Chapitre 12

La chambre est inondée de soleil quand j'ouvre les yeux. J'ai vraiment dormi toute la nuit sans interruption. Soulagée, je m'étire et allume mon portable. Onze heure? Mince. Je m'empresse de me lever et file sous la douche pour une toilette express. Je ne me souviens plus de la dernière fois que j'ai dormi aussi longtemps. Une fois propre, je me sèche en vitesse et enfile un short blanc et un T-shirt. 

La maison est parfaitement silencieuse quand je descend les escaliers. Je dois encore m'habituer à ce calme, cet endroit était toujours bruyant quand j'y passais mes vacances. Je passe devant la porte close du bureau de Chris. Il n'est surement pas dedans a cette heure-ci. Je suis surprise de trouver la cuisine vide. Les autres ont déjà dû petit-déjeuner, il faudrait que je pense à me programmer une alarme pour ne pas faire la grasse matinée tous les jours. Je fouille les placard et finis par mettre la main sur les corn-flakes. 

Je m'assieds à la grande table et mange sec les flocons d'avoine au chocolat que je fais passer avec du jus d'orange. Je réfléchis à comment occuper ma journée. Bien sûr, il y a la piscine, la plage et les chevaux ici. Mais rien n'a la même saveur toute seule. Je ne m'imagine pas nager sans Nathan. Je fixe le bois de la table en me demandant ce que je vais bien pouvoir faire. Je pourrais remonter dans ma chambre et commencer à étudier pour la rentrée mais cette idée me parait un peu déprimante. Non pas que je n'aime pas travailler mais la perspective de m'enfermer toute seule dans ma chambre en été...

Je soupire et pose ma tête dans mes bras. J'aimerai aller me promener en ville mais je ne vois pas comment sans moyen de transport et puis Chris ne m'a pas vraiment donné son feu vert. Depuis quand tu as besoin de son feu vert? Je n'ai pas l'habitude de demander la permission pour quoi que ce soit. A Londres, je ne devais de compte à personne. Enfin, sauf quand Gareth... Mon cœur se soulève à la seule pensée de ce nom. 

Je me relève brusquement et, sans vraiment y réfléchir, je commence à sortir des ingrédients des différents placard: sucre, chocolat de pâtissier, farine, œufs... Je faisais déjà cela à Londres pendant ces longues heures où j'étais seule à la maison. Juste moi et mes sombres pensées. C'est Maria qui m'a tout appris. Elle me manque, je songe en mélangeant les différents ingrédients. Je visionne dans ma tête les pages cornées et couvertes de farines de son livre de recettes. Complètement concentrée sur ma tâche, je ne vois plus que ça. C'est le but.

J'attrape un torchon et sors le plat de cookies du four, satisfaite. Une bonne odeur de chocolat et de biscuits chauds se répand dans la cuisine. Je m'apprête à les transmuter dans une boite quand la porte s'ouvre bruyamment dans mon dos et plusieurs personnes s'engouffrent dans la cuisine. Des hommes, je reconnais les bruits de pas qu'ils font: ils sont plus lourds et plus lents. Je me retourne en m'attendant à voir Jace et Boyd mais à la place quatre hommes emplissent l'espace. Dont Royce. 

Il marque un temps d'arrêt en me voyant puis pousse un soupir et se dirige vers le frigo. Les poils sur mes bras se hérissent alors que je l'observe à la dérobée- même si je doute de ma discrétion. Il porte un jean noir délavé et un T-shirt gris avec un col en forme de V. Pourquoi faut-il que ses vêtements soulignent aussi bien sa silhouette tellement masculine? Et, bon sang, pourquoi faut-il que je le remarque? Je le regarde s'emparer d'un pack de bières et en distribuer aux autres avant de décapsuler la sienne sans plus faire attention à moi. Contrairement à ses trois congénères qui me fixent sans gêne. Et ils n'ont pas spécialement une apparence de gentils garçons. 

