Chapitre 77

Pendant un long moment, aucun de nous ne parle et les cigales sont les seules à briser la quiétude de la nuit par leur chant estival. Je me concentre sur ma respiration pour la maintenir lente et stable. Une inspiration. Une expiration. J'essaye de ne pas songer à Royce. À sa cuisse musclée collée à la mienne, au tissu rêche de son jean humide contre ma peau, au contact ferme de ses lèvres, à l'odeur de dentifrice de son haleine... Stop! Génial! Maintenant, je dois recommencer à zéro.

De son côté Royce est... Royce, je suppose. Silencieux, opaque et immobile. Peut-être un brin songeur. Ah, que ne donnerais-je pas pour connaître ses pensées? Une partie de moi, celle qui est faite de guimauve et de paillettes, aimerait se bercer d'illusion et imaginer qu'il songe au moins un tout petit peu à moi et au ponton. Mais mon côté rationnel devine facilement que cette hypothèse est peu probable. Royce embrasse sûrement des tas de filles, peut-être même tous les jours.

Que dis-je? Cette étape ne lui est même pas indispensable, il la trouve probablement ennuyeuse et inutile. D'après ce que j'ai compris, il la saute bien volontier et passe sans états d'âmes au... stade supérieur, bien plus trépidant pour les hommes. Ce qui s'est passé sur le ponton n'avait sûrement aucune espèce d'importance pour lui, il a juste embrassé une gamine qui le lui demandait. J'ai insisté et il a cédé. Peut-être par pitié, je songe avec horreur.

- Tu recommences, lâche-t-il à voix basse dans un soupir.

- Pardon?

- Tu tires encore ta tête d'enterrement. À quoi tu penses?

Je lève les yeux pour croiser son regard curieux. Il a incliné la tête vers moi et son souffle m'effleure le front, faisant voler quelques unes de mes mèches.

- À rien, je réponds un peu trop rapidement pour avoir l'air sincère.

De toute façon, on ne peut pas penser à rien à moins d'être mort, c'est stupide. J'aurais dû dire " à l'étalon", "à l'université", ou à n'importe quelle banalité à peu près crédible. Je me détourne afin d'échapper au regard scrutateur de Royce mais il se penche en avant pour maintenir le contact et fouille mon expression avec une attention qui ne manque pas de m'embarasser et de colorer mes joues. Au bout d'une seconde, ses prunelles concentrées s'éclairent d'une lueur moqueuse.

Zut. Zut. Zut.

- T'y penses encore, note-t-il en appuyant sa tête contre le mur des écuries tout en me gardant dans sa ligne de mire.

Je choisis de jouer les gourdes.

- Je ne sais pas de quoi tu parles.

- Si. Je devais être vraiment bon, raille-t-il.

Je ne le contredis pas. Toute mon attention est accaparée par l'ébauche de sourire amusé qui étire ses lèvres et rend son visage plus humain à défaut de lui donner l'air sympathique. Et je ne peux pas m'empêcher de songer que le sourire de Royce est l'une des plus belles choses qu'il m'ait été donné de voir. Plus encore que les fleurs de cerisier ou les aurores boréales. Il est tellement rare. J'aimerais pouvoir le capturer dans un coffret, à l'instar d'un trésor précieux, pour pouvoir le contempler quand il ne sera plus là.

Sa voix grave interrompt le flot incohérent et flatteur de mes pensées.

- Qu'est-ce que tu regardes?

Je relève les yeux vers son regard, un peu gênée d'avoir été prise à lorgner sur ses lèvres. Ses sourcils sont froncés et son regard légèrement curieux. Comme il est étrange de voir des ébauches d'émotions, aussi vagues et légères soient-elles, transparaître sur son visage qui n'exprime en général rien d'autre que de l'indifférence ou une colère mal maîtrisée.

Il attend toujours une réponse et sans réfléchir, je la lui donne.

- Ton sourire.

Comme si le fait de l'évoquer ne pouvait que le faire disparaître, ses lèvres se rétractent, formant une ligne mince et me faisant presque regretter mon honnêteté. Ses traits redeviennent lisses mais son regard reste légèrement intrigué.

- Pourquoi?

Je maltraite distraitement les brins d'herbe qui m'entourent, me concentrant sur eux pour lui dissimuler mon trouble. Je hausse les épaules, simulant une décontraction que je suis loin d'éprouver.

