Chapitre 21 : Murmures
Il est minuit passé, et le livre vert me fout les jetons. Il ne s'est pas calmé, je dirais même qu'il ricane de plus en plus. Je me lève et bloque la porte de mon armoire avec ma chaise. Ce geste est probablement inutile et désespéré, mais il soulage ma conscience. En me recouchant, dans l'obscurité, je crois voir de la lumière au travers de mes rideaux. Emily est toujours dans la maison d'à coté. Cette histoire de fresque... Ce n'est pas de sa faute, mais je lui en veux un peu de m'avoir replongé au coeur de tout ce surnaturel. Je ferme les yeux, et tente d'ignorer les grognements du livre rouge qui semble se joindre à la fête.
Soudain, j'entends de petits claquements secs à mon carreau. Je ne pourrais pas fermer l'oeil de la nuit parait-il. Je me relève en soufflant, et écarte mes rideaux. En face de moi, deux yeux violets luisent. Que veux Emily ? J'ouvre ma fenêtre délicatement. Un gond se met à grincer et je me crispe instinctivement. Ce serait bien ma veine si mes parents me trouvaient en train de parler à des yeux, avec une chaise sous la poignée de mon placard. La fenêtre finit de s'ouvrir en silence, à mon grand soulagement. Emily ne perd pas de temps et chuchote.
"- Sors tes archives poussiéreuses et rejoints-moi."
Mes archives ? Comment peut-elle savoir ça ? Je le lui ai caché pendant presque un mois avec brio, où ai-je failli ?
"- Alek sérieusement, je sais qu'Alys te les a refourguées, alors dépêches-toi."
Alys ? Elle sait pour Alys ? A quel point suis-je enlisé dans mes cachoteries ? Le plus étrange, c'est que malgré son ton froid, Emily ne semble pas contrariée. Un peu chancelant, j'obtempère et passe les recherches d'Alys par la fenêtre. Emily m'attrape alors le bras et me serre le poignet.
"- À toi."
Je dégluti péniblement, de toutes les bizarreries habituelles de mon acolyte, insinuer que je vais passer par la fenêtre est sans doute la pire des idées qu'elle ait pu avoir. Je plonge mon regard dans le sien, avec un certain degré d'inquiétude.
"-Tu plaisantes j'espère.
- Pas du tout, je ne prendrais pas le risque de te faire repérer par tes parents.
- Permets-moi de te corriger, mais c'est à moi que tu demande de prendre des risques.
- Oh il n'y a qu'à peine un petit mètre !
- Et du vide en dessous !"
Emily lève les yeux au ciel, même en murmurant, son agacement est papable. Je sens ses griffes me lacérer le poignet. A contrecoeur, je pose un pied sur l'appui de la fenêtre, tandis qu'elle me tend sa deuxième main pour me tenir. Tremblant je tiens désormais le cadre usé de sa fenêtre et commence à ramener mon pied droit. Je suis au dessus du vide, je ne devrais pas regarder. Mais je ne peux pas m'en empêcher. En contrebas, j'aperçois un morceau de métal similaire à celui qui m'à entaillé la main. Sa pointe acérée semble m'attendre sournoisement. Dans mon dos je sens une goutte de sueur descendre le long de ma colonne, et la brise nocturne traverser mon tee-shirt. Je suis tétanisé, je ne peux plus bouger, je suis coincé entre les deux maisons, et je ne peux détacher mon regard du sol. Emily me tire un bras doucement pour attirer mon attention.
"- Regardes-moi, pas le sol. Et continues, tu y es presque."
Lentement, je reprends mes esprits. Je commence à m'engourdir, je dois bouger. Alors que je pose mon pied sur la fenêtre d'en face, un courant d'air se mets à siffler entre les deux maisons. Et bien que déjà habitué au paranormal environnant, je ne peux réprimer un frissons d'horreur en entendant soudain des murmures. Dans le vent, je perçois des rires, des pleurs, des bruits de pas et de portes, ainsi que des chuchotements dont le dialecte m'est incompréhensible. Je suis tellement pétrifié par la terreur, que je ne m'aperçois pas tout de suite de mon pied qui ripe sur le rebord de la fenêtre.
Emily me retient de justesse et me tire vigoureusement vers l'intérieur. Je bascule et passe la tête la première dans l'ouverture. Je tombe mollement sur Emily, dont la tête heurte un tabouret. Je reste figé un instant. Autour de moi il n'y a plus qu'un grand silence. Et ce silence me fait presque plus peur que les murmures colportés par le vent. Je suis dans une pièce symétrique à ma chambre. A l'image du reste de la maison, les papiers peints sont vieux, voire arrachés par endroits. Sur le mur du fond, il y'a une porte barrée de multiples griffures. Mes yeux se posent sur un tas de couvertures jonchant le sol. C'est donc ici qu'Emily se terre la nuit ? Avec ou sans meubles ? Je n'étais jamais monté à l'étage. Tout jusqu'aux vieilles lampes à huile me fait froid dans le dos. Cette maison a une aura tellement lugubre que cela m'en est presque insupportable. Je ne parviens pas à trouver pourquoi Emily tient-elle tant à vivre ici.
Un souffle chaud me ramène à la réalité. Emily n'a pas bougé, je crois qu'elle s'est assommée. Je fais tourner sa tête sur le coté, et écarte ses cheveux sombres. Je sens l'odeur de son sang qui couvre mes doigts. Merde. Je m'approche de sa blessure pour la dégager complètement et l'examiner. D'une main, je ramène ses cheveux collants sur le coté. Du sang perle sur le coin du tabouret. Cette situation me déplait au plus haut point. Je m'approche davantage, elle respire c'est déjà ça. Un murmure à mon oreille me fait sursauter.
"- Tu m'écrases..."
Emily tourne son visage vers le mien, les yeux ouverts. Le violet de ses Iris s'est totalement estompé, le coup a dû être fort. Je réalise alors ce qu'elle vient de me dire. Je pivote sur le coté pour la laisser se relever. D'un mouvement lourd, elle se redresse et porte sa main à sa blessure pour constater les dégâts. Dans la faible lueur des lampes je la vois observer le sang sur ses doigts, avant de se tourner vers moi.
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