Le plus imposant est un grand blond dont les muscles semblent déborder de son T-shirt taché de graisse. Il se tient à côté d'un latino un peu moins imposant mais tout aussi impressionnant. Ce dernier porte un bandana rouge et ses bras sont couverts de tatouages très différents de ceux de Royce: les siens sont colorés. J'essaye de me concentrer sur son visage et de ne pas regarder l'énorme cicatrice qui barre sa gorge même si je me demande comment on peut survivre à ce genre de blessure, mais ses yeux noirs sont encore plus effrayants. Je me retourne vers le troisième homme, un grand albinos aux yeux translucides. 

Contrairement à ses trois congénères, sa silhouette est svelte, presque fluette et malgré les nombreuses marques d'usures sur ses vêtements, je reconnais facilement un jean et un T-shirt de créateur.

- C'est qui elle?, demande-il sans discrétion, Eh Royce, t'avais dit qu'y avait que des hommes dans cette baraque. Chris et les employés. T'as jamais parlé d'une jolie petite blonde.

- Il l'a gardait pour elle, l'enculé, se marre le blond alors que je prends la teinte artistique d'un coucher de soleil.

Je sursaute au sobriquet. Je n'ai pas vraiment l'habitude d'autant de vulgarité. Les seuls garçons qui constituaient mon entourage à Londres portaient des blazers et étaient toujours bien coiffés. Même ceux qui essayaient de s'encanailler un peu en fumant des drogues douces ne trompaient personne: ils n'auraient pas survécu deux jours sans leurs parents . Du coin de l'œil, je vois Royce avaler une gorgée de bière. J'essaye de toutes mes forces de ne pas lorgner ses lèvres si masculines.

- C'est la petite de Chris, finit-il par lâcher sans même poser les yeux sur moi.

Wouah. La "petite". Je me doute bien que je suis plus jeune que lui mais de là à me faire appeler "petite"... Je baisse les yeux vers mes converses pour ne plus croiser aucun de leurs regards. Je lis pour la millionième fois ces paroles sur le caoutchouc, qui décrivent un sentiment que je ne connais pas.

Cause I don't wanna lose you now

I'm lookin' right at the other half of me

The vacancy that sat in my heart

Is a space that now you hold

Mais comme personne ne parle et que je supporte mal le silence, je lâche:

- Vous voulez des cookies?

- Non, répond une voix sèche qui commence à m'être familière.

Bon, ça a le mérite d'être clair. Je rougis un peu plus et me concentre sur mes lacets.

- Eh! Parle pour toi mec! Moi je crève la dalle, s'écrie le grand blond.

Je relève la tête. Je sais que je souris comme une gamine en lui tendant le plat de cookies mais pour ma défense, je n'ai pas l'habitude de cuisiner pour quelqu'un d'autre que moi. Le blond en prend deux et mord à pleine dents dedans.

- Putain les mecs c'est trop bon!

Il envoie des miettes un peu partout en parlant mais ça ne fait rien parce qu'il m'a l'air d'être sympathique. Et ses yeux sont couleur chocolat, comme ceux d'Archibald et de Brutus. Finalement le latino et l'albinos se servent aussi et approuvent. Et moi je me troue les joues tellement je souris. Royce est de l'autre côté du plan de travail et nous observe en silence alors je tend le plat vers lui pour qu'il se serve mais il secoue la tête. Je déglutis et détourne le regard. Ça va, c'est juste des biscuits. Qu'est-ce que j'en ai à faire qu'il en veuille ou non?

- T'es un con mec, lâche le blond en se resservant.

Je tressaille quand il passe son énorme bras autour de mes épaules et tout mon corps se raidit. J'ai l'impression désagréable qu'une colonie de fourmis me parcourent le dos. Je lutte contre l'instinct qui me pousse à m'écarter mais même si je le faisais, je ne pense pas qu'il le sentirait. Son bras est vraiment lourd et il sent un mélange d'huile de moteur et d'eau de Cologne. Je déglutit mal à l'aise de me tenir aussi proche d'un homme.

- Salut moi c'est Hunter mais les filles qui couchent avec moi peuvent m'appeler bébé, dit il en me faisant un clin d'œil.

