Chapitre 98

Il se tient à quelques mètres, immobile et irradiant d'une beauté sombre dans la semi-pénombre du soir. Il a dû se doucher parce que ses cheveux encore humides pointent dans tous les sens en commençant à sécher. Je remarque également qu'il s'est changé. Il porte un T-shirt gris sombre qui épouse à la perfection les lignes musculeuses de son torse et un jean délavé. Comme toujours, ses vêtements mettent en valeur son imposante silhouette élancée sans qu'il ne semble même en avoir conscience. Et comme toujours, les sensations troublantes et peu familières que la vue de son corps de guerrier m'inspire me prennent au dépourvu.

Toutefois je me reprends rapidement et bride de mon mieux mes nouvelles camarades les hormones pour me concentrer sur ce qui m'intéresse le plus: son expression.

J'ai un léger choc en croisant son regard. Son humeur ne semble pas s'être améliorée depuis qu'il est parti, loin de là. Je dirais même que c'est encore pire. Je déglutis en cherchant de mon mieux une infime trace d'humanité dans les beaux yeux gris qui me scrutent avec une certaine distance. Je n'en trouve aucune et mon malaise oublié revient à la course.

Qu'est-ce que je fais, maintenant? J'avais misé sur le fait qu'il aurait retrouvé ses esprits et se serait libéré de... ce qui l'a mis dans cet état en revenant. De toute évidence, ce n'est pas le cas et je ne sais pas comment réagir. Mes lèvres restent scellées. Je m'apprête à détourner le regard mais ça ne sert à rien parce que le sien est à présent braqué sur un point derrière moi. Le point se trouve en fait être Boyd qui n'a pas bougé et reste planté à mes côtés.

- Tu peux y aller, lâche le mécanicien en s'adressant au métis sur un ton hivernal.

Mais Boyd ne bouge pas. Au lieu de ça, il se tourne vers moi avec un air interrogateur.

- Lily? demande-t-il comme pour savoir ce que j'en pense.

Son air inquiet m'interpelle et ce n'est qu'en le voyant faire la navette entre Royce et moi que je comprends. Il a également remarqué une différence dans l'attitude de Royce, cette aura inquiétante qui semble se dégager de lui par vague, et il se demande s'il doit me laisser seule en sa compagnie.

Son attitude me touche et je ne l'en apprécie que plus, d'autant plus qu'il m'a l'air de nature discrète et prudente alors je devine que ce geste doit lui coûter. Toutefois, je n'ai pas peur de Royce. J'ai déjà décidé de lui faire confiance et je ne reviendrais pas là-dessus. Je m'empresse donc d'adresser un sourire apaisant à Boyd pour le rassurer.

- C'est bon, Boyd. Ça va aller. Passe une bonne soirée!

Il hésite encore un instant durant lequel je sens Royce se crisper de ce qui ressemble à un vague agacement, puis il hoche la tête et s'éloigne en direction du bâtiment des employés.

Je me retrouve seule avec le fauve silencieux. Son regard pèse sur moi et le duvet sur mes bras se hérisse comme en réaction à la présence d'un prédateur. Mais je ne recule pas. C'est bien le problème. Si mon corps semble juger Royce dangereux et m'envoie des signaux d'alarme à tout bout de champ, mon cerveau, lui, n'est pas du tout de cet avis. Mon stupide cerveau. C'est d'ailleurs lui qui me pousse à ouvrir ma grande bouche malgré mon anxiété.

- Tu n'étais pas obligé d'être aussi désagréable avec lui, je reproche à Royce en croisant son regard éteint.

- Non. Mais j'en avais envie.

La neutralité avec laquelle il me répond me fait froid dans le dos.

Que t'arrive-t-il, Royce?

J'ai envie de poser la question mais ce serait probablement le meilleur moyen de le braquer et de mettre fin à la soirée avant même qu'elle n'ait commencé. Un petite voix dans ma tête me souffle que c'est peut-être la meilleure option, que je n'ai pas envie de sortir avec Royce quand il est dans cet état. Mais je l'ignore parce que la vérité c'est que si, j'ai envie de sortir avec Royce tout court. Et qu'une partie un peu bête et naïve de moi pense encore pouvoir le ramener. Pauvre d'elle.

Toutefois, si je sais parfaitement pourquoi je ne veux pas renoncer à ce temps supplémentaire avec Royce, je n'ai pas la moindre idée des raisons qui l'ont poussé à changer d'avis et à vouloir m'accompagner alors que, de toute évidence, il n'est pas d'humeur.

