Royce
Le silence fait un boucan infernal. Je l'écoute s'abattre brutalement sur nous comme un ivrogne te casse une bouteille sur la tête quelques secondes avant que tout devienne noir. L'air prend une consistance plus épaisse, contaminé par un malaise qui ne m'atteint pas vraiment. Les deux autres se sont pétrifiés, comme dans l'attente de l'apocalypse où de je ne sais quoi. Ils s'imaginent probablement que je vais partir en vrille, exploser deux trois trucs.
Ils peuvent attendre. C'est pas dans mes projets.
Malgré les poils qui se hérissent sur ma nuque et mes avant-bras, je ne réagis pas, ne tique pas, ne bronche pas. Mon bracelet électronique s'est mis à peser deux tonnes, le minuscule clignotant rouge de l'instrument prend des allures de gyrophare et la célérité de mes battements de cœur fait un bond juste avant que je ne remette l'organe sous contrôle. Serrant les dents, je ravale ma surprise et l'enterre sur une couche d'indifférence. Je suis assez bon à ce jeu.
Je pourrais envoyer mon poing dans le crépi mais à quoi ça m'avancerait? J'ai déjà les doigts assez abimés à cause de l'enculé que s'est ramené au combat hier avec plus de métal sur la figure qu'il en faut pour faire une clé de dix. Je n'ai pas raté le type mais je me suis aussi déchiré les mains sur ses piercings. Si c'est possible, je vais attendre que ça cicatrise un peu avant de me la jouer Walters. Question de productivité, je suis mécano.
C'est sûr. Ça n'a rien à voir avec la tronche de six pieds de long qu'a tirée Lily quand elle a vu tes jointures ce matin.
Putain, je me fatigue.
Les yeux braqués sur un point invisible devant moi, j'ai pas besoin de jeter un œil vers Hunter et Diego pour savoir que le premier grimace de confusion en se mordant l'intérieur de la joue et que l'autre l'assassine du regard en lui faisant silencieusement la promesse de l'égorger d'un discret signe du pouce.
Quand leurs échanges de coups d'œil angoissés commencent à me souler, je me relève et m'éloigne sans un mot ni un regard en arrière.
- Où tu... commence Diego en se rendant compte que je ne prends pas la direction du garage.
Si je lui réponds, est-ce qu'il va me suivre?
- Me prendre une bière, je lâche sur un ton neutre.
Je soupire en les entendant se redresser tous les deux et m'emboiter le pas. Le blond se colle presque à mon flanc et me glisse des coups d'œil anxieux. Je fais un écart à peine subtil vers la gauche pour l'éviter mais il vient carrément se placer devant moi, avançant à reculons pour ne pas me perdre de vue.
Est-ce que je lui dit pour le palmier nain? Non. Je le regarde se le manger sans m'émouvoir mais il s'est relevé dans la seconde et revient se planter devant moi.
- Désolé mec, je sais pas ce qui m'a p...
- C'est bon, je le coupe sèchement. Je m'en fous.
C'est la vérité, je m'en tape. Ce genre de remarque, j'en bouffe tous les jours et à toutes les sauces. Le fait qu'elle sorte de sa bouche à lui m'a un peu déstabilisé mais en fin de compte, lui ou un autre, ça fait pas de grande différence.
Il s'est arrêté sous le coup de la surprise et me dévisage en grimaçant de concentration, accentuant son air de ressemblance déjà très prononcé avec la très sympathique clique des attardés mentaux.
Son front est plissé, ses sourcils forment un angle inquiétant et ses lèvres entrouvertes laissent échapper une haleine au ketchup. Je sais pas trop s'il essaye de développer ses dons inexistants de télépathie ou s'il est juste constipé. Sans m'attarder sur la question, j'essaye de le contourner.
Il bouge pour m'en empêcher, je le feinte vers la droite mais il se décale en même temps pour me barrer la route. Mais il est sérieux? Il pose ses deux mains sur mes épaules dont les muscles se tendent aussitôt pour rejeter ce contact. Je fixe ses doigts crispés sur mon T-shirt avec une intensité assez éloquente et il les retire aussitôt, les écartant en l'air en signe d'apaisement.
- Je déconnais, bro, c'est sorti tout seul, je te jure. Allez mec, je suis dés...
- Je viens de te dire que c'est bon.
- Mais ça se voit que c'est pas bon, t'as ton regard de serial killer, tu me fais grave flipper.
Je ne réponds pas, je ne vois pas trop ce que je pourrais répondre à ça de toute façon. Mais quand je tente une nouvelle fois de bouger, Hunter se glisse encore sur mon chemin. Bordel! S'il me cherche, il va me trouver.
Je pivote sèchement vers Diego pour lui faire comprendre que ma patience atteint ses limites et qu'il ferait mieux de venir remettre la laisse au chien mais il hausse juste les épaules sans se bouger le cul.
- Je le pensais pas vraiment, je sais que tu l'as pas but... tuée, tente Hunter.
Non. Il ne sait rien du tout.
