Chapitre 31
Je suis assise sur le lit et regarde Mia fouiller dans ma commode à la recherche d'une tenue pour nager. Elle n'a pas l'air d'y trouver son bonheur parce qu'au bout de dix longues minutes, on y est encore.
- Bon, tu choisis ou pas? je râle en fixant le plafond coloré. Que je puisse voir ce que je met.
- Oh, tu crois vraiment que je peux faire passer tout ça dans un de tes petits maillots? rigole-t-elle en empoignant ses larges hanches. C'est flatteur.
- Euh... je ne sais pas. C'est une question piège?
- T'es vraiment trop mignonne, tu le sais ça? Personne ne te l'as dit?
Elle ne songeait surement pas à mal mais tout mon corps se crispe en entendant ses paroles. Un frisson d'horreur me parcourt quand je songe à la personne qui aimait me répéter à quel point j'étais mignonne.
- Ca va? s'inquiète Mia en voyant la tête que je fais.
- Oui, alors qu'est-ce que tu vas faire? Pour le maillot.
- J'en ai déjà un, dit-elle en baissant un peu son short sur sa hanche pour me faire voir un bas de bikini vert pomme qui doit briller à des kilomètres à la ronde.
- Ok, qu'est ce que tu fais depuis un quart d'heure devant les miens dans ce cas? je m'impatiente.
- Je cherche un truc pour toi.
- Quoi? Je n'ai pas besoin que tu me dises quoi mettre.
- Si je te laisse choisir, tu vas mettre un une pièce?
- Oui.
- C'est ce que je pensais.
- Et alors, je peux bien mettre ce que je veux.
- Ouais mais tu veux pas avoir l'air plus... sexy?
Je m'étouffe avec ma salive et j'ai bien l'impression que mes yeux se délogent de mes orbites.
- Non, pas du tout. Je ne vois pas l'intérêt.
- L'intérêt, c'est de plaire aux mecs, qu'est-ce que tu crois?
- Alors là, je vois encore moins l'intérêt! Je ne veux plaire à personne, ici.
Je n'ai pas le temps de réfléchir à la véracité de mes propres paroles parce qu'elle enchaîne dans son délire:
- Pourquoi pas le petit Vietnamien? Il est tout mignon et il te dévorait du regard pendant le dessert. C'est bien ton genre lui, non? Il a l'air aussi innocent qu'un bébé.
- Boyd? Il est amérindien et je n'ai pas de genre. Je ne veux séduire personne.
Tous mes réflexes de défenses commencent à s'enclencher et je recule dans la pièce pour m'éloigner de Mia et de ses maillots de bain stupides. Un vent de panique me parcourt et je me souviens pourquoi je n'ai jamais eu d'amies filles. Les amies filles font ce genre de chose: elles parlent de garçons réels et s'encouragent mutuellement à passer à l'action. Mais ça ne m'intéresse pas du tout!
Ce n'est pas tout à fait vrai: il y a cette étrange fascination qui me pousse vers Royce, mais cela n'a rien à voir avec ce qu'attend Mia. Cela n'ira jamais nulle part, c'est juste dans ma tête.
Je fixe Mia qui me regarde, un pli entre les sourcils, et songe que je me suis peut-être emballée à propos de cette nouvelle amitié. Ce n'est pas de sa faute, Mia est une fille normale et pleine de personnalité, c'est moi qui suis bizarre et un peu brisée.
- Tu... tu devrais y aller seule. Je n'ai plus envie de nager finalement, je m'entend dire d'une voix à l'aspect robotique avant de me détourner et d'aller m'étendre sur mon lit.
Quelques secondes plus tard, je sens le poids d'une seconde personne sur le matelas et Mia m'attrape par l'épaule pour m'obliger à lui faire face. Je soupire et roule sur le flanc. Elle me fixe un moment de ses yeux d'onyx, puis lâche d'une voix sérieuse:
- J'ai passé le rite d'initiation, tu te souviens? Tu ne peux plus revenir en arrière, on est amies point barre, compris?
Je déglutis. C'est comme si elle avait lu dans mon esprit et anticipé ma fuite imminente. Je lâche à voix basse:
- Compris.
- Ok. Maintenant, dis moi où est le problème. Je sais que t'es pas lesbienne, alors c'est quoi?
J'écarquille les yeux. Je ne suis pas surprise qu'elle ait envisagé cette possibilité pourtant: une grande partie des élèves de mon internat pensaient bel et bien que j'étais attirée par les filles. Ça ne m'a jamais vraiment embêtée, au contraire, ça tenait les garçons à distance. Je suis seulement étonnée que Mia ait écarté cette hypothèse tangible.
- Qu'est-ce qui te fais dire ça? je demande, curieuse.
