Chapitre 3
Je me réveillai lentement, tiré du sommeil par les premières lueurs du matin qui filtraient à travers les rideaux lourds de ma chambre. Une douce lumière diffusait dans la pièce, jouant sur les murs et le plancher de bois, créant des ombres mouvantes qui dansaient sur les étagères et les objets anciens. L’air était frais, chargé de cette odeur indéfinissable de vieux bois et de papier qui me rappelait à chaque instant la mémoire des murs qui m’entouraient, comme si ma maison elle-même contenait les souvenirs de ceux qui y avaient vécu avant moi.
Je m’étirai lentement, prenant un moment pour laisser mes yeux parcourir le décor familier de mon espace. Mon regard se posa sur les étagères qui couraient le long des murs de la bibliothèque, chacune remplie de livres soigneusement sélectionnés au fil des ans, œuvres anciennes et modernes, des volumes reliés de cuir, leurs tranches dorées ou usées trahissant leur âge et l’usage que j’en faisais. Au centre de la pièce trônait mon fauteuil de cuir brun, vieilli et patiné par les heures passées à m’y enfoncer, un livre ou mon journal en main. C’était là que je me retirais pour lire, réfléchir, ou coucher mes pensées sur le papier, souvent jusqu’à ce que les premières lueurs de l’aube percent l’obscurité.
Mon reflet dans le miroir près de la fenêtre me rappela soudain que je devais me préparer pour la journée. Je m’approchai et m’observai, détaillant mon visage avec une attention nouvelle, comme pour chercher à comprendre ce que les autres pouvaient y lire. Mes yeux, d’un bleu profond, me fixaient intensément, capturant la lumière de la fenêtre d’une manière qui leur donnait presque un éclat étrange, quelque chose d’à la fois lumineux et indéchiffrable. Ils étaient souvent la première chose que l’on remarquait chez moi, peut-être parce qu’ils semblaient refléter une profondeur, un espace de contemplation qui échappait aux autres. Mon visage, bien que jeune, portait parfois une gravité qui trahissait les années de réflexion et d’observation, des traits nets et francs, sans la moindre trace de barbe, ce qui renforçait un aspect à la fois intemporel et pourtant résolument vivant.
Mes cheveux, mi-longs et naturellement bouclés, encadraient mon visage de manière un peu désordonnée. Leur couleur brun foncé attrapait par endroits la lumière, créant des reflets qui oscillaient entre le brun profond et le châtain clair. Cette apparence donnait à mes traits un aspect à la fois naturel et indompté, comme si je portais sur moi quelque chose de l’esprit sauvage des terres nordiques dont je m’étais inspiré dans mes recherches. J’avais souvent l’impression que ce visage que je renvoyais ne me représentait qu’en partie – qu’il cachait une complexité, une profondeur intérieure que seuls certains savaient entrevoir. L’image que j’offrais au monde n’était qu’une surface, derrière laquelle se jouait un monde de pensées et d’interrogations sans fin.
Après m’être habillé d’un pantalon sombre et d’un pull en laine épais, je fis une pause, laissant mon regard errer sur les objets épars de la bibliothèque. En passant devant mon bureau, mon journal m’attira comme un aimant, ses pages ouvertes attendant que j’y verse mes pensées matinales. Je pris le temps de m’y installer, la plume en main, avant de m’abandonner à l’acte d’écrire, trouvant dans cet exercice une forme de méditation qui me connectait profondément à moi-même.
Je laissai la plume courir sur le papier, comme si elle savait instinctivement ce que j’avais besoin d’exprimer :
« J’ai rencontré Solveig. Et depuis, un tumulte silencieux ne me quitte pas. Qui est-elle, cette énigme vivante ? En quelques mots, elle a éveillé en moi des questions que je croyais éteintes. Ce trouble qu’elle me laisse… est-ce simplement la fascination pour une âme singulière, ou la manifestation d’une quête plus profonde ? »
Je m’interrompis un instant, réfléchissant aux résonances de cette rencontre. Solveig semblait incarner quelque chose de plus vaste, presque symbolique, comme un écho des mythes nordiques que j’avais tant étudiés. Il y avait, dans sa manière d’être, une intensité et une connaissance intuitive qui évoquaient la présence d’une sagesse ancienne. Cette profondeur la plaçait en dehors du cadre habituel, comme si elle était une passeuse de secrets, et non une simple étudiante.