- Tu ne souris presque jamais. J'aime bien quand tu le fais.

Il ne répond rien. Je sens que son regard est toujours posé sur moi mais je ne relève pas la tête pour le vérifier. Son silence me donne envie de ravaler mes paroles. Chaque mot que je prononce devant lui risque de trahir les sentiments dévorants et irrépressibles que je nourris à son égard et mon instinct me souffle qu'à l'instant où il les devinera, où il mesurera leur ampleur... il disparaîtra.

J'ai pratiquement désherbé toute ma parcelle quand sa voix grave et chuchotée me détourne de mes doutes.

- Tout à l'heure, t'as dit que t'en savais assez à propos de moi. Qu'est-ce que tu voulais dire?

Je mets un instant à comprendre à quoi il fait référence. J'avoue que le baiser sur le ponton à presque effacé toute la conversation qui l'a précédé de ma mémoire. C'est vrai qu'il m'a fait comprendre que je n'aurais pas envie de l'embrasser en connaissant l'étendue de ses crimes et, dans ma quête pour le convaincre, je lui ai assuré que j'ai déjà une assez bonne idée de ces derniers.

Je prends mon temps pour répondre, hésitant sur les mots à employer.

- Et bien, c'est vrai que j'ai entendu beaucoup de choses... sur toi, depuis que je suis ici. Tu dois savoir mieux que moi comment est cette île. Mais ça ne veut pas dire que j'y crois, lui assuré-je aussitôt.

Je lève les yeux vers lui, soucieuse de découvrir sa réaction mais il n'en a aucune et c'est presque pire en un sens. Le masque est de retour. Ses traits sont un mur insondable, son regard une vitre teintée.

- Et qu'est-ce que tu as entendu? demande-t-il sur un ton égal mais froid.

Cette fois, je garde le silence. S'il y a une chose dont je n'ai pas la moindre envie de discuter avec lui, c'est bien de son image et de ses crimes, cet aspect de lui que je m'échine à écarter et ignorer depuis des semaines. Sans compter que les rumeurs sont peut-être fausses -ce que je souhaite de tout cœur- et que les énoncer à voix haute ne risque pas d'améliorer l'humeur de mon mécanicien.

Devant mon mutisme, il insiste.

- Vas-y, je vais pas m'énerver.

- Je n'ai pas peur que tu t'énerves.

- Quoi alors?

- Certaines de ces rumeurs sont plutôt graves et sûrement infondées. Je ne veux pas te faire de peine.

L'espace d'un instant, ses yeux s'écarquillent, puis il incline la tête en arrière et pars d'un rire rauque qui secoue son torse. Sa pomme d'adam fait le yo-yo. De l'autre côté de lui, je vois l'étalon s'agiter nerveusement, incommodé par ce son étouffé, et ses oreilles se plaquent en arrière.

Je reste toutefois concentrée sur Royce, fascinée par son rire et désireuse de connaître la blague tout en me doutant que j'en suis sûrement la source. Je ne me savais pas aussi drôle, tiens. Je devrais peut-être envisager une carrière d'humoriste.

Quand Royce relève les yeux vers moi et que son rire se meurt, son regard a retrouvé cet éclat moqueur qui est pour lui ce qui se rapproche le plus d'une émotion positive, je pense.

- Qu'est-ce qui est drôle? je m'enquiers.

- Toi. Vas-y balance ce que tu sais. Je t'assure que ça ne me fera pas de "peine".

Son regard entendu me donne l'impression de rater un élément comique mais je n'insiste pas et prends une grande inspiration avant de m'exécuter.

- Et bien, commencé-je sans quitter ses traits des yeux prête à me taire à la moindre crispation suspecte, j'ai entendu parler de l'endroit où tu as grandi et de... ta mère. On m'a aussi parlé de tes... frasques pendant l'adolescence. Enfin, les vols de voitures, la drogue, le sabotage, ce genre de choses. Et puis, il y a eu le tag sur le garage... qui est surement faux, d'ailleurs...

Je m'interromps, pas sûre de vouloir continuer. Oui, il est préférable que je m'arrête ici, le reste est trop... horrible pour être abordé dans la quiétude de ce pré plein de chevaux endormis. Comme s'il avait lu dans mes pensées, Royce ne m'en laisse pas l'opportunité:

- Quoi d'autre? demande-t-il sèchement.

