Chapitre 25 : Ne pas se trahir

20 octobre 2013, 18h24. Gare de Flamboyants.

Je suis passé devant le Furieux avant de me rendre sur les quais de gare avec Marivonne et Robin. Je n'ai pas rappelé Alys depuis l'affaire du visage de la fresque, mais je ne peux plus rien lui dire. Emily et moi tenons le nom de Léonard secret, il nous faut découvrir qui était cet homme. Ainsi je crains qu'Alys ne m'en veuille de ne pas l'avoir rappelée après l'avoir écartée de mes recherches. Un train entre en gare dans un bruit de rails métalliques très désagréable. Mes tympans vrillent et je remercie intérieurement le poteau à mes cotés de me soutenir alors que je perd l'équilibre. Les wagons s'immobilisent dans un ultime crissement avant de laisser la foule s'échapper des portes ouvertes et couler sur le quai telle une vague humaine. Tandis que monsieur et madame Ruby tentent d'effectuer de grands signes, j'appelle Alys à pleins poumons. 

Je repense au jour où j'ai emménagé, ce jour où j'ignorais combien j'allais changer. A présent cette scène me paraît lointaine. Les gens ne me bousculent plus car je les esquive avec agilité. J'entends distinctement chaque conversation, et je sens tous les parfums et l'air des voyages que les passagers ont ramenés avec eux. Mes capacités augmentent considérablement depuis hier et je fais sans peine le lien avec la troisième tête naissante sur la fresque. A quelques mètres, une chevelure blonde attire mon attention.

"-Alys !"

Deux yeux bleus se braquent sur moi, et un sourire étire les lèvres de l'intéressée. Alys m'enlace vivement, lâchant ses sacs lourds au sol. Derrière elle, Sam me lance un regard sombre que je préfère ignorer. Je m'écarte pour l'observer.

"-Tu...as comme des miettes dans les cheveux ? ris-je.

-Oh Sam m'a donné des bretzels. Harold et dans le coin ?"

Alys rayonne et je ne sais pas que penser de cette joie débordante. Je ne veux pas tout gâcher et me contente de hocher négativement la tête. Depuis notre conversation il m'évite, et je ne veux certainement pas plomber ce retour avec mes histoires. Marivonne s'approche et prend sa fille dans les bras avant d'épousseter les miettes des fameux bretzels. Nous gagnons la sortie en saluant le professeur de langues que le voyage semble avoir exténué. 

La voiture des Ruby s'arrête devant ma porte, et avant de me laisser sortir Alys me souffle :

"- Nous n'avons exceptionnellement pas cours demain, nous devrions sortir ce soir. Pourquoi pas avec Harold et Meg ?"

Je ne peux retenir une légère mou en entendant le nom d'Harold, mais j'acquiesce malgré tout.

"- Je te laisse lui en parler, mais tu es certaine qu'il sera à l'aise avec Megan ?

- Mais oui !" s'esclaffe Alys.

Sa joie à outrance commence à m'inquiéter. Elle me cache quelque chose, c'est plus qu'évident. Je jette un oeil à la maison d'à coté et note la présence d'Emily à la fenêtre qui fait face à la mienne. 

***

Le petit cinéma de Cieti-Bourg éclaire la rue sombre lorsque nous sortons tous les quatre de la salle. Je dois avouer que jamais je n'ai ressenti autant de gêne dans l'atmosphère que durant ce film. Alys était captivée, pendant que je cherchais à comprendre quels changements pouvaient bien opérer en elle. Meg était terriblement mal à l'aise et Harold faisait évidemment la tête. J'aurais dû dire clairement à Alys que son timing était mauvais. Alors que nous nous enfonçons dans la pénombre pour regagner la place, une odeur capte mon attention : une odeur de chien, mais pas n'importe laquelle. Il s'agit de l'odeur amère de la peur. Alys me prend le bras en sautillant et je me raidit.

Un peu plus loin sur la place, je crois percevoir une scène de tumulte à peine éclairée par les réverbères. Je tends l'oreille.

"Tiens-la... voir son visage... prends une photo... la bête..."

La bête ? Je m'arrête brusquement. Alys me toise avec surprise et observe l'altercation au loin avec moi. Je la sens serrer mon bras, de peur que je m'implique. Cette odeur de chien, c'est celle d'Emily. Je crois voir la lueur de ses yeux apparaitre : Elle va se trahir si je n'interviens pas. Alys me retient mais je ne peux pas rester à attendre. Je me dégage sous son regard choqué et m'approche à grands pas du groupe. Je reconnais les deux hommes qui m'ont agressé et frémis de rage. L'un d'entre eux tient l'article qui parle de moi, et un autre, plus ancien, avec une photo. Sur le papier, une masse aux yeux brillants et aux longs cheveux s'échappe... Emily. Cette dernière est face contre terre et tente de contenir ses griffes avec peine. Mes yeux me brulent et mes doigts se crispent.

"- Vous ! laissez-la. je lâche d'un ton glacial.

-Barre-toi morveux ! me répond un des hommes.

- Je ne me répèterais pas.

- Moi non plus gamin."

Je parviens de justesse à retenir mes griffes et empoigne les deux hommes avec force avant de les projeter dans la fontaine éteinte de la place. A part ma force disproportionnée, rien ne m'a trahit, et Emily est sauve. Je m'approche du bassin où les hommes secouent leur vêtements trempés.

"- Vous voyez mes amis là-bas ? Ce sont des témoins. Alors vous feriez bien de faire profil bas à présent."

Sur ces mots je soulève Emily par le bras et la ramène auprès d'Alys qui échange des regards perplexes avec Harold. Ce dernier me foudroie des yeux, il enfourche sa bécane avec Meg et part en trombe. Emily essuie un filet de sang à la commissure de ses lèvres et pointe ma mobylette.

"-Je vais me débrouiller pour rentrer, merci Alek."

Elle se détourne et s'enfonce dans une ruelle, ignorant presque Alys. Je fais face à la moue désapprobatrice de cette dernière.

"-Je ne pouvais pas laisser ceci arriver. Tu ne crois pas ?

- J'ai l'impression que tu aurais réagi différemment s'il s'agissait de quelqu'un d'autre. susurre-t-elle alors.

- Pas du tout."

Ma réponse est sèche. J'aurais peut-être été moins véhément, c'est vrai. Mais j'aurais sauvé n'importe qui. Et contrairement à ce qu'Alys pense, j'ai protégé mon secret avant tout. Du moins je le crois. Je l'invite à monter sur la selle de ma bécane mais lorsqu'elle s'installe elle ajoute :

"- Il y'a quelque chose qui vous lie dans cette maison. Et tu m'écartes de ta vie Alek. Qu'est-ce que j'ai manqué ?"


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