Je continuai d’écrire, cette fois en me laissant aller à des réflexions plus philosophiques :
« Qu’est-ce qui fait qu’un être humain nous trouble à ce point ? Est-ce sa singularité, sa capacité à révéler en nous ce que l’on ignorait ? Je suis philosophe, mais face à elle, une autre science s’invite dans mes pensées, celle de la psychologie des profondeurs, là où se cache le désir, la peur, l’inconscient même. Elle me pousse à me questionner sur ma propre quête de vérité. Y a-t-il un point où la philosophie et la psychologie se rejoignent, un seuil où l’intellect rencontre l’âme dans toute sa complexité ? »
Ce besoin de comprendre, ce désir de creuser, de fouiller les tréfonds de l’âme humaine, me hantait depuis toujours. Solveig, par son seul regard, semblait avoir réveillé cette soif inassouvie d’exploration. Était-elle la clé d’un mystère plus grand que celui de la simple relation professeur-élève ? Une part de moi voulait croire que oui. Mais une autre part, plus rationnelle, tentait de tempérer cette fascination. J’étais conscient des limites à ne pas franchir, de l’espace qui devait rester entre nous. Pourtant, cette frontière me semblait soudain bien fragile, presque illusoire, face à la force d’attraction qu’elle exerçait sur mon esprit.
En fermant mon journal, je pris un moment pour relire mes mots, comme pour ancrer en moi la réalité de ces pensées et de ce trouble. L’image de Solveig me revenait, persistante, insaisissable. Cette première rencontre avait fait naître en moi des questionnements qui allaient bien au-delà de ce que j’aurais pu anticiper en arrivant ici.
Un léger sourire se dessina sur mes lèvres, tandis que je réalisais que ce n’était là que le début. Solveig n’était pas une énigme que l’on pouvait résoudre en quelques instants, en quelques mots. Elle incarnait un défi à la fois intellectuel et émotionnel, un chemin mystérieux, parsemé d’ombres et de secrets. Et je sentais au plus profond de moi que je n’avais pas d’autre choix que de m’engager sur ce chemin, d’affronter les zones d’ombre qu’elle semblait m’indiquer.
La lumière du matin se faisait plus vive, rappelant à la réalité des obligations qui m’attendaient, mais mes pensées demeuraient ancrées dans cet échange. Solveig représentait peut-être bien plus qu’une simple rencontre. Peut-être, en elle, allais-je trouver une réponse, ou au contraire, ouvrir une porte vers de nouvelles questions, des questions auxquelles je ne pourrais répondre seul.
Après avoir refermé mon journal et laissé mes pensées se calmer, je décidai de sortir. Mon esprit était encore embué par mes réflexions sur Solveig, mais je savais que j'avais besoin de me plonger dans mes préparations de cours pour ne pas perdre le fil de mes responsabilités. Le quartier avait son charme tranquille, et j'appréciais particulièrement de m'y rendre, surtout pour passer un moment dans la petite librairie-café nichée au coin de la rue. L’endroit avait ce calme apaisant, propice à la réflexion, où je pouvais toujours trouver des ouvrages rares et stimulants.
En franchissant le seuil, une légère cloche tinta, m'accueillant dans une atmosphère feutrée et chaleureuse. Des étagères de bois sombre longeaient les murs, recouvertes de livres de tous genres. Je m’approchai directement de la section consacrée aux mythes et symboles nordiques, en quête d'inspiration. Mes doigts glissèrent le long des reliures, touchant un livre ancien consacré aux runes nordiques. La couverture, ornée de gravures dorées effacées par le temps, évoquait la magie et le mystère – des thèmes que je souhaitais explorer davantage dans mes prochains cours.
Je m'installai dans un coin isolé, ouvrant le livre tout en m’imprégnant de l'odeur envoûtante du café fraîchement moulu qui flottait dans l'air. J'avais pris un café noir, que je sirotais en silence, me plongeant dans les mots anciens qui décrivaient les runes, leur symbolique et leur lien avec des forces invisibles. Ces symboles n'étaient pas simplement des lettres ; ils portaient en eux une sorte de sagesse ancestrale, un lien avec l'inconnu, avec des forces obscures que l'on ne peut ni expliquer ni maîtriser pleinement.
Feuilletant les pages, je tombai sur un passage décrivant le rôle des runes dans les rituels de divination : elles n’étaient pas seulement des moyens d’écriture, mais des portails vers des vérités cachées, des fragments d’un savoir que seuls les initiés pouvaient comprendre. Cette idée me fascina, et je commençai à réfléchir à la manière d'introduire cette notion auprès de mes élèves, leur offrant une perspective nouvelle. Plutôt que de simples outils pour communiquer, les runes pouvaient être présentées comme des symboles de l'invisible, des rappels du lien entre le conscient et l'inconscient, entre l'homme et ce qu'il ne peut saisir qu’à travers le prisme de la métaphysique.
