Chapitre 91
- Allez! C'était juste une blague, plaide Mia pour la deux-centième fois en essayant vainement de m'amadouer avec un sourire.
Ça n'a aucun effet parce que je me garde bien de regarder dans sa direction. Les yeux braqués sur la grand écran plat du salon au rez-de-chaussée, je zappe sans entrain depuis dix bonnes minutes pour m'obliger à ignorer celle qui se dit être mon amie. On s'est toutes les deux installées sur le plus grand des sofas après que j'aie quitté la piscine, catastrophée, et elle s'échine à essayer de se faire pardonner son puéril coup de tête. Pour l'instant elle s'y prend très mal.
- Non, il n'y a pas de blague qui tienne. Je te déteste officiellement et je ne t'adresserais plus jamais la parole.
- Tu viens juste de le faire, me fait elle subtilement remarquer avec une moue narquoise.
Je pince les lèvres pour les obliger à garder le silence. Ce dernier se prolonge un moment, seulement rompu par la voix haut perchée d'une animatrice télé de chaîne people qui relate sans réellement apporter d'information la rupture de Zayn Malik avec sa dernière petite amie en date. Mia lâche une remarque sur les lunettes de la speakerine qui lui feraient une tête de libellule et je me mords la joue pour réprimer le sourire qui pointe le bout de son nez parce que... c'est vrai que ces lunettes sont pour le moins étranges.
- Arrête d'essayer de me faire rire, je marmonne en passant sur un documentaire animalier. Je suis encore en colère contre toi.
- Pour combien de temps? soupire-t-elle en sortant un tube de vernis turquoise de son sac à main.
- Je n'ai pas encore décidé. Au moins... une heure.
- Une heure? s'écrie-t-elle. Mais on va faire quoi pendant tout ce temps? En plus je dois partir dans trois quart d'heure pour rejoindre mon frère et on ne se reverra plus pendant plusieurs jours si ça se trouve.
- Ah. Alors disons... une demi-heure? je propose parce que je commence à culpabiliser de gâcher notre après-midi en boudant.
- Tu peux faire mieux, lance Mia en appliquant soigneusement le petit pinceau sur l'ongle de son gros orteil. T'as vu, je me vernis de la couleur de tes yeux. C'est pas un gage d'amitié ça?
- Le gage d'amitié, ça aurait été de ne pas envoyer ces photos de moi à Royce depuis mon propre téléphone, je marmonne alors qu'une nouvelle vague de panique me traverse en y songeant. Il va croire que c'est moi qui le harcèle, j'ajoute sur un ton plaintif en fixant d'un regard vide l'écran télé.
Je joue de nouveau de la télécommande quand une bande d'alligators affamés s'y mettent à plusieurs pour dévorer vivant un pauvre zèbre en train de s'abreuver. Je plisse le nez, écœurée et m'arrête sur une pub de shampoing.
- Tu devrais plutôt me remercier, reprend Mia en passant à l'ongle suivant. J'ai fait ça pour toi.
Je la dévisage choquée. C'est le bouquet! J'ai dû mal comprendre.
- Pardon? Tu m'expliques?
- Je voulais juste montrer à ce crétin de Walters ce qu'il rate.
- Ce qu'il rate? je répète en la dévisageant avec des yeux ronds comme des balles de tennis.
- Ben oui. Toi, super canon dans ton petit maillot de bain sage avec son clébard dans les bras, précise-t-elle comme si l'explication n'était pas nécessaire.
Je ne trouve rien à répondre tant je suis estomaquée par son culot. Cette fille... Argh! Inspire. Expire. Inspire. Voilà, comme ça.
- T'es consciente qu'à cause de toi, je ne pourrais plus jamais le regarder en face? je râle.
Elle m'adresse un sourire entendu en coin avant de ricaner en retournant à sa tâche.
- Je suis sûre que tu trouveras un moyen le regarder, va. Vu que ça semble être ton nouveau passe-temps préféré...
Je lui mets une tape sur l'épaule pour la faire taire.
- Hey! Tu m'as fait dépasser.
- Tant mieux.
- Touche pas, s'écrie-t-elle quand je m'apprête à zapper machinalement une nouvelle fois. Ce mec est trop beau.
Je jette un coup d'œil à peine intéressé à l'homme qui pose torse nu de manière on ne peut moins naturelle pour une pub de parfum. Je reconnais qu'il n'est pas trop mal mais il me laisse de marbre, comme tous les autres.
Tous les autres à une exception près, me rappelle la petite voix sournoise dans ma tête.
