Chapitre 5 - Jupiter et les limbes du désespoir

— Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? pesta Mars avant d'invectiver tout bas. 

Depuis qu'elles avaient atterri sur cette planète, leurs corps s'enfonçaient dans un étrange mélange à l'aspect gazeux et visqueux. Immergée jusqu'aux coudes, Mercure esquissa quelques mouvements dans le vain espoir d'écarter... elle ne savais pas trop dans quoi elle nageait en réalité. De plus, un courant invisible les emportait vers une destination inconnue. Enfin, la fillette doutait qu'une arrivée puisse exister, car les rivières de gaz semblaient se rejoindre pour repartir ensuite. 

Du coin de l'œil, la petite fille observa son aînée qui tentait désespérément de planter sa rapière dans un sol inexistant. Seule la garde usée demeurait encore visible, et sa propriétaire – les jambes dissimulées – jura une nouvelle fois. Mercure n'aurait jamais cru que l'éventail de son vocabulaire pourrait s'élargir à ce point en seulement quelques heures passées en compagnie de la rousse. Cette constatation la fit sourire malgré elle.

Elles évoluaient à présent dans une bande brune. Or, écarlate, cuivre et crème striaient de manière inégale l'immense astre de leurs couleurs. Dans l'empyrée, on apercevait une multitude de lunes, aussi différentes les unes des autres. Parmis celles que la fillette pouvait voir, apparaissait un satellite jaunâtre aux cratères teintés ainsi qu'un autre, gelé, plongé dans l'ombre. La protégée d'Univers songea soudain que là-haut, des êtres similaires à elle vivaient sur ces bouts de terre. Et personne ne pourrait les sauver de leurs sorts.

Un hurlement sauvage coupa brusquement le fil de ses pensées. 

— Comment peut-on vivre sur une planète pareille ? beugla la jeune femme à qui voulait l'entendre.

Mercure retint un soupir amusé ; la patience n'était définitivement pas le point fort de sa sœur. La subtilité non plus, car à cet instant, elle lâcha une série d'insultes envers Jupiter.

— Chut ! la sermonna la cadette. Si tu continues, elle ne voudras jamais se joindre à notre quête.
De mauvaise grâce, Mars finit cependant par clore ses lèvres gercées. Le froid s'infiltrait dans leurs habits. L'aînée croisa les bras, agacée.

— Et comment on va la trouver Mademoiselle Grise ?

— Par le même moyen qui m'a mené à toi, répliqua Mercure, et si cela se trouve, Jupiter est déjà en train de venir à notre rencontre. Après tout, Univers a prévenu chacune de nos semblables de ses plans.

— J'ai comme qui dirait l'impression qu'elle va nous envoyer balader, siffla la rousse en reniflant.

Mercure ravala une mimique de dégoût. Enfin, Mars lâcha de nouveau un chapelet d'imprécations, ce qui eu pour seul effet d'exaspérer l'enfant qui sentait sa propre frustration croître. L'impatience contaminait son bon-sens petit à petit. 

Soudain, une tâche doré apparut à l'horizon qui avait tout à coup revêtu un aspect plus attirant. Pourvu que les vents nous y mènent ! pria intérieurement Mercure. Univers sembla exaucer son souhait car les deux sœurs atteignirent ce qui paraissait être un quai. Mars se hissa au sec, puis attrapa sans vergogne la fillette par le col malgré ses protestations afin de la monter sur la berge. Après un ricanement rauque de la part de la rousse, celle-ci se figea, la main sur la garde de sa rapière.

— Par Voie lactée... lâcha-t-elle mi-étonnée mi-horrifiée.

— Quoi encore ? s'impatienta l'enfant.

— Retourne-toi.

La petite fille s'exécuta puis couina. 

Un squelette de cuivre similaire au sien se tenait, semblant les attendre. En revanche, il était équipé d'un synthétiseur vocal, luxe dont le compagnon de l'enfant n'avait pu bénéficier. Mercure fixa ces lèvres de métal entourant une grille ronde. On aurait dit que l'androïde était brimé dans ses paroles. Un frisson traça une voie sinueuse le long de son dos couvert de cicatrices.

— Sommes-nous du même bord ? émit le robot placidement.

Les deux sœurs se concertèrent du regard, étonnées.

— Oui, je crois, murmura l'enfant.

— Alors suivez-moi, ordonna-t-il.

Après une brève hésitation, ils pénétrèrent dans l'endroit le plus majestueux et le plus riche que Mercure est jamais vu. Tout n'était que moulures somptueuses, fresques détaillées, fontaines sculptées, portes travaillées avec soin. Des ribambelles d'arabesques gracieuses décoraient de larges couloirs dorés. Si la fillette demeurait émerveillé par tant de choses ravissantes, Mars, elle, fut emparée d'un haut-le-cœur. Discrètement, sa main calleuse glissa sur le manche de son arme. Un simple réflexe qui pourrait devenir utile si les choses se passaient comme la rousse l'imaginait. 

— Ce palais est si merveilleux... laissa échapper la petite fille.

Puis, d'un geste agacé, elle chassa une mèche frisée qui obscurcissait son champ de vision. Ses cheveux sont de la même teinte que ce satané château... songea Mars. En effet, même à l'ombre, sa tignasse conservait ses reflets lumineux. Déimos lui aussi avait une chevelure couleur soleil... La jeune femme se mordit la langue pour s'empêcher de hurler sa peine. Ses fils devaient déjà être agonisants en ce moment même. Et leur mère avait fui, fui le spectacle de leur trépas inévitable. Serrant les dents jusqu'à se les briser, elle fit exploser les images qui défilaient dans sa tête rageusement.

