Chapitre 4
Mes journées en dehors des murs de l'université étaient marquées par une certaine solitude, presque rituelle. Le monde académique avait beau être exigeant et passionnant, j'avais toujours ressenti un besoin intense de silence et d'isolement, comme un équilibre fragile que je m'efforçais de maintenir. Loin de la cacophonie des pensées et des échanges intenses de la salle de cours, la nature m'offrait un refuge où mes idées pouvaient s'épanouir dans une tranquillité rare.
Au petit matin, après avoir pris quelques notes et consigné mes réflexions dans mon journal, je me dirigeais souvent vers les collines et les sentiers de campagne qui entouraient l'université. J'enfilais un manteau sombre, à la fois pour me protéger du vent frais de l'automne et pour me fondre dans les teintes ternes et brumeuses de la nature. Ces moments de solitude m'étaient essentiels. Dans l'atmosphère calme et suspendue de ces bois, j'avais la sensation d'être libéré du poids des regards, libre de penser, d'explorer mentalement des territoires qui, ailleurs, auraient semblé étrangers, voire inaccessibles.
La forêt avait, elle aussi, une ambiance particulière. Les arbres anciens se dressaient comme des gardiens silencieux, formant un sanctuaire naturel où seuls les murmures du vent et le craquement des feuilles sous mes pas venaient briser le silence. Cette forêt était bien plus qu'un simple assemblage d'arbres et de sous-bois ; elle semblait vivante, presque consciente. À chaque promenade, je ressentais cette impression subtile, presque imperceptible, qu'elle m'observait, qu'elle réagissait à ma présence. Peut-être était-ce la disposition particulière des lieux, l'ombre des branches qui s'entremêlaient pour dessiner des formes énigmatiques, ou le parfum humide de la mousse qui semblait venir d'un autre monde.
Là-bas, entre les arbres et la mousse, je me sentais étrangement en harmonie avec moi-même. Comme si chaque pas dans la nature me rapprochait de quelque chose d'invisible, quelque chose que je ne pouvais pas atteindre dans l'agitation humaine. Ce calme amplifiait mes réflexions, et je me retrouvais souvent plongé dans de longues méditations philosophiques, des dialogues intérieurs intenses sur la nature humaine, le mal et le bien, le destin, et même ces zones d'ombre de l'âme que j'explorais avec mes étudiants en cours. J'avais toujours été fasciné par les recoins sombres de l'esprit, les pulsions irrationnelles et les questions de morale qui hantent l'existence humaine.
Je repensais souvent à Nietzsche, à cette idée de l'abîme qui nous regarde lorsque nous le contemplons. Et c'était précisément dans cet endroit, cette forêt enveloppante et mystérieuse, que cette idée prenait tout son sens. J'avais l'impression que la nature elle-même, avec ses mystères et ses cycles inévitables, contenait une sagesse brute, une vérité que les livres et les théories académiques ne pourraient jamais complètement saisir. En marchant dans ces sentiers sinueux, je me rappelais que nous ne sommes jamais qu'une infime partie d'un tout bien plus vaste, et que cette réalité, ce « tout » que nous effleurons à peine, est infiniment plus complexe et plus insaisissable que nous ne le croyons.
Ce n'était pas rare que ces balades me conduisent au bord d'un lac caché entre les collines. Je m'asseyais souvent sur un vieux rocher près de l'eau, observant la surface immobile, comme un miroir reflétant mes pensées les plus profondes. L'eau calme me fascinait, en elle résidait quelque chose d'insondable, un abîme tranquille qui ressemblait à la forêt elle-même. Je me surprenais parfois à m'adresser au silence du lac, comme si mes mots pouvaient pénétrer son mystère.
- Quel est le sens de tout cela ? murmurais-je souvent. Que signifie réellement cette recherche de vérité, cette plongée dans l'âme humaine ? Est-ce que les réponses que je trouve, ou que je pense trouver, m'éloignent encore plus de ce que je cherche ?