Alors que je réfléchissais à ces idées, je me mis à noter quelques phrases dans un carnet que je gardais toujours avec moi :
— L’écriture runique comme expression du lien entre l’esprit humain et les forces de l’invisible…
— Introduire la notion de divination en tant que connexion entre le savoir caché et la psyché…
— Insister sur le fait que les runes dépassent le simple langage, qu'elles incarnent des forces intemporelles, des aspects enfouis de l’esprit humain.
Je me demandais comment Solveig réagirait face à un tel sujet. Avait-elle, elle aussi, ressenti cette connexion étrange entre les symboles et le monde intérieur ? En peu de temps, elle avait éveillé en moi un désir d'aller plus loin, de plonger dans des dimensions de la philosophie et de la psychologie que je n'avais peut-être pas encore osé explorer avec autant d'intensité.
Autour de moi, quelques clients étaient absorbés dans leurs lectures ou leurs conversations feutrées. J'observai distraitement les visages, comme un rappel de la diversité des esprits qui m’entouraient. Ce geste, presque mécanique, m’apaisait souvent ; il me ramenait à cette réalité banale mais rassurante du quotidien, contrastant avec l’univers intellectuel dans lequel je me plongeais.
À cet instant, la porte s’ouvrit et une silhouette familière fit son apparition dans l’encadrement. Solveig. C’était une pure coïncidence, mais la voir ici, dans ce lieu où je venais chercher refuge, ajoutait une dimension nouvelle à ma curiosité pour elle. Elle semblait perdue dans ses pensées, comme si ce lieu l’avait attirée sans qu’elle en ait pleinement conscience. Elle balaya la salle du regard, mais je préférai me cacher derrière les pages de mon livre, m’imaginant que l’observer sans être vu me permettrait de comprendre un peu mieux cette jeune femme énigmatique.
Sans me regarder, elle se dirigea vers un rayon à l’opposé du mien, saisissant un livre dont je ne pus voir la couverture. Je continuai de la suivre du coin de l’œil, cherchant à deviner ce qui l'avait amenée ici. Son apparition me troubla. Je tentai de détourner mon attention, revenant à mon carnet et ajoutant quelques notes rapides :
— Les mystères cachés des runes, échos d'un monde ancien…
Mais mes pensées se refusaient à se concentrer. Solveig semblait m’absorber, comme si sa seule présence éveillait en moi une énergie mystérieuse. Une pensée fugace traversa mon esprit, une idée qui me parut étrange, presque ridicule : et si cette jeune femme représentait plus qu’une simple étudiante ?
Au bout d’une heure, je la vis quitter la librairie précipitamment, comme si une urgence invisible l’appelait ailleurs. Elle s'éclipsa en silence, sans un regard en arrière. L’espace sembla soudain plus calme, privé de cette énergie subtile qu'elle apportait, une énergie qui m’avait maintenu dans un état de vigilance et de curiosité.
Une fois seul, je replongeai dans mes notes, essayant de chasser l’image de Solveig de mon esprit, ou du moins de l’intégrer dans mes réflexions. Je passai le reste de ma matinée à relire les passages que j’avais relevés dans les ouvrages et à structurer les points essentiels de mon prochain cours. Mon objectif était de créer une sorte de dialogue entre la philosophie et la symbolique des runes nordiques, deux univers qui, malgré leurs différences, partageaient un même langage de mystères et de vérités cachées.
Mon esprit revenait sans cesse aux runes et à leur caractère énigmatique. Elles n’étaient pas simplement des symboles ; elles étaient des passages, des indices pour qui savait où regarder, mais aussi des miroirs de l’âme humaine. Cette symbolique runique, forgée dans un monde à la fois tangible et mystique, me semblait un terrain fascinant pour explorer des questions de morale, de conscience et même de destinée.
Je notai :
— Les runes comme reflets de l’inconscient : des symboles énigmatiques qui, en écho à Jung, peuvent révéler les zones d’ombre de l’âme humaine.
— Présenter les runes non comme des objets inertes, mais comme des symboles vivants, traversés par des forces que nous ne comprenons pas toujours mais que nous ressentons en nous.
