Chapitre 90
Mia et moi nous réveillons beaucoup trop tard. Enfin, je me réveille vers midi et la secoue pour l'obliger à en faire de même. Je lui laisse le temps de reprendre ses esprits en enfilant un short et un T-shirt propre que je suis allée récupérer dans ma chambre.
Comme je l'avais prévu, Royce n'a pas répondu à mon message mais je ne me laisse pas démonter et accompagne une Mia grognon et encore endormie dans les cuisines où une Rose tout sourire et maternelle au possible nous fait réchauffer du lait et des pancakes.
Le petit-déjeuner semble remplumer mon amie et lui redonner sa bonne humeur qui perdure même quand Jace s'incruste pour soi-disant combler une nouvelle fringale. Je bois mon chocolat chaud en regardant d'un œil attentif mes deux compagnons s'envoyer des piques plus pointues que celles d'un hérisson et souris discrètement derrière ma tasse, soulagée de constater que rien n'a changé entre eux. Aucun malaise ambiant ne s'installe dans la pièce, même si les sous-entendus qui volent comme des papillons entre mes deux amis me paraissent un peu plus lubriques que d'habitude si c'est possible.
- Vous comptez aller voir la comète avec qui ? demande Jace en vidant son lait à la fraise.
La boisson lui laisse une trace rose au-dessus des lèvres qu'il s'empresse de faire disparaître d'un coup de langue.
- Pourquoi tu veux qu'on y aille avec quelqu'un, ducon ? s'oppose Mia.
- Quelle comète ? je demande.
- Y en a une qui passe ce soir, tout le monde sera de sortie pour la voir, m'explique-t-il avant de se tourner vers Mia. C'est toujours mieux de pas aller voir ça tout seul. Je pensais que c'était votre truc ce genre de conneries romantiques à vous, les filles.
- Tu pensais mal, lâche la petite brune en passant son bras autour de mon épaule pour m'inclure dans son petit laïus féministe. Nous "les filles", on a pas besoin d'hommes pour nous faire plaisir.
Le regard de Jace se fait coquin - enfin, un peu plus que d'habitude- et passe sournoisement de Mia à moi pour revenir à Mia.
- Content de l'entendre, souffle-t-il avec un sourire tordu à peine dissimulé. Vous avez fait quoi pendant votre "soirée pyjama" ? demande-t-il en mimant les guillemets avec ses doigts. Bataille de polochon toutes nues ?
Bon sang, mais qu'est-ce que c'est que ce cliché ? Je rougis jusqu'à la racine des cheveux et m'apprête à l'envoyer paître mais Mia me devance.
- Peut-être. Tu sauras jamais.
Je m'étouffe avec la gorgée de jus que je viens d'avaler et le rouquin me tape dans le dos quand je me mets à toussoter. Puis je fusille mon amie du regard. Je préférerais qu'elle ne m'inclue pas dans son jeu de séduction.
- Alors, tu comptes y aller avec quelqu'un ? insiste Jace en se tartinant un nouveau pancake.
- Pas avec toi si c'est ta question, répond Mia avec tout le tact qui la caractérise.
- Ta gueule, la mexicaine. C'est pas à toi que je parlais mais à Lily.
- Je suis colombienne, connard !
J'échange un regard exaspéré avec Rose qui se tient un peu plus loin dans la pièce et confectionne des sablés à l'aide de différents moules. Heureusement pour nos tympans à toutes les deux, la porte de la pièce s'ouvre sur quelques employés et la dispute se tarie.
Dallas est le premier à entrer, il me tapote la tête pour me saluer et fonce vers le réfrigérateur pour en sortir une bouteille d'eau fraîche. Suit Brent, un de nos maçons à qui j'ai adressé la parole quelques fois. Grand, la trentaine avec un chignon et une barbichette amusante, il m'est plutôt sympathique. Boyd m'adresse un bonjour timide en suivant son collègue jusqu'au frigo pour s'abreuver également.
Mes battements de cœur s'éparpillent comme des billes sur un terrain de jeu quand la porte s'ouvre une dernière fois sur un Royce trempé de sueur en débardeur noir. Ses prunelles métalliques se posent immédiatement sur moi et me réchauffent de l'intérieur même si son regard n'est pas plus lisible qu'une écriture de docteur. Il finit par se détourner pour contourner l'îlot central. Je le vois jeter un coup d'œil aux employés agglutinés devant le réfrigérateur, puis se diriger vers l'évier et boire direct au robinet.
Mes yeux restent un moment accrochés à lui, comme aimantés, et c'est le ricanement peu discret de Mia à ma gauche qui me tire de ma contemplation involontaire. Je lui fais les gros yeux et pose mon menton sur mon avant-bras en me faisant violence pour ne pas lorgner en direction d'un certain mécanicien.
