Chapitre 4 - Mars et le pacte de sang
Rouge.
À peine Mercure avait-elle posé le pied sur une nouvelle planète que cette teinte l'agressait déjà. Le nez dans la poussière, les muscles endoloris, la bouche crispée, l'enfant peina à se lever. Son arrivée avait été assez brutale, et des écorchures parsemaient sa peau grisâtre à multiples endroits. Le sang y formait une croûte entre le brun et le carmin.
Des cailloux jonchaient sans cesse le sol vallonné. Les paysages morts s'étandaient à l'infini, telle le néant. Un mot vint tout de suite à l'esprit de Mercure.
Désolation.
Elle trébucha dans la poussière, marmonnant un chapelet de jurons. Ses vêtements étaient dans un piteux état, les ourlets défaits, taché de sang et d'autres. Ici le ciel se colorait d'un rose saumon, à l'aspect pâteux. Une impression d'hostilité laissa un goût acide dans la bouche de la fillette. Sur ses gardes, Mercure progressait précautionneusement à travers les montées et descentes qui se succédaient inlassablement.
Elle marcha sur des chemins inexistants et rocailleux, suivit des lits de rivières asséchés, se guida grâce au soleil blanchâtre de l'horizon. Les secondes semblaient s'allonger, les heures s'étirer. L'enfant songeait à Terre pour se donner du courage. Étrangement, la jeune femme brune avait laissé une grande empreinte dans son cœur, bien plus profonde que le désagréable souvenir de Vénus ou la compagnie plate du droïde de son astre.
Sa maison – aussi froide et grise soit-elle – s'éloignait à chaque étape de son voyage. Le robot de cuivre devait sûrement être dans tous ses états, pensant peut-être que sa protégée avait été brûlée vive par l'enfer, ou pétrifiée dans un désert de glace. Mercure crut entendre sa démarche claudicante un instant.
Des fantômes apparurent soudain, Soleil, son sourire rassurant, Vénus et la folie de son regard. Terre, cette douce aura maternelle émanant d'elle. Mercure secoua, la tête ; cette planète finirait pas la rendre folle. La lumière diffuse semblait se nourrir de chaque moments heureux vécus par l'enfant pour lui laisser seulement la tristesse et ce sentiment d'abandon.
L'ambiance morte lui volait le peu de moral restant. Se mordant rageusement la lèvre inférieure pour revenir à la réalité, la petite fille se focalisa sur sa mission. Ne penser à rien d'autre, ne pas s'égarer dans les limbes de sa mémoire.
La voix d'Univers résonnait, lui rappelant sa quête. Cependant, Mercure restais obnubilée par ce que que sa Mère n'avait pas dit. Que se passerait-il en cas d'échec ? Comment comptait-elle punir Soleil ? Et après, si elle surmontait les épreuves, retournerait-elle sur sa petite planète grise, seule ?
À présent une immense montagne bordée de falaises se dressait devant elle. Mercure mis sa main en visière, exhalant profondément, bien que respirer demeurait une simple habitude, et non un besoin vital. Ce mont devait être le plus grand de tout le royaume solaire, si imposant et désertique soit-il.
Chaque foulée était plus douloureuse que la précédente. La peau écorchée sous ses pieds nus la tiraillait, à vif. Elle grimpa la pente abrupte et parcourut les flancs du mont les heures qui suivirent. Cette ascension pouvait s'apparenter à une descente aux enfers, tant elle fut pénible et laborieuse. Les débris minéraux la blessait, le soleil l'aveuglait.
Lorsqu'elle se trouva enfin au sommet, l'enfant se laissa tomber sur le sol poussiéreux malgré ce sentiment persistant qui lui soufflait que si elle s'arrêtait, elle ne se relèverait jamais. Les muscles de la fillette endoloris l'élançaient, son cœur pompait son sang en masse et une torpeur la saisit. Effet à double tranchant, salvateur mais aussi cause de sa perte. Le néant susurrait son nom sans relâche.
Soudain un tremblement chassa cette léthargie du corps de la petite fille aux cheveux frisés. Celle-ci sursauta, se redressant à l'affût d'une nouvelle agitation. Cependant, la secousse semblait avoir été seulement le fruit de son imagination. Mercure connaissait les mirages, mais de là, avoir imaginé le tremblement lui paraissait improbable. Elle observa le panorama qui s'offrait à ses yeux d'acier tavelé, pourtant empreints de douceur.
Tout n'était que roche sanglante, pans de gouffres obscurs et déserts éternels. Pourtant, quelque chose avait vécu ici, avant d'être enseveli sous les cendres. Mais quoi ? Mercure l'ignorait. Ce qui restait sûr, c'était que cette civilisation avait sombré sans laisser de traces.
Tout à coup, un éclat attira l'attention de l'enfant ; des marches polies s'enfonçaient dans le creux du volcan. Ni une, ni deux, elle emprunta l'escalier dont la continuité se perdait dans les ténèbres. Une fois que sa vision se fut adaptée à la pénombre environnante, la fillette discerna une faible lueur, au plus profond de ce qui ressemblait à une grotte aux contours démesurés.
Au fur et à mesure qu'elle avançait vers la lumière, des filets de lave fluide s'écoulaient sur sa droite. L'écho amplifiait et déformait le bruit de ses pas, ce martèlement monotone ne rassurait guère Mercure.