Le silence, bien sûr, demeurait la seule réponse. Mais il n'y avait là rien de décevant ; au contraire, ce mutisme de la nature accentuait l'idée que certaines choses ne peuvent être comprises ou expliquées. Elles existent, elles sont. Et c'était peut-être là toute la beauté du mystère : l'idée même qu'une réponse absolue n'existe pas.
Parfois, mes pensées dérivaient jusqu'à Solveig, cette étudiante énigmatique qui, elle aussi, semblait incarner cette part d'ombre et de mystère que je retrouvais dans la forêt et le lac. Solveig avait quelque chose d'insondable, comme ces eaux obscures ou comme les sentiers qui disparaissent dans la pénombre des arbres. Elle n'était pas une énigme à résoudre mais une présence à appréhender, une réalité complexe que je pressentais à peine, et que j'étais pourtant irrésistiblement attiré à comprendre.
Au retour de mes promenades, je me sentais souvent renouvelé, prêt à replonger dans mes recherches et mes cours avec un esprit apaisé et curieux. Je savais que chaque jour passé ici m'apporterait de nouvelles réflexions, de nouveaux questionnements, peut-être de nouvelles réponses - et probablement davantage de mystères.
L'après-midi s'étendait en un silence presque surnaturel alors que je pénétrais dans la forêt, un refuge isolé, loin des pensées intrusives et des visages. Les arbres semblaient former un rempart naturel, se refermant derrière moi à mesure que j'avançais, me laissant seul dans un monde où l'obscurité et la lumière se disputaient les brèches entre les branches. Les pins et les hêtres, imposants et anciens, se dressaient comme des piliers, formant une cathédrale d'ombres et de formes mouvantes, laissant juste assez de clarté pour avancer mais jamais assez pour dissiper totalement le mystère des lieux.
Chaque pas enfonçait davantage mes pensées dans une introspection profonde, un plongeon au cœur de mes propres interrogations. La rune apparue sur mon bureau, gravée comme un message secret, hantait mon esprit depuis cette découverte étrange. Quelle main avait laissé cette marque ? Et pourquoi la rune du destin, celle qui, dans la culture nordique, représente l'idée d'héritage, de liens inévitables entre les générations et de secrets profondément enracinés ? Était-ce Solveig ? L'éventualité m'obsédait ; et pourtant, cela semblait absurde, presque irréaliste.
L'idée qu'elle puisse être impliquée dans cette inscription - qu'elle ait conscience d'une sorte de secret ancestral que je ne comprenais pas encore - réveillait en moi un frisson d'excitation mêlé d'inquiétude. Qu'est-ce qu'elle sait ? Pourquoi s'intéresse-t-elle tant aux runes, aux mythes et à cette idée de destin ? Des questions incessantes, entêtantes, se frayaient un chemin dans ma tête.
Je m'arrêtais près d'un tronc abattu, m'adossant à sa surface rugueuse. La forêt amplifiait le silence ; il semblait que même les oiseaux évitaient cet endroit, me laissant seul avec mes propres pensées. Sous les frondaisons, entouré par ces géants de bois et de mousse, je sentais les limites de ma logique se dissoudre.
Et c'est alors que je laissai mes pensées dériver vers Solveig. Solveig... Ce prénom, murmurait une musique à la fois douce et inquiétante. Quel rôle jouait-elle vraiment dans ce jeu d'ombres ? Était-elle simplement une étudiante curieuse, attirée par des sujets que peu osaient explorer, ou bien y avait-il quelque chose de plus profond, de plus ancien ? Et pourquoi cette impression de la connaître au-delà des mots, comme si un lien insaisissable nous unissait déjà, avant même nos premiers échanges ?
- Qui es-tu, Solveig ? murmurai-je, comme si mon souffle pouvait franchir la distance, retrouver ce regard énigmatique qui s'était gravé en moi.
Mais la forêt, fidèle à elle-même, gardait le silence. Dans cet instant de calme, l'idée que la réalité pourrait dépasser mes attentes académiques prit racine. Et si les symboles nordiques, ces mystères et cette aura quasi mystique n'étaient pas que des éléments de culture et de mythologie, mais bien une force vivante, à l'œuvre même ici, dans ce lieu ?