Ignorant tout du tourment grondant à l'intérieure de sa semblable, Mercure gambadait joyeusement à la suite de l'être motorisé. Le moindre aspect du bâtiment la laissait sans voix. Bientôt, ils s'approchèrent d'une imposante porte à double battants. Un mince rayon de lumière s'en échappait. 

La salle possédait une vue à trois cents soixante degrés, ce qui leur permettait d'observer l'horizon sous tous ses angles. Au loin, le soleil trônait au sein de son royaume cosmique.

Une silhouette bien bâtie se tenait dos à eux, les mains croisées. Une chevelure châtain coupée au carré reposait sur une tête ronde. Lorsque Jupiter se retourna, deux yeux aux couleurs de sa planète se révélèrent. Son âge semblait avoir la cinquantaine, malgré cela, un certain charme émanait de sa noble stature. Un rictus dévoila un rangée de dents nacrées. Terre... Terre a le même sourire... pensa la petite fille.

— Bienvenues mes sœurs ! Merci de vous joindre à notre cause ! s'exclama-t-elle.

Tandis que Mercure buvait ses paroles, Mars resta sur ses gardes, animée d'un sentiment d'animosité. Jupiter avait eu tout ce qui lui avait été retiré ; l'attention et l'amour de Soleil. Il y a fort longtemps, la rousse aussi avait eu ses Vie et Mort, cadeaux d'Univers. Mais les deux enfants avaient péris lorsque l'atmosphère de son astre avait été balayée par les Vents de son frère. Depuis, le sort s'acharnait sur elle.

Deux nouveaux individus apparurent sur le seuil. La jeune femme les ignora, plongée dans ses souvenirs. Souvenirs mortelles...

Les lèvres lumineuses des inconnus se muèrent en une expression carnassière. Ils avaients accomplis leur mission.

— Merde ! hurla Mars en se rendant compte de leur présence.

Lame dégainée, elle jura. Mercure fronça les sourcils, ne comprenant rien à ce qu'il se passait. Jupiter l'entoura de ses bras protecteurs. La fillette frissonna ; sa peau était froide, pour ne pas dire glaciale.

— Tu aurais dû te méfier plus longuement ma chérie, lui chuchota la brune.

— Hein ? s'interrogea l'intéressée.

— Fuis ! s'époumona la rousse alors que les deux hommes s'approchaient d'elle, fuis ! Ne laisse pas les Vents t'attrapper ! Ils sont avec Soleil !

Cependant, la petite fille ne fit rien. Tétanisée, elle regarda les envoyés solaires immobiliser sa semblable. Puis, d'une simple chiquenaude, ils envoyèrent Mars au sol. Comme morte, elle chuta en arrière dans un bruit sourd, les membres inertes. Sa rapière, elle, généra un vacarme épouvantable qui parut durer des lustres aux oreilles de Mercure. Elle n'avait plus conscience de la barrière de chair qui l'entourait, ni du rire de Jupiter.

Soudain, une vague de haine pure déferla sur l'enfant. Elle asséna un coup de coude dans l'abdomen de la brune qui sentit son souffle s'interrompre. Les Vents firent barrage mais l'enfant se laissa glisser sur le sol rutilant. En un clin d'œil la fillette blonde atteignit son aînée évanouie. Son visage transpirant luisait, exsangue. Un instant, Mercure crus le pire, néanmoins le faible poul sous ses doigts la rassura.

Les envoyés s'apprêtaient à se jeter sur leurs proies quand ces dernières furent emportées par une tornade aux mille nuances. Ils échangèrent un regard dépité, mêlé de crainte.

— Imbéciles ! rugit Jupiter. Vous avez échoué !

L'un des Vents la fusilla du regard.

— Tu es peut-être la préférée de notre Maître avec cette gamine, mais n'oublie pas ta place.

Enfin, ils disparurent à leur tour, prenant la direction de l'astre solaire.

Mercure ne savait plus quoi faire. Certes, elles étaient hors du palais d'or, mais toujours sur Jupiter – la fillette n'avait pas formulé de vœu précis. Et la elle doutait que sa semblable soit à nouveau en état de voyager. Celle-ci, agitée de spasmes, se torsionnait de douleur. Que lui avaient-ils fait ? Mars semblait en proie à l'anxiété la plus profonde, comme si elle n'avait jamais connu la joie. Enfermée dans les limbes du désespoir, des larmes salées roulaient sur ses joues creuses.

Chaque paroles de consolation que la protégée d'Univers formulait se perdait dans le fouilli de mots sans queue ni tête qui franchissait la bouche de la rousse.

Tout à coup, Mars se redressa, lucide.

— C'est bon, ça va, ça va... marmonna-t-elle en voyant Mercure l'étreindre intensément. C'est passé.

Soulagée à l'extrême, l'enfant articula les mots nécessaire à leur voyage, un sourire heureux aux lèvres.

— Nous voulons aller sur Saturne...

Une deuxième fois, la tempête multicolore les accueillit, main dans la main.

Bonjour ! Comment ça va ?

Me voilà (à peu près à l'heure pour une fois) avec ce nouveau chapitre !

Vos avis ? J'espère que ça vous a plu, et que la trahison de Jupiter n'était pas trop prévisible... 

A la semaine prochaine !

Cassandre

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