Chapitre 110


Je vais le tuer ! Bon sang, je vais l'étriper !

En attendant je vais surtout essayer de remettre un peu d'ordre dans ma circulation sanguine parce que je sens que mon visage est de la même couleur que la confiture de cerise avec laquelle je m'apprêtais à tartiner mes toast.

- Et ben ! s'exclame Jace à ma droite en emmenant un sifflement admirateur. Je te savais pas aussi coquine.

- Tais-toi, je siffle entre mes dents avant de jeter un furtif coup-d'œil à la tablée pour mesurer l'étendue des dégâts.

Le résultat est très mauvais. Je pense pouvoir affirmer sans exagérer que tout le monde me regarde. Enfin, tous sauf Rose qui sert tranquillement le café en faisant mine de n'avoir rien remarqué. Dallas, la bouche entre-ouverte à en avaler une mouche, affiche un air hébété, Boyd m'adresse un coup d'œil embarrassé me faisant réaliser que c'est probablement ces stupides inscriptions qui l'ont mis mal-à-l'aise un peu plus tôt, Jace est hilare et Royce... et bien Royce est Royce. Bien que ses sourcils soient légèrement haussés, il affiche un air froid en déchiffrant la citation.

Je m'empresse de croiser mes bras sur ma poitrine mais le mal est déjà fait.

- C'est le T-shirt de Nathan, je me justifie au comble de la honte. Et je l'ai mis dans le noir.

Cet imbécile ne perd rien pour attendre ! C'est possible d'être crétin à ce point ? J'aurais bien aimé le voir porter ce T-shirt devant son père.

Malgré la curiosité quelque peu déplacée qui continue de faire briller les regards, la plupart des employés finissent par se détourner et reprendre leur conversation, par respect pour Chris je pense. Chris, leur patron dont la nièce se ballade avec un T-shirt floqué d'une citation plutôt explicite qui dépasse de loin le mauvais goût! Chris ! Oh bon sang ! Je n'ai plus qu'à prier pour que cette bourde ne parvienne jamais à ses oreilles.

Dallas semble soulagé par mon explication et ricane même dans sa barbe, comme souvent amusé par les frasques de mon compagnon de vie. Mais Jace ne lâche pas l'affaire.

- Nathan comme ton mec ? chantonne-t-il aux anges .

- Non, Nathan comme mon meilleur ami qui risque de ne plus l'être pour très longtemps, je marmonne en baissant volontairement la voix pour intimer au rouquin d'en faire de même.

- Pourquoi tu portes son T-shirt si tu sors pas avec ? C'est pas un truc amical ça, si ? Si c'est le cas tu me le dis et je t'en rapporte quelques uns. Je te promets pas des citations aussi salaces mais j'en ai avec de jolies illustrations.

Je l'ignore en évitant de m'interroger plus sur les « illustrations » dont il est question et me serre un verre de jus de pamplemousse plus pour me cacher derrière que par réelle soif. Je sens le regard de Royce me brûler le front comme un méchant coup de soleil mais je suis trop gênée pour le croiser.

- Est-ce que ce mec sait que vous ne sortez pas ensemble au moins ? insiste Jace, passant un nouveau cap sur le chemin de la lourdeur.

Je soupire sans lui répondre, fatiguée d'avance par ce débat que je n'ai pas spécialement envie d'avoir devant le seul homme que j'ai embrassé et avec qui j'aurais peut-être voulu sortir.

« Je ne l'ai pas baisée »

Bon sang ! C'est pas bientôt fini ? Dégoûtée, je repose ma tartine à peine entamée, l'appétit complètement coupé.

- Alors ? insiste Jace sans se douter que mes pensées sont à des kilomètres de ses plaisanteries.

- Alors quoi ?

- Comment les fringues de ce type se sont retrouvées dans ta valise ?

- T'es de la police ou quoi ?

- Est-ce que tu portes aussi ses sous-vêtements ?

Je le fixe, estomaquée, alors qu'il m'adresse ce jeu de sourcils pervers dont il a le secret.

Allez Lily, la meilleure défense est l'attaque.

- Et comment s'est passée ta soirée avec Maggie ? je lui oppose en souriant intérieurement de ma blague.

Jace fait la moue mais ne se laisse pas désarçonner.

- Ma soirée avec Laura s'est finie comme je l'espérais, merci de demander, répond-t-il sans laisser planer aucun doute sur ce qu'il entend par là.

Zut ! Démasquée.

- Et toi, ta soirée ? me renvoie-t-il la balle à ma plus grande horreur.