Je repensais aux paroles de Solveig, à ce qu'elle m'avait confié sur l'université, sur les « secrets que peu peuvent comprendre ». Elle semblait en savoir beaucoup plus que ce que l'on enseigne dans les cours habituels. J'avais vu en elle une curiosité intense, une intuition presque inhumaine, comme si elle percevait quelque chose que les autres ignoraient - une vérité dissimulée juste sous la surface de notre monde rationnel.
Perdu dans cette réflexion, une autre pensée plus intime, presque inconfortable, fit surface : Solveig elle-même, cette étudiante troublante, semblait réveiller quelque chose en moi, quelque chose que j'avais toujours évité, toujours jugé comme une frontière que je ne devais pas franchir. Mais chaque mot qu'elle prononçait, chaque regard appuyé, semblait ouvrir une porte en moi que je n'étais pas sûr de vouloir refermer.
- Et si tout ceci n'était pas un hasard ? murmurais-je, me surprenant de cette pensée.
Il était rare que je m'autorise ce genre de question. En tant que philosophe, je m'étais toujours efforcé de penser de manière méthodique, d'organiser les idées et de poser les concepts avec rigueur. Et pourtant, dans cette forêt, entouré de ces arbres millénaires, une nouvelle forme de pensée semblait émerger, presque instinctive, comme une réponse à une part plus primitive de moi-même.
Je pris une profonde inspiration, laissant l'air frais de la forêt remplir mes poumons, chasser le trouble qui m'envahissait. Mes pensées revenaient encore et encore à cette idée d'héritage, de destin, que symbolisait la rune gravée sur mon bureau. Était-il possible qu'il y ait des forces à l'œuvre dont je n'avais jamais soupçonné l'existence, des liens invisibles qui reliaient les âmes et les vies bien au-delà de ce que la logique peut concevoir ?
Et tandis que je reprenais ma marche, une nouvelle certitude se fraya un chemin en moi. J'étais lié à cet endroit, à cette université et, étrangement, à cette forêt. Et peut-être même à Solveig.
Alors que mes pas ralentissaient sur le sentier, je la vis. Elle se tenait là, légèrement en retrait, presque absorbée par l'ombre des arbres qui l'entouraient. Solveig. Sa silhouette se détachait à peine des troncs sombres, à moitié dissimulée par la végétation, comme si elle faisait partie de ce lieu. À cette distance, elle semblait irréelle, presque éthérée, comme un rêve éveillé ou un mirage qui s'offrait à moi.
Je ne pus m'empêcher de m'avancer, bien que le mystère de sa présence ici, dans cet endroit isolé, ajoutait à mon trouble. Était-ce une simple coïncidence ? Une rencontre fortuite ? Non, tout en elle dégageait une intention.
―Solveig, tu es là ? soufflai-je, comme si j'avais peur de la voir disparaître dans un éclat d'ombre et de lumière.
Elle esquissa un sourire léger, presque imperceptible, avant de me répondre, sa voix semblant se fondre dans le bruissement des feuilles autour de nous.
― Je savais que tu viendrais, Hakon. Cet endroit a quelque chose qui te ressemble, n'est-ce pas ?
Ces mots, simples en apparence, me frappèrent comme une évidence. Oui, cet endroit, ce lieu à l'atmosphère presque mystique, me semblait étrangement familier, comme si je retrouvais un fragment de moi-même que j'avais longtemps ignoré. Mais comment pouvait-elle le savoir ? Comment pouvait-elle saisir, avec une telle clarté, ce que je ressentais au plus profond de mon être ?
― C'est... une paix étrange, un retour à une simplicité presque brute, répondis-je, essayant de mettre des mots sur cet attachement que j'éprouvais pour la nature, pour cet environnement solitaire.
Elle acquiesça, ses yeux scrutant les miens avec une intensité presque désarmante. Sa présence elle-même me semblait enveloppée d'un voile de mystère, comme si elle détenait des réponses que je ne pouvais qu'entrevoir, mais jamais atteindre. Et dans ce regard, je sentis qu'elle m'observait, qu'elle devinait bien plus que ce que je ne pouvais dire.
―Tu cherches quelque chose, n'est-ce pas ? dit-elle doucement, ses paroles résonnant comme une évidence troublante.