- Alors Lily ? Avec qui tu comptes y aller ? insiste Jace en reprenant le sujet précédent.
Je préférerais qu'il laisse tomber.
- Aller où ? demande Dallas en pivotant vers nous, sourcils froncés.
- Voir la comète, répond Jace comme s'il s'agissait d'une évidence. Tout le monde va y aller, les plages vont être bondées.
- Ah, j'en ai entendu parler, lâche Dallas en s'adressant au plan de travail. Elle peut y aller avec Lopez.
- C'est mieux avec un mec, objecte le roux. Et si t'as personne, je suis dispo Lily, ajoute-t-il, ce qui lui vaut une claque à l'arrière de la tête de la part de mon palefrenier préféré et une œillade assassine et dégoutée de Mia.
- J'avais prévu de me coucher tôt mais je veux bien t'accompagner, propose gentiment le texan.
Le silence se fait et j'ai l'impression que tout le monde attend ma réponse. C'est juste une comète, bon sang ! Pas un bal de promo. D'ailleurs, j'avais séché le mien. Ce genre d'événements, très peu pour moi.
Je balaye les employés des yeux. Jace m'adresse un clin d'œil, Dallas a croisé ses bras sur son torse et me couve d'un regard protecteur, Brent pianote des doigts contre sa cuisse en m'observant d'un air distrait, Boyd triture ses bracelets en cuir dans un geste de nervosité qui me rappelle moi-même et Royce fixe le mur opposé, le regard vide, en passant une main dans ses cheveux humides.
- Et toi, tu y vas avec qui ? je demande à Mia en quête d'un peu de soutien.
- Avec mon frère.
Jace laisse échapper un soupir mais je ne sais pas si c'est de soulagement ou de déception. Mes yeux restent un moment scotchés sur la silhouette de mon mécanicien qui me semble à des kilomètres et un pincement d'envie me parcourt quand je repense à la soirée de la veille. La vérité me frappe, évidente. Je veux aller voir la comète avec Royce et personne d'autre. Mais ce genre d'évènements lui ressemble encore moins qu'à moi alors je laisse tomber cette idée.
Tous les deux, je ne sais pas ce que l'on est l'un pour l'autre mais on partage quelque chose. Un tout petit quelque chose. Comme une minuscule flamme qui vacille à la moindre brise. Je ne veux pas que Royce souffle dessus parce que je l'aurais poussé dans ses retranchements. Elle est trop précieuse pour moi.
- Je ne pense pas y aller, je lâche d'une voix qui se veut neutre et indifférente mais me paraît plutôt faible.
- Tu vas manquer la comète ? s'exclame Jace comme si je venais de blasphémer.
- Non, je la verrais sûrement depuis ma fenêtre.
Je pourrais me préparer une grande portion de popcorns et peut-être même appeler Nathan en facetime s'il n'est pas trop tard chez lui, je songe pour éloigner une émotion désagréable qui ressemble à s'y méprendre à de la déception.
Non.
Pas d'auto-apitoiement. J'ai déjà obtenu beaucoup plus que je ne l'aurais rêvé de la part de Royce. Cette stupide comète n'a aucune importance. Je m'empêche de lever le nez pour croiser le regard de Royce que je sens me brûler le front depuis une minute. Je n'ai pas besoin de lutter bien longtemps parce que quelques instants plus tard, il quitte la pièce de sa démarche assurée.
Après avoir souhaité un bon après-midi aux employés, je fais de même, Mia sur les talons. Elle et moi passons les heures suivantes à barboter dans la piscine. Rectification : je fais quelques longueurs en essayant de ménager mon poignet et Mia m'encourage mollement, allongée sur son transat pour parfaire son bronzage pourtant déjà impeccable, à mon humble avis. Je ne lui fais pas de remarque et me contente de nager en jetant de temps en temps de rapides coups d'œil en direction du garage comme si je pouvais transpercer les murs du regard pour apercevoir Royce.
Quand mon poignet commence à fatiguer, je m'arrête près du bord de l'eau et croise les bras sur le sol chaud pour poser mon menton dessus. Mia change de position et se met à plat ventre sur sa chaise longue pour me faire face.
- Tu vas vraiment louper la comète ? demande-t-elle après un bref silence seulement comblé par le clapotement de l'eau et les cris lointains de certains employés qui s'interpellent d'un bout à l'autre de la propriété.
Un léger soupir m'échappe. J'avais presque réussi à me sortir cette idée de la tête. Merci Mia.
- C'est juste un morceau de glace et de poussière entouré de gaz. Rien de bien fascinant, je biaise.
- C'est ça, répète le d'un ton un peu plus convainquant pour voir, ricane la brune en réajustant le haut de son minuscule bikini rose fluo.