- Bof, ouais il est bien, je commente en voyant que Mia attend mon assentiment.
Il n'est pas désagréable à regarder, c'est sûr, comme tous les hommes dans cette industrie. Mais ses expressions me paraissent fausses, son regard sombre et colérique surjoué. Rien à voir avec certaines prunelles grises et profondes, faites d'orages et de glace. Sa barbe me semble trop bien taillée en comparaison avec la légère ombre piquante qui orne une certaine mâchoire. Et puis, ses cheveux en bataille sur lesquels plusieurs coiffeurs ont dû passer un temps fou à ordonner les mèches avec du gel et du spray pour leur donner cette allure ne peuvent en aucun cas rivaliser avec la tignasse brune à laquelle je pense, décoiffée par deux mains nerveuses qui ne peuvent pas rester en place.
- Il est bien mais c'est pas Walters, c'est ça? devine Mia avec un air faussement exaspéré.
À moins qu'elle ne le soit réellement ce qui est également très probable, je le serais sûrement moi-même à sa place. Cette fille commence vraiment à me connaître un peu trop. Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou non.
Je ne réponds rien et change de position pour laisser pendre ma tête de l'autre côté de l'accoudoir sans plus prêter attention à la ribambelle de publicités qui défile encore à l'écran sous l'œil attentif de Mia.
Je n'ai pas parlé à Royce de la journée et il me manque. Je n'arrive pas à croire que je suis devenue ce genre de fille qui ne peut pas passer vingt-quatre heures sans voir son copain mais en pire puisque Royce n'est pas le mien. J'ai l'impression qu'il s'échine à me tenir à distance mais je ne sais pas pourquoi.
Non pas qu'il n'ait pas de raisons de le faire, c'est plutôt le contraire. Je lui en trouve des tas.
Il ne veut probablement pas de petite amie, il me l'a vaguement fait comprendre quand on est rentrés du feu de camp. Il doit sûrement trouver que ce genre de relations est une perte de temps. Et puis, je ne peux pas ignorer qu'il est loin d'être un grand romantique.
Je ne lui plais peut-être pas, j'envisage avec lucidité. Ce n'est pas parce qu'il a accepté de m'embrasser quelques fois pour me "rendre service", comme il a l'air de le penser, qu'il m'apprécie. Avec son physique et son expérience, il peut sûrement avoir toutes les filles qu'il veut. Des filles bien plus jolies, matures et entreprenantes que moi, qu'elles soient blondes, brunes ou rousses.
Je suis la nièce de son patron et d'après ce que j'ai cru comprendre bien que je ne cautionne pas vraiment, l'une des principales règles que Chris impose à ses employés - et à son mécanicien en particulier, d'après moi - est de ne pas m'approcher. Je me comprends sur le sens du mot "approcher". Et même si Royce ne l'admettra jamais, je sais qu'il tient à son travail ici. J'ai beau ne pas connaître grand-chose de lui, je suis sûre de ça. Cela étant dit, il serait foncièrement égoïste de ma part de mettre en péril une des rares choses qu'il apprécie.
Bref, je peux trouver des tas d'autres raisons qui expliqueraient ses réserves vis-à-vis de moi. Cette... chose qu'il y a entre nous et que je chéris comme un trésor précieux n'ira sûrement jamais nulle part. Est-ce que je suis prête à accepter de jouer la comédie pour endosser le stupide rôle que Royce me prête - à savoir celui de la fille qui cherche à acquérir de l'expérience auprès d'un garçon plus âgé - et à me contenter des miettes qu'il m'accorde?
Oui.
Est-ce que ça fait de moi quelqu'un de pathétique et désespéré?
Probablement.
- T'es en train de penser à lui en ce moment-même, hein? demande Mia en me tirant de mes sombres réflexions.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça?
- Quand tu penses à Walters, tu fais soit la tête d'une gamine de douze ans à son premier concert de Justin Bieber, soit t'as l'air déprimée comme en ce moment.
- Ah, je réponds platement sans la contredire.
- Si Walters te rend aussi triste, pourquoi tu ne laisses pas tomber pour te trouver un autre gars bien plus sympa et qui pourra te fera sourire h24 et pas juste la moitié du temps?
- Parce que je ne peux pas, je m'entends murmurer avant d'avoir décidé de me confier.
Quand je pense que j'étais censée lui faire la tête. Mia s'est tue et a posé son tube de vernis sur la table-basse jonchée de documents à Chris pour mieux m'observer.
- Tu te souviens quand tu m'as demandé si j'étais lesbienne? je lui demande en fixant le plafond clair.