Dans un instinct naturel de défense, mes muscles se contractent, incertains de la marche à suivre, et mes poings se crispent, étirant mes jointures abimées. Je rouvre les mains, agite les doigts contre mes cuisses.
- Mais ce que tu penses, moi je m'en branle, je rétorque froidement en repoussant Hunter pour la dernière fois.
Il me laisse passer. Sage décision. Ça ne l'empêche pas de me balancer dans le dos, alors que j'ai pas fait deux pas:
- Mais ce que tu penses, ça compte pour moi.
Je ralentis, soupire, me pince l'arrête du nez en fermant les yeux et finis par m'immobiliser. Fait chier! Il pourrait pas être juste normal et se comporter comme un homme deux minutes. La dignité c'est trop abstrait pour lui, comme concept?
Quand je me retourne à contre cœur, Diego colle le menton à son sternum pour cacher son sourire à la con. Quant à Hunter, il courbe les sourcils, écarquille les yeux et avance les lèvres. Le tout lui donne un air ridicule à crever au point que je me creuse la cervelle pour essayer de me rappeler les raisons qui nous ont poussés à trainer avec ce gosse. Là, tout de suite, aucune ne me vient.
Nan, vraiment, je vois pas. Je sais même pas quoi dire.
- Fais pas la moue, c'est un truc de pédé, je lâche faute de mieux.
La moue en question se transforme en énorme sourire et son propriétaire me file une tape sur l'épaule, l'air très fier de lui:
- À ce propos, faudrait peut-être que je t'avoue un truc...
- T'es pas gay, je tranche, blasé, avant même qu'il essaye de prendre cette direction.
Il fait frétiller ses sourcils quasi inexistants.
- Qu'est-ce t'en sais? Je pourrais l'être.
- J'y croirais peut-être si tu t'enfilais pas dix meufs par semaine, j'objecte en reprenant mon avancée vers la salle des employés.
- Ça changerait quelque chose pour toi?
Quoi encore? Je m'arrête, bascule la tête en arrière et pose les yeux sur la bâche noir qui nous sert de ciel en essayant de trouver la patience qui me manque.
- Quoi? je grogne sans me retourner.
- Bah, si je me tapais des mecs?
Quoi, il est encore bloqué là-dessus? On joue à quoi là? Il me fait perdre mon temps. Exaspéré, je me retourne carrément.
- Hunter, t'es pas gay putain, je martèle en secouant la tête.
Le regard indéchiffrable qu'il échange avec Diego m'intrigue deux secondes mais pas assez pour que je m'arrête dessus.
- Oui, mais si je l'étais, est-ce qu'on serait toujours potes?
Je suis tombé dans la cinquième dimension ou quoi? C'est quoi le délire, il a snifé de la peinture? On sait l'un comme l'autre qu'il est tout sauf homo alors qu'est-ce qu'il me fait? Personnellement, je me tape complètement de savoir dans quel type de trou il préfère se ficher mais comme il se fout visiblement de ma gueule, j'évite d'entrer dans son jeu.
Je le toise en haussant un sourcil.
- On est pas potes, toi et moi.
-Bien sur que si!
Ok. Je suis finalement pas le type le plus pathétique de la propriété aujourd'hui.
- Je te dis que non.
Il pince les lèvres, prend son air de gamin contrarié. À ce rythme, je sens qu'on y sera encore demain.
- Ok, alors comment t'expliques que je pionce chez toi la moitié du temps.
- T'es un squatteur qui a pas une thune, cherche pas plus loin.
- Vu le nombre de conneries que je balance à la minute, tu m'aurais démonté la tronche depuis des plombes si t'avais pas de un peu d'affection pour moi.
Est-ce qu'il vient de dire "affection"? Putain, il l'a dit.
- T'as une gueule qui inspire la pitié, j'improvise sous le regard amusé de l'autre imbécile de colombien. Et vu que t'es déjà moche en plus d'avoir des problèmes de bite, j'ai pas envie d'aggraver ton cas.
- Je t'ai attendu. Je vous ai attendu tous les deux pendant que vous étiez au trou.
- Personne te le demandait.
- C'est moi que t'as choisi au lycée pour participer à vos magouilles...
Nos quoi?
- Ouais, et je le regrette tous les jours.
Il gonfle les joues en avançant les lèvres et je pense lui avoir coupé la chique quand il les rouvre, les étirant lentement de chaque côté comme ce chat bizarre dans ce dessin-animé pour enfant...
- Ok, qu'est-ce tu dis de ça: y a qu'un vrai pote qui pourrait savoir que tu fais juste semblant de pas pouvoir piffrer la petite Williams.
Je cligne des yeux, pris de court, et reste planté sur place comme un con alors qu'il me double sans prendre la peine de masquer le sourire de vainqueur qu'il arbore comme une putain de pancarte. Putain, est-ce qu'il... Merde.
- Il est fort, se marre Diego à ma droite.
- Je t'emmerde.
- Tu te ramollis, il m'accuse avant de me dépasser à son tour.