Je soupire mais ne relève pas. Bien sûr que j'ai envie d'aller assister à la comète mais la personne avec qui je veux le faire est hors d'atteinte et je sais renoncer à certains caprices quand il le faut.
- Je peux te trouver quelqu'un pour t'accompagner, tu sais ? lance Mia dans le but de me dérider.
Je grimace et secoue la tête.
- Non, je ne veux y aller avec personne.
- Personne sauf Walters, c'est ça ? ricane-t-elle avec un air mi amusé mi résigné.
Je rougis et me laisse glisser sous l'eau le temps de reprendre mes esprits. Le silence emplit ma tête l'espace d'un instant, puis je remonte à la surface.
- C'est ta nouvelle technique pour éviter les conversations ? demande Mia avec un sourire en agitant ses jambes dans l'air derrière elle.
- Je n'ai rien à dire.
- Pourquoi tu lui proposes pas d'y aller avec toi ?
Je vois bien qu'elle fait de gros efforts pour mettre ses préjugés de côté en me suggérant cette idée mais ce n'est pas comme si je n'y avais pas encore songé. Un soupir las m'échappe.
- Parce qu'il dirait non.
- Probablement. Mais ça coûte quoi d'essayer?
- Hum... ma fierté? je propose tout en doutant que cette dernière soit encore intègre.
Mia rit et je change de sujet.
- Et toi? Tu as dit que tu y allais avec ton frère. Tes parents ne vont pas vous accompagner? je l'interroge avec prudence.
Je prends des pincettes parce que Mia n'a jamais parlé de ces derniers et je ne veux pas risquer de faire remonter des souvenirs pénibles mais elle se contente de hausser les épaules, l'air vaguement maussade.
- Mes parents ne sont plus là, lâche-t-elle sur un ton neutre.
Je me fige et me sens pâlir. Mince. Ils ne sont plus là... Est-ce que...
Mia fonce les sourcils en voyant mon visage perdre quelques teintes et s'empresse de me rassurer.
- Ils sont pas morts. Ils ont juste... ils ont déménagé pas loin de Miami quand Diego... a eu des problèmes. Bref, c'est pas intéressant.
- Et tu es restée, je constate sans demander de précision sur les charges qui ont pesées sur son frère.
- Je suis restée, répète-t-elle en tirant sur une de ses boucles courtes avant de vider la canette de soda tropical que j'ai emportée. Heureusement pour toi d'ailleurs! Qu'est-ce que tu ferais sans moi?
- Attends voir... je profiterais de ma boisson.
- Vilaine. Ne te retourne pas mais Walters regarde par-là, m'informe-t-elle avec un air blasé.
Je me pétrifie et pivote brusquement sur moi-même, soulevant une gerbe d'eau dans le mouvement. Je scanne rapidement la cour du regard une fois, puis deux. Mais pas de Royce à l'horizon. Seulement Boyd à côté du pré qui m'adresse un petit signe de la main. Je le lui rends avant de me retourner vers Mia qui a roulé sur le dos sur son transat et se paye ma tête.
- T'aurais dû voir ta tête, se marre-t-elle pas le moins du monde impressionnée par mon œillade meurtrière.
Oui, bon, je dois encore la pratiquer.
- Attends que je sorte de l'eau, tu vas voir, je la menace avec la crédibilité d'un gosse de six ans ce qui ne fait qu'accroître son hilarité.
- Je veux bi... fais gaffe! crie-t-elle en se redressant soudain sans perdre son sourire.
- Hein ?
Je n'ai pas le temps de me retourner pour comprendre ce qu'elle me désigne du doigt qu'un gros projectile poilu s'écrase sur moi. Qu'est-ce que...
Je coule un instant, déstabilisée par le poids, puis remonte à la surface avec mon fardeau en m'agrippant au rebord du bassin. Fardeau qui se trouve en fait être un berger allemand de quarante kilos qui s'agrippe à moi comme à une bouée.
C'est à mon tour d'éclater de rire en évitant quelques coups de langues un peu trop enthousiastes de Rambo. Je le regarde patauger autour de moi, la langue pendante et le regard brillant, et m'accroche fermement d'une main à l'échelle métallique quand il vient poser ses deux pattes avant sur mes épaules pour se maintenir hors de l'eau. Il est vraiment adorable, j'en veux un comme lui, je songe en passant les doigts dans sa fourrure trempée et en embrassant le bout de sa truffe.
- Il est bien plus cool que toi pour tenir compagnie, je lance entre deux rires en me tournant vers Mia.
Je me fige aussitôt. Elle est à présent assise en tailleur sur son transat et tient un téléphone portable tendu devant elle dans un objectif évident. Mon téléphone portable, pour être plus précise.