L’idée me vint alors de confronter les étudiants à ces questions, d’amener certains d'entre eux, peut-être Solveig en particulier, à découvrir leur propre vision du bien, du mal et de l’inévitable. Cela serait plus qu’un simple cours magistral ; ce serait une plongée dans l’âme, un exercice autant intellectuel qu'introspectif. Peut-être même une invitation à explorer les tréfonds de leur propre psyché, à poser des questions qui d’ordinaire ne viennent qu’après de longues années d’expérience ou de tourments silencieux.
Je pris quelques minutes pour énoncer mentalement ce que j’allais leur dire :
— Les runes, en tant que symboles anciens, sont bien plus que des lettres gravées dans la pierre. Elles sont des portails, des échos d'un passé où les notions de bien et de mal étaient plus floues, plus ancrées dans la perception et la nécessité que dans les lois morales rigides. Dans un sens, elles questionnent : jusqu'où sommes-nous prêts à explorer ces frontières ? Et qu'y trouverons-nous ?
Mon discours se formait, se déroulant comme un fil de pensée que j’essayais de saisir et de tisser avec cohérence. Et, étrangement, l’idée que Solveig soit dans cette salle à écouter me stimulait. Elle semblait comprendre les nuances, saisir les subtilités là où d’autres ne voyaient que des abstractions. Ses yeux, à la fois perçants et mystérieux, semblaient faits pour explorer ces thématiques.
Puis une autre question s’imposa à moi : pourquoi elle ? Pourquoi cette étudiante m’avait-elle frappé à ce point ? Peut-être que je projetais sur elle mon propre désir de comprendre, ma propre quête de vérité, celle que j'avais suivie au fil de mes études et qui m'avait conduit dans les méandres de la psychologie criminelle et de la philosophie nordique. Mes anciens collègues s’étaient parfois moqués de cette fascination que j’avais pour les aspects sombres de l'âme humaine, pour cette zone grise où les émotions profondes se mêlaient aux impulsions destructrices.
Je pris une profonde inspiration, notant quelques lignes dans mon carnet :
— En chacun de nous réside un potentiel de lumière et de ténèbres, un équilibre fragile. Les runes, en tant que symboles, semblent nous inviter à explorer ces extrêmes, à affronter nos propres limites.
Mon esprit commençait déjà à élaborer des scénarios, des questions que j’aimerais poser aux étudiants, en particulier à Solveig. Peut-être allions-nous aborder des thèmes de fatalité, des réflexions sur le rôle des symboles dans notre compréhension du monde et de nous-mêmes, sur ce que l’inconscient projette à travers eux. Le lien avec la psychologie criminelle, avec cette part d'ombre que chacun cache, pourrait s’intégrer naturellement. La fascination pour le mal, après tout, trouve souvent son origine dans une incompréhension de soi, une tentative de donner un sens aux pulsions et aux envies inavouables.
Le temps passa sans que je m'en rende compte, et alors que je m'apprêtais à sortir, un dernier élément s’imposa à moi. Ce serait le cœur de mon cours :
— Et si les runes n’étaient pas uniquement des symboles anciens mais aussi des échos de nos propres choix, des empreintes de ce que nous pourrions devenir ?
Dans cette librairie-café, avec la lumière douce du matin qui filtrant à travers la fenêtre, je réalisai que je m’étais plongé si profondément dans mes propres pensées que je n’avais plus vraiment conscience de l'endroit où je me trouvais. Solveig hantait toujours mon esprit, son mystère, son regard, cette impression étrange de connexion silencieuse. Je sentais que notre rencontre n’était que le premier chapitre d’un récit plus grand.
Une voix douce, celle de la barista, me tira de ma rêverie :
— Vous désirez autre chose ?
Je souris, refermai mon carnet et secouai la tête en me levant.
— Non, merci… J’ai déjà bien de quoi réfléchir pour aujourd’hui.
Je quittai la librairie-café, emportant avec moi mes notes et mes pensées. Le soleil avait un peu monté dans le ciel, et une fraîcheur agréable se faisait sentir. Tandis que je marchais, une impression étrange demeura, comme si le destin m’avait guidé ici pour une raison que je n’arrivais pas à cerner. Une intuition profonde, mais incertaine, comme un pressentiment.
Il était temps de retourner à l’université.