Je demeurai silencieux, pris au dépourvu par la justesse de sa remarque. Oui, je cherchais quelque chose, mais quoi ? Un sens, une vérité cachée derrière les apparences ? Ou étais-je simplement attiré par le mystère, par cette ombre inexplorée de l'existence qui semblait m'appeler depuis notre première rencontre ?
― Je... je ne sais pas. Peut-être que je cherche à comprendre ce qui se cache derrière le masque de la réalité. Peut-être que je veux simplement savoir, même si cela doit m'effrayer, murmurai-je, laissant échapper ces pensées qui me hantaient depuis des années.
Solveig eut un léger rire, un son à la fois doux et perçant, comme si elle avait perçu quelque chose de plus profond que mes mots.
― La vérité n'est pas toujours là où l'on pense la trouver. Parfois, elle se cache dans les recoins sombres, dans ce que l'on préfère ignorer, répondit-elle, son regard se posant sur les arbres qui nous entouraient.
Son ton avait quelque chose de prophétique, comme si elle connaissait des secrets auxquels je n'avais pas accès. Et je ne pus m'empêcher de ressentir une fascination grandissante, mêlée d'une pointe de crainte. Qui était-elle, vraiment ? Comment pouvait-elle sembler en savoir autant sur moi, anticipant même mes pensées, mes questionnements ?
Je pris une inspiration, tentant de maîtriser cette alchimie étrange qui naissait entre nous. Sa présence avait un effet enivrant, mais elle éveillait aussi un malaise, un sentiment que quelque chose d'inexplicable se tramait dans l'ombre.
―Solveig, pourquoi t'intéresses-tu autant à moi ? demandai-je, ma voix trahissant une curiosité mêlée d'appréhension.
Elle s'approcha lentement, ses mouvements empreints d'une grâce subtile, et posa une main légère sur mon épaule. Le contact fut à la fois tendre et intense, et je sentis un frisson traverser mon corps.
―Parce que tu fais partie de ce lieu, Hakon. Même si tu l'ignores encore, même si tu résistes, tu as toujours été lié à cet endroit. C'est ici que tu trouveras les réponses que tu cherches, si tu oses aller au-delà de ce que tu crois connaître.
Ses paroles, imprégnées de mystère, résonnaient en moi comme un écho lointain, une promesse voilée d'une vérité encore inaccessible. Elle semblait me connaître d'une manière que personne d'autre n'avait jamais osé prétendre. Et dans ses yeux, je devinais une profondeur insondable, une connaissance que je ne pouvais que frôler du bout des doigts.
―Et toi, Solveig, que cherches-tu ? Pourquoi sembles-tu être partout où je vais ?
Elle sourit de nouveau, mais cette fois, son sourire était teinté de quelque chose de plus sombre, de plus intime, comme si elle portait en elle des secrets qu'elle refusait de révéler entièrement.
― Peut-être que nous suivons tous deux un chemin invisible, un chemin que les autres ne peuvent voir, répondit-elle, sans répondre vraiment à ma question.
Cette réponse m'énervait autant qu'elle me fascinait. Mais je savais que je ne pouvais pas la forcer à en dire plus. Elle avait cette manière de jouer avec les mots, de distiller juste assez d'énigmes pour attiser ma curiosité sans jamais m'offrir de réponses claires. Et alors qu'elle se retirait, rompant doucement le contact, elle me fixa une dernière fois.
― N'oublie pas, Hakon, les réponses ne sont pas toujours dans les livres ni dans les raisonnements. Parfois, elles se cachent dans le silence, dans ce que l'on refuse de voir.
L'obscurité des bois autour de nous accentuait l'intensité de notre échange, chaque mot semblant flotter dans l'air dense. Solveig et moi avancions dans notre discussion comme deux voyageurs explorant une constellation inconnue. Elle parlait des mystères de l'univers avec une sagesse qui dépassait son âge. Sa voix s'apparentait à un murmure, une onde profonde et magnétique qui résonnait en moi comme les échos d'étoiles lointaines.