Je me fige au comble du malaise. Mais je suis stupide ou quoi ? Évidement qu'il allait me retourner la question. Je déglutis en fixant le fond de mon verre presque vide. Cette fois, une pulsion irrésistible me pousse à lever la tête. Je croise le regard de Royce une seconde avant qu'il ne détourne distraitement le sien pour s'absorber dans la contemplation du mur derrière moi. C'est dans ces moments là que je souhaiterais pouvoir entrer dans sa tête. Quoique, je ne suis pas si sûre que  ce soit une bonne idée. 

J'ai rarement eu autant de mal à avaler ma salive.

- Euh... ça... ça allait, je m'entends bafouiller.

Je suis perdue. J'aimerais pouvoir dire que hier soir était l'une des pires soirées que j'ai passées ces dernières années mais ce serait un mensonge. Déjà parce que j'en ai connues des abominables contre lesquelles rien ne peut rivaliser mais aussi parce que si j'avais le pouvoir de l'effacer, je ne suis pas certaine que je le ferais. Disons que je conserverais certains morceaux, je songe, et je ne sais pas si je rougis ou si je palis en y repensant.

- Au fait qu'est-ce qu'il devient ce petit ? Il va bien ? demande Dallas sûrement pour me sortir de mon trouble et m'extirper de ce qu'il devine être un terrain glissant.

Ce petit ? Ah. Autant les questions de Jace sur Nathan m'embarrassent, autant je trouve parfaitement légitime que Dallas prenne de ses nouvelles. Après tout, il nous a supportés tous les deux quand on était deux enfants turbulents, hyperactifs et je l'avoue, pénibles au possible. Il nous a appris les même chose à tous les deux et a perdu Nathan en même temps qu'il m'a perdue moi. Et puis, parler de mon meilleur ami a toujours cet effet apaisant sur moi et je ne dirais pas non à l'opportunité de penser à autre chose qu'au regard gris anthracite qui pèse sur ma petite personne.

- Hum, il va bien aux dernières nouvelles, je lui réponds en mordant dans une madeleine malgré mon manque d'appétit. Il veut étudier la politique.

- La politique... ça lui convient pas mal. Si je me souviens bien, ce gamin aime causer et c'est un très bon menteur.

Dallas a dit ça sur un ton affectueux et je ne peux pas m'empêcher de rigoler devant la véracité de son analyse. Jace écoute notre conversation avec un sourire en coin que je meure d'envie de lui faire ravaler surtout quand ses yeux dévient « malencontreusement » vers « mon » T-shirt et Boyd, les yeux braqués sur moi, suit avec attention mais en silence le dialogue.

- Un bon petit gars ce garçon. Enfin, sauf pour ses choix vestimentaires, biaise mon palefrenier en pinçant les lèvres avec une certaine indulgence et je pique un nouveau fard quand ses yeux reviennent un bref instant sur mon T-shirt.

Bon sang ! Est-ce que l'on pourrait oublier ce fichu haut deux minutes ?

Heureusement pour moi et ma circulation sanguine, il n'insiste pas.

- Tu connais vraiment ce type ? interroge Jace en s'adressant au contre-maître.

L'intérêt soudain et quelque peu démesuré qu'il porte à Nathan me dépasse et s'il n'essayait pas par tous les moyens de glisser des sous-entendus peu masqués sur ma relation avec mon meilleur ami, j'en serais plutôt touchée.

- Oh que oui, un peu trop même, répond Dallas en levant les yeux très haut dans le ciel - enfin, au plafond quoi. Lui et Lily étaient inséparables à l'époque. Quand tu voulais en trouver un, il fallait trouver l'autre. D'ailleurs, j'ai toujours pensé qu'ils finiraient ensembles, se croit-t-il obligé de préciser comme si je n'étais pas dans la pièce avant de jeter un imperceptible coup d'œil à Royce pour mon plus grand embarras.

- Dallas !

- Quoi ? demande-t-il d'un air innocent en passant une main dans ses cheveux poivre et sel avant de reprendre comme si de rien était. Ces deux-là ont passé leur enfance à faire de ma vie un enfer, poursuit-il alors qu'un sourire indulgent vient adoucir ses paroles. De vrais petits diables.

- Ah bon ? Qu'est-ce qu'ils faisaient ? demande timidement Boyd.

En me resservant du jus avec le sourire, je note que d'autres employés se sont mis à écouter également, des lueurs mi-intéressées mi-amusées au fond des regards. Je ne prends pas le risque de vérifier si c'est le cas de Royce mais je serais surprise que nos petites histoires de gamins l'intéressent.

- À peu près tout ce qu'on leur interdisait de faire.

- Arrête, tu exagères... je tente vaguement de protester.