Je traine des pieds derrière eux, le crâne encombré de sales doutes. Qu'est-ce que ça voulait dire? Qu'est-ce qu'Hunter croit savoir? Merde. Merde! Je pensais pas être aussi transparent. Si même le mec le plus bouché que je connaisse s'est rendu compte de ce qui cloche chez moi, je suis mal barré.
Elle est mal barrée.
En grimpant sur le porche, je me creuse la cervelle pour réfléchir aux indices que j'aurais pu laisser échapper, une faille dans mon comportement qui permettrait aux autres de deviner la connerie monumentale que je suis en train de faire. Un tic, un geste, n'importe quoi...
Je me passe une main dans les cheveux en fixant l'arrière du crâne blond d'Hunter, mal à l'aise. Si même lui à compris, alors n'importe qui peut y arriver. Qui d'autre sait? Putain! J'ai l'impression d'être à poil. Et franchement, je préfèrerais.
Ma minute de remise en question n'aboutit pas parce que mes pensées se disloquent et partent en fumée à la seconde où je pénètre dans la salle à manger, éparpillées par le son d'un rire qui rebondit dans la pièce. Un rire féminin, un peu enfantin et teinté d'un soupçon d'accent anglais - ouais, les rires ont des accents maintenant. Le genre de son qu'on aurait envie d'entendre tous les jours, plusieurs fois par jour, matin, midi et soir.
Redescends sur terre, tu fais pitié.
Je me fige sur le seuil, mon palpitant joue au con et perd le rythme, me filant l'impression flippante d'avoir raté quelques marches dans un escalier. Sans avoir besoin d'y penser, mon regard la cherche. La trouve. Je cligne des paupières. Il me faut bien trente secondes pour analyser la scène qui se déroule sous nos yeux tellement elle est barrée.
Debout devant le canapé, Quinn est torse nu et contracte ses petits biceps. Ou alors ses abdos, j'en sais rien, la différence est pas franchement frappante alors je suis pas certain de ce qu'il essaye de mettre en avant.
Mia a quasiment la main sur sa queue, à quelques centimètres près. J'aurais presque envie de jubiler en devinant que Diego sent sûrement les restes de son cheeseburger de midi lui chatouiller l'œsophage mais mon attention est accaparée ailleurs.
Lily est assise sur le canapé, la tête basculée en arrière, les pommettes un peu rose et les yeux plissés d'amusement. Elle a replié une jambe sous elle et elle rit, creusant deux petits trous sur ses joues de poupée.
Putain... Je déglutis péniblement. Si le diable existait, il aurait forcément créé cette fille, c'est sûr. Juste pour le plaisir de me foutre dans la merde.
Je ne la quitte pas des yeux, le regard assoiffé, les tripes en feu. Un vrai toxico en manque. J'essaye de l'imaginer dans son ancienne vie, son autre Monde là-bas, en Angleterre. Je le fais souvent ces derniers temps, assez pour que ça en devienne flippant. Mais je suppose que j'ai déjà dépassé ce stade depuis un bail de toute façon. Je suis pas certain de ce que je dois faire de cette curiosité.
Rien du tout.
Les autres ne m'intéressent pas en principe, leurs petites vies insignifiantes encore moins alors j'ai jamais eu à gérer ce genre de frustration. C'est comme une démangeaison mentale impossible à apaiser.
Mais pendant une seconde troublante, je me le figure parfaitement. Elle, en vêtement d'hiver, les cheveux pleins de neige, le nez et les joues rougies par le froid, en train de trottiner sur un trottoir londonien. J'y suis jamais allé, j'ai même jamais quitté la Floride, mais j'ai vu des photos alors j'ai une vague idée du décor.
Ouais, j'ai googlé "Londres" pour avoir une idée un peu plus précise que de vagues images de cabines téléphoniques aux couleurs sanglantes. Inutile de me demander d'où me vient cet intérêt soudain pour une lointaine capitale dans laquelle je foutrais jamais un orteil. Bref.
Je l'imagine sourire au lèvres comme en ce moment, un sac de lycéenne sur le dos. Rose le sac. J'essaye de ne pas inclure son British Boy au portrait même si - en étant un peu réaliste - je me doute qu'il doit pas être très loin dans le tableau.
Elle rit toujours. Elle ne m'a pas encore vu.
Une pulsion aussi stupide qu'incisive me hurle de la choper, de la ficher sur mon épaule et de me barrer avec. Je balaye l'idée dans un coin de mon crâne avec le reste des trucs "tentants mais à éviter". N'empêche, mes doigts me démangent de vraiment le faire.
Premier jour de sevrage.
Bah, si je peux plus toucher, rien ne m'empêche de regarder. Ok, dit comme ça...
Ouais et de toute façon, évite.
Je vais me gêner.