Alors je les lui demande.

- Pourquoi est-ce que tu veux aller voir cette comète avec moi?

Il hausse un sourcil charbonneux et c'est le seul mouvement qui anime son visage.

- C'est toi qui m'as invité, je te rappelle.

- Oui, je sais. Mais tu avais dit non. Tu as dit que tu ne voulais pas brouiller les limi...

- Je sais ce que j'ai dit, tranche-t-il avant de hausser une épaule. J'ai changé d'avis.

- Mais pourquoi? je ne peux pas m'empêcher d'insister et mon ton me paraît tristement suppliant.

Il recule légèrement la tête pour mieux me scruter de son regard froid. Il est déjà tellement plus grand que moi et ce geste n'arrange rien.

- Qu'est-ce que tu veux entendre? demande-t-il avec un léger rictus.

Ma poitrine se serre. Ce rictus, je l'attendais, je priais pour le revoir et pourtant, il ne me soulage pas du tout. Parce qu'il n'a rien à voir avec l'ébauche de sourire un peu tordu que j'aime tant. Il paraît presque... cruel.

Qu'est-ce que j'ai manqué, bon sang?

Je ne réponds pas à sa question, perdue dans le flot de questions et d'angoisses qui a envahi mon cerveau survolté comme une nuée de corbeau, et il se contente d'attendre, parfaitement immobile, que je me décide. Je ne suis même pas sûre qu'il cligne des yeux, en tout cas, je ne le vois pas faire une seul fois.

À un moment, son regard nonchalant descend légèrement pour se poser sur ma petite robe et pendant une infime fraction de seconde qui fait battre mon cœur d'espoir, il me semble y percevoir une lueur incandescente alors qu'un muscle remue à sa mâchoire. Mais elle disparaît tellement vite que je suis pratiquement certaine de l'avoir inventée.

- On y va? finit par demander Royce en perdant sûrement patience.

- D'accord.

Je ramasse mon petit sac panda que j'avais laissé glisser au sol près de la barrière en essayant de dissimuler le léger tremblement de mes doigts et je le hisse sur mon dos en enfilant une des bretelles. Puis Royce se met en marche vers la sortie de la propriété et je lui emboîte le pas.

Ses enjambées sont bien plus longues que les miennes et je cours presque pour rester à sa hauteur bien que je garde une distance raisonnable entre nous deux, soucieuse de ne pas envahir son espace et risquer d'empirer son mutisme.

Je l'imite quand il s'arrête pour laisser passer les voitures, puis traverse la nationale à ses côtés.

Malgré la situation pénible, je ne peux pas m'empêcher de le contempler. Le fauve dans toute sa splendeur. C'est l'impression qu'il donne. Ca a peut-être à voir avec sa façon conquérante et silencieuse de se déplacer comme s'il ne craignait rien, comme s'il était invincible. Et le pire, c'est qu'en le regardant, il est facile de le croire. On a presque l'impression que la foudre pourrait le frapper brusquement sans l'ébranler ou même le faire tressaillir.

Mais ce n'est qu'une impression. Il a beau être visiblement bien plus fort que la plupart des hommes, il n'empêche qu'il en reste un lui-même. Il est capable de souffrir. Il a forcément déjà souffert, on ne devient pas ce qu'il est sans avoir goûté à une vraie douleur. Un coup de couteau le ferait saigner. Une balle bien - ou plutôt mal - placée pourrait le tuer.

Je tremble brutalement à cette dernière pensée et m'empresse de l'écarter. Je me concentre sur le large dos de Royce qui est en train de dévaler les marches qui mènent à la plage devant moi.

Je me fige lorsque mes pieds effleurent enfin le sable et que les rangées de palmiers serrées cessent de me dissimuler la vue. Mon regard stupéfait parcourt à toute allure le spectacle qui s'offre à moi.

Malgré l'heure avancée, la plage est noire de monde. Une vraie fourmilière! Les acclamations et les voix enjouées fusent de partout et leur cacophonie s'élève vers le ciel d'ébène qui s'étend au-dessus de la foule comme une couverture épaisse. Des centaines de petites lumières percent l'obscurité alors que les gens utilisent de vraies lampes torches ou celles de leurs portables pour éclairer les alentours. Des familles entières sont regroupées sur des serviettes et partagent leurs collations en discutant, chacune participant au brouhaha ambiant. Certaines ont même installé des barbecues de camping dont les fumets alléchants se rependent généreusement dans l'air.

