumières des chandeliers dansent sur les murs, projetant des ombres mouvantes qui semblent se déformer et s'étirer comme des spectres. Les fenêtres ornées de vitraux noirs laissent filtrer des lueurs vives, presque surnaturelles.
La salle du bal est d'une beauté glacée et lugubre. Des chandeliers suspendus, gigantesques, apportent une lumière tremblante, aussi floue et incertaine que mes pensées. Les invités, tous masqués, sont là, et leur présence semble presque irréelle, comme si ces silhouettes sombres, vêtues de soie et de velours, appartenaient à une autre époque, ou à un autre monde. Chacun porte un masque, mais derrière chaque masque, je sais qu'il y a quelque chose de plus, quelque chose d'invisible, d'inaccessible, que je ne pourrais jamais saisir. Leurs yeux, leurs gestes, sont des énigmes que je ne parviens pas à déchiffrer. L'air est lourd de mystère, chaque son résonne dans l'espace comme une note de musique suspendue dans l'immensité du temps.
Et pourtant, au milieu de ce brouillard d'ombres et de lumière, je perçois un regard.
Ce regard... il est familier.
Une présence qui me paralyse presque. Solveig. Bien sûr, je l'avais pressentie avant même de la voir. Elle est là, dans cette salle, et tout en elle semble incarner ce qui est à la fois ancien et intemporel. Elle est vêtue d'une robe noire qui semble se fondre dans l'obscurité, mais la lueur des chandelles lui confère une aura presque divine. Son masque est simple, mais parfaitement conçu pour elle. Il est d'un blanc éclatant, représentant une forme stylisée, presque géométrique, qui laisse entrevoir une symétrie étrange. Mais c'est ses yeux qui m'attirent. Ses yeux perçants, qui semblent lire au plus profond de mon âme, comme si elle savait tout de moi sans même avoir besoin de prononcer un mot.
Elle s'approche lentement, comme une ombre glissant à travers la brume, et je la perçois davantage comme une vision, une hallucination, qu'une simple personne réelle. Le silence entre nous est lourd, mais il n'y a aucune gêne. C'est comme si nous étions destinés à cette rencontre, comme si elle faisait partie du décor. Nous échangeons quelques mots, des mots qui semblent parfaitement anodins, mais qui résonnent en moi de manière beaucoup plus profonde. Elle parle de la nuit, du mystère, des secrets anciens, et chaque phrase semble s'imprégner de la salle elle-même, comme si les murs écoutaient, comme si les chandelles s'éteignaient ou s'allumaient selon ses paroles.
Mais ce qui me frappe le plus, ce n'est pas tant ses mots, mais la manière dont elle se rapproche de moi. Son parfum, doux mais entêtant, m'envahit, et je sens sa présence comme une énergie qui frôle ma peau. Sa main effleure mon épaule, légère comme une brise. Elle ne dit rien, mais ses gestes sont plus éloquents que n'importe quel discours. Elle se rapproche, presque imperceptiblement, et je perçois son souffle sur mon visage, chaud et délicat. Nos lèvres sont à quelques millimètres l'une de l'autre. La tension est palpable, presque électrique. Elle est là, à la fois proche et distante, une énigme vivante, insaisissable.
Je suis troublé, déstabilisé. Tout en elle est un mystère que je n'arrive pas à comprendre, mais auquel je suis irrésistiblement attiré. Elle est une force qui me dépasse, et pourtant, dans cet instant, je me sens complètement capturé. La salle autour de nous semble disparaître, se dissoudre dans un espace qui n'appartient plus à la réalité. Nous sommes seuls, perdus dans ce moment suspendu, un moment qui semble à la fois infini et d'une brève intensité. Et soudain, Solveig s'éloigne, se fondant dans la foule des invités masqués, comme une ombre qui disparaît dans la nuit.
Je reste là, immobile, le souffle court, les yeux fixés sur l'endroit où elle se tenait, comme si elle venait de disparaître dans un autre monde. Un monde que je n'ai pas encore appris à comprendre. Un monde où je ne suis qu'un acteur parmi d'autres, un homme en quête de réponses, perdu dans la beauté et le mystère de ce bal sans fin.