Une main accrochée à une touffe de cheveux sur ma nuque, le regard agrippé à Lily, je la reluque sans prendre la peine de m'en cacher, passant au crible son petit corps svelte, ses jambes musclées que son mini short cache à peine, son joli buste encadré par un T-shirt de marque, la colonie de bracelets multicolores qui encombrent ses poignets fins, les boucles blondes qu'elle a essayé d'attacher mais qui ont pas l'air de saisir le concept.
Merde, elle est belle. Trop.
Ça me ferait presque oublier la façon dont Boyd profite de la situation, collé dans son dos, le visage à quelques centimètres de sa nuque, leurs cuisses soudées l'une à l'autre. Presque. En fait non, pas du tout. De là où il est, je sais qu'il peut capter son parfum, l'odeur un peu fruitée de ses cheveux. Le simple fait d'imaginer qu'elle doit percevoir la chaleur de ses respirations, de sa jambe...
Je suis à deux doigts de perdre les pédales.
La bête s'agite à l'intérieur, secoue ses chaines, mécontente. Réveillée, elle reprend sa place au creux du four qu'est devenue ma poitrine et réchauffe mon sang à toute allure. C'est tout juste si je le sens pas bouillir dans mes artères.
J'essaye de me calmer en imaginant le bruit que ferait les os de ce gosse si l'envie me prenait de l'envoyer décorer le mur. Ça ne marche pas du tout. Boyd, visiblement le premier à remarquer notre présence, soutient mon regard en se pressant un peu plus contre Lily et ses sourcils remontent légèrement dans ce qui ressemble à un défi.
Il cherche quoi, là? J'arrive pas à savoir s'il est con ou juste complètement inconscient. J'ai pas le temps de me lancer dans un concours de bite avec un ado boutonneux. Ça vaudrait vraiment mieux pour lui qu'il soit pas en train de jouer à ça avec moi. Parce qu'il perdrait.
J'inspire lentement par le nez et essaye de détourner la tête sans succès. J'ai la nuque bloquée. Je crispe et décrispe discrètement les poings pour endiguer la pulsion destructrice qui s'est mise à sprinter dans mes veines, grince des dents, piétine sur place en espérant vraiment que ma face ne trahit pas ma lutte intérieure.
C'est là qu'elle nous remarque. Depuis son perchoir, elle relève machinalement le visage vers nous et son rire s'étrangle dans sa gorge avant de mourir complètement comme une étincelle sur laquelle on verse un seau d'eau. Il suffit que son regard butte contre le mien pour que toute trace d'humour déserte ses traits qui se tendent brutalement.
Waouh, c'est l'effet que je lui fais, maintenant? J'accuse le coup en silence.
Bien fait pour ta gueule.
J'essaye de sonder son regard pour y déceler quelque chose, n'importe quoi, mais il a filé aussi vite que son sourire. Il ère un peu partout, un peu perdu. Partout sauf sur moi, je ne manque pas de remarquer en voyant ses grands yeux pâles sauter de Diego à Hunter pour revenir à Diego avant de se braquer résolument au sol.
Ses doigts enserrent sa cheville nue, blanchis par la crispation, le peu de couleur qu'elle semblait avoir retrouvé n'est déjà plus qu'un souvenir et il me semble bien la voir déglutir plusieurs fois à la suite, l'air très mal à l'aise.
J'ai l'impression de me prendre un coup de genou dans le bide. Violent. Je l'ai cherché, c'est sûr. N'empêche, je ne m'attendais pas à ce genre de réaction. Je sais même pas à quoi je m'attendais. Quand je comprends que je ne tirerais rien de plus pour l'instant et que mon flegme commence à se fissurer comme une vitre sous pression, je me détourne et m'approche du lavabo dans l'angle de la pièce.
J'aurais dû l'anticiper mais le changement d'attitude plutôt radical me laisse paumé... Hier soir, elle avait l'air tellement sûre de vouloir me garder près d'elle... elle a même pleuré. Elle a pleuré, merde! J'en suis encore sur le cul. Je me rappelle pas avoir déjà fait pleurer une fille pour ce genre de motif.
Faut dire que je suis loin d'être un cadeau. La plupart des meufs dont l'existence entre en collision avec la mienne chialeraient plutôt pour que je leur foute la paix, et elles auraient pas besoin de me le dire deux fois, je suis pas du genre à m'attarder. Quand on a finit son assiette, on va pas lécher les miettes, à moins de vraiment crever la dalle.
Mais encore une fois, Lily n'est pas la plupart des meufs. Elle est sa propre catégorie à elle seule, avec ses pensées tordues, ses réactions incompréhensibles, ses raisons secrètes. J'ai eu beau faire tout ce que je pouvais pour la dégouter, lui faire passer l'envie de trainer dans mes pattes, elle a pas lâché prise.
La façon qu'elle a eu de revenir à la charge à chaque fois que je l'envoyais chier un peu plus violement, les joues trempées de chagrin mais le regard bouillant d'une espèce de détermination farouche qui me fait clairement défaut ces derniers temps...