L’après-midi venu, je me dirigeai vers la salle de cours, mes notes soigneusement préparées. Aujourd'hui, j'avais choisi d’aborder les runes nordiques, non seulement comme un simple alphabet ancien mais comme des symboles porteurs de significations profondes, presque ésotériques. Dès que les étudiants furent installés, je pris une craie et, sans perdre de temps, j’écrivis au tableau :
ᚠ ᚢ ᛏ ᚨ ᚱ
Futhark, en référence aux premières lettres de cet alphabet mystérieux.
Je me retournai vers mes élèves, sentant leur attention se focaliser peu à peu, et je commençai à parler :
— Aujourd'hui, nous allons explorer les runes nordiques. Contrairement à un alphabet ordinaire, les runes sont des symboles complexes, chargés d’une signification qui dépasse la simple communication écrite. Dans la culture nordique ancienne, chaque rune était associée à une force naturelle, un concept fondamental, ou même un destin particulier.
Je dessinais lentement quelques symboles au tableau, m’arrêtant sur chacun pour en expliciter le sens. D’abord, la rune Fehu, que je traçai soigneusement en expliquant sa signification :
ᚠ
— Fehu représente la richesse et la prospérité. Mais, dans une interprétation plus profonde, elle peut aussi être perçue comme un symbole de pouvoir personnel, de la capacité à attirer et à maîtriser ce que l’on désire. Elle questionne également la façon dont nous gérons nos propres ressources, qu'elles soient matérielles ou spirituelles.
Je jetai un regard vers l’audience pour évaluer leur réaction. Certains prenaient des notes attentivement, d'autres semblaient moins concentrés. Mais Solveig, elle, me fixait, ses yeux rivés sur moi, comme si chaque mot que je prononçais contenait un sens caché qu'elle seule pouvait saisir.
Je me tournai de nouveau vers le tableau, traçai une deuxième rune, Ansuz, puis continuai :
ᚨ
— Ansuz est la rune de la sagesse, de la communication divine. Elle incarne l’inspiration, mais aussi les mystères de la connaissance qui ne se révèlent qu'à ceux qui en sont dignes. Certains l’associent à l’idée de destin : un appel qui nous est adressé et auquel nous ne pouvons échapper.
Ma voix s’attardait volontairement sur certains mots, et je ne pus m’empêcher de chercher du regard la réaction de Solveig. Ses yeux étaient emplis d’une intensité quasi hypnotique, une expression qui me troubla, comme si elle déchiffrait un code secret.
Je traçai une dernière rune au tableau, Raidho, avant de reprendre :
ᚱ
— Raidho, la rune du voyage et de la quête, symbolise le mouvement, mais pas seulement celui dans l’espace. C'est aussi un voyage intérieur, une exploration de soi qui nous conduit vers des vérités que l’on n’avait peut-être pas prévu de découvrir.
Je me retournai vers la classe et observai mes étudiants, cherchant à voir lesquels semblaient captés par le sujet. Mon intention était de les impliquer davantage, de ne pas simplement leur transmettre des faits mais de les amener à interpréter ces symboles eux-mêmes.
— Dites-moi, qu’est-ce que vous inspire la rune de Raidho ? demandai-je en désignant le symbole sur le tableau.
Un étudiant leva la main timidement et dit :
— Cela pourrait représenter... le destin, peut-être ?
Je hochai la tête, encourageant :
— Oui, c’est une interprétation intéressante. Raidho nous parle effectivement de voyage, mais un voyage où chaque étape est comme prédéterminée par un schéma qui nous échappe. En ce sens, elle questionne le libre arbitre, elle nous interroge : sommes-nous réellement maîtres de notre parcours ou obéissons-nous à un ordre plus grand ?
Un silence pesant régnait dans la salle, et je pouvais sentir cette ambiance étrange, ce mélange d’intérêt et d'inquiétude qui naît souvent quand l’inconnu s’invite dans l’ordinaire.
Alors que je poursuivais, je remarquai que Solveig n’avait toujours pas détourné le regard. Je sentais son attention, lourde, presque tangible, et cela créait en moi une curiosité autant qu’un malaise subtil. Peut-être voyait-elle dans ces runes quelque chose que les autres ne percevaient pas, ou peut-être que mon discours éveillait en elle un écho intime.
Je décidais d'impliquer les élèves un peu plus directement :
— À votre avis, pourquoi les runes ne se contentent-elles pas de symboliser des choses simples, comme un alphabet ? Pourquoi s’ancrent-elles dans des concepts si profonds, comme le destin, la sagesse ou la quête ?