―Les étoiles, dit-elle en levant doucement les yeux vers le ciel invisible sous la voûte dense des arbres, elles nous parlent de temps et de matière, de forces qui s'entrecroisent pour former des mondes et des destins. Tout comme nous, elles sont liées par des fils invisibles, tirées vers des collisions et des séparations, exactement comme les êtres humains. Elles naissent, vivent, explosent et se consument, laissant dans leur sillage une lumière qui persiste bien au-delà de leur existence.
Ses paroles semblaient échapper à une explication ordinaire ; elle m'attirait vers une réflexion plus large, plus vaste. Les supernovas, ces instants d'éclat ultime dans la vie d'une étoile, ne représentaient-elles pas les grandes transformations de notre existence ? Nous nous approchions, chacun comme un astre, s'observant à la fois de loin et de près, et j'étais happé par cette gravité invisible qui m'attirait vers elle.
Je sentis sa main glisser sur mon épaule, légère mais ferme, comme pour m'ancrer dans cette métaphore cosmique qu'elle tissait entre nous. Mes yeux plongèrent dans les siens, où dansait une lumière sombre, semblable aux galaxies lointaines qui paraissent vides mais recèlent une énergie infinie. Elle se tenait si proche de moi que je pouvais percevoir les reflets de son regard et le léger frémissement de ses lèvres, ses mots porteurs d'un mystère insondable.
―Penses-tu, Hakon, que nous sommes simplement des poussières d'étoiles, égarées dans l'immensité, ou bien est-il possible que nous soyons liés par un dessein bien plus vaste ? Peut-être sommes-nous, toi et moi, les fragments d'une supernova qui a explosé il y a des millénaires.
Ces mots, murmurés presque à même ma peau, éveillèrent en moi un frisson irrésistible. Ses mains étaient maintenant posées sur mes épaules, son regard ancré dans le mien comme pour m'attirer dans cet abîme de significations. Son visage s'approcha de quelques centimètres encore, et je sentis son souffle effleurer mes lèvres, une proximité presque insupportable tant elle portait une promesse implicite, quelque chose de plus grand que nous, de cosmique et de terrestre à la fois.
Ses doigts, fins mais assurés, me tenaient avec cette retenue calculée, comme si elle savait que toute impulsion trop vive risquerait de rompre cet instant suspendu. Solveig, malgré sa petite taille rehaussée par des bottes à talon, semblait dominer cet échange avec une puissance douce et étrange. Son regard ne quittait pas le mien, et dans cet échange de regards, il y avait une question non formulée, une tension retenue qui transperçait chaque fibre de mon être.
À quelques millimètres de moi, son visage resta en suspension un instant, ses lèvres frôlant presque les miennes, avant qu'elle ne murmure, dans un souffle à peine audible :
― Nous sommes plus proches des étoiles que tu ne le crois, Hakon. Souviens-toi de cela.
Puis, sans un mot de plus, elle s'éloigna, glissant silencieusement dans l'ombre comme un rêve qui s'évanouit avec les premiers rayons du jour. Je restai là, figé, troublé par cette proximité éphémère mais infiniment puissante. Mon esprit vacillait entre fascination et appréhension. Solveig m'avait laissé une impression indélébile, et son énigme, encore plus impénétrable qu'auparavant, continuait de résonner en moi, comme l'écho d'un astre disparu, traversant le vide du cosmos pour venir murmurer des vérités anciennes et inconnues.
De retour chez moi, le poids de cette rencontre planait dans l'air, imprégnant chaque recoin de ma demeure. L'obscurité de la soirée se mêlait aux ombres de mon esprit, éveillées et amplifiées par la présence énigmatique de Solveig. Ses paroles, ses regards, même la chaleur subtile de ses mains sur mes épaules, tout revenait en un flux ininterrompu, comme un rêve persistant dont je ne pouvais me défaire.
Je m'assis dans mon fauteuil habituel, entouré de mes livres et de ce silence rassurant. Pourtant, ce soir-là, ce refuge me paraissait différent, comme s'il avait été envahi par une présence invisible. Solveig était là, quelque part, éthérée mais tangible dans le monde de mes pensées. Je pris mon journal et, d'un geste hésitant, commençai à écrire, espérant clarifier ce trouble intérieur.