Avec n'importe quelle autre fille, j'aurais trouvé ça gonflant, voire carrément pathétique. De toute façon, j'en vois pas beaucoup qui seraient prêtes à cracher sur leur dignité de cette façon, encore moins pour une enflure dans mon genre. Mais Lily se tape de ce genre de détails: la fierté, l'honneur... elle réinvente les concepts.
Et franchement, lequel de nous-deux est le mieux placé pour revendiquer ces pseudos-qualités: celle qui la joue carte sur table quitte à se prendre le vent de sa vie ou l'enfoiré qui laisse une gamine se mettre à nu, gratte tout ce qu'il y a à gratter, avant de claquer la porte sans rien donner en échange, sans même prendre la peine de s'expliquer.
Planté derrière Hunter qui prend un temps fou à se laver les mains, je me repasse mentalement pour la centième fois les grandes lignes de la soirée d'hier, les réactions de Lily. Sa fragilité, son insistance, sa résolution presque sans faille que je me suis appliqué à piétiner.
De ma vie, je crois pas que quelqu'un ait à ce point manifesté l'envie de trainer avec moi.
J'ai rien compris. C'était...délirant, inattendu. Flippant.
Arrête de mentir, Walters.
Ok.
C'était aussi un peu touchant. Et je vais pas nier que ça m'a fait... quelque chose. Comme si on me labourait les entrailles avant de les réparer pour recommencer à les foutre en l'air. J'ai dû ramer comme un malade pour ne pas lui céder alors qu'elle s'accrochait à moi comme je me serais même pas permis de l'envisager en rêve, comme jamais personne ne l'a fait ou ne le fera plus.
Tu lui as cédé, Walters.
Et le pire, c'est que j'ai même pas la force de regretter vraiment.
Mais là... quand je la regarde, toute pâle, à fuir mon regard et à se mordre la lèvre avec son air angoissé, je me demande si mon esprit déglingué n'a pas tout inventé. Qu'est-ce qu'il s'est passé? Je veux dire, je m'attendais à ce qu'elle boude un peu ou qu'elle me fasse la gueule, les filles font ce genre de truc. Sauf que je pense pas que ce soit de ça qu'il s'agisse.
Y a un truc... comme une espèce de différence dans son attitude qui m'interpelle. Ça me fait légèrement baliser mais j'arrive pas à mettre le doigt dessus. À cran, je dégage Hunter d'un coup d'épaule au bout de cinq minutes - on est là pour se rincer, pas pour une manucure - et passe rapidement les mains sous l'eau chaude en frottant vigoureusement pour faire partir la peinture séchée qui me colle à la peau, à défaut de pouvoir virer le film de malaise dans lequel je suis englué.
La vieille cuisinière vient de pousser la porte des cuisines fumantes pour pénétrer dans la pièce et, en me retournant par réflexe, mon regard accroche celui de Lily une toute petite seconde avant qu'elle ne le fasse dévier en se crispant légèrement. Et ça me percute comme un camion de cinq tonnes. C'est là que je capte ce qui a changé. C'est là qu'une première brise de panique se met à me refroidir les poumons.
Elle ne me regarde plus de la même façon.
D'habitude, elle a une espèce de lueur espiègle et un peu curieuse quand elle me mate, avec une touche de cette affection qu'elle distribue à gogo. J'y avais pas vraiment fait gaffe jusqu'à maintenant, c'est qu'en tombant sur le bleu délavé de ses yeux bizarrement vides que je me rends compte qu'il manque un truc. Dans ses yeux, j'ai l'impression désagréable d'être un putain d'inconnu.
Merde. Qu'est-ce que ça veut dire?
Ça veut dire que t'as gagné. Maintenant porte tes couilles et assume.
Je suis mal.
Si j'aurais pu anticiper ce genre de réaction de sa part en étant un peu moins arrogant, la mienne me prend au dépourvu.
Les mains crispées, fermement agrippées aux bords en céramique de l'évier, et le regard braqué sur le filet d'eau qui se déverse dans le vide, je me concentre pour essayer de déterminer laquelle de mes paroles ou lequel de mes actes a pu déclencher cette réaction, ou plutôt cette absence de réaction. Mon cerveau tourne à deux à l'heure, court-circuité par une angoisse répugnante qui se diffuse à toute allure comme un virus. Je rame.
C'est ce que j'ai dit à son oncle. C'est forcément ça, je vois rien d'autre.
Futé, le bonhomme!
Parler comme ça devant elle, même si j'avais mes raisons, c'était vraiment nul. C'était même carrément con. C'est le moment que choisit Hunter pour ramener sa grande gueule, ça faisait quoi? Dix minutes?
- Au fait, Lily, il braille derrière moi, je voulais te dire que je pense pas du tout que t'es une Mini-Cooper, moi !
Bordel de merde!
Je sursaute et pivote sur moi-même, la mâchoire crispée à m'en fissurer les gencives. Pour la deuxième fois de la soirée, le blond vient de jeter un putain de malaise dans l'air. Le silence est aussi percutant que ma colère, que je m'acharne à garder sous contrôle, histoire d'éviter de faire une connerie.