Je suis des yeux des enfants surexcités en maillots de bains qui se courent après avec des cris de sioux dans le sable et des vendeurs ambulants qui profitent de cette importante réunion pour faire grimper leurs recettes.

Un coup d'œil en direction de Royce m'apprend qu'il est aussi décontenancé que moi par l'importance du rassemblement. Il a l'air tendu et je ne pense pas m'avancer beaucoup en devinant qu'il n'aurait pas accepté de m'accompagner s'il avait disposé de cette donnée. Il n'aime pas les foules, je l'ai déjà compris.

Il n'aime pas les gens, rectifie avec une pointe de mesquinerie la petite voix dans ma tête.

Je fais quelque pas en avant puisqu'il ne fait pas mine de bouger et soupire de soulagement en le sentant me suivre. Je retire rapidement mes sandales pour être plus à l'aise et les garde à la main en marchant à la recherche d'un emplacement pas trop encombré, Royce sur mes talons. On passe devant une sorte de cabane circulaire en bois au toit pointu et recouvert de paille qui fait office de bar et je finis par m'arrêter dans un coin un peu en retrait, assez proche de l'eau et le plus éloigné possible des touristes, ce qui ne fait quand même que quelques mètres.

Je m'agenouille au sol et ouvre mon sac pour en extirper les serviettes. Je m'apprête à en tendre une des deux à Royce mais il s'est déjà assis à même le sol, les jambes légèrement pliées et les avant-bras appuyés sur les genoux.

Bon.

J'étale quand même la mienne et m'installe dessus en silence. Et l'attente commence. Royce ne parle pas et je n'ose pas vraiment l'aborder, bien qu'il soit juste à côté de moi et qu'il ait accepté de m'accompagner. Son humeur sombre le rend trop intimidant et j'ai l'impression d'avoir fait un bond de vingt jours en arrière, quand je n'étais même pas capable de le regarder dans les yeux parce que je ne savais pas comment réagir à cette étrange attirance qui me poussait vers lui. En fin de compte, ça n'a pas tellement changé, je songe un peu dépitée.

Royce pivote vers moi en sentant mon regard sur lui et je m'empresse de le détourner sous l'insistance du sien. Pendant les minutes suivantes, je m'absorbe dans l'observation de ce qui m'entoure. Nos voisins les plus proches sont, à droite un jeune couple enlacé dont j'éloigne rapidement les yeux et, à gauche, une petite famille avec deux enfants surexcités.

Le père tient un sandwich à la main est en train de débattre avec sa fille d'environ cinq ans qui refuse de manger un "fromage avec des trous", persuadée que c'est la preuve indubitable qu'une souris est passée par là. La mère retient son garçonnet blond au visage barbouillé de sable par le bras en lui expliquant que non, il n'ira pas nager à cette heure-là, brassards ou pas.

Je souris, attendrie par cette scène qui me rappelle tristement mon père essayant de gérer seul deux gamins insupportables parce que, oui, je reconnais que Nathan et moi n'étions pas toujours des cadeaux.

En promenant mon regard un peu plus loin, je suis surprise de remarquer que des gens nagent bel et bien malgré l'heure tardive et l'obscurité. Je frissonne en voyant une bande de garçons en shorts de plages se jeter dans les vagues en piaillant. Climat floridien ou non, l'eau doit être glacée à cette heure-là.

La plupart des touristes se contentent cependant de patienter sur leurs serviettes. Leurs nez se relèvent régulièrement en direction du ciel comme s'ils avaient peur de manquer la comète. Je les imite par réflexe bien que je sache qu'elle n'est pas encore là - des exclamations m'avertiront sûrement de sa venue. Les étoiles, par contre, sont au rendez-vous. Elles parsèment le ciel par milliers, par millions, comme si une main maladroite en avait saupoudré l'atmosphère avec un enthousiasme un peu trop débordant et je m'absorbe un moment dans leur contemplation sans me résoudre à les compter.

Royce attire finalement mon attention - bon, d'accord, disons qu'il me donne une excuse pour porter mon attention sur lui - en se laissant aller en arrière avec un soupir. Je me retourne dans sa direction. Il a posé la tête dans le sable mais ce n'est certainement pas pour contempler le ciel puisqu'il a posé un bras en travers de son visage. Le geste bloque sa vue comme s'il s'apprêtait à piquer un somme bien que son corps tendu évince clairement cette hypothèse.