Les étudiants échangèrent des regards hésitants, peu habitués à ce type de questionnement philosophique, mais Solveig, elle, finit par répondre d’une voix calme et assurée :
— Peut-être parce qu’elles reflètent les angoisses de ceux qui les ont créées. Chaque symbole devient alors une façon de saisir ce qui nous échappe, ce que nous craignons de ne jamais comprendre.
Sa réponse m’impressionna. Elle n’avait pas seulement capté l’essence des runes, elle avait également interprété la peur et le mystère dont elles étaient chargées.
Je me permis un sourire léger, sincère, et repris en rebondissant sur ses mots :
— Vous avez raison, Solveig. Les runes nous confrontent à l'inconnu, à ce qui, justement, échappe à notre compréhension. Leur fonction est d’interroger, de perturber même, plutôt que de simplement informer. Peut-être que la quête de sens est, après tout, une quête sans fin.
Le reste de la classe demeurait silencieux, fasciné ou déconcerté, mais Solveig elle, semblait à chaque mot davantage plongée dans ses propres réflexions, comme si ces symboles résonnaient avec quelque chose de personnel, un secret qu'elle portait en elle.
Alors que le cours touchait à sa fin, je remarquai qu’elle n’avait toujours pas perdu cette intensité troublante. En quittant la salle, je me retournai brièvement et croisai son regard une dernière fois. J’avais l’impression d’être observé, non par une élève, mais par une force plus ancienne, quelque chose d’inexplicable, une sorte de défi silencieux.
Je quittai la salle, encore marqué par cette étrange connexion qui continuait de tisser un lien mystérieux entre nous. Solveig incarnait un mystère aussi profond que les symboles que je venais d’enseigner.
Alors que je pensais que le cours était terminé et que la salle allait se vider, un murmure traversa l’air, léger mais perceptible. Une présence se fit sentir derrière moi, douce, presque imperceptible au début, mais je la reconnus immédiatement. C'était Solveig.
Elle s'avança lentement vers moi, ses pas feutrés sur le sol en pierre de la salle. Je restai figé, comme suspendu par l’intensité de son approche. Les autres étudiants s’étaient déjà levés et étaient partis, mais elle, elle semblait se dérober aux conventions, ne suivant pas les règles invisibles qui régissaient notre échange. Je ressentais quelque chose de dérangeant dans cette situation. Une tension, comme une corde tendue, prête à céder.
— Professeur, dit-elle d’une voix calme, mais un brin chargée de ce mystère qui la caractérisait, je... j'aimerais vous parler un instant.
Je tournai la tête vers elle, capté par sa présence, ses yeux brillants d’une intensité presque irréelle. Un frisson parcourut mon échine, comme une lueur de danger qui naissait dans l’air autour de nous. Je me raclai la gorge, tentant de retrouver un semblant de contrôle.
— Bien sûr, répondis-je, ma voix un peu plus basse que d'habitude, à cause de cette sensation étrange qui m’envahissait. Qu’est-ce qu’il y a ?
Elle s’arrêta juste devant moi, à une distance qui aurait dû être distante mais qui, en réalité, semblait parfaitement calculée. Elle me regarda droit dans les yeux, comme si elle attendait une réaction, comme si elle testait quelque chose en moi. Il y avait une pression invisible dans l’air, un silence lourd, mais curieusement fascinant.
— Je me demandais... commença-t-elle, sa voix douce mais affirmée, si vous pensiez que certaines choses, comme les runes, pourraient nous changer, nous... transformer d’une manière plus profonde. Vous avez dit que les runes sont liées au destin, et parfois, je me demande si elles ne nous choisisent pas, d’une manière ou d’une autre.
Je ne répondis pas immédiatement, pris dans ses mots, mais aussi par cette manière qu’elle avait de se rapprocher, de se faire presque intangible. Elle s’inclina légèrement vers moi, puis, d'un geste presque imperceptible, sa main se posa sur mon épaule. Je sentis la chaleur de son contact, mais quelque chose d'encore plus troublant m’envahit : la douceur de son geste était teintée de cette ambiguïté que je ne pouvais ignorer. Mon cœur s’emballa légèrement, mais je tentais de rester calme, de conserver la façade de professeur distant.
— Les runes sont des symboles puissants, répondis-je lentement, mon esprit oscillant entre la philosophie du moment et la présence de Solveig. Elles incarnent l'idée que tout est connecté, que chaque action, chaque pensée, chaque symbole a un impact sur ce qui nous entoure. Elles nous forcent à regarder au-delà de l’évidence, à chercher des réponses là où il n'y en a peut-être pas. Mais elles ne nous choisissent pas... Je m’interrompis un instant, comme si mes propres mots perdaient peu à peu leur certitude.
