Royce
Elle s'est planquée dans mon dos, c'est tout juste si elle s'accroche pas à ma chemise. L'idée qu'elle compte sur moi pour faire rempart entre elle et les mecs est à la fois risible et plutôt touchante. Enfin, surtout risible quand on sait que ces gars sont presque des enfants de chœur à côté de moi.
Mon regard scanne en quelques secondes les lieux. La plupart des mécanos sont concentrés sur leur taf et ne nous prêtent pas attention mais Tom me saute dessus dès qu'il me voit avec sa gueule de pitbull qui est un appel à la violence. C'est limite s'il m'attendait pas à l'entrée comme un con.
- Putain mec t'as tardé, on a cru que tu ramènerais jamais ton cul!
Je lui adresse un regard froid en espérant qu'il capte le message, à savoir que c'est pas le moment de me faire chier. C'est d'ailleurs jamais le moment.
- J'avais un truc à faire.
Occupe-toi de ton cul.
Il reçoit le message cinq sur cinq et plisse les yeux avec un agacement évident.
- On t'a sorti le moteur de la BM mais tu dois encore la... Qu'est-ce que c'est que ça Royce? Tu m'expliques?
Ah. Il a remarqué Lily. Elle s'est tellement rapprochée que je sens sa chaleur à travers le tissu de ma chemise. Je ne sais pas trop pourquoi mais je préfère éviter d'attirer l'attention sur elle.
- C'est la nièce de Chris, je marmonne en espérant qu'il laisse tomber.
C'est comme si j'avais crié. Toutes les têtes pivotent vers nous et leurs porteurs rappliquent dans la seconde. Manquait plus que ça.
Max, Riley et le mécano dont je ne me rappelle jamais le nom dévisagent Lily avec une curiosité et un intérêt non dissimulés. Ils ont jamais vu de fille ou quoi?
Diego me fixe sans rien laisser paraître mais je devine à son léger haussement de sourcil que je ne couperais pas à l'interrogatoire plus tard. Il peut toujours essayer, j'ai rien à dire.
- Salut Lily, content de te revoir!
C'est Hunter qui vient de la saluer avec son sourire d'enculé. Il me jette un coup d'œil. Je sais qu'il essaye de m'énerver, je lui ai dit que cette fille est hors-limite.
Son terrain de chasse est assez étendu pour qu'il n'ait pas besoin de venir empiéter sur mon territoire. Enfin, sur celui de Chris. Bref, j'me comprends.
- Ok. Je te demande pas qui est cette fille mais ce qu'elle fait ici, s'énerve Tom.
Il cherche juste un prétexte pour me casser les couilles. S'il continue de me chercher, il va me trouver.
Le contrôle, Walters.
- Elle était dans la voiture et j'ai pas le temps de la ramener. Laisse tomber, Tom.
Évidemment, il ne m'écoute pas.
- Je peux savoir ce que la gosse de Chris faisait dans ta caisse?
Il cherche la merde ou quoi? Il essaie d'asseoir son autorité mais il devrait savoir depuis le temps que ce genre de trucs ne marche pas sur moi. S'il veut jouer au mâle dominant, il a toute une ribambelle d'employés asservis à sa disposition.
Je serre les mâchoires et, malgré l'air énervé qu'il affiche, je ne manque pas son ébauche de sourire retors.
Une ordure.
Il sait parfaitement ce qu'il fait. Si je sors de mes gonds, je me mets dans la merde et il se doute que les cinq mécanos qui nous surveillent m'empêcheront de détruire son visage.
Je sens les signes avant-coureurs d'une crise de colère me guetter. Mes mains se mettent à trembler comme celles d'un putain de Parkinson et je sers les poings pour le dissimuler.
Je m'oblige à invoquer les bonnes images pour garder mon calme. Les barreaux métalliques. Le bruit assommant qu'ils font en s'ouvrant et se fermant à longueur de journée. La couche trop étroite, la bouffe au mieux insipide, au pire infecte, l'eau glaciale des douches communes. L'espace exigu, presque étouffant, qui vous donne en permanence l'impression de crever de claustrophobie.
- Qu'est-ce que ça peut te foutre? Je rétorque d'une voix presque calme.
- Ça me fout que Chris fait des affaires avec nous et ça risque d'être compromis si tu baises sa nièce.
Putain! Je n'ai pas besoin de me retourner pour deviner l'air choqué de Lily. Je remarque qu'elle s'est légèrement écartée. J'aurais jamais dû l'emmener.