- Eh! Qu'est-ce que tu fais? Arrête! je m'écrie en levant une main devant mon visage dans un reflexe inutile pour l'empêcher de me photographier, lâchant momentanément le chien qui boit la tasse.
Je le rattrape aussitôt sans quitter mon "amie" des yeux. Elle est en train de pianoter sur l'écran de mon portable avec un sourire machiavélique qui ne me dit rien qui vaille.
- Mia! Qu'est-ce que tu fiches? je commence à m'inquiéter. Pose tout de suite mon portable.
Pourquoi est-ce que les voix autoritaires ne fonctionnent jamais avec moi? La petite brune finit tout de même par s'exécuter, un sourire retors aux lèvres. Je la regarde avec méfiance reposer mon appareil sur ma chaise longue, près de mes affaires et m'adresser un sourire angélique qui s'accorde très mal avec son regard sombre de diablesse.
Rambo me passe un coup de langue sur la joue, pour attirer de nouveau mon attention sur lui et je joue une minute avec lui, l'esprit en ébullition.
- Ton mec te regarde, lâche soudain Mia.
Je tressaille au mot "mec" mais ne tombe pas dans le piège.
- Tu peux m'avoir une fois mais pas deux, je marmonne sans la regarder.
- Sauf que là, je suis sérieuse, insiste-t-elle.
Je soupire mais ne résiste pas à l'envie de me retourner pour vérifier. Mon corps se pétrifie quand mon regard rencontre celui qui hante mes songes et semble avoir provisoirement chassé mes cauchemars.
Il est bien là. Royce se tient à l'entrée du garage, une main dans la poche de son jean délavé, et me dévisage, les yeux pleins d'une intensité qui tranche nettement avec son flegme habituel. Je me sens rougir sous son examen minutieux mais il ne peut probablement pas le voir à cette distance. Je déglutis péniblement et bande les muscles de mon bras pour continuer de soutenir son chien qui s'agite dans tous les sens.
L'espace d'un instant, ma vision périphérique semble s'effacer et je ne vois plus rien d'autre que mon mécanicien immobile. Je peux presque ressentir cette aura sombre et dangereusement attractive qui se dégage de lui. Il est tellement beau que ça me fait presque mal. Je suis les lignes puissantes de sa grande silhouette en retenant mon souffle.
Je n'ai pas l'impression d'avoir respiré depuis le moment où mes yeux se sont posés sur lui, comme si j'étais plongée dans un de mes concours d'apnée solitaires. Ça ne dure toutefois pas longtemps, au bout d'une minute, il tourne les talons et s'enfonce de nouveau dans sa caverne. Je prends une inspiration tremblante pour réoxygéner mes poumons et me hisse hors de l'eau avec le chien.
Je m'écarte juste à temps pour éviter les projections quand il s'ébroue, et fonce vers la chaise longue sur laquelle j'ai laissé mes vêtements pour m'enrouler dans une serviette sèche.
- C'était chaud, commente Mia à côté de moi en gratouillant Rambo derrière les oreilles. La prochaine fois que vous aurez envie de vous faire l'amour du regard, merci de me prévenir que je vous laisse solo.
- Mia! je m'écrie mortifiée en la fouettant légèrement avec mon T-shirt tout en vérifiant aux alentours que personne n'a entendu sa remarque déplacée.
Heureusement pour moi, la cour semble déserte. J'enfile mes vêtements sans attendre d'être sèche et m'assieds sur le transat voisin de celui de mon amie, le visage encore brûlant. Rambo vient se coucher à mes pieds et Mia enfile ses lunettes de soleil à la Lolita.
- Tu comptes me dire ce que t'as trafiqué sur mon portable? je marmonne en m'emparant de l'appareil en question que je déverrouille rapidement d'une pression du pouce.
La petite brune ne se donne pas la peine de répondre, mon expression horrifiée est plutôt parlante. J'ai déjà compris. Sur l'écran, une page de discussion est ouverte. Le nom qui s'affiche en haut me donne la nausée et la salve de photo marquées des petites encoches bleues qui annoncent "vu" provoque plusieurs ratés à mon cœur.
Je continue de regarder les clichés en battant des paupières comme si cela pouvait les faire disparaître, la bouche entre-ouverte sous l'effet du choc. Elle n'a pas fait ça. Elle ne peut pas avoir fait ça.
Un rapide coup d'œil en direction de Mia me confirme ce que je refuse encore de croire. Elle l'a fait.
Elle vient d'envoyer une série de photos de Rambo et moi dans la piscine à Royce avec mon propre portable. Je bascule la tête en arrière comme si le ciel pouvait m'être d'une quelconque aide. Si je dois être foudroyée, c'est maintenant.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top