Je profite de la situation pour mirer son visage, ou du moins la partie qui n'est pas cachée de son visage. Le trait dur mais séduisant de sa bouche sur lequel j'évite de m'attarder, la petite cicatrice sur sa pommette que j'ai soudain envie d'embrasser - zut! À éviter aussi. Sa tignasse brune dans laquelle se sont infiltrés quelques grains de sable sans que cela ne semble déranger son propriétaire.

Évidemment, observer Royce tout mon soul est agréable mais je préférerais croiser son regard. Je préférerais qu'il me parle.

Est-ce que toute la soirée va être comme ça?

Je soupire à mon tour, frustrée et mes yeux sont attirés par le mouvement de la main de Royce dans le sable. Je les écarquille en remarquant ce qu'il est en train de faire. Ses longs doigts agiles jouent distraitement avec un couteau suisse argenté, ouvrant et refermant à tour de rôle différentes lames de toutes formes. Je me crispe en l'observant en tester l'émouture sur sa propre peau mais il se contente d'un effleurement et ne s'entaille pas. Je ne suis tout de même pas rassurée par ce jeu, je préférerais qu'il s'amuse avec une balle anti-stress. Je me concentre sur son torse qui se soulève et s'abaisse à un rythme régulier et calque ma respiration sur la sienne.

- Royce? je l'appelle sans être sûre de ce que je compte lui dire.

Seuls ses doigts qui s'immobilisent sur son "jouet" montrent qu'il m'a entendu. Il ne répond pas et se contente d'attendre que je parle.

- Tu vas manquer la comète.

C'est tout ce que je trouve à dire et il me répond par un rictus froid sans retirer son bras.

Bon sang, mais qu'est-ce qu'il a?

- Tu veux quelque chose à boire? je demande en ouvrant mon sac, décidée à le faire sortir de son mutisme.

Le soulagement m'étreint quand il se redresse sur les coudes, m'offrant enfin son regard.

- Une bière, demande-t-il.

Je grimace. Zut! Je n'y ai vraiment pas pensé.

- Euh... non, je n'ai que du jus, désolée, je m'excuse en lui proposant une des bouteilles encore fraîche.

Il secoue la tête et se laisse retomber en arrière. Cette fois, il pose sa tête dans le creux de son coude replié et je me creuse la cervelle à la recherche d'un sujet de conversation qui puisse l'intéresser, contente qu'il ne se cache pas de nouveau le visage. Je déchante cependant rapidement quand il sort son portable de sa poche et se concentre sur l'écran.

Je compte en silence les secondes qui défilent. J'attends cinq bonnes minutes avant de me décider à faire une remarque.

- Royce... , je l'interpelle doucement en attendant qu'il lève les yeux dans ma direction. Le principe d'aller à plusieurs voir la comète, c'est de passer un moment ensemble, c'est pour ça que je t'ai demandé de m'accompagner, pas pour qu'on reste chacun de notre côté.

Je retiens mon souffle, prise dans l'inébranlable cage de fer qu'est son regard. Il hausse un de ses sourcils et je devine avant même qu'il n'ouvre la bouche que je ne vais pas aimer ce qui va suivre.

- Si tu m'as emmené ici pour qu'on se galoche, ça me pose pas de problème. Suffisait de le dire, lâche-t-il, caustique.

Je me pétrifie d'horreur alors que le sang quitte brusquement mon visage. Appuyé sur ses coudes, Royce me scrute avec un sourire froid mais nulle trace d'amusement dans ses prunelles grises. Il a l'air d'attendre ma réaction mais je n'en ai pas vraiment si l'on excepte le choc et une gêne brûlante. Je me détourne de lui et ramène mes jambes contre ma poitrine, les enserrant de mes deux bras avant de poser mon menton sur mes genoux, les yeux rivés sur l'océan dans lequel s'amusent toujours les gamins.

Je suis absolument certaine de ne pas avoir envie d'embrasser Royce en ce moment. Bien sûr, il n'est pas moins beau ni moins attirant que d'habitude, son charme magnétique continue d'opérer à toute épreuve. Mais la simple idée d'approcher mes lèvres de cette version froide et insensible de mon mécanicien me tente autant que de caresser un cobra.

Cette version-là ne me plait pas du tout. C'est comme si tout ce qu'il disait et son attitude étaient fait exprès pour me blesser et je ne suppo...