- Ah, oui ? Tu veux une liste ? propose-t-il avant de prendre une grande inspiration comme s'il s'apprêtait à courir le marathon. Allons-y. Sortir sur la plage de nuit, se baigner dans les abreuvoirs, partir seuls en excursion dans les quartiers Nord, se couper les cheveux eux-mêmes, déclencher l'arrosage automatique dans la maison, monter des chevaux trop grands pour eux, teindre la chienne de Chris en rose, appeler le 911 pour signaler un blessé par balle, remplir les boites aux lettres de crottin parce qu'on leur a refusé une sortie...

- C'est bon Dallas, je pense que ça fera l'affaire, je marmonne alors que les trois-quarts de la tablée sont à présent hilares.

- T'es sûre ? Parce que je peux aussi parler de cette fois où j'ai dû aller expliquer à cette pauvre madame Flower que non, je n'étais pas un tueur en série et que, non je n'avais pas plein de photos d'elle accrochées dans mon bureau.

Ah. J'avais complètement oublié cette histoire. Vu sous cette angle, je n'ai plus vraiment d'argument de défense. On était réellement de sacrés cas, je songe en souriant d'avance à l'idée de raconter ce petit résumé détaillé de nos exploits à Nathan un peu plus tard. Hum, après lui avoir passé un savon pour le T-shirt, bien sûr.

Jace a dépassé le stade du rire et s'étouffe avec une gorgée de jus, en pleine crise d'hystérie.

- Putain Lily, t'étais vraiment plus fun avant, décrète-t-il entre deux éclats de rire. Et je veux rencontrer ce mec !

D'autres employés approuvent par des grognements appréciateurs autour de la table.

- Est-ce qu'il viendra ici cet été ? s'enquière Dallas en terminant son café.

- Ce n'est pas prévu, non. Son père l'a pris en otag... en stage dans son entreprise pour toutes les vacances. Il espère encore le faire changer d'avis et voir son fils prendre le cursus économie à Oxford comme lui.

- Et où-est-ce qu'il compte étudier ?

- À la faculté de Miami, comme moi.

- Donc vous serez dans la même fac, note Jace goguenard.

Ce qu'il peut être fatiguant parfois. À quoi est-ce qu'il joue ? Je me tourne vers lui, à bout de patience.

- Oui, c'est ce que je viens de dire. Et alors ? je m'agace.

- Prends pas la mouche, je faisais juste une remarque en l'air.

- Et bien arrête les remarques en l'air, je marmonne.

- Vous allez vivre en cité universitaire ? coupe Dallas, non sans avoir jeté un regard d'avertissement à son pénible bras droit.

J'hésite un instant en anticipant d'avance les railleries de Jace mais je ne vais pas mentir à Dallas. Qui plus est, je n'ai rien à cacher.

- Non, on va prendre un appartement. Nate a déjà commencé à chercher.

Un silence accueille ma déclaration et je remue sur ma chaise, embarrassée. Évidemment, il n'y a rien d'étrange là-dedans pour Nathan et moi mais j'aurais dû prévoir que d'autres que nous pourraient se méprendre. Et puis, des amis qui font collocation à la fac, ça n'a rien de surprenant, si ?

- Est-ce que Chris est au courant ? demande Dallas sur un ton faussement décontracté.

Je me fige, choquée par la question. Euh, non, je n'ai pas trouvé l'occasion d'en parler à Chris mais je ne pensais pas non plus que cela soit nécessaire. J'aurais probablement abordé le sujet en lui parlant de la pré-inscription à laquelle je dois me rendre pendant l'été.

Je redresse le menton et hausse les épaules.

- Non, je réponds avec un train de retard. Qu'est-ce que ça peut bien faire ?

C'est Jace qui se charge de répondre avec un ricanement.

- Ça fait que ton oncle a sûrement envie de savoir que sa nièce emménage avec un mec à la rentrée proch...

Je n'ai pas vraiment le temps de m'offusquer de ses sous-entendus totalement hors de propos parce qu'il est brusquement interrompu par le raclement d'une chaise contre le carrelage. La chaise qui est en face de moi.

Quand je m'autorise à lever les yeux, c'est pour voir Royce quitter la table sans cérémonie comme il a l'habitude de le faire. Il balance avec zéro précaution sa tasse dans l'évier – c'est tout juste si la porcelaine ne se brise pas contre l'inox – et sort de la salle à manger sans un regard en arrière en claquant brutalement la porte derrière lui.

Qu'est-ce que je disais à propos de ces hommes qui ne peuvent pas s'empêcher de claquer les portes ?

Si je gagnais dix dollars à chaque fois qu'il quitte une pièce en plein milieu d'une conversation, je serais riche dans quelques semaines. Enfin, encore plus riche quoi. Et si je perdais un dollar à chaque fois que je fais un truc stupide, je serais à la rue en quelques jours, je songe en me précipitant à la suite de Royce sans prendre garde au regard d'avertissement de Dallas.

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