Un silence me répond avant que Mia ne reprenne la parole.
- Wow, est-ce que t'essayes de m'annoncer un truc? Genre, tu t'apprêtes à faire ton coming-out ou...
- Mais non, banane! Les filles ne m'ont jamais attirée, je te l'ai dit. Mais... les garçons non plus, j'admets dans un souffle. Enfin, pas vraiment et pas depuis longtemps.
Mon amie met trop longtemps à répondre et je me redresse sur les coudes pour lui jeter un regard anxieux. Elle me dévisage, bouche-bée.
- Donc, si je résume, lâche-t-elle en se reprenant, tu n'aimes ni les filles, ni les mecs, tu aimes juste Walters.
Oui, bon, c'est vrai que dit comme ça... Je hoche quand même la tête en déglutissant, embarrassée. Elle doit me prendre pour une folle. J'en suis sûrement une. Mais elle n'a pas l'air de me juger. Elle a appuyé sa tête contre le dossier du canapé et semble plongée dans une réflexion sérieuse. Ses sourcils sont légèrement froncés et ses lèvres pulpeuses forment une ligne mince et soucieuse. J'espère que ce n'est pas mon aveu qui la met dans cet état.
- Ah, je suis aussi attirée par Orlando Bloom, j'ajoute bêtement pour détendre l'atmosphère, est-ce que ça compte?
- Pas vraiment, répond Mia en ricanant et en retrouvant en partie sa bonne humeur. Même mon chat le trouve beau, je crois.
Je saute sur l'occasion pour changer de sujet et m'écarter de ce terrain glissant sur lequel je viens moi-même de nous entraîner.
- Tu as un chat? je m'écrie en retrouvant mon enthousiasme. Tu me le présenteras?
- Ouais, si tu veux. C'est pas vraiment le mien, il est sdf. Mais je le laisse squatter chez moi de temps en temps quand j'ai besoin de compagnie et qu'aucun mec n'est dispo.
- Tu viens vraiment de comparer ton chat à tes... invités masculins? je m'étrangle en riant.
- Bah c'est pas bien différent. C'est poilu et ça réchauffe ton lit. Mais les orgasmes en moins, certes.
Oh mon dieu! Mais d'où sort cette fille, bon sang? Cette fois, je tombe presque du canapé tellement je ris.
- C'est quoi tout ça? demande Mia alors que je m'essuie le coin des yeux.
Je me redresse pour voir ce qu'elle me montre. Elle s'est assise en tailleur sur le sol et inspecte d'un œil curieux la paperasse qui inonde la table basse.
Je hausse les épaules même si elle ne peut pas me voir puisqu'elle me tourne le dos.
- Hum, le travail de Chris, je suppose.
- Tu penses que ça le dérangerait si je jetais un coup d'œil? demande-t-elle sans se retourner.
- Euh, oui, j'en suis sûre même.
- Heureusement qu'il est pas là, alors.
Elle m'adresse son sourire de diablesse avant de se mettre à fureter dans la montagne de papiers. Ça ne ressemble pas à mon oncle de laisser traîner ses affaires. L'ordre est presque une maladie chez lui et vu la manière dont il ferme systématiquement son bureau à clé - je ne serais pas étonnée qu'il fasse de même avec les tiroirs du meuble - je pense que la discrétion est également un de ses maîtres mots.
- Mia, tu ne devrais pas... , je tente mais elle ne m'écoute plus.
- Attends, c'est pas un magazine playboy ça? elle s'écrie d'une voix plus aiguë que son timbre habituel et je sursaute, horrifiée.
- Quoi? Mais non, t'es folle! N'importe quoi!
Je me redresse tout de même sur les genoux pour vérifier alors que Mia extirpe de sous la pile le magazine en question qui se trouve en fait être le dernier numéro de Forbes.
- Pfff, c'est de la presse économique, je lâche, soulagée. Je me disais aussi.
Les traits de mon amie s'affaissent de déception et elle repose le journal avec un air dégoûté avant de s'emparer d'une feuille au hasard qu'elle colle sous son nez.
- Sérieusement Mia, on ne devrait pas faire ça. De toute façon, c'est sûrement ennuyeux à mourir, qu'est-ce que tu cherches là-dedans? Ton béguin pour mon oncle devient vraiment flippant.
- Toutes les filles de l'île qui ont dépassé la puberté ont le béguin pour ton oncle Lily, faut t'y faire, m'informe-t-elle distraitement, déjà concentrée sur sa lecture.
- Merci de l'info, je marmonne. Mais j'ai pas envie d'être impliquée dans tes magouilles.