J'étouffe un hoquet.

- Ah.

Je ne sais vraiment pas quoi ajouter à part "qu'est-ce que je suis censée faire de cette information?" Je préfère me taire.

- Et toi ma belle, t'as un petit nom?

Je suis pratiquement sûre que c'est de la drague mais est-ce que c'est pour rire? Je n'en ai aucune idée. Ces garçons sont beaucoup plus vieux que moi, non? Et très différents aussi: débraillés, vulgaires, peut être même dangereux. Comment-suis je censée réagir? Je n'en sais rien, je ne sais pas comment ce genre de discussion marche. Voilà le résultat quand on ne sort jamais avec des personnes de sa tranche d'âge.

- Tout le monde a un nom, je lâche finalement, sûrement avec un temps de retard.

- Pas faux. Alors, c'est quoi le tien?

- Lily.

Mr albinos s'avance vers moi et me tend la main:

- Michael.

- Salut.

Son regard translucide parcourt tout mon corps sans aucune gêne et je me raidis mais ne bouge pas malgré la sensation désagréable.

- Alors comme ça, la gosse de Chris cuisine?

- Euh...je suis sa nièce. Oui ça m'arrive.

- Je me demande si t'es aussi bonne que tes biscuits. Si t'es pas la chasse gardée de Royce, je veux bien...

Ok, cette fois je panique un peu.

- Eh mec, je l'ai vue le premier, lance le blond en raffermissant sa prise sur mon épaule.

A ce moment Royce contourne le plan de travail et repousse Hunter du plat de la main:

- C'est bon, vous avez rempli vos estomacs? On s'arrache, dit-il d'un ton sec.

- Man, t'as dit que tu la voulais pas? lance le blond d'un air narquois.

Royce souffle bruyamment, visiblement exaspéré que le sujet revienne à ma personne. Pour ma part, je suis juste un peu lasse que l'on parle de moi comme si je n'étais pas dans la pièce.

- J'en ai rien a foutre de qui tu met dans ton pieux "man", mais tu touche pas à la famille du mec pour qui je bosse. C'est clair ou je dois répéter?

- Royce...

- Lache l'affaire putain! De toute façon, je ne vois pas ce que tu lui trouves, ajoute Royce d'une voix froide.

J'ai l'impression de m'être pris un ballon de basket ball en pleine figure. Très douloureux. En principe, je me fiche de plaire aux garçons ou non. Je préfère même que ce ne soit pas le cas. C'est la vérité. Je sais parfaitement que je ne suis pas le genre de fille de Royce. Ou des hommes comme lui. Ce n'était vraiment pas nécessaire de le signaler de manière aussi humiliante et devant témoins. Je sens mes yeux me piquer mais je me mords la joue et essayant de ne rien laisser paraître.

- Moi, je la trouve super mignonne en tout cas, lâche le dénommé Hunter avec un grand sourire a mon intention.

Un soulagement indescriptible m'envahit comme une bouffée de vapeurs tièdes et je lui sourit en rougissant légèrement.

- On y va, lance le fauve d'un ton sans appel avant d'ouvrir la porte de la cuisine et de croiser les bras sur son torse.

Mr albinos et latino silencieux quittent la pièce en emportant leurs bières avec eux mais Hunter me sourit et se penche vers moi:

- T'inquiète ma belle, on trouvera un moyen.

J'imagine qu'il plaisante alors je lui rend un sourire incertain. Il a un regard gentil qui inspire la confiance même si son corps taillé pour le combat contraste légèrement.

- Hunter.

Royce le fusille du regard depuis la porte, les mâchoires serrées, il s'impatiente. Hunter finit par quitter la pièce après un dernier clin d'œil dans ma direction. Je me retrouve seule dans la pièce avec un Royce en colère. Enfin, il l'est toujours je suppose, mais aujourd'hui un peu plus. Ses yeux aux éclats métalliques parcourent mon visage un instant puis il claque la porte derrière lui. Je me retrouve seule dans la cuisine avec mes cookies tièdes. Et finalement, je n'ai plus faim. 