J'avale ma salive de travers mais lui avoue la dernière rumeur... la pire.

- J'ai aussi entendu que tu aurais... mis le feu à une maison et tué une douzaine de personnes. Dont... dont ta mère.

Je n'ose pas le regarder en face en disant cela, même pour observer sa réaction. Le silence se prolonge, prend des allures d'animal tapi dans l'ombre et m'angoisse. Je commence à transpirer mais je ne sais pas si c'est à cause de la chaleur qui perdure même dans la nuit ou du stress.

Je promène mes yeux sur les chevaux somnolents et remarque que l'étalon, bien que toujours éveillé, semble apaisé. Notre présence ne paraît plus l'indisposer outre-mesure. Tant mieux, demain, quand je m'incendierai pour avoir passé tout ce temps dans le pré avec Royce à alimenter mon obsession, je trouverais au moins un avantage à opposer à mon sermon mental.

- Toi, t'en penses quoi? demande finalement Royce au bout d'une minute.

Son ton est dépourvu de la moindre émotion, tout comme ses yeux. Il ne me regarde pas et fixe sans les voir les barrières opposées à l'autre bout du pré. Il pourrait tout aussi bien m'interroger sur ma préférence en matière de pizza ou sur la météo.

- Je ne sais pas. Ce ne sont que des rumeurs. Et puis, je suis certaine que ça ne fait pas partie des charges qui reposent contre toi parce que tu aurais fait bien plus que sept ans de prison dans ce cas.

Un ange passe. Je suis plus que jamais consciente de sa présence imposante tout contre moi. Son épaule collée à la mienne, son souffle sur ma joue, sa grosse bottine à quelques centimètres de ma converse... La chaleur de son flanc droit traverse mon corps comme une vague d'énergie.

- Mais tu te doutes qu'il reste une probabilité que ce soit vrai?

J'avale ma salive de travers - encore- et palis.

- Oui, je souffle d'une voix blanche.

- Et pourtant, t'es toujours là, ajoute-t-il comme pour lui-même avec un haussement de sourcil l'air de demander "pourquoi?".

Je n'ai aucune réponse à lui fournir. Oui, je suis toujours là. Je me demande ce que cela peut bien vouloir dire de moi, je songe avec une certaine amertume. Que je suis insensible? Inhumaine d'accepter - que dis-je- de désirer sa présence auprès de moi quand le doute demeure? Le pire est que si cette rumeur s'avérait vraie, je ne suis même pas certaine de parvenir à garder mes distances.

- Je n'ai pas mis le feu à cette maison, lâche alors Royce.

Je sursaute et pivote vers lui. Son regard implacable rencontre le mien avec une certaine brutalité. Le soulagement s'abat sur moi comme une immense vague, puissant, étourdissant. Le sourire qui me troue les joues est authentique. Heureux. Je me redresse sur les genoux pour faire face à un Royce interdit.

- J'en étais sûre!

C'est presque vrai. Disons que je voulais en être sûre, c'est à peu près la même chose, non?

- Tu me crois? demande-t-il avec une nuance de surprise dans la voix.

Je devine sans mal qu'il a dû répéter sa version des faits un nombre incalculable de fois pour les procès, devant les juges ainsi que ses avocats et sa réaction n'est pas très difficile à décrypter. Personne n'a dû le croire bien qu'il n'ait sûrement pas été inculpé faute de preuves. Évidemment, quoi de plus crédible comme suspect qu'un adolescent de la rue trempant dans des affaires louches, élevé dans un bordel et dont la mère est l'une des victimes?

- Oui.

Il a un rictus sans joie et se détourne de moi. De profil, je peux voir sa mâchoire se crisper ostensiblement et je prévois presque la réplique acerbe qui va suivre.

- T'es pas très futée si tu tombes dans le piège aussi facilement. Je sais mentir, comme tous les mecs dans mon genre. Rentre toi ça dans le crâne pour ton propre bien, la môme.

Je tressaille en l'entendant réemployer ce surnom rabaissant. Il l'a fait exprès, je le sais parfaitement. Il cherche à rétablir une certaine distance, regrettant sûrement de s'être laissé aller à une ébauche de confidence. Ses murs qui s'étaient à peine abaissés sont en train de remonter en force. Je le vois à l'argent qui se durcit dans ses prunelles.

