Chapitre 16 : Dissensions
Sans hésiter je saisi le livre avant qu'il ne disparaisse à nouveau. Le contact de la couverture écailleuse me parait brûlant. Encore un objet étrange pour me plonger dans l'irréel de ma situation... J'entreprend de l'ouvrir. A cet instant un nuage de fumée s'échappe des pages poussiéreuses. Enveloppé de ce qui semble être une petite tornade vivante, j'entends un rire effroyable. Le livre me glisse des mains pour aller s'écraser par terre. Aussitôt la tempête qui saccageait ma chambre s'évanouit. Avec empressement je le referme, faisant taire des sifflements stridents qui s'en échappaient.
Alors que je le glisse sous mon lit, les sifflements reprennent et se font agressifs, ressemblants presque à une voix au timbre vicieux. Je ne comprends ce qu'il se passe que lorsque le gros livre rouge d'Emily pousse un rugissement caverneux. Sous mes yeux ahuris les deux livres commencent à s'écharper. La voix stridente laisse échapper des petits rires sournois qui me glacent le sang. Je trouve plus sage d'attraper le livre rouge pour les séparer. Aussitôt les accrocs des deux objets malfaisants se résorbent. Je repense à ma rivalité avec Emily, à la fois où nous nous sommes estropiés dans les gradins du lycée.
Je chasse toute cette histoire de mes pensées avant de retrouver Alys. Je ne me sens pas bien, j'ai mis mon secret en péril, enfin... celui d'Emily aussi. Et à présent cela fait un mensonge de plus pour contourner la perspicacité d'Alys. Comme pour me rassurer, cette dernière pose une main rassurante sur mon épaule. Je ne peux ignorer l'image des deux hommes qui se matérialise dans ma tête.
"- Alek, je ne chercherais pas plus loin. Ce sont tes mystères, je le respecte."
Je suis un peu interloqué. Bien que compréhensive, Alys n'est pas du genre à lâcher l'affaire comme ça. J'ai presque peur de cette liberté qu'elle me laisse si soudainement. Un silence gêné s'installe. Heureusement mon père rentre du marché à cet instant, apportant avec lui sa bonne humeur coutumière. Alys reste manger avec nous et reste jusqu'au soir.
Alors qu'elle s'apprête à partir, je tente de la remercier maladroitement, très maladroitement.
"-Je ne sais pas pourquoi finalement tu ne cherches plus à percer mes secrets, mais merci.
- Cette maison ne m'inspire pas la sérénité, je crois que tu es bien assez grand pour mener tes affaires. Mais ça ne m'empêchera pas de te mettre en garde encore et encore. Cette maison est étrange... Et je ne parle même pas d'Emily.
- Le week-end prochain, tu veux aller au restaurant ?"
Cette question est sortie de ma bouche bien plus vite que fil de mes pensées. Alys arbore une mine surprise. Puis avec un léger sourire elle acquiesce.
"- Samedi, et surtout on invite pas Harold."
Pour la première fois, j'entends une pointe de sarcasme dans sa voix. Je dois reconnaitre que ça lui va bien. Alys serre mes mains avant de me dire au revoir. Je suis absolument béat. Et cette attitude me donne l'air ridicule.
***
Lundi matin. J'ai la méchante impression d'être revenu de vacances. C'est ma deuxième semaine de cours dans ce lycée et j'ai la sensation d'y avoir déjà vécu une année. Alys me sourit en s'installant à coté de moi, et nous ignorons le regard suspicieux de Sam, le meilleur ami d'Harold. Aussi, j'ignore pour ma part les regards électriques que me lance Emily à intervalles réguliers.
Et comme évidemment toute ma vie tourne en boucle. Une altercation dans les couloirs était prévisible. Alys est partie rejoindre des amis. Quant à moi je sens comme de petites pointes lacérer mon épaule. Je fais face à Emily.
"- Quoi ?"
Toujours aussi diplomate, cette dernière m'entraine avec elle vers la première pièce qu'elle trouve, pour nous isoler. Je suis dans les toilettes des dames, autant dire que c'est gênant. Après avoir vérifié toutes les portes, Emily monte sur ses grands chevaux.
"- Je me débrouillais très bien sans toi ! Tu es arrivé comme un parasite dans ma vie et tu fais n'importe quoi !
- Que veux tu faire de plus ? C'est fait ! C'est comme ça..."
Ma voix est lassée, j'ai l'impression d'être spectateur de la scène. Emily rugit.
"-Mais merde Alek ! Tu nous mets en danger tous les deux là ! Et en plus tu fais comme si de rien était !
-Emily... Tes yeux."
Toujours aussi absent je lui fais remarquer qu'elle n'est pas plus douée que moi pour se contenir. Face au miroir tagué au vernis, elle se passe de l'eau sur le visage. A nouveau d'apparence humaine, elle m'observe dans le reflet de la glace. Sur un ton froid elle me congédie.
"-Casses-toi."
***
A la fin de la journée, je suis lessivé. J'ai commencé à culpabiliser, encore. Bien-sûr par rapport à Alys, mais cette fois aussi par rapport à Emily. Arrivé à ma bécane, Harold débarque, maussade.
-"Je t'ai vu avec Emily. Je pensais pas m'être trompé à ce point sur ton compte."
J'écarquille les yeux. Qu'est-ce qu'il s'imagine ?
-"Si tu avais tout vu tu saurais que c'est elle qui m'a entrainé là-dedans, et que nous nous insultions."
Je me retourne pour démarrer ma bécane, mais finalement je fais marche arrière. J'ai besoin de me défouler.
-"Tu sais, si j'avais en tête de bécoter quelqu'un je m'en m'en cacherait pas. Tu as déjà dû le remarquer n'est-ce pas ?"
Harold serre les poings. Il sait très bien que derrière cette pointe d'arrogance je dis vrai. Si je souhaite être avec Alys, il n'y pourra rien. Et mon allusion à l'incident du lac a eu le mérite de tirer cela au clair.
Je lui lance un ultime regard, avant de tendre un casque à Alys qui arrive. Alors qu'elle s'installe derrière moi, j'entends à mon intention :
"-Fais pas n'importe quoi."
Et curieusement cette phrase résonne en moi. Longtemps.
Même des heures plus tard, seul dans mon lit. J'entends cette mise en garde. Ces mots ont prit une dimension particulière... Car effectivement, je suis en train de faire n'importe quoi. Cette phrase... Celle qui vit dans la maison d'à coté aurait très bien pu me la dire.
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