- Je le sais, c'est tout. Mais si tu veux on peut se rouler une pelle pour tester, ajoute-elle en haussant les sourcils plusieurs fois avec un air coquin.
Je l'assomme avec un oreiller et elle éclate de rire. Je suis sûre que me mettre mal-à-l'aise est sa nouvelle passion.
- Sérieusement, comment tu le sais? j'insiste.
- Tu veux dire, à part le fait que tu mattais le cul de Walters tout à l'heure? demande-t-elle, malicieuse.
- C'était son dos, je me défend en m'empourprant.
-Si tu veux. Bon, on reprend: tu n'es pas homo. Et les mecs t'attirent n'est-ce pas?
J'enfonce ma tête dans l'oreiller et mes paroles sortent étouffées:
- Pourquoi tu fais ça, c'est super gênant. C'est quoi, une thérapie?
Je l'entend pouffer:
- C'est pas gênant Lily, je suis une fille. Réponds par oui ou par non. Est-ce que t'as déjà été attirée physiquement par un mec? Et Justin Bieber ne compte pas, précise-t-elle d'un ton moqueur.
- Pourquoi est-ce qu'il ne compte pas?
- Répond à la question. Oui ou non.
Je m'apprête à dire non au risque d'avoir l'air encore plus bizarre mais l'image du corps puissant et fascinant d'un certain mécanicien s'impose derrière mes paupières closes. Je marmonne un vague "oui" dans l'oreiller.
- Ok, lache Mia, c'est bien on avance. Par oui ou par non: est-ce que t'es déjà sortie avec un gars?
Je me raidis aussitôt, même si je m'attendais à cette question. Je chuchote un "non" tout juste audible mais je sais qu'elle l'a entendu parce qu'un long silence accueille ma réponse. Je ne crois pas avoir déjà été aussi embarrassée.
- Lily, finit par appeler Mia.
- Ouais, je marmonne.
- Je suis vraiment obligée d'avoir cette conversation avec ton dos?
Je me retourne à contre coeur pour lui faire de nouveau face et lâche:
- Et moi, je suis obligé d'avoir cette conversation? je maugré.
- Pourquoi t'as jamais eu de petits amis Lily? Et ne me dis pas que tu n'intéresse personne parce que c'est impossible, t'as une gueule d'ange.
J'apprécie le compliment mais beaucoup moins la question. Ma gorge se serre et mon ventre me fait mal. Je fixe le plafond pour ne pas me trahir en répondant:
- C'est comme ça, c'est tout. Je ne veux pas sortir avec un garcon. N'insiste pas s'il te plaît .
Son regard ausculte mon visage avec une perspicacité qui m'inquiète et pendant un moment, une expression grave, rarement vue sur son visage, marque ses traits d'habitude mutins. Puis, à mon grand soulagement, elle hoche la tête et retrouve son sourire:
- Ça marche. Tu peux mettre le maillot de bain que tu veux.
- Mais...
- Pas de mais ma poule. Tu vas quand même pas me laisser nager toute seule et rester enfermée dans ta piaule. C'est pas contraire à tous vos principes?
Je fais la grimace au "vos" qu'elle emploie comme si on appartenait à deux mondes différents mais me lève et vais prendre un maillot de bain noir une pièce, reconnaissante à Mia de ne faire aucun commentaire. Par contre quand je me dirige vers la salle de bain pour l'enfiler, je l'entend ricaner:
- Moi non plus je suis pas lesbienne Lily! Tu peux te changer devant moi, promis je te materai pas.
Je lui tire la langue dans un accès de puérilité et vais tout de même m'enfermer dans la pièce voisine.
Dix minutes plus tard, j'éclate de rire en voyant Mia faire la bombe et éclabousser les chaises longues les plus proches du bord. Elle émerge de l'eau avec un grand sourire.
- Qu'est-ce tu fous ? Retire tes fringues. Allez, elle est super bonne!
Je me débarrasse de mon short et de mon T-shirt, puis plonge souplement, la tête et les bras en avant sans provoquer d'éclaboussures. Mon corps perce la surface avec la précision d'une lance.
- D'où tu sors, toi? De sirènes land? demande-t-elle les yeux écarquillés.
Je fais deux longueurs en crawl avant de répondre:
- J'ai fait six ans de natation.
- Pfff, y'a des trucs que tu sais pas faire, miss parfaite? Je parie que tu joue d'un instrument de musique, s'amuse-t-elle.
Je ne réponds pas mais elle insiste:
- Alors?
- Oui.
- De quoi?
- Piano et un peu de violon.
- Pfff, souffle-t-elle en m'arrosant en pleine figure.
Après cela, on fait plusieurs longueurs et elle râle en perdant à chaques courses, arguant que les piscines sont faites pour se baigner et non pas pour se tuer à la tâche. Je me moque d'elle quand elle me traite de masochiste après avoir perdu à trois concours d'après d'affilés, quand un cri de Sioux nous fait toutes les deux sursauter.