Avec un soupir, je range la boite de cookies dans un placard et sors dans la cour. Aucune trace de Royce et de ses acolytes. Une petite, toute petite, infime partie de moi veut aller jeter un coup d'œil dans le garage de Chris mais je la fais taire et prend le chemin des écuries. Je ne vois pas ce que tu lui trouves. Je pénètre dans l'ambiance paisible et tamisée du bâtiment mais m'arrête sur le seuil. Quelqu'un est déjà là, en train de remettre de la paille fraîche dans un boxe à ce que je peux voir. La silhouette est trop fluette pour qu'il s'agisse de Dallas. J'hésite un instant à rebrousser chemin pour revenir plus tard, puis me rabroue mentalement et me force à avancer. 

Le jeune homme sursaute en m'entendant approcher et fait volte-face. Je le reconnais, c'est le garçon que j'ai vu hier avec Jace. Je devine à ses pommettes saillantes et son teint mate qu'il doit avoir du sang d'amérindien dans les veines. Ses yeux sont légèrement bridés et ses cheveux parfaitement lisses sont attachés dans son dos par un cordon en cuire. Il me jette un coup d'œil, puis baisse les yeux.

- Salut, je lance.

- Bonjour.

Il m'adresse un vague hochement de tête en regardant tout sauf moi. Il est timide. Je le devine parce qu'il agit exactement comme moi lorsque je suis mal-à-l'aise. Je souris. C'est fou comme une autre personne timide peut vous redonner confiance.

- Tu es Boyd c'est ca?

Il a l'air à peine plus vieux que moi alors je me permet de le tutoyer. Il hoche la tête.

- Oui Miss Williams.

Je ne suis pas surprise qu'il m'appelle comme ça. Les employés de maman le font aussi.

- Tout le monde m'appelle Lily.

Je lui souris et il cligne des yeux avant de me rendre mon sourire.

- D'accord...Lily.

Il a un accent difficile à identifier. Il reprend sa fourche et continue de remplir le boxe de paille propre. Je m'adosse à la porte du boxe voisin dont l'occupant ne tarde pas à me renifler avec curiosité. Je tend le bras pour lui caresser l'encolure tout en regardant Boyd s'activer. Il m'a l'air plutôt gentil, et inoffensif.

- Tu aimes les chevaux?

Il redresse la tête et regarde derrière lui comme pour être sûre que je m'adresse à lui. Son attitude m'amuse mais j'évite de le montrer de peur qu'il ne pense que je me moque de lui. J'ai l'impression de faire face à une version masculine de moi.

- Oui miss...Lily. Là d'où je viens...on en avait beaucoup.

- Oh, et d'où est-ce que tu viens?

- Du Montana.

Waouh! J'ai toujours voulu aller la-bas. Croquer des chevaux sauvages dans toute leur splendeur. Parfois je visionne ce genre de tableau en pensés, le mouvement flou et coloré de leurs muscles en action sous leurs pelages, en plein galop dans une plaine d'un vert éclatant.

- Ça doit être beau la-bas, je souffle.

Ses yeux s'animent d'une lueur joyeuse.

- Oui. Très.

- Tu as déjà vu des chevaux sauvages?

- Oui. Il n'y en a plus beaucoup.

Il se tait. Je meurs d'envie d'en savoir plus mais de toute évidence, il ne souhaite pas s'étendre sur la question. Son regard est concentré sur les bottes de foin qu'il éparpille sur le sol. Peut-être qu'il n'a tout simplement pas envie de discuter avec moi. D'ailleurs, il n'a pas vraiment l'air à l'aise en ma présence, je le devine à la tension qui raidit sa nuque. Tant pis, je passerai voir Brutus un autre moment.

- Bon, je retourne a la maison. A plus tard Boyd.

- Au revoir Miss Lily.

Je secoue la tête en entendant l'appellation mais ne le reprend pas. Et me voilà de nouveau à errer dans le domaine sans but particulier.


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