« Le soleil tapait sur le stade, j'étais réfugiée dans les gradins, j'ai toujours détesté la chaleur, on se croirait en enfer. »

J'entends un bruissement de draps.

« Comment ça a commencé déjà ? Il courait...non...il ne courait pas... »

Un soupire pénible.

« Il était à côté de moi, il enquêtait...il voulait mon nom... »

J'entends déglutir.

« je ne risquais pas de lui donner... je n'en n'ai pas... »

Un bruit de métal.

« J'ai regardé ses ongles en cicatrisation, et j'ai souri devant son misérable pansement... il guérissait vite... anormalement vite... »

Encore une respiration difficile

« Et puis, il y'a eu cette aura, ses paroles se sont estompées, j'étais face à l'autre, celui qui avait cette emprise depuis si longtemps...sur moi... »

Une odeur au goût amer.

« Et il a dit les mots, ceux qui ont fait de moi je que je suis...mais je sentais parfaitement qu'ils ne m'étaient pas destinés... »

La respiration se fait sifflante.

« l'autre était parti, mais il avait devant moi laissé un chien...un autre...noir et feu... »

« - La seconde tête ... »

Je sursaute.

« L'autre en a fait mon rival, s'il succombait à sa force...comme moi...il perdrait son nom...son être... »

La phrase de ma voisine résonne dans mon esprit, deux têtes...j'ouvre les yeux, je suis à l'infirmerie, à côté de la fille aux cheveux noirs.

-« Quelle deuxième tête ? »

Elle se tourne vers moi, son visage est griffé de partout, sa lèvre inférieure est fendue, et son arcade sourcilière encore sanguinolente, elle esquisse un sourire.

-« Tu sais rien hein ? Ça t'agace ? »

Même dans cet état sont sarcasme traverse les murs.

- « qu'est-ce qui t'es arrivé ? »

Elle souri encore, insolente dans son mystère.

-« La même chose qu'à toi, t'es vraiment pas beau à voir. »

Je ne m'étais même pas posé la question de ma présence ici.
L'infirmier arrive avec un air catastrophé, tout essoufflé.

-« Ah mais vous êtes réveillés !! Ne recommencez pas par pitié ! Avec quoi vous êtes vous battus ? »

Battus ? C'est moi qui ai fait ça ? La question de l'infirmier n'est pas insensée, les griffures qu'arbore la fille ne sont pas le résultat d'une simple altercation à main nue, je tente dans savoir plus.

-« Excusez moi, mais je ne me souviens pas m'être battu, comment sommes nous arrivés ici ? »

L'infirmier parait choqué.

« -Tu as vraiment tout oublié ? »

Je profite de la situation.

« -Oui je crois, comment s'appelle cette fille ?

-Vous ne vous souvenez pas de mademoiselle Emily ? Je vais vous faire un mot pour que vous rentriez chez vous, vos adresses ? »

En cœur nous lui répondons.

« -Rue Long-Château... »

L'infirmier jure et sort, au bord de l'asphyxie.

***

Il a fallu débattre longtemps pour pouvoir partir seuls, la vie scolaire nous a fait promettre qu'on ne s'écharperait pas de nouveau.

Je monte lentement sur ma mobylette, j'ai l'impression d'avoir une planche dans le dos, et j'ai le cou tout engourdi.
Je démarre et sort de l'abris du lycée.
La fille au cheveux noirs marche sur le bord de la route.

-« Emily ! »

Étrangement, elle ne semble pas se reconnaître et continue à marcher, puis, après un long temps, elle retourne avec un visage sans expression.

-« Tu as fini par trouver hein ?
- Alys n'est pas là, si tu veux je peux te ramener ?
-Je préfère marcher.
-J'arriverai sans doute avant toi. »

Inutile de préciser où...Emily me lance un regard noir et saisi mon blouson pour se hisser sur ma bécane.

-« Je constate qu'il est trop tard Alek. »

Elle a prononcé mon nom, pour la première fois, mais l'intonation empruntée sonne comme un regret.

-« Je sais. »

***
Nous sommes à l'entrée de la vieille maison, je constate d'ici qu'Inconnue est partie.

-« Il y avait un chien chez moi hier. »

Je ne vois pas en quoi cela intéresserait Emily, je m'attends a un retour sarcastique habituel, mais à ma grande surprise, elle arbore un visage neutre.

-« Il y en a plusieurs qui traînent dans le coin. »

Nous entrons, étrangement, cette fois l'atmosphère de la maison ne me dérange pas, je m'y sens bien.
Je m'avance face à la fresque, Emily à mes côtés.

-« je vais te dire ce que je sais... »

Elle ne cherche même pas à me faire enrager, c'est très perturbant.Elle laisse aller et venir son regard sur les différents moments de la fresque. Elle pointe du doigt le fantôme à la main arrachée.

-« Là tu vois, c'est un mort, il s'est enfuit des enfers, et le chien derrière, c'est Cerbère . »

Je la surprend en train de s'essuyer les yeux en effleurant les deux têtes bien nettes du chien.
Elle poursuit.

« -Ce matin tu es venu, je le sais, et je suis certaine que cette deuxième tête n'était encore que partiellement apparente. »

C'est vrai. Je passe à mon tour la main sur les têtes du chien, je sens de petits picotements et une impression étrange en touchant la deuxième. J'examine ma main, incrédule.
Mon regard se tourne vers Emily, elle a les yeux rouges. J'ouvre la bouche pour essayer de la consoler, mais de quoi ? Tout ça me dépasse, la situation m'échappe, je n'ai pas les mots.
Elle éclate finalement en sanglots pour de bon.

« -T'es un imbécile ! »

Elle s'éloigne dans une pièce de la maison pour se calmer.
Au bout d'un petit moment elle revient, à nouveau sans aucune émotion apparente.
Elle reprend.

« -T'es un imbécile d'être entré ici, maintenant regarde toi, tu as sans doute vu tes yeux changer, ta peau blanchir et cicatriser rapidement, et ... Tu m'a griffée...

-Je suis désolé...

-C'est trop tard maintenant Alek, tu ne dois pas être désolé pour moi, mais pour toi. Là regarde cette main qui semble donner des ordres, je lui appartient, et toi aussi désormais. »

J'inspire profondément, tout ça est invraisemblable, à côté de la réalité, et pourtant j'ai tant de preuves... une tête de chien est apparue sur le papier peint...

« -Emily, qu'est-ce qui s'est passé cet après-midi ?

-La main, l'autre, est venu prendre son dû...toi... Il t'a complètement déconnecté de toi, l'espace de quelques minutes. On s'est battus. »

Je suis effaré par ce qui opère en moi. Autant que par les blessures en guérison d'Emily.

« - C'est moi qui t'ai fait ça ?

-Oui...»

Elle souri.

« -... Mais c'est moi qui ai commencé. »