Solveig, sans se départir de son calme, rapprocha encore un peu plus son visage du mien. Il n’y avait plus de distance entre nous, juste cette atmosphère lourde, un mélange de fascination et de crainte. Elle glissa sa main le long de mon bras, presque comme si elle cherchait à établir un contact plus personnel, plus intime. Une brise étrange sembla souffler dans la pièce, malgré l’absence de fenêtres ouvertes.
— Et si... dit-elle en insistant, sa voix basse et grave, elles nous choisissaient précisément pour nous confronter à notre propre obscurité ?
Je frissonnai à ses mots, une onde de trouble parcourant mes pensées. Je savais que cette conversation ne resterait pas dans les limites des simples idées académiques. Elle allait quelque part, mais où, exactement ? Je n’avais aucune idée, mais je sentais que cette direction me forcerait à m’aventurer sur un terrain dangereux, où je pourrais perdre le contrôle de la situation.
Elle se recula légèrement, me laissant respirer, mais son regard ne quittait pas le mien. Puis, sans prévenir, elle posa de nouveau sa main, cette fois sur ma poitrine, frôlant mon cœur, presque comme si elle voulait en sonder les battements.
— Je pense que vous ne savez pas encore à quel point les runes, et ce que vous enseignez, peuvent être... perturbants pour quelqu’un comme moi, ajouta-t-elle d’une voix basse, presque un murmure, mais pleine de sens.
L’effet de ses paroles me figea un instant. Il y avait quelque chose d’intime dans ce geste, quelque chose de plus que professionnel, de plus que ce que j’avais anticipé. Je n’étais plus seulement le professeur qui enseigne, je devenais celui qui était scruté, sondé par une étudiante dont je ne savais pas encore ce qu’elle cherchait exactement.
La porte de la salle se ferma en arrière-plan, coupant notre espace du monde extérieur, et la pièce sembla rétrécir. La proximité de Solveig m’étouffait presque, mais d’une manière étrange, cela ne m’effrayait pas, ou du moins, je n’étais pas sûr de ce que je ressentais. Elle se tenait là, presque dans mon espace personnel, mais cette proximité me laissait indifférent, ou plutôt, intrigué. Une autre part de moi se demanda si je m’étais perdu dans cet échange, dans cette danse silencieuse de mots et de gestes.
Elle prit alors un pas en arrière, me laissant une chance de retrouver un peu d’espace, mais elle ne cessa jamais de me fixer.
— J’espère que nous aurons d’autres occasions de parler, dit-elle avec un sourire en coin qui était à la fois doux et perturbant. Les runes ne sont que le début, n’est-ce pas, Professeur Mørk ?
Je ne répondis pas tout de suite, trop troublé par ce qu’il venait de se passer. Je la regardai s’éloigner, et avant qu’elle n’atteigne la porte, elle se tourna une dernière fois, nous croisant dans un regard silencieux.
Ce n'était pas la fin. Non, c'était le début de quelque chose que je n'avais pas prévu, quelque chose qui allait me mettre face à des vérités que je n'étais pas prêt à affronter.
Lorsque Solveig s'éloigna finalement, disparaissant derrière la porte, un silence étrange envahit la salle. Je reste là, seul, encore secoué par notre conversation. Le contact de sa main sur mon épaule, puis sur ma poitrine, m'avait laissé une étrange chaleur, une trace indélébile.
Lorsque le dernier étudiant quitta la salle, un silence profond envahit l’espace. L’écho des pas s’estompait lentement, me laissant seul dans la grande pièce froide. Le travail quotidien des cours se glissa en moi comme une routine, et je commençai à rassembler mes affaires avec l'automatisme d'un professeur qui a déjà tout vécu plusieurs fois. Mais, alors que je fermais mes notes, quelque chose attira mon regard.
Sous la lumière déclinante du soir, je remarquai un symbole gravé sur mon bureau, discret mais pourtant presque vivant. Il était là, invisible aux regards rapides, et pourtant, à cet instant précis, il semblait briller, comme une révélation. Il s’agissait d’une rune. Pas n’importe laquelle, mais un symbole nordique que je connaissais bien, une qui représentait le destin, la chance, et le mystère des forces invisibles qui gouvernent la vie.
Je m’approchai lentement, intrigué, le cœur battant un peu plus fort à chaque pas. J’avais déjà étudié les runes en profondeur, et je savais immédiatement ce qu’il représentait.