Il a de la chance que je me sois déjà bien défoulé sur Michael parce qu'autrement, je me serais pas gêné pour lui imprimer mon poing en 3D sur la figure. Le coup est à deux doigts de partir. Je ronge mon frein et porte directement mon attention sur Lily, laissant Diego faire comprendre au gaffeur de service de garder fermée la boite à merde qui lui sert de bouche.
Comme je l'avais anticipé, Lily n'a pas l'air de bien encaisser cette allusion aux conneries d'enfoirés misogynes qu'on lui a fait endurer un peu plus tôt. Ses yeux se sont agrandis sous le choc de ce rappel, ses lèvres tremblent un peu et elle cligne frénétiquement des paupières pour garder la face. Elle a le regard d'un faon pris dans les phares d'un 4x4.
- Euh... merci, elle chuchote quand même pour rassurer Hunter après avoir pris une petite inspiration saccadée.
C'est vraiment elle tout craché ça: s'inquiéter de ne pas heurter les "sentiments" des autres alors qu'elle est en train de déguster.
- Qu'est-ce que c'est que ces conneries ? s'énerve Quinn sans que personne ne lui réponde.
Son petit coté protecteur m'arrache une légère grimace. Je ne peux pas m'empêcher de trouver ça gonflant. Lily lui appartient pas que je sache, alors qu'il se mêle de son cul.
Elle ne t'appartient pas non plus, Walters.
Je grince des dents et souffle par le nez.
Sans compter que les intentions de Quinn envers elle sont probablement bien plus honorables que les tiennes. Jusqu'à preuve du contraire, lui ne rêve pas de la sauter.
Je bats mentalement en retraite et ravale la réplique cinglante destinée au rouquin qui me piquait la langue. Lily s'est tassée dans le sofa, comme si elle essayait de se fondre dans le cuir du meuble. Elle fixe la porte des cuisines avec une intensité qui ne laisse aucun doute sur ce qu'elle à en tête: elle attends la première occasion de filer.
- Ce que je voulais dire... , reprend un Hunter emmerdé mais l'œillade glacée que je lui balance le dissuade de poursuivre sur sa lancée.
- On sait ce que tu voulais dire, maintenant ferme-la, tranche Diego en éloignant le blond de Lily, des fois qu'une autre phrase de "consolation" traverse à nouveau son esprit détraqué.
Malgré mon insistance silencieuse et un peu lourde, Lily ne se tourne plus une seule fois dans ma direction. Son regard vague reste fermement scotché au sol. Ses épaules sont raides. Sous son petit haut clair, sa poitrine se soulève très lentement, un peu trop, et je devine qu'elle est concentrée sur chacune de ses inspirations. Je l'ai déjà vue faire ça quand elle est stressée.
Même si j'aimerais mettre son malaise sur le dos d'Hunter et de ses conneries, je sais déjà que c'est pas lui qui la fout dans cet état. Je fourre profondément mes mains dans les poches de mon jean et me détourne pour éviter de faire peser plus longtemps mon regard sur elle et la laisser respirer.
Une minute plus tard, elle s'est volatilisée. Alerté par un mouvement dans ma rétine périphérique, j'ai juste le temps d'apercevoir une flopée de boucles blondes flotter dans l'air avant que la porte se referme sur elle sans claquer.
Je serre les dents en fixant le bâtant en bois. Elle est probablement déjà dans sa chambre, je l'imagine grimper les escaliers à toute allure sur la pointe de ses converses pour éviter de croiser son oncle. Je reste planté là, comme un con au milieu de la pièce, à faire le listing non exhaustif de mes conneries.
Autant dire qu'y en a une petite pile. Alors une de plus ou une de moins...
Non! Putain, t'avise même pas d'y penser, Walters!
Je pourrais monter. Ce serait pas si terrible. Je l'ai déjà fait, j'en garde même un souvenir assez... assez. La dernière fois, Williams était pas à la maison mais l'éventualité de me faire choper est le dernier de mes soucis. J'ai pas de compte à rendre à ce type.
Ce serait juste pour m'excuser, j'hésite à moitié convaincu par mon prétexte bidon. Enfin, je vais pas m'excuser à proprement parler mais juste m'assurer qu'elle est ok.
Bien sûr, c'est tout toi ça. Walters le philanthrope.
J'entrerais même pas dans sa piaule, je resterais dans le couloir.
De toute façon, j'en ai pas vraiment envie, je me passerais d'une nouvelle piqure de rappel, j'ai pas besoin de ça pour savoir que j'aurais jamais dû foutre un pied dans la vie de cette fille. Tomber une fois sur sa chambre de gamine m'a assez fait culpabiliser pour une année. J'ai encore ses murs rose bonbon et ses animaux en peluches gravés dans ma rétine. Sans compter le plafond saturé des clichés de son British Boy qui m'est resté en travers de la gorge comme une gorgée de lait périmé.
Ok, je fais ça et ensuite, je mets fin à ce cirque. Je ne lui adresserais même plus la parole. C'est ce que j'aurais dû faire depuis la première seconde.