- En tout cas, idiote ou pas, je te crois, m'entêté-je.

Il ne réagit pas, le regard lointain et je comprends que c'en est fini de notre conversation. Acceptant ce fait, je me satisfais de sa simple proximité physique et m'en repais sachant qu'elle est sûrement exceptionnelle.

Préférant éviter de l'embêter, je laisse Royce dans son mutisme et me concentre sur ce qui aurait dû être mon objectif principal de la soirée: l'étalon.

Il n'a pas bougé. Son corps est toujours à la même place. Pourtant, son encolure s'est redressée et en me concentrant bien, je remarque qu'elle s'est imperceptiblement tournée dans notre direction. À présent je peux admirer son regard chocolat, même s'il s'échine à ne pas croiser le mien.

Je ne saurais dire si c'est l'odeur de lilas qui flotte dans l'air ou simplement l'aura paisible qui imprègne ce pré mais soudain, un souvenir enseveli, relégué presque intentionnellement aux oubliettes comme la plupart de ceux que j'ai des étés de mon enfance, émerge du fin fond de ma mémoire.

J'étais assise à peu près au même endroit, la tête sur une épaule de Nathan. Je venais de fêter mes huit ans. Dallas avait partagé avec moi quelques techniques d'apprivoisement indiennes qu'un de ses vieux amis lui avait lui même transmises. Et je m'étais mise en tête de les essayer sur le poulain que papa venait de m'offrir pour mon anniversaire. J'avais réveillé mon meilleur ami en pleine nuit et on était descendus dans ce pré avec cette excitation mêlée d'angoisse qui accompagne les bêtises. Puis j'avais chanté tout près d'Archibald pour attirer son attention comme me l'avait appris mon palefrenier. Evidemment, je ne connaissais pas de chant indien alors je m'étais contentée d'une comptine de Noel.

Je ne me rends pas tout de suite compte que je me suis mise à chanter, encore plongée dans cette autre chaude soirée d'été qui appartient à une autre vie. Ce n'est qu'en percevant un mouvement chez mon voisin que je prends conscience que ma tête n'est plus posée sur l'épaule de Nathan mais sur celle de Royce. L'espace d'une fraction de seconde, il s'est raidi, comme pris de cours. Toutefois, il ne me repousse pas et je continue de fredonner un air doux et un peu enjoué qui parle de neige et de sapins illuminés.

Je souris en décelant l'intérêt soudain de l'étalon dont les oreilles s'agitent avec curiosité dans ma direction. Si la voix des humains doit encore lui répugner, le chant en modifie assez les tonalités pour que la mienne ne lui apparaisse pas comme telle.

Je sais que ma voix n'est pas désagréable. Je ne commets aucune fausse note et je peux remercier pour cela les quatre ans que j'ai passés à la chorale de mon collège entre midi et deux. J'ai opté pour les comptines de Noel parce que j'en ai l'habitude: j'étais choisie chaque année pour les interpréter devant toute l'école bien que je n'aie jamais su si je trouvais ce moment pénible -à cause des projecteurs et des regards- ou heureux et solennel. De toute façon, ce n'était pas réellement un choix. Papa adorait m'écouter chanter pendant cette période particulière de l'année et répétait à qui voulait l'entendre que j'étais son ange de Noel - surnom qui m'a valu d'être affublée du déguisement assorti à chaque vingt-cinq décembre. J'ai donc continué cette tradition même après sa... son départ.

Le regard de Royce pèse sur moi mais j'évite d'y songer pour garder ma concentration et me focalise sur l'étalon blanc. S'il n'a pas avancé d'un pas, il nous fait à présent presque face et je dois me concentrer pour ne pas interrompre ma "tâche". Ses yeux bruns sont à demi clos, comme ceux d'un chat qui ronronne sauf que les siens restent attentif. La fuite reste envisageable.

Quand la première chanson se termine, j'enchaîne sur une autre en m'arrangeant pour éviter les blancs entre chaque comptine. Dans le pré, de nombreux chevaux se sont réveillés et certains s'approchent, une lueur de curiosité dans l'œil. Un vrai public!