―Pourquoi elle ? murmurai-je dans le silence, essayant de donner un nom à ce mystère.
Solveig... Son visage s'imposait dans mon esprit, mais ce n'était pas qu'une question d'apparence. Son regard avait une profondeur qui transcendait le temps et l'espace. Une infinité d'émotions et de questions me traversaient en même temps. Mon attirance pour elle, je la ressentais, aussi vive qu'incompréhensible, presque inquiétante dans sa force. Et ce n'était pas une simple fascination, ni même une admiration pour son intelligence ou sa beauté. Non, c'était bien plus insidieux que cela, comme si elle avait éveillé en moi un écho d'une existence passée, d'un autre moi-même, d'une vérité que je n'avais pas encore pleinement saisie.
― Est-elle un miroir, un fragment de mes propres ombres ? pensai-je, en griffonnant sans cesse sur le papier.
Les mots se succédaient, cherchant à percer les frontières de ma conscience. J'avais étudié la psychologie criminelle, disséqué les profondeurs de l'âme humaine, exploré les recoins sombres de la psyché. Mais ici, face à cette jeune femme, tout ce savoir se dérobait, comme si je me trouvais face à une entité qui défiait mes connaissances, quelque chose d'à la fois familier et étranger. Était-ce l'inconnue qui m'attirait ? Cette façon qu'elle avait de se fondre dans mes pensées, de me comprendre presque trop bien, d'anticiper mes réactions...
Au bout de quelques minutes, mon écriture s'interrompit, et je posai ma plume. Les mots ne suffisaient plus. Il fallait admettre cette réalité : Solveig était devenue une obsession. Un murmure sourd dans mon esprit me disait qu'il y avait là quelque chose de plus profond que l'attirance physique ou l'intérêt intellectuel. Une connexion d'un autre ordre, quelque chose qui dépassait l'entendement rationnel, qui frôlait l'irrationnel, voire le mystique.
En quête de réponses, je me levai et arpentai la pièce, le regard rivé sur les murs couverts de livres. Je tirai quelques ouvrages sur la symbolique, sur les archétypes, sur la place de l'inconscient dans nos désirs et nos peurs. Tout ce que j'avais appris me semblait maintenant inadéquat, limité face à la réalité déroutante de cette rencontre. Je sentais pourtant que c'était dans cette direction qu'il me fallait creuser : dans ce lien mystérieux entre les symboles et l'inconscient, entre les anciens mythes nordiques et les ombres de notre âme.
Puis une pensée jaillit, cristalline, et j'attrapai mon journal pour y inscrire ce constat troublant :
― Solveig, es-tu une figure de mon destin, ou bien une épreuve que je dois traverser ?
Ces mots, inscrits noir sur blanc, me semblèrent porteurs d'une vérité inconnue. Depuis notre première rencontre, elle semblait comme dessinée par une main invisible pour croiser mon chemin, une épreuve, une énigme, un miroir. Tout dans ses regards et ses mots m'incitait à me questionner sur moi-même, sur mes limites, sur mes désirs et mes peurs les plus enfouis.
Je me souvenais des enseignements que je donnais à mes étudiants, des notions de libre-arbitre et de déterminisme, de cette zone floue entre ce que l'on choisit et ce qui nous est imposé par les forces extérieures, les héritages culturels, les croyances et les symboles qui façonnent notre inconscient. Solveig... Était-elle un choix ou une fatalité ? Une possibilité ou une obligation inscrite dans le tissu même de mon existence ?
Soudain, dans un élan de lucidité, je murmurai :
― Non, il ne s'agit pas d'elle. C'est de moi qu'il est question. De ce que je vois en elle.
Je posai le journal, ma main tremblante sous l'effet de cette révélation partielle. Solveig n'était peut-être qu'une clef, une porte vers un espace intérieur que je n'avais jamais exploré auparavant. Elle représentait tout ce que je n'avais pas osé affronter : mes propres secrets, mes aspirations refoulées, mes peurs silencieuses.