Je fusille Tom du regard. Sale con. Est-ce qu'il trouve que cette fille a une tête à se faire sauter? Le bracelet qui pèse autour de ma cheville est la seule chose qui m'empêche de me jeter sur lui pour assouvir mon besoin de violence.
- Ferme ta gueule ça vaut mieux.
- Tu l'as peut-être oublié mais c'est moi qui commande ici. Être doué avec les bagnoles fait pas de toi le chef.
J'en étais sûr. C'est juste un problème d'ego. Ce mec doit vraiment avoir une toute petite bite si j'en crois le putain de complexe d'infériorité qu'il se traîne.
Hunter se positionne entre nous pour calmer le jeu.
- C'est bon les mecs, relax. Y a aucun problème ok, alors on se détend.
- C'est pas moi qui rendrais des comptes à Chris quand il apprendra que Royce saute sa...
Mon poing est à un cheveu de partir tout seul.
- Eh! Mec, l'interrompt le blond en se rendant utile pour une fois. Cherche pas la merde ok. Sauf, si tu veux te faire péter la gueule, dans ce cas, continue t'es sur la bonne voie.
J'attends de voir si le « boss » va laisser tomber ou non en espérant presque que ce soit pas le cas.
- On se remet au travail, il lâche finalement après avoir hésité.
Je le regarde se barrer en agitant les doigts pour me détendre.
- Sérieux, mec, est-ce que tu...? tente Max mais je l'interromps.
- Lâchez l'affaire.
On va épargner à la gosse une énième question sur sa vie sexuelle, qu'elle en ait une ou non. Mon avertissement n'empêche pas les mecs de la reluquer de la tête aux pieds comme des chiens en rut. Tous sauf Diego qui me fixe en silence.
Bordel, j'ai dû manquer quelque chose. Lily est mignonne, c'est sûr, mais c'est pas le type de fille qui attire ce genre de regard, si?
Non, et c'est pas toi qui imaginais sa bouche autour de ta queue y a pas une heure.
Putain! L'idée que les autres soient en train de se figurer le même genre d'image me retourne l'estomac.
- Vous avez pas de travail? je m'emporte sans raisons valables.
On mettra ça sur le compte de mon énervement ou de ma mauvaise humeur habituelle. J'attends qu'ils se remettent tous à leur taf pour me tourner vers Lily.
- Bon tu peux trouver un endroit où te poser et attendre que j'ai fini.
Elle se mord les lèvres et jette un regard perdu autour d'elle. Je sens que l'après-midi va être long.
Comme je l'avais deviné, la chaleur qui règne dans le garage est étouffante et rend l'air irrespirable. J'ai juste envie de me tirer. Putain, je vais pas travailler dans ce fourneau, si ?
T'as pas vraiment le choix Walters, alors tu fais ton taf et tu la fermes.
C'est chiant mais vrai. Ce boulot est une des conditions à ma liberté conditionnelle et Tom est en contact direct avec mon connard d'agent de probation. S'il lui prend l'envie de me baiser, il en a le pouvoir. Il suffit de quelques mots à la bonne personne et je suis dans la merde. Retour au trou. Je préfère éviter, même si ça veut dire que je dois bosser dans cette fournaise puante. Et puis, de toute façon, je sais pas de quoi je parle. Je n'ai rien connu d'autre que ce genre d'endroits depuis ma naissance. Faut croire que bosser au garage de Williams commence à me rendre un peu snob, je songe avec un rictus.
N'empêche, je sais pas comment les autres supportent avec leurs bleus de travail. Je jette un coup d'œil dégoûté à mon enculé de patron qui sue comme un porc dans sa combinaison, un peu plus loin.
Comme s'il m'avait entendu penser, il se retourne et m'adresse une œillade assassine que j'ignore. Quand je pense qu'il me suffirait d'un coup bien placé pour que sa vie s'arrête dans l'instant. Le monde se passerait de lui sans problème. Mais ce serait con et inutile.
Avec un soupir, je vire ma chemise, ce sera toujours une épaisseur en moins. Quand je relève la tête, c'est pour tomber sur le regard concentré de Lily. Braqué sur moi. Franchement, elle a rien de mieux à faire ? Elle n'a pas bougé. Heureusement que je lui ai demandé d'aller se poser plus loin.
Je sais pas ce qu'elle scrute comme ça mais c'est pas ma tête. Encore une fois, je pourrais croire qu'elle me mate mais ça y ressemble pas du tout. Ses sourcils sont froncés de concentration et elle semble en pleine réflexion.