Je ne sais pas combien de textes je chante. Je crois bien que j'épuise mon stock de Noel, pourtant assez conséquent. Puis c'est au tour de ma voix de se fatiguer et je laisse finalement la dernière note s'envoler. Elle vibre quelques instants dans l'air avant de s'éteindre.

L'étalon, qui semble avoir esquissé un pas vers nous sans que je ne m'en aperçoive, ouvre aussitôt les yeux mais ne se dérobe pas encore. Euphorique, grisée par cette petite victoire, je pivote vers Royce et lui adresse un sourire incrédule. Sans surprise, il ne me le rend pas. Son regard reste concentré sur moi et ne dévie pas une fois vers l'étalon.

- T'as vu ça? j'insiste en chuchotant, sans me départir de mon air heureux.

- Je ne sais pas si c'était une bonne idée de te laisser recommencer. J'aurais mieux fait de te balancer à Dallas, souffle-t-il.

Mon sourire fond aussitôt comme une madeleine dans un chocolat chaud.

- Pourquoi tu dis ça? On progresse!

- Tu te fais de faux espoirs pour rien.

- Quel genre?

- Ce cheval est une cause perdue, décrète-t-il d'un ton ferme avant de répéter. Tu te fais de faux espoirs.

- Ça n'existe pas les causes perdues.

Il soupire.

- Je ne comprends pas pourquoi tu te casses la tête pour un animal sauvage. Qu'est-ce que tu t'imagines, que tu vas pouvoir en faire un cheval de compagnie?

- Non, je concède. Mais il mérite d'être sauvé! Tu n'as donc pas entendu ce qui lui est arrivé? Il a trop souffert par le passé.

- On s'en fout. Ça n'a aucune putain d'importance. Ce qui compte maintenant, c'est qu'il est dangereux. Le mieux pour tout le monde serait de l'abattre. Dommage que personne ne s'en rende compte.

Je m'écarte de lui et le fusille du regard. Il hausse les épaules, guère impressionné par ma colère.

- C'est comme ça.

Je secoue vigoureusement la tête, dégoûtée par son point de vue. Exaspéré, il reprend.

- Imagine qu'il pète un plomb et qu'il tue quelqu'un à cause "des souffrances qu'il a endurées", précise-t-il sarcastique. Tu crois que t'auras encore envie de le sauver à ce moment là?

Sa question est rhétorique, je le devine au ton qu'il emploi. Pourtant, je me trompe peut-être, mais il me semble qu'elle revêt une importance particulière. Quelque chose qui va au delà de cet étalon.

Je lève le menton et fixe Royce droit dans les yeux avant de répondre d'une voix claire et déterminée.

- Oui.

Dans son regard, quelque chose semble vaciller, trop rapidement pour que je ne l'identifie, et ses lèvres se pincent. Mettant fin à cette conversation, je repose ma joue sur son épaule chaude.

Là, collée contre lui sous l'œil bienveillant de la lune pâle, une pensée m'effleure avec la douceur d'une pétale de rose, me heurte avec la brutalité d'une collision de voitures et je pense qu'il sera impossible de la déloger.

Est-ce cela? Est-ce à cela que ça ressemble? Suis-je en train de tomber amoureuse de Royce? Ou bien est-ce déjà chose faite? Je n'en sais rien. Ces mots ne m'évoquent pas grand chose. Pourquoi tomber d'abord? Quel est le rapport avec une chute? Comme si un instant, l'autre n'était rien pour nous et que celui d'après, il devenait le centre de rotation de notre univers. Ça me parait peu crédible. Ce n'est pas ainsi que je considère mes sentiments pour mon mécanicien en tout cas.

Ils seraient plutôt comme...  une plante qui aurait germé et poussé trop vite pour former un bourgeon. Que j'aurais arrosée et gorgée de soleil au lieu d'arracher. Je ne sais pas quand la graine à été mise en terre. C'était peut-être quand Royce s'est jeté sur moi pour m'éviter de passer sous les roues d'une voiture, ou quand j'ai tenu sa main pour la prière le soir du dîner de Chris. La première fois qu'il a ri dans ce supermarché du centre-ville ou la nuit un peu floue de mon anniversaire quand il est venu me chercher à cette fête stupide.

Je n'ai pas la réponse mais c'est là, à l'intérieur de moi et j'ai le sentiment qu'il n'y a plus de retour en arrière possible.



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