- Dans ce cas, t'as qu'à pas regarder. Franchement, t'as pas envie de savoir ce que fait ton oncle quand il est pas là? Sur quoi il bosse, tout ça? S'il est vraiment clean?
Je déglutis, soulagée que mon amie ne puisse pas voir mon trouble. Bien sûr que je me pose ces questions. Souvent même. Mais connaître les réponses ne m'apportera pas forcément du soulagement. Qu'est-ce que je pourrais bien faire si je découvre que Chris n'est pas vraiment réglo dans ses affaires? Rien du tout parce que ça ne me regarde pas. De toute façon, dans ce genre de domaines, les gens sont rarement honnêtes, non?
- Je sais déjà ce qu'il fait, je réponds avec un temps de retard. Il fait du business, je n'ai pas besoin des détails et toi non plus. De toute façon, ça m'étonnerait que tu comprennes quoi que ce soit à tous ces trucs, je lâche ne désignant le monceau de feuilles, c'est juste des contrats interminables et de la comptabilité.
Mia m'ignore et avec un soupir, je prends son dernier conseil à la lettre, je m'éloigne pour ne pas regarder. Les cadres photos dans un coin de la pièce qui avaient déjà attiré mon attention hier matin semblent soudain exercer une importante force d'attraction sur moi et je m'approche prudemment.
Ce sont juste des clichés, Lily. Ils ne mordent pas.
Je me plante devant l'étagère, les mains dans le dos et promène mon regard sur ces petits extraits de souvenirs. Il y en a environ une dizaine. La plupart ont été prises ici, à Key Haven. Je suis sur pas mal d'entre elles, ainsi que mon père.
Je me vois à six ans, mangeant une glace, le menton barbouillé de chocolat, un peu plus jeune, dans les bras de mon père. Sur un des clichés Nathan et moi sommes plantés devant la piscine, bras dessous, bras dessus avec nos brassard et nos sourires de diablotins. Sur un autre, je porte une de mes nombreuses robes de poupée et pose à côté de ma mère. Elle avait déjà son air de diva mais elle souriait. Un vrai sourire, pas ce léger étirement de lèvres qui se veut énigmatique et aguicheur et qu'elle adresse aujourd'hui à tous les objectifs qui veulent bien l'immortaliser.
Je me détourne rapidement, un goût amer sur la langue, et suis surprise de tomber sur une photo de Chris et moi, sûrement prise par une tierce personne à notre insu. Elle est plutôt comique. Je devais déjà être intimidée par lui à l'époque parce cette mini version de moi, plantée sur son petit vélo rose, garde un bon mètre de distance entre elle et mon oncle. Ce dernier, debout devant le capot ouvert d'une de ses voitures de sport, a baissé le visage vers la petite fille -moi- et la domine de toute sa hauteur alors qu'elle bascule la tête en arrière pour lui parler. Je n'ai pas la moindre idée de ce que je pouvais bien être en train de lui raconter, probablement quelque chose de stupide qu'il s'est senti obligé d'écouter en hochant la tête pour ne pas me vexer. L'image est assez attendrissante. Mon père tenait sûrement l'appareil.
- Il rachète des trucs, marmonne soudain Mia derrière moi, interrompant mon examen.
Je pivote vers elle qui est en train de comparer deux feuilles qu'elle tient dans ses mains, les sourcils froncés.
- Des trucs? Wow, quel précision, j'aurais jamais deviné toute seule, je m'amuse. Qu'est-ce qu'il rachète, Sherlock?
- De tout. Des immeubles, une chaîne de restaurant de l'île, un autre garage à voiture du sud, des hôtels à Miami, des boutiques, quelques maisons... C'est pas cohérent, marmonne-t-elle comme pour elle-même.
Je me passe la main dans les cheveux en réfléchissant. C'est vrai que c'est un peu bizarre cet éclectisme mais je ne vois rien d'illégal.
- Et alors? Il a peut-être décidé de racheter l'île, qui sait? je plaisante sur un ton léger en haussant les épaules pour dédramatiser.
Mia ne relève pas, le front plissé, elle passe en revue plusieurs feuilles qu'elle a alignées devant elle. À quoi elle joue, elle se prend pour une détective ou quoi?
- Mia? je l'appelle.
- C'est juste que j'ai l'impression que...
- Que quoi?
- Attends, faut que je vérifie un truc.