C'est mes abdos qui t'inspirent tout ça, ma belle ?
Quand elle se rend compte que je l'ai cramée, ses joues rougissent d'un seul coup et je me demanderais presque si ma première impression était pas la bonne. Elle relève brusquement les yeux et fixe un point près de mon oreille gauche.
- Euh... je ne trouve pas d'endroit où m'asseoir. Mais ça ne fait rien. Je peux rester debout, ça ne me dérange vraiment pas.
Son visage ne change pas de couleur et elle tire sur les breloques de fille qu'elle a autour du poignet. Elle fait ça tout le temps quand elle est gênée. Je crois.
Connaître ce genre de détails sur une gamine insignifiante est plutôt inutile et me met franchement mal à l'aise mais en même temps, je passe presque toutes mes journées chez son oncle. Pendant les repas qui durent toujours des plombes dans ce domaine, elle fait une assez bonne distraction. En tout cas, elle est plus agréable à regarder que les murs.
- Amène-toi, je lâche en me frayant un passage entre les voitures jusqu'au fond du garage.
Je me demande si elle était sérieuse quand elle parlait de rester debout. Je devrais la mettre au défi, juste pour voir. Mais je le fais pas. Ça n'a aucun intérêt et j'ai d'autres choses à faire que de me soucier des jérémiades d'une gamine fatiguée.
Même si je suis franchement mauvaise langue: j'ai jamais vu de môme aussi peu exigeante. À cet âge, elles sont censées être vraiment casse-couilles, y a qu'à voir la sœur de Diego, une vraie salope.
Mais j'ai pas encore entendu celle-là se plaindre de quoi que ce soit. Quand je pense qu'elle a toujours pas dit à la cuisinière de la propriété qu'elle bouffe pas de viande.
J'ai un temps d'arrêt en arrivant au fond de la salle. Putain, qu'est-ce qu'ils ont encore fait des tabourets ? Bon, c'est le moment de voir jusqu'où va la tolérance de cette fille. Je la guide jusqu'à notre "casse" et lui indique une des rares caisses qui tiennent encore debout.
- T'as qu'à t'asseoir dans celle-ci.
C'est une vieille Citroën en meilleur état que ses voisines mais complètement déglinguée quand même. Les sièges ont perdu leur housse et de la poussière s'est déposée un peu partout.
Elle me dévisage l'air de se demander si je lui fais une blague. J'ai l'air d'un comique ? Elle va dire non, c'est certain. Je vais devoir aller voir si le bar du coin a ouvert et leur taxer une chaise. Et perdre encore du temps par la même occasion.
- D'accord.
Cette fois, c'est à mon tour de la dévisager pour déterminer si elle est sérieuse. Elle ne m'en laisse pas vraiment le temps et me tourne le dos pour s'éloigner alors que je la suis des yeux.
C'est bizarre, elle n'a pas du tout la démarche de quelqu'un de timide et maladroit. Elle n'a pas l'air d'y faire gaffe mais elle avance le menton haut avec un pas cadencé comme... j'en sais rien.
Une danseuse ?
Je laisse tomber cette réflexion sans intérêt et la regarde s'engouffrer sur le siège conducteur de la carcasse. Elle prend même pas le temps de l'essuyer avant de se poser dessus et balance son sac en forme d'ourson sur la banquette arrière sans plus faire attention à moi.
Ok.
Je croyais vraiment qu'elle protesterait. L'espace d'un instant, je pense que j'aurais dû aller chercher une chaise au pub directement, ça m'aurait pris deux minutes. Mais je me ressaisis dans la minute. Si ça lui pose pas de problème, c'est pas moi qui vais me plaindre.
Elle est en train d'étudier l'intérieur de la bagnole avec son regard d'enfant curieux. Ses doigts effleurent les restes du volant et le tableau de bord sale et un léger sourire parcourt ses lèvres.
Elle sourit, bordel. Je sais pas comment elle y parvient au milieu de cette merde. Elle est timbrée. Ou alors, elle est juste intriguée par ce milieu à des kilomètres des espaces qu'elle fréquente. Ça doit lui faire comme une sortie au zoo, j'imagine. Y a même les chimpanzés, je songe pince-sans-rire en avisant Hunter et Max qui s'amusent à imiter des cris d'animaux pour emmerder Tom.
Je secoue la tête et me détourne de Lily pour trouver la BM sur laquelle je suis censé bosser.
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