ᛈ
C'était la rune Perthro (ᛈ), un symbole rare dans le monde académique. Celle-ci était souvent associée au destin, aux secrets et au hasard. Elle symbolisait des forces cachées, le jeu du destin qui échappait à notre compréhension. Elle incarne l’idée que certains événements dans la vie ne sont que le résultat de forces mystérieuses, insaisissables et non maîtrisables.
Je ne pouvais pas m’empêcher de frissonner en la voyant ici, sur mon bureau. Le choix de cette rune n'était pas anodin.
Pourquoi ici ?me demandais-je. Pourquoi maintenant ?
Je l’observai de plus près, essayant de deviner si cette gravure était ancienne, comme si elle avait été laissée là il y a des années, ou si elle était récente. Chaque détail me semblait significatif : les traits fins de la gravure, l’angle parfait où la lumière de la fin d’après-midi semblait l’éclairer juste assez pour la rendre visible, mais pas trop. La rune Perthro représentait les mystères du destin, de la chance, et de la révélation. Ce n’était pas seulement un symbole de chance ou de hasard. C’était un symbole de ce qui est caché, des secrets non dits, et des vérités qui résident au-delà de la compréhension immédiate. Une partie de moi s’interrogeait : qui avait gravé cela ? Et, surtout, pourquoi ?
Mon esprit revint alors sur Solveig. Une pensée persistante me traversa l’esprit, m’assaillant comme un éclair : et si elle en savait plus que ce qu’elle laissait paraître ?
Et si elle avait une part de responsabilité dans ce symbole qui venait d’apparaître sur mon bureau, comme si elle voulait m’envoyer un message silencieux, me guidant vers quelque chose de plus profond, plus obscur ?
Je me sentais un peu mal à l’aise. Cette découverte n'était pas anodine.
Qui aurait pu laisser un tel symbole ici ?
Ce n’était pas une rune que l’on trouverait par hasard dans une salle de classe. Même les étudiants qui se passionnaient pour l’art des runes n’en parlaient que rarement. C’était une symbolique qu’on réservait à ceux qui cherchaient véritablement à comprendre les mystères cachés du monde.
Et là, en ce moment précis, je ressentais cette même curiosité irrépressible qui m’avait conduit à étudier la psychologie criminelle et la philosophie des symboles : l’envie de percer un mystère, de déchiffrer ce qui était encore caché.
Je me saisis d’un morceau de papier pour noter la rune, la dessinant d’un geste appliqué, tout en réfléchissant à ce qu’elle signifiait vraiment. Perthro(ᛈ), rune de la chance, de l’initiation, de l’intuition. Elle avait un lien particulier avec le hasard et les secrets dissimulés, mais aussi avec des événements inattendus. Son apparition ici, à cet instant, me semblait tout sauf une coïncidence. Quelque chose m’échappait, et je sentais une urgence à comprendre ce qui se cachait derrière cette rune.
Je la fixai une dernière fois, me demandant si Solveig, ou quelqu'un d’autre, avait délibérément laissé ce symbole ici, juste pour moi. Peut-être qu’il y avait un lien entre cette rune et ses paroles, son intérêt pour les mystères cachés de l’université, les secrets que peu de gens semblaient comprendre. Le tout formait un puzzle incomplet, un jeu auquel j’avais involontairement accepté de participer.
Et comme un écho de ces pensées, la question s’imposa à moi : Pourquoi maintenant ? Pourquoi moi ?
Je pris un moment pour réfléchir, essayant d’ignorer le frisson qui continuait de m’envahir. Mais chaque fois que mon esprit se posait sur cette rune, je ressentais le poids du destin, cette force invisible qui guidait mes pas dans cette quête étrange, mais envoûtante. Ce n’était pas simplement une question d’étudier une rune ou de résoudre un mystère académique. Cela allait au-delà. Cette rune avait été gravée pour une raison, et je savais qu’il me faudrait continuer à chercher, à poser des questions, à comprendre.
Je relevai les yeux, comme si la réponse m’attendait quelque part dans les ombres qui se faufilaient à l’intérieur de la pièce. La lumière déclinait lentement, et les mots de Solveig résonnaient dans mon esprit :
Les runes nous choisissent... elles ne nous laissent jamais indifférents...
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Qu'en pensez vous ?
Funfact : je suis en train d'aprendre l'alphabet Futhark juste pour cette histoire...
Bref dites mois vaut supposition pour la suite
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