La foule s'efface presque autour de nous, et le monde semble se réduire à ce coin sombre de la salle où Solveig et moi nous retrouvons, comme si nous n'appartenions plus tout à fait à cette fête masquée. La musique, douce et lointaine, se fait lointaine, et tout ce qui m'entoure devient une mer de visages flous et de silhouettes indistinctes. Le regard de Solveig, perçant, semble avoir le pouvoir de percer les épais voiles de l'obscurité dans lesquels je me suis longtemps enveloppé, et soudain, je n'ai plus de secret, plus d'armure. Tout ce que j'ai essayé de cacher se révèle à elle d'une manière qui me dépasse.
Elle s'approche de moi lentement, son regard toujours accroché au mien, ses lèvres esquissant une ombre de sourire. La robe noire qu'elle porte est décorée de motifs de runes, des symboles si anciens et puissants qu'ils semblent pulsés de leur propre énergie. Les runes glissent sous la lumière des chandeliers, comme si elles avaient pris vie sous l'effet de l'ambiance, et je me demande si elles ne sont pas la véritable signature de cette soirée, de cette rencontre inédite entre elle et moi.
―Tu ne sais pas combien de fois je t'ai vu, Hakon, dit-elle, sa voix basse et rauque, presque un chuchotement qui me touche à un endroit que je ne croyais plus habité. Dans tes cours, dans tes écrits... tu as révélé plus de toi-même que tu n'en as conscience.
Je frissonne. Comment peut-elle savoir cela ? Comment peut-elle savoir ce que j'ai caché dans les ombres de mon esprit, dans les pages de mes notes, dans les recoins secrets de ma bibliothèque ? J'ai étudié la psychologie, les symboles, les mystères de l'esprit humain, et j'ai toujours cru que mes propres pensées étaient inaccessibles, même à moi-même, dissimulées dans des couches de rationalité et de distance. Mais elle semble les percevoir, les toucher du bout des doigts, comme si elle pouvait les lire comme un livre ouvert.
Je la fixe intensément, cherchant à déchiffrer ce qui se cache derrière ses yeux.
―Tu dis que tu m'as vu,je lui réponds doucement, ma voix emplie d'une étrange hésitation, mais qui es-tu vraiment, Solveig ? Pourquoi as-tu l'air de savoir tout de moi, et pourtant de me laisser dans l'obscurité ?
Elle rit, un rire doux, presque triste, qui résonne dans mon esprit comme une clé tournant dans une serrure.
― Je suis celle qui fait naître les questions, Hakon. Ce n'est pas de moi qu'il faut chercher des réponses, mais de toi. Ses yeux brillent d'une lueur qui semble presque surnaturelle.
― Tu m'étudies, n'est-ce pas ? Comme tu étudies la psychologie, les runes, les âmes tourmentées ? Mais tu ne sais même pas ce que tu cherches.
Ses mots frappent, et je sens une tension se créer, un tiraillement entre ma raison et mon désir. Je suis fasciné par elle, une fascination qui va bien au-delà de l'attirance physique. Elle évoque quelque chose de fondamental, quelque chose de caché que je cherche à comprendre. Elle est un miroir dans lequel je me vois et ne me reconnais pas. Et pourtant, je suis attiré par cette image, par ce reflet qui semble me dévoiler plus que je n'en ai jamais voulu.
Solveig se rapproche encore de moi, presque imperceptiblement. La pièce se resserre autour de nous, la chaleur de sa proximité m'enveloppe et je me sens vulnérable, exposé.
― Tu as étudié les runes, Hakon, tu les connais. Mais as-tu compris ce qu'elles signifient vraiment ? Chaque symbole est une porte, chaque rune une clé, et chaque clé ouvre une nouvelle dimension. Mais ce n'est pas toujours une dimension que l'on veut découvrir. Elle se penche légèrement vers moi, et je suis pris d'un vertige, une sensation d'abandon total.