Un frisson me parcourut, et je réalisai que cette quête n'était pas sans danger. Solveig, sans même le savoir, me conduisait dans un labyrinthe où je risquais de me perdre moi-même, d'y découvrir des fragments de moi que je n'étais peut-être pas prêt à affronter. Mais le désir, cette curiosité irrépressible, cette soif de comprendre, continuait de me pousser vers elle, tel un astre attiré par une gravité inexorable.
À cette pensée, je sentis un étrange mélange d'appréhension et d'excitation. Solveig, cette jeune femme à la fois énigmatique et terriblement humaine, n'était pas simplement une étudiante parmi tant d'autres. Elle était mon miroir, un fragment de l'inconnu, et je me retrouvais incapable de détourner le regard, pris dans ce jeu de reflets infinis.
Avant de refermer mon journal pour la nuit, je griffonnai ces quelques mots :
― Il y a des rencontres qui déchirent le voile de l'ordinaire, des regards qui révèlent la part cachée de notre être. Solveig est l'une de ces rencontres. Et je sens que ce n'est que le début.
Cette nuit-là, le sommeil se fit attendre, et quand il m'envahit enfin, ce fut un assaut de visions troublantes qui m'emporta. Les ténèbres m'engloutirent, profondes, viscérales, jusqu'à ce que surgissent des éclats de lumière incandescents : des runes, partout, se formant et se dissolvant dans le néant. Chacune d'elles semblait vivante, vibrant d'une force que je ressentais jusque dans mes entrailles. Puis les images défilèrent, floues, saccadées, comme si je regardais à travers un voile déformant. Je distinguais des visages, mais sans pouvoir les saisir, des mouvements de fuite, des cris étouffés, et quelque chose d'indistinct, tapi dans l'ombre, comme une bête en attente de son heure.
Les scènes s'enchaînaient, déconnectées mais empreintes d'une intensité sauvage. Un frisson glacé parcourut ma peau. Une de ces visions, plus vive que les autres, s'attarda :
ᛟ
La rune Othala, gravée dans la pierre, pulsant faiblement, comme une marque laissée par quelque force antique. Autour de moi, les contours de la forêt se dessinaient, mais elle n'était pas comme je la connaissais ; les arbres semblaient gigantesques, menaçants, comme s'ils avaient absorbé la noirceur même de la terre. Le vent hurlait, portant des murmures indéchiffrables. J'avais l'impression d'être observé, cerné par quelque chose de plus grand, d'invisible, qui m'enveloppait, me paralysait, me possédait.
Je tentais de parler, de rompre ce silence oppressant, mais aucun son ne sortait. Les mots restaient coincés dans ma gorge, étouffés par une terreur sourde. Puis soudain, je vis Solveig, telle une apparition à peine perceptible, mais ses yeux... ils brillaient d'un éclat intense, scrutant au plus profond de moi, traversant mes défenses avec une facilité déconcertante. Elle se tenait là, immobile, comme une ombre parmi les ombres, et je sentis son regard comme une lame acérée, s'insinuant dans mon esprit, sondant mes secrets les plus enfouis.
―Pourquoi êtes-vous ici ? voulus-je lui demander, mais rien ne sortit. Mon esprit semblait prisonnier de ces images, de cette force indéfinissable.
Le rêve s'acheva brutalement, me laissant dans le silence assourdissant de ma chambre, où seuls mes battements de cœur rompaient la tranquillité de l'aube naissante. Je me redressai, tremblant, la respiration haletante, comme si j'avais échappé à une étreinte invisible. Un malaise diffus persistait, et mon esprit peinait à retrouver son équilibre. Ce rêve... Il n'avait rien d'ordinaire. Il ne ressemblait en rien à ces divagations nocturnes qui, habituellement, se dissipent au réveil. Non, cette vision me laissait une marque indélébile, un poids dans la poitrine, une certitude obscure que quelque chose, quelque part, avait été réveillé.
Je me levai, cherchant un point d'ancrage dans la réalité, mais tout me paraissait étrangement flou. L'air lui-même semblait lourd, chargé d'une tension que je n'arrivais pas à dissiper. Je m'approchai de la fenêtre, espérant que la vue du monde extérieur atténuerait le tumulte en moi. Mais même la lumière douce du matin me paraissait terne, comme voilée par une brume invisible.