Mouais, rengaine familière...
De toute façon, mon quotidien est assez compliqué sans que j'y ajoute une gamine fragile et beaucoup trop sentimentale pour un mec comme moi.
Contrairement à Diego et Hunter, trainer dans ce genre d'environnements ne me met pas mal à l'aise. Je m'y sens aussi à ma place qu'au milieu des quartiers sales du Nord ou que n'importe où ailleurs, c'est à dire pas du tout. Frôler cet étalage ostentatoire de richesse et d'opulence ne me fait ni chaud ni froid. Les baraques scintillantes, les garages de millionnaires, les gens qui puent le fric à des kilomètres à la ronde... ça me fait que dalle.
Mais avec Lily... quand je lui tourne autour, quand je la prends dans ma bagnole ou que je pose la bouche sur elle... je me fais l'effet d'une racaille qui essaye de s'incruster dans un club house. Au fond, Michael était sur la bonne voie avec sa métaphore à la con, même s'il était complètement à côté de la plaque pour cette histoire de Cooper. Lily est plus comme ces caisses de luxe que je répare ici. Je peux m'en occuper et me rincer l'œil dessus mais elles seront jamais à moi.
Avec un soupir, je lève les yeux vers le plafond qui nous sépare de l'étage, presque décidé. J'ai à peine esquissé un pas encore hésitant en direction de la porte quand un truc crochète la ceinture de mon pantalon. Des doigts, je note en baissant un regard irrité vers la main mate à laquelle ils sont rattachés.
- N'y pense même pas, lâche la peste en me défiant de ses yeux haineux.
- Lâche moi, je siffle alors que Diego fait quelques pas incertains dans notre direction.
Après quelques secondes d'un silence tendu, elle consent à virer ses doigts de mon jean pour croiser ses bras sur sa poitrine et me fusiller du regard.
Ce même regard qu'elle avait y a trois ans, juste après que son reuf se soit fait coffrer, quand elle est venue au parloir de mon centre de détention pour exiger des explications.
- Je te préviens, tu t'approches plus d'elle, elle crache dans ma direction. Tu l'oublies.
Je fais rebondir les muscles de ma mâchoire et de ma tempe en claquant des molaires.
- Qu'est-ce qu'elle a? Pourquoi elle est comme ça? je demande avant de pouvoir m'en empêcher.
J'ai au moins le réflexe de masquer mon inquiétude sous une épaisse couche d'indifférence, obligeant le moindre de mes muscles faciaux à se décrisper pour conserver un air neutre.
J'essaye de faire abstraction des trois autres paires d'yeux qui me dévisagent avec attention. Hunter est le seul à pas vraiment nous calculer, trop concentré sur la bouffe sucrée que la cuisinière a déposée sur la table à manger.
- Comme quoi?
La frangine fait mine de pas saisir. Elle a basculé la tête sur le dossier du sofa pour me fixer par en dessous et n'a visiblement pas l'intention de me faciliter la tache.
Jambes fermement campées sur le sol, je croise les bras sur mon torse, imitant sa position pour lui faire comprendre que j'ai pas l'intention de bouger tant que j'aurais pas mes réponses.
- Mal, je réponds, cinglant.
Un ricanement un peu rauque et incrédule lui échappe alors qu'elle me fixe comme si j'étais le dernier des attardés mentaux.
- T'es sérieux?
- Alors?
- Lâche-moi les basques, mec. J'ai assez vu ta gueule pour toute ma vie.
- Réponds, je la presse sans m'émouvoir.
Elle secoue la tête et étire les lèvres en un rictus satisfait, faisant passer mon degré d'irritation au stade supérieur.
- Tu peux l'oublier, Walters. Là, je crois qu'elle a vraiment tiré un trait sur toi, elle précise en me désignant de son majeur.
Hein?
Je cligne des yeux à plusieurs reprises, retient la répartie cinglante et complètement stupide qui me vient naturellement aux lèvres, à savoir qu'on ne tire pas un trait sur ce qu'on a pas. L'appréhension remplace rapidement la surprise.
Je me racle la gorge sans lâcher des yeux celle qui se délecte de mon trouble, ne manque cependant pas de remarquer que Boyd nous fixe avec attention, l'air un peu trop concerné par la discussion.
- Qu'est-ce que ça veut dire? je lâche d'une voix un peu rauque en essayant d'ignorer l'indien.
Mia pince les lèvres et hausse les épaules. Son petit air supérieur me fout les nerfs en boule, idem pour son silence. Ses yeux se plissent d'amusement quand elle les pose sur mes poings serrés le long de mes flancs. Elles me les brise mais à fond.
Quand je crois comprendre, la colère incendie mes veines et jette un voile flou sur ma vison. Putain!
- Qu'est-ce que t'es allé lui raconter? je gronde en avalant brusquement la distance qui nous sépare, me plantant face au canapé à quelques centimètres de ses jambes.