―Les runes te connaissent, toi aussi. Elles connaissent tes peurs, tes désirs, et ta lutte entre le bien et le mal.
Je sens ma gorge se serrer. Elle parle de quelque chose que j'ai toujours essayé de fuir : l'ambiguïté de la morale, la frontière floue entre ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. J'ai consacré ma vie à la psychologie, à tenter de comprendre les déviances humaines, les âmes tourmentées, mais au fond de moi, je me demande parfois si cette distinction entre le bien et le mal n'est pas artificielle. Si chaque être humain n'est pas, au fond, un mélange complexe de lumière et d'obscurité.
― Tu veux dire que nous ne sommes que des reflets des symboles qui nous entourent ? je murmure.
Elle hoche lentement la tête, comme une professeur sage qui sait que sa leçon est en train de prendre racine.
― Nous ne sommes pas des entités fixes, Hakon. Nous sommes des fragments, des morceaux éparpillés dans un vaste puzzle. Nous sommes à la fois les créateurs et les créatures de notre propre réalité. Et les runes... elles ne sont pas simplement des symboles. Ce sont des clefs de ce puzzle, mais elles ouvrent aussi des portes que l'on pourrait bien regretter d'avoir ouvertes.
Je frémis à ses paroles. Cette femme, cette énigme vivante, a mis le doigt sur quelque chose que je ressens sans parvenir à l'exprimer. Elle a touché cette partie de moi que je n'ai jamais voulu affronter, cette partie de moi qui cherche à comprendre le mal, la folie, mais aussi à l'éviter. Et en la regardant, je comprends que tout cela est bien plus complexe que ce que je croyais. Elle est une réponse et une question à la fois.
Les lumières de la salle semblent vaciller autour de nous, et je perçois la proximité de Solveig d'une manière presque étouffante. La tension monte, palpable, irréversible. Nous nous sommes rapprochés au point que le moindre souffle, la moindre pensée partagée, semble prendre une dimension démesurée. Je la sens plus près maintenant, ses mains effleurant mes bras, comme une promesse silencieuse. Je suis envahi par son parfum, une fragrance douce, presque envoûtante, qui envahit mes sens.
Elle me fixe intensément, ses yeux brillant d'une lueur que je peine à interpréter.
―Tu sais, Hakon, dit-elle doucement, ce n'est pas toi qui me fascines. Ce qui me fascine, c'est la manière dont tu luttes contre ce que tu es. Tu n'es pas comme les autres, et tu le sais. Mais tu refuses de l'accepter.
Ses mains se posent lentement sur mes épaules, me rapprochant encore d'elle. La tension est à son comble.
―La véritable question n'est pas si tu peux comprendre les runes, ou la psychologie des criminels, dit-elle avec une intensité qui fait écho dans ma poitrine, mais si tu peux comprendre ce qui sommeille en toi.
Je la regarde, mes yeux se perdant dans les siens, et je sais, au fond de moi, qu'il n'y a plus de retour possible. Elle a ouvert quelque chose en moi que je ne pourrai pas refermer. Un désir, une quête, une peur aussi. Et la salle autour de nous se transforme. Tout ce qui m'a été familier se dissout dans cette rencontre. La réalité elle-même semble se tordre, se réorganiser, alors que Solveig me guide vers une vérité que je n'avais jamais envisagée, mais qui semble soudainement inévitable.
Elle se penche alors, et ses lèvres frôlent les miennes, presque imperceptiblement, comme une promesse suspendue dans l'air, une promesse de ce qui pourrait advenir si je choisis de la suivre.
Le bal se poursuit autour de nous, les murmures des autres invités, les ombres des chandeliers projetées sur les murs ornés de figures mythologiques, tout semble lointain et irréel, comme un rêve dont je commence à perdre prise. Tout ce qui existe dans cette pièce, tout ce qui me parvient, c'est Solveig et sa voix, une mélodie hypnotique qui me plonge un peu plus dans un tourbillon d'incertitude et de désir. Chaque mot qu'elle prononce s'enfonce profondément en moi, comme une graine plantée dans l'obscurité de mon esprit, en attente de germination.