- Larguez les bombes! hurle un Jace en maillot de bain rouge avant de faire un double salto dans la piscine.
Il était à un cheveu de nous écraser, je songe alors qu'il refait surface en se coiffant.
- Espèce de psychopathe, crache Mia, t'as failli te cracher sur nous.
- Failli, c'est le mot exacte poupée.
- Qu'est-ce que tu fous là, l'employé? T'as pas du taffe? maugrée mon amie.
- J'ai terminé. Je me suis dépêché en fait, avoue-t-il, je ne voulais pas louper ta superbe silhouette dans un bikini.
- Je peux pas dire la même chose de toi, quand on est roux, on évite de porter du rouge, se moque t-elle en pointant du doigt le maillot de bain dont la couleur ressort par transparence dans l'eau.
- Hey! Je suis blond vénitien putain!
Sur ce, Jace se jette sur elle pour la couler, sans se préoccuper de ses cris de protestations outragés.
Quand il finit par la libérer et qu'elle refait surface en crachotant avec l'air d'un caniche mouillé, elle lâche en levant ses deux majeurs dans sa direction:
- Si c'est ça ta technique de drague, je serais pas étonné que mini Jace se sente souvent très seul, raille-t-elle.
- Ne t'en fais pas pour big Jace, il se porte comme un charme et n'a jamais froid.
- Ça c'est parce que tu as une main très cajoleuse.
Je les fixe un instant avec des yeux de merlan frit, puis leurs insinuations finissent par se frayer un chemin sinueux jusqu'à l'organe attardé qui me sert de cerveau et je m'étrangle de rire et d'incrédulité. Oh mon Dieu! Ces deux-là sont ingérables, je n'ai jamais rencontré de telles énergumènes.
- Tu veux que je te montre ce que ma main sait faire? enchaîne le rouquin et je rougis à la place de Mia.
- Fais gaffe à ce que tu dis, y a des enfants dans le bassin, lance Mia pour se moquer de moi et de mon visage écrevisse.
Je lui tire la langue.
- Lily n'est pas une enfant, détrompe toi, elle est surement beaucoup plus mature que toi, la pouffiasse, me défend Jace en nageant vers moi.
Par réflexe, je nage dans la direction inverse à reculon mais bute rapidement contre le bord. Ma fuite ne dissuade pas Jace qui continue de se rapprocher jusqu'à poser les mains sur les rebords de la piscine de part et d'autre de mon corps raide comme une planche.
- Alors Lily, est-ce que tu as quelque chose contre les roux? demande-t-il d'une voix enjôleuse.
J'espère que tout cela fait parti de son cirque habituel. Je déglutis, mal-à-l'aise de le sentir aussi proche.
- Je croyais que tu étais blond vénitien.
- Je ne sais pas, qu'est-ce que tu en pense ma jolie?
- Pour moi c'est juste une manière snob de dire roux, désolée. Et je croyais que j'étais Boucles d'or.
- C'est comme tu préfères, chuchote-t-il en se penchant encore plus vers moi avec son sourire de diable en boîte.
- Jace...
Je l'interrompt parce que mon radar spécial m'alerte d'une présence dans mon dos. Je pivote la tête et tressaille en voyant Royce debout à quelques mètres. Il a les yeux braqués sur nous mais Jace ne daigne pas s'écarter malgré ma main qui le repousse au ventre. Mon coeur se met à battre sourdement et, pendant un moment, le silence se prolonge alors que personne n'esquisse un geste. Les yeux de Royce ressemblent à deux projecteurs à la lumière froide et puissante. Puis Mia lâche:
- Qu'est-ce que tu veux Walters?
Royce pivote un instant vers elle et sans son regard pesant sur moi, je remarque qu'il a enfilé un T-shirt gris foncé depuis ce matin.
- Dallas m'a demandé de le rejoindre par là, répond-il d'une voix polaire.
Son regard revient presque aussitôt sur Jace, qui n'a toujours pas daigné s'écarter et un muscle tressaute dans sa mâchoire. Ses prunelles ressemblent à deux Icebergs. Je sais qu'il n'a jamais l'air chaleureux mais je ne crois pas que ses yeux aient déjà été aussi froids. Ses poings sont enfoncés dans ses poches.
J'avale ma salive de travers quand il s'avance brusquement vers notre côté de la piscine d'un pas décidé. L'eau déborde du bassin et trempe ses botes déjà usées mais il n'a pas l'air de s'en préoccuper. Il s'accroupit juste à coté de nous mais ne regarde que Jace.
- Les consignes de Chris s'appliquent à tous les employés, pas qu'à moi, lâche-t il d'une voix ferme en me jetant un rapide coup d'oeil.