Les réactions de Diego et de Quinn sont immédiates. Le premier vient rapidement me coller au train, sa main se referme sur mon avant bras et je prends sur moi pour ne pas me dégager de sa poigne. Le rouquin s'est plaqué contre le dos de Mia et jette sa paume en avant pour m'empêcher d'approcher davantage.
Je me fige, interdit. Qu'est-ce qu'ils foutent? Bordel, quand bien même elle me casse les couilles à mort, je vais pas lever la main sur Mia! J'ai jamais touché une meuf de cette façon et je ferais jamais un truc pareil. Je sais que les rumeurs me prêtent facilement ce genre de comportement, je ne suis donc pas plus surpris que ça par l'attitude de Quinn. Par contre la ruade de Diego me file un léger choc.
Je m'écarte de sa sœur sans insister et me retourne pour croiser son regard. Comme s'il lisait dans mes pensées et se rendait compte du ridicule de son geste, Diego me lâche aussitôt. Je coince mes mains dans les poches avant de mon jean, histoire de rassurer tout le monde sur mes intentions et reporte mon attention sur la brunette.
Parfaitement détendue, elle me détaille en repoussant le bras de Quinn. Bizarrement, c'est la seule qui n'a pas manifesté le moindre signe d'inquiétude devant mon coup de sang.
- J'attends, je lâche froidement d'une voix contrôlée.
La nervosité me pousse à maltraiter mes cheveux quand je me mets à réfléchir à tous les trucs sales qu'elle a pu balancer à Lily sur mon compte. Si ça se trouve, c'est elle qui craché le morceau pour cette histoire avec la fille Marshall...
- Je lui ai rien dit.
Je renifle d'agacement.
- Arrête de mentir, puta...
- Je mens pas. Tu t'es débrouillé tout seul comme un grand sur ce coup là, Cabrón . J'ai l'impression qu'elle a enfin compris qui est vraiment Royce Walters.
Je lui file le bâton pour me faire battre sans réfléchir:
- En clair?
- Un sale connard égoïste! Une espèce d'ordure répugnante qui pense qu'avec sa queue! Un type même pas capable de se poser deux secondes pour réfléchir à la chance qu'il...
- Fais moi plaisir et épargne moi un nouveau discours, je la coupe, cynique.
Mia hausse un sourcil aussi broussailleux que ceux de son frangin, le geste lui donne un air encore plus hautain. Elle a jamais autant l'air de la connasse qu'elle est que quand elle hausse un sourcil.
- Te faire plaisir est pas dans le top cent de mes priorités, Walters. Et un seul discours suffit, du moment que le message est passé.
Salope.
Comme si je venais de le siffler, le discours en question se remet à tourner en boucle dans ma tête.
" Regarde la bien parce que de toute ta minable vie, t'en reverras jamais une autre comme celle-là..."
Comme si je le savais pas déjà.
Je m'apprête à la rembarrer salement, je réfléchis déjà à une remarque bien sentie sur le régiment qu'elle a dû s'envoyer depuis qu'elle taffe au Lust sans même m'inquiéter du fait que son frère soit à côté, mais la vérité m'échappe brutalement:
- Tu crois que je suis pas au courant? J'ai pas attendu ton petit monologue enflammé pour savoir tout ça, je m'emporte en approchant mon visage du sien pour accrocher son regard et m'assurer qu'elle capte.
Je m'explique pas pourquoi mais je veux... j'ai besoin qu'elle comprenne que je ne me suis pas foutu de la gueule de sa copine. Que je suis parfaitement conscient de ce que j'ai eu entre les mains, l'espace d'un minuscule laps de temps.
Diego s'est figé à ma gauche, à l'écoute. Même Hunter s'est retourné, la bouche pleine de je ne sais quoi, et me fixe, l'air vaguement curieux. Je reste concentré sur la peste. Elle ne me lâche pas des yeux. Ses sourcils se sont légèrement élevés dans ce que j'interprète comme de l'étonnement.
Son regard s'est un peu modifié alors qu'elle sonde mon visage avec insistance, elle va même jusqu'à se redresser un peu sur ses coudes, interpelée par je ne sais quoi. Qu'est-ce qu'elle cherche, la gamine? Quand je la voie échanger un coup d'œil insaisissable avec son frère, je me détourne, mal à l'aise, et recule pour me soustraire à son examen approfondi.
Je regrette déjà mon aveu. Dévoiler son jeu, l'erreur de base du débutant. Ça n'a pas le moindre intérêt et je le sais très bien. Ce que j'explique pas, c'est ce qui m'a pris de lâcher un truc pareil. L'info a beau être infime et difficilement décodable, même par moi, ça en reste une.
À cran, je pivote sur mes talons et me tire par la porte la plus proche. Il me semble vaguement entendre Hunter me demander de lui ramener une bière et Quinn me traiter de taré. Puis le battant claque dans mon dos.
La prochaine fois, je ferais mieux de fermer ma gueule au lieu de... Je me fige à l'entrée de la cuisine en avisant la silhouette blonde et filiforme juchée sur un des tabourets de la cuisine.
Lily.
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