Elle m'interroge encore, ses yeux perçant mes pensées avec une facilité déconcertante, comme si elle savait exactement quelles questions poser pour que mes réponses résonnent dans une vérité trop difficile à affronter.
―Tu refuses de voir ce que tu es, Hakon. Tu as passé des années à étudier l'esprit humain, à analyser la psychologie des criminels, à chercher des réponses dans des symboles anciens. Mais tu sais, au fond, que le mal, la folie, la violence, tout cela n'est pas extérieur à toi. Tout cela est en toi, dissimulé sous des couches de rationalité et de contrôle. Ce que tu cherches dans les autres, tu ne fais que le fuir en toi-même.
Les mots de Solveig flottent autour de moi, lourds, comme des ombres qui s'allongent, se confondent, se tordent jusqu'à former une vérité insupportable. Je veux la repousser, l'empêcher de pénétrer plus profondément dans les zones sombres de mon esprit, mais c'est impossible. Elle a vu en moi des choses que je ne voulais pas voir, des facettes de ma propre humanité que j'ai soigneusement ignorées. La dualité dont elle parle, cette ligne floue entre le bien et le mal, entre la lumière et l'obscurité, je la connais. Je la ressens depuis des années, dans mes études, dans mes observations. Mais je l'ai toujours considérée comme une abstraction, un concept théorique. Maintenant, elle me la présente comme une réalité tangible, prête à se manifester.
Je me perds dans son regard, dans l'intensité de ses paroles, et c'est à ce moment-là qu'elle se rapproche, sa main effleurant ma peau, son contact électrisant, une chaleur douce qui m'envahit. Je frémis sous la pression de cette proximité. Elle s'approche encore, son souffle caressant mon visage, et sans un mot, sans un geste brusque, elle m'embrasse.
Le baiser est doux au début, presque imperceptible, comme une invitation, une tentative de compréhension. Mais tout de suite, il prend une tournure différente, plus insistante, plus pressante. Ses lèvres se posent sur les miennes avec une douceur qui se transforme vite en une intensité croissante. C'est un baiser chargé de significations, lourd de tout ce que nous avons partagé dans cette conversation. Chaque mouvement de sa bouche, chaque frôlement de sa langue, semble chercher à détruire les barrières que j'ai élevées autour de mon cœur et de mon esprit.
J'ai l'impression que tout autour de moi se déforme. La pièce se trouble, les chandeliers vacillent comme si leur lumière était prise dans un tourbillon. Le baiser devient un symbole, un passage, une frontière entre ce que je suis et ce que je pourrais devenir. C'est un baiser d'initiation, un seuil franchi. Ce n'est pas juste un geste de désir. C'est un cri silencieux, une mise à nu de mon âme. Solveig ne cherche pas seulement à m'embrasser physiquement, elle cherche à m'englober, à m'absorber, à m'entraîner dans son univers où les certitudes n'existent plus, où les frontières entre le bien et le mal sont abolies.
Ma tête tourne, mon cœur bat plus vite, et je me rends compte, avec une clarté douloureuse, que je n'ai jamais été aussi vulnérable. Ce baiser, cet instant suspendu entre nous, est une révélation. Je vois des fragments de moi-même que je n'ai jamais voulu voir. Je vois la part d'ombre, cette partie de mon être que j'ai toujours tentée de fuir, enfouie sous des couches de rationalité et de contrôle. Mais maintenant, sous la pression de ses lèvres et de son regard, tout cela s'effondre, et je suis exposé, nu, face à moi-même.
Solveig se retire doucement, ses yeux toujours fixés sur moi, une lueur de triomphe dans son regard. Elle a vu en moi plus que je n'aurais jamais voulu lui montrer, plus que je n'aurais voulu voir moi-même.
―Tu vois, Hakon, dit-elle, sa voix basse et envoûtante, tu cherches à comprendre, à analyser, à expliquer. Mais parfois, il n'y a pas de réponses. Parfois, il n'y a que des sensations, des désirs qui ne peuvent être compris, seulement vécus.