Je murmurai, presque pour moi-même :
―Pourquoi toi, Solveig ? Pourquoi es-tu partout où je vais, même dans mes rêves ?
Cette question restait suspendue dans l'air, sans réponse, accentuant davantage mon désarroi. Il y avait quelque chose chez elle, quelque chose d'indescriptible, de dangereux, qui déjouait mes défenses et infiltrait mes pensées. C'était comme si elle possédait une clef, non seulement de mes secrets mais aussi de mes peurs, de mes désirs, de ces parties de moi que j'avais soigneusement occultées.
Je sentais l'influence de Solveig s'insinuer en moi, une force étrange qui semblait m'attirer, m'envelopper, m'absorber. Était-ce simplement une fascination irrationnelle ? Un jeu de l'esprit, une répercussion des mystères que j'avais évoqués dans mes cours ? Ou y avait-il quelque chose de plus ancien, de plus profond, une vérité qui m'échappait encore ?
Mes pensées tourbillonnaient, oscillant entre peur et curiosité. Je tentais de rationaliser, d'utiliser mes connaissances en psychologie pour donner sens à cette expérience. Peut-être Solveig représentait-elle une sorte d'archétype, un symbole des ombres que je n'avais jamais affrontées. Elle était à la fois un mystère à résoudre et un défi à surmonter. Mais pourquoi cette intensité, cette obsession presque palpable ?
Dans un dernier élan d'espoir, j'attrapai mon journal et y écrivis quelques mots, comme pour dompter le chaos intérieur.
"La nuit m'a pris dans ses bras glacés, m'étreignant de ses ombres mouvantes, m'entraînant dans un abîme où les runes sont des étoiles perdues, scintillant dans l'obscurité d'une conscience sans repères. J'ai cru voir le ciel se déchirer en fragments, des symboles anciens tombant comme des météores dans ma solitude. Et Solveig... Elle est là, une comète fugace, illuminant de sa lueur énigmatique ce qui aurait dû rester dans les ténèbres. Ses yeux sont des puits sans fond, reflétant non pas ce qui est, mais ce qui pourrait être, ce qui demeure caché au-delà du voile de la réalité. Je suis prisonnier de cette lumière, la même lumière qui éclaire les mystères de l'univers, mais qui me brûle, me consume. Elle est le vent qui fait vaciller la flamme de ma compréhension, et dans son souffle je trouve la certitude de l'inconnu.
Et pourtant, cette brûlure est douce, comme la chaleur d'une étoile mourante, dont la lumière, bien que déclinante, semble plus intense. Est-ce que je suis attiré par son ombre, ou par la promesse d'un savoir ancien qu'elle porte en elle, comme un secret enfoui dans la terre ? Dans le sillage de Solveig, je m'égare. Je suis un navigateur sans boussole, dérivant vers une mer obscure où le destin, comme une rune gravée sur une pierre ancienne, semble s'offrir à moi, tout en restant hors de portée. Chaque moment passé à la chercher dans mes pensées me rapproche de ce vide immense, et pourtant, c'est ce vide qui m'appelle.
Solveig. Tu es à la fois mon énigme et ma quête. Quelle que soit ta nature, je sais que je dois te comprendre pour mieux me comprendre moi-même. "
Je posai la plume, fixant ces mots d'une intensité presque douloureuse. Cette attirance inexpliquée que je ressentais, aussi irrationnelle soit-elle, me poussait à dépasser mes propres limites, à explorer des aspects de moi-même que je n'avais jamais osé toucher. Solveig avait réveillé en moi une soif, une faim qui me hantait désormais, me poussant dans une direction inconnue, incertaine, mais irrésistiblement captivante.
Peut-être que tout ceci n'est qu'une quête sans fin, une danse entre lumière et ombre, où les vérités que je cherche sont déjà enfouies dans les profondeurs de mon esprit, et que Solveig, comme une étoile filante, est simplement le miroir de mes propres ténèbres, m'invitant à plonger dans l'inconnu.
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