Je soupire et retourne à mes cadres dont l'un, que je n'avais pas encore remarqué, attire rapidement mon attention. Sur la photo, un Chris âgé d'une vingtaine d'années et vêtu d'une de ces combinaisons une pièce de formule 1 se tient sur ce qui semble être une piste de course bondée. Il pose à côté d'un homme brun au même accoutrement bicolore qui doit approcher des trente ans.
Je dois reconnaître que ce dernier est plutôt séduisant avec ses traits anguleux, son regard perçant et son sourire éclatant de blancheur même si son visage reflète la même froideur que celui de mon oncle. Il me dit vaguement quelque chose mais je n'arrive pas à le remettre.
D'ailleurs, ce cliché lui-même me semble étrangement familier mais impossible de mettre la main sur la raison de cette sensation. C'est comme essayer de se remémorer un rêve datant de plus d'une semaine. Je l'ai sur le bout de la langue pourtant. Je laisse tomber pour éviter de me donner la migraine et me retourne vers Mia.
- Bon, t'as bientôt fini? Je pensais qu'on devait profiter de cette heure-là. C'est pour ça que j'ai accepté de te reparler malgré la crasse que tu m'as faite, je râle.
Un vague "mmh" est l'unique réponse que j'obtiens. Un soupir m'échappe, puis prise d'une inspiration diabolique, je lance l'air de rien.
- Y a Chris et un homme super beau déguisés en pilotes de course sur une photo au cas où ça t'intéresse.
Mia redresse la tête au bout d'un cinquième de seconde comme un félin qui vient de flairer une proie.
- Beau comment? demande-t-elle en mordant à l'hameçon.
- Super beau, j'exagère en me mordant la joue pour me retenir de rire. Dans le genre "grand brun ténébreux", je précise en caricaturant sans préciser que cet homme doit avoir la cinquantaine aujourd'hui.
Mia ne résiste pas. Mine de rien, je commence à la connaître, moi aussi. Elle se lève, son regard chocolat brillant de curiosité, et s'approche de l'étagère pour jeter un coup d'œil. Je lui tends le cadre en question, satisfaite d'avoir détourné son attention et elle s'en empare en plissant les yeux avec un léger sourire. Ce dernier s'estompe rapidement cependant alors que le regard de mon amie s'assombrit. Il me semble aussi que son teint mat l'est soudain un peu moins.
- Qu'est-ce qu'il y a? Tu ne le trouves pas à ton goût?
Elle relève la tête et adopte un air un peu plus neutre ne me rendant le cadre.
- Si, ça va, répond-t-elle sur un ton évasif.
- Ça va? je répète, surprise par son manque d'enthousiasme. Pourquoi tu fais cette tête?
- Quelle tête?
- Cette tête, je répète en désignant son visage. C'est quoi le problème?
Elle hésite un moment, ses yeux rivés aux miens alors que je la dévisage, tendue.
- Je le connais, c'est tout.
- Quoi? Qui...
- Ce mec, coupe-t-elle en indiquant du menton le cadre que je tiens toujours dans mes mains. Je ne l'aime pas beaucoup. Et je suis loin d'être la seule.
- Ah? C'est bizarre, j'ai l'impression de le connaître moi aussi. Vaguement.
Mia s'écarte et retourne près de la table basse.
- Logique, lâche-t-elle d'une voix plate en s'agenouillant dos à moi pour remettre de l'ordre dans la paperasse qu'elle a un peu malmenée, si c'est un pote de ton oncle, il a dû passer du temps ici quand t'étais gamine.
Pour le coup, je me sens un peu stupide. J'aurais dû y penser toute seule.
- Il ne m'a pas l'air mauvais, je remarque à haute voix parce que l'homme de la photo me parait plutôt avenant mais aussi pour obtenir de nouvelles informations.
Las, Mia semble soudain aussi bavarde qu'une tombe.
- Ouais, marmonne-t-elle sur un ton sarcastique en reformant des piles bien nettes des feuilles de Chris, tu connais les dictons. L'habit fait le moine et les apparences sont rarement trompeuses.
- Est-ce qu'il habite toujours ici? À Key Haven je veux dire.
Elle marque un temps d'hésitation et son dos se raidit légèrement.
- Non.
Bon, je ne pense pas pouvoir en obtenir plus de sa part aujourd'hui. Je laisse tomber - provisoirement - le sujet et m'approche pour lui donner un coup de main dans sa mission "masquer la petite séance de fouinage". Bon d'accord, je viens d'inventer ce dernier mot, je crois.
De toute façon, la mission est un échec. J'ai tout juste le temps de m'agenouiller auprès de mon amie que la porte du living-room s'ouvre en silence.
Sur Chris.
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