Je reste là, figé, le souffle court, cherchant à comprendre ce qui vient de se passer. Je suis perdu dans une mer de confusion et de désir, entre le bien et le mal, la lumière et l'obscurité, le connu et l'inconnu. Le baiser que j'ai partagé avec elle n'est pas seulement une rencontre physique, il est un catalyseur, un moment charnière où tout a changé. Les frontières entre ce que j'étais et ce que je pourrais devenir se sont effondrées, et je me trouve maintenant à un carrefour. Je me sens à la fois vidé et empli de quelque chose de nouveau, de quelque chose qui me fait peur et m'attire en même temps.
― Tu vas devoir faire un choix, Hakon, continue Solveig, ses mots résonnant dans ma tête comme un écho. Ce n'est pas seulement une question de comprendre, de savoir. C'est une question d'accepter ce que tu es, et ce que tu pourrais devenir. Tu peux rester dans ta zone de confort, dans tes théories, ou tu peux franchir cette porte et découvrir ce que les runes, ce que le destin ont à t'offrir.
Je suis emporté par ses mots, et je sais au fond de moi que je suis à un tournant. La vérité, si elle existe, ne se trouve pas dans les réponses. Elle se trouve dans les questions, dans les choix que l'on fait, et dans la manière dont on les vit. Et ce baiser, cet instant partagé, est une invitation à aller plus loin, à embrasser l'inconnu, à plonger dans cette obscurité qui, tout à coup, me semble moins terrifiante et plus libératrice que jamais.
La soirée continue autour de moi, les invités masqués valsant dans une lumière tamisée, une danse macabre sous les chandelles vacillantes, mais je n'y prête plus attention. La musique, les rires, les chuchotements s'éloignent, déformés, comme si le monde autour de moi était soudainement devenu flou. Il n'y a plus que l'ombre de Solveig qui danse dans mon esprit, chaque mouvement qu'elle a fait, chaque parole, chaque regard échangé. Ils flottent dans l'air, se superposent à tout ce que j'ai vu, à tout ce que j'ai entendu. Et il me semble que le temps lui-même s'est suspendu, que le bal a cessé de se dérouler, que tout est devenu une illusion, un songe étrange et insaisissable.
Je la cherche dans la foule, mais elle semble avoir disparu, engloutie par les ombres. Pourtant, son regard demeure avec moi, ancré dans mon esprit comme une brûlure persistante. Il me poursuit, me hante, me transperce de l'intérieur. Cette profondeur, cette lueur presque surnaturelle qu'elle avait dans les yeux, je ne peux m'empêcher de m'y perdre, de m'y noyer. C'est un regard qui semblait tout savoir, un regard qui m'a dénudé sans même que j'en prenne conscience. Elle m'a vu comme personne d'autre ne l'avait fait, elle a déchiffré les fragments de mon âme que j'avais moi-même oubliés. Et, dans un coin de mon esprit, j'ai l'impression qu'elle savait ce que je voulais, mais aussi ce que je redoutais.
Je m'éloigne de la foule, mes pas résonnant dans l'écho de la pièce vide, un écho qui semble se prolonger à l'infini, comme si le temps ne voulait plus avancer. Mon esprit est en tourmente, pris dans un maelstrom de pensées contradictoires. Pourquoi est-ce que je ressens cette étrange agitation, cette force invisible qui tire sur mes entrailles, comme si quelque chose d'indicible se préparait à se dévoiler ? Pourquoi cette rencontre avec Solveig me perturbe-t-elle à ce point ? Est-ce simplement le désir, une simple attraction physique, ou bien y a-t-il quelque chose de plus profond, quelque chose que je refuse d'admettre, que je ne veux pas comprendre ?