Jace ne relève pas mais s'écarte légèrement de moi sans pour autant retirer ses bras et Royce se redresse et recule de quelques pas.
Dallas arrive à ce moment et s'adresse aussitôt à ce dernier:
- Ah, t'es là, Walters. J'ai besoin de toi, le van veut plus démarrer et on a trois bêtes à déplacer dans l'heure...
Il s'interrompt en suivant le regard de Royce, toujours braqué sur notre partie de la piscine, et fronce les sourcils, creusant des sillons sur son front légèrement dégarni.
- Eh Jace, distance mon bonhomme. Enlève tes pattes de ma gamine je te prie.
Cette fois, Jace éclate de de rire et s'exécute en levant un instant les mains en signe de reddition avant de se reprendre et de les utiliser pour se maintenir à flot.
Dallas hoche la tête, satisfait alors que je lève les yeux au ciel sans toutefois pouvoir m'empêcher de ressentir un élan d'affection pour lui à l'idée d'être "sa gamine" à ses yeux.
- Bon, Walters, tu peux faire ça ou pas? reprend Dallas.
- Ouais.
Sur ce, Royce tourne les talons et s'éloigne en direction des écuries, mon palefrenier préféré sur les talons. Je le suis des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière une grande haie de roses, puis me retourne vers mes deux compagnons de baignade. Compagnons qui me fixent tous les deux d'un air entendu. Zut. Quoi encore? Je me mord la joue et leurs échanges de regards ne m'échappent pas.
- Elle matait Walters, là? demande Jace à Mia en m'indiquant du pouce.
J'ai aussitôt envie de me glisser sous l'eau pour un concours d'apnée solitaire, et qui sait? Peut être ne plus jamais en sortir.
Mia achève de m'enterrer:
- C'est clair. C'est ce que je disais tout à l'heure.
- Mia! je m'écrie, les yeux écarquillés.
- Ben quoi? demande-t-elle, l'innocence incarnée.
- Je croyais qu'il y avait un code d'honneur entre les copines ou un truc dans le genre! je m'insurge.
- Ah merde, le code d'honneur! Oups, désolé.
- Te fatigues pas boucle d'or. Je t'avais déjà cramée, j'étais collé à toi et ton coeur à commencé à faire le tambour dès le moment ou Walters à pointé le bout de son nez. C'était trop mignon, rigole-t-il.
Je pique un fard et me laisse couler sous l'eau pour ne plus croiser leurs regards accusateurs. Au bout d'une minute et 34 secondes cependant les bras de Jace me forcent à refaire surface.
- Qu'est-ce tu nous fais là? T'essaye de te suicider?
- Non. Et de toute façon, je suis déjà morte. De honte, je précise devant son air perplexe.
Mia nous rejoint sur le bord de la piscine et ils se moquent tous les deux de moi.
- Si ça peut te consoler, mon coeur s'est aussi un peu emballé, confie-t-il en se grattant la poitrine.
Je le fixe, les yeux grand ouverts, en essayant de ne pas tirer de conclusions hâtives de ses paroles et il précise avec un sourire indulgent:
- J'ai cru qu'il allait m'étriper, pas toi?
- Qu'est-ce qu'il voulait dire?
- A quel propos? demande-t-il, sûrement pour gagner du temps parce que ce n'est pas comme si Royce avait été très bavard.
- Quand il a dit que les consignes de mon oncle ne s'appliquaient pas qu'à lui, je précise patiemment alors que Mia penche la tête, curieuse.
Jace se gratte le nez avant de répondre avec une pointe de réticence:
- Chris nous a comme qui dirait... interdit de t'approcher.
- Hin? De m'approcher? je m'exclame.
- Enfin, tu vois ce que je veux dire. De flirter avec toi.
J'en reste bouche bée. Je ne pensais pas que Chris accordait de l'importance à ce genre de chose. Il ne m'a jamais paru surprotecteur quand je passais mes étés ici. Mais bon, à l'époque, c'était mon père qui tenait ce rôle.
- Enfin, d'après moi, précise Jace, c'était bien à Walters qu'il s'adressait en particulier. Parce que je suis un super parti.
- Mon cul, s'exclame Mia, t'es un super parti sans une thune.
- Bon, ça c'est encore en travaux, mais sinon, j'ai tout ce qu'il faut là ou il faut, se rengorge-t-il avec cette danse des sourcils dont il a le secret.
Je m'esclaffe en me dirigeant vers l'échelle pour sortir me sécher. Je commence à avoir froid et mes doigts sont tout fripés.
- Mais blague à part, lance Jace à mon intention alors que j'attrape les barres métaliques, tu devrais surveiller ton gentil petit coeur si tu y tiens. Je t'assure que Walters n'est pas du tout un mec pour toi.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top