Je me fige alors qu'une idée germe dans mon esprit. Est-ce qu'il est possible que j'ai vu juste? Est-ce ce qu'il essaye de faire? Est-il vraiment en train de faire en sorte que je le déteste? Évidemment, je ne pense pas en être capable mais lui ne le sait pas. Il n'a aucune idée des sentiments inquiétants que j'ai pour lui. Et puis, je ne trouve pas d'autres explications à son comportement. Bien sûr, il pourrait être réellement de très mauvaise humeur mais dans ce cas, il aurait tout simplement refusé de m'accompagner. C'est d'ailleurs ce qu'il a fait au début avant d'accepter cette sortie. J'en ai déduit qu'il avait changé d'avis mais si c'était le contraire? S'il avait simplement trouvé un moyen plus efficace de réaffirmer les "limites" dont il parlait?

Je n'ai pas vraiment le temps de creuser cette théorie qui donne un sens nouveau à son comportement parce que des murmures très peu discrets attirent mon attention à notre gauche. Je comprends ce qui m'a interpellé en entendant plusieurs fois mon nom dans la discussions. Deux garçons d'à peu près mon âge nous fixent, un peu plus loin et leur sujet de conversation n'est pas vraiment un mystère. Leurs airs hostiles ne m'échappent pas non plus. Royce les a également remarqués, son menton est tourné dans leur direction et, comme moi, il les suit des yeux alors que leurs pas les amènent de plus en plus près de nous. À présent, on peut entendre presque distinctement ce qu'ils disent, surtout parce qu'ils ne se donnent pas vraiment la peine de baisser la voix.

- Ouais, c'est elle je suis sûre. C'est Dan et Carver qui m'en ont parlé. Ils ont été chez elle. Elle baise probablement avec lui.

- C'est pas elle dont le père s'est fait buter par un camé?

Un frisson glacé me remonte dans le dos et mon souffle se fait court. À côté de moi, Royce s'est également raidi et même sans me retourner dans sa direction, je sens des ondes dangereuses émaner de lui.

- Mais si, mec. Le lieutenant Williams, ça te dit rien? Imagine, son père s'est fait tuer et maintenant, elle se tape un meurtrier.

- J'en ai entendu parler en ville, acquiesce l'autre.

- Elle est plutôt bonne, je la prends quand elle veut dès qu'elle en aura fini avec le taulard.

J'ai du mal à respirer et une douleur infâme me tord la poitrine mais je m'exhorte au calme et m'enferme dans ma tête comme j'avais l'habitude de le faire dans les pires moments à Londres. J'y arrive plutôt bien je pense et les voix des deux médiseurs s'estompent pour ne devenir qu'un vague chuchotement. Mon pouls finit par s'apaiser et je jette un coup d'œil en direction de Royce. Il s'est redressé, son regard acéré braqué sur les deux jeunes. Son poignet est crispé à l'extrême autour du couteau de poche et ses doigts jouent de plus en plus vite avec les lames à tel point que j'ai peur de voir son sang couler. Ça n'arrive cependant pas, il a l'air de savoir ce qu'il fait de ce côté-là.

Je soupire de soulagement quand les garçons passent devant nous, pressée de les voir partir et d'éviter ainsi de potentiels problèmes mais c'était sans compter leur bêtise. Au moment où ils arrivent à notre niveau, l'un d'entre eux lâche un "salope!" sans me regarder mais assez audible pour que le couple d'à côté se retourne, surpris.

Je ne cille pas, guère impressionnée mais Royce bondit comme un ressort. Heureusement, j'ai anticipé sa réaction et je me lève en même temps pour le rattraper par la ceinture. Malgré la force que j'y mets, je sais qu'il ne lui faudra pas même pas une seconde pour se dégager. Mon geste le déstabilise cependant un instant, le temps de laisser les deux imbéciles s'éloigner.

Royce me fusille du regard et écarte brutalement ma main de lui. Visiblement, sa colère a trouvé une nouvelle cible. Tant mieux, je préfère encore ça que de le voir assommer deux gamins sur une plage bondée de gens qui le reconnaîtront au premier coup d'œil.

Mon mécanicien me tourne le dos pour scruter la foule dans le but évident de retrouver les garçons et il ne met pas longtemps à les repérer. Ils sont en train de faire la queue pour être servis au bar-cabane.

- Royce, je souffle les yeux braqués sur le couteau qu'il serre toujours dans sa main et un hoquet m'échappe en voyant le mince filet de sang qui s'écoule de sa paume. Ce n'est pas important, laisse tomb...

Il pivote brusquement sur lui-même et son regard me cloue sur place, scellant mes lèvres au passage.

- Ne t'avise pas de me dire ce que je dois faire, siffle-t-il avant d'ajouter sur un ton sans appel. Bouge pas de là.

Et il s'éloigne. 

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