Dans l'obscurité de la pièce, je ferme les yeux un instant, essayant de trouver un semblant de calme, mais c'est en vain. Une tension sourde s'est installée en moi, une anxiété grandissante, comme si l'univers tout entier se mettait en place pour me révéler une vérité que je ne suis pas prêt à entendre. Et ce pressentiment, ce malaise indescriptible qui me ronge de l'intérieur, devient de plus en plus insupportable. Le masque de Solveig s'est dissipé dans la foule, mais son image reste ancrée dans ma mémoire, figée comme un miroir brisé, où se reflètent les multiples facettes de ce qu'elle est, mais aussi de ce que je suis. Elle est la clé de quelque chose, je le sais au fond de moi, mais je ne sais pas encore quoi. Peut-être suis-je moi-même la clé qu'elle cherche, l'instrument qui permettra de déchiffrer l'énigme de ma propre existence.
J'ouvre les yeux, et je me retrouve de nouveau face à la foule, mais cette fois-ci, tout me paraît déformé, comme si je n'appartenais plus à cet endroit. Je vois les invités dansants, leurs gestes gracieux, leurs masques cachant leurs identités, mais pour moi, ils sont comme des ombres sans consistance, des êtres dénués de substance. Et moi-même, je me sens comme un spectre parmi eux, un observateur détaché, un acteur qui ne joue plus son rôle, qui ne sait plus qui il est. Le contraste entre la lumière des chandeliers et l'obscurité croissante dans mon esprit est saisissant. Chaque geste, chaque parole échangée, chaque sourire, me semble étranger, dénué de toute vérité. C'est comme si ce bal était une farce, un piège dans lequel je me suis volontairement enfermé.
Je fais un pas en arrière, puis un autre, cherchant à m'éloigner de ce que j'ai vécu. Mais l'image de Solveig me poursuit, encore et encore, comme une ombre insaisissable. Je me retrouve finalement dans un recoin sombre, seul avec mes pensées. L'agitation de la soirée semble s'éloigner, mais le poids de l'atmosphère reste, comme un manteau pesant sur mes épaules. Je me laisse tomber dans une chaise, les mains sur mes genoux, le souffle court. Le rythme effréné de mon cœur me semble trop fort, trop irrégulier, comme un tambour battant la mesure d'un temps que je ne peux contrôler. Il y a quelque chose de violent dans cette agitation, quelque chose de primitif, comme si une force que je n'avais pas anticipée avait pris le contrôle.
Je ferme les yeux de nouveau, me concentrant sur le silence qui règne autour de moi, cherchant à calmer mon esprit. Mais des pensées s'entrelacent, se bousculent, dans une danse désordonnée. Et toujours, l'image de Solveig se dessine devant moi, se superposant à chaque pensée, chaque interrogation. Pourquoi m'a-t-elle parlé de cette dualité ? Pourquoi cette insistance sur la ligne floue entre le bien et le mal ? Est-ce qu'elle savait, avant même que je ne le comprenne moi-même, que cette question me tourmentait ? Et pourquoi cette attirance irrésistible pour elle, cette attraction qui semble m'enchaîner, qui me fait perdre toute raison, toute objectivité ?
Je prends une profonde inspiration, essayant de remettre de l'ordre dans mes pensées. Peut-être est-ce simplement une illusion, un jeu de l'esprit, un reflet d'un désir non assumé. Peut-être suis-je moi-même devenu un sujet d'étude, un cas parmi tant d'autres, comme ceux que j'analyse dans mes cours de psychologie. Mais tout cela me semble insuffisant, insatisfaisant. La vérité que je cherche n'est pas là, elle est ailleurs, enfouie sous des couches que je ne parviens pas à percer.
Une partie de moi se demande si Solveig n'est pas en train de me manipuler, de me pousser à m'interroger sur moi-même pour me dévoiler une facette cachée de mon être, une partie de mon âme que je n'ai jamais voulu explorer. Mais une autre partie de moi, la plus intime, la plus secrète, me dit que c'est peut-être moi qui me suis laissé séduire par l'obscurité qu'elle porte, une obscurité que je reconnais et que je refuse en même temps. Cette rencontre avec elle, cette collision entre deux mondes, a ravivé en moi une part d'ombre que j'avais longtemps ignorée.
Je me lève brusquement, comme si ce mouvement pouvait chasser ces pensées tourmentées. Mais elles sont là, ancrées en moi, indélébiles. Et je sais, au fond de moi, que ce n'est que le début.
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