Enfin, l'enfant déboucha dans une salle, dont les murs et le plafond formaient une voûte rocheuse d'un rouge sombre. Le sol, lui, semblait aussi lisse que du verglas et des monolithes luisants servaient de colonnes majestueuses. Mercure faillit glisser, avant de reprendre son équilibre.
Un trône d'obsidienne aux allures occultes surplombait le tout, entouré du liquide brûlant.
Mais ce n'était pas cela le plus effrayant.
Non, le plus effrayant, c'était la jeune femme avachie dessus.
Une frange rousse flamboyante couvrait un front, son visage d'albâtre constellé de taches de rousseur possédait un nez droit, des joues maigres et une bouche tordue dans une grimace de rage mêlée de chagrin. Vêtue d'une jupe de grossière facture aux bords déchirés, son âge ne dépassait pas les trente-cinq ans mais son corps frêle et famélique témoignait des épreuves qu'elle avait enduré.
Subitement, ses paupières closes révélèrent une paire de prunelles écarlate. Un frisson désagréable parcourut la petite fille.
— Tiens, tiens, tiens, ricana Mars, mais qu'est-ce que nous avons là ?
— Euh je... je... bégaya l'enfant sans défense.
Ses yeux ne quittaient pas la rapière rouillée de la jeune femme, fixée dans son dos à l'aide de sangles. Décidément, les mœurs de ses semblables consistaient à se munir de lames, et cela effrayait la fillette qui ne connaissait rien de leur usage.
— Je sais, devina Mars, coupant net aux réflexions de Mercure sur le meilleur moyen de débuter la conversation.
L'aînée intima à l'autre la suivre. Elles remontèrent à la surface. Nerveuse, Mercure n'osa pas poser de questions, focalisée sur l'épée immobile – pour l'instant. À la surface, la nuit avait repris ses droits, deux lunes difformes pendaient à l'abri dans le firmament. Mercure regretta que sa planète ne fût pas visible dans le drap de velours noir qu'était la voûte nocturne. Un soupir lui échappa, et elle se gifla intérieurement pour s'être montrée si expressive devant une potentielle menace.
Cette dernière s'arrêta enfin, alors qu'elles se tenaient dorénavant au beau milieu de nulle part. Mains sur les hanches, elle semblait juger un instant la fillette crasseuse et maladroite qui l'avait suivie en titubant et trébuchant. Un sourire rapace fendit son visage, tandis qu'elle se retournait, face à la Voie lactée.
— Je sais, répéta Mars, que notre Mère t'a confié la mission de conduire Soleil à sa perte.
La rousse fit volte-face.
— Et je t'aiderai, à une seule condition.
Mercure releva la tête, inquiète. Quel contrat son aînée voulait-elle lui faire signer ? La peur la prit à la gorge.
— Tu es douée du don de Téléportation, faisons un pacte de sang afin de partager ce pouvoir, et d'être plus puissantes dans notre mission, déclara la jeune femme.
— Qu'est-ce qui me dit que tu ne t'en serviras pas pour me faucher compagnie ? répliqua Mercure d'un ton suspicieux, les yeux plissés.
— Absolument rien ! ricana l'autre, passant sa langue sur ses dents blanches.
L'enfant s'humecta les lèvres, indécise. Ce pacte possédait deux issues ; soit Mars s'enfuyait, soit elle l'aidait. Mais l'air canaille de celle-ci laissait penser qu'elle penchait pour la première option. Cependant, la protégée d'Univers n'avait guère le luxe de choisir.
— C'est d'accord, souffla la petite fille, priant pour ce ne soit pas la pire erreur de sa vie.
Mars se saisit d'un mince poignard, jusque-là coincé dans un de ses bottes ressemelées. Elle appuya l'arme contre son poignet, et l'hémoglobine vint se mélanger au sol déjà carmin. Puis, ce fut au tour de la cadette. Mercure fronça le nez de dégoût lorsque leurs avant-bras poisseux se touchèrent dans le but de sceller le pacte.
Soudain, une énergie dont Mercure n'avais même pas conscience se scinda en deux, et une moitié se logea dans le corps de Mars, qui fixait à présent ses mains comme si elle n'y croyait pas.
— Allons-y, soupira la rousse.
Mercure ne releva pas, trop contente qu'elle ait décidé de l'accompagner. Enfin, elle les remarqua.
Les deux satellites mal formés, qui les suppliait de rester.
La fillette surpris le regard douloureux de sa sœur. Toute mimique féroce s'étaient évaporé, laissant place à une peine infinie.
— Soleil et ses vents m'ont déjà volé ce que j'aurai pu être... Et il a fallu que le Hasard condamne mes fils, car ils doivent mourir dans une gerbe de flammes, murmura Mars.
La petite blonde compris alors que la jeune femme l'aidait seulement avec pour but la vengeance, mais son amertume disparut lorsqu'elle crut entendre murmurer : « Adieu Phobos, adieu Déimos, pardonnez-moi ».
Comme si elle n'avait rien dit, Mars s'éclaircit la voix pour déclamer :
— Nous voulons aller sur Jupiter !
Tandis que le tourbillon coloré les emportait au loin, des prunelles luisantes de tristesse hanta l'enfant, qui avait la certitude de ne jamais pouvoir comprendre la souffrance d'une mère endeuillée.
☼
Salut tout le monde !
J'espère que ce chapitre vous aura plu, n'hésitez à me laisser vos impressions, qu'elles soient bonnes ou mauvaise ha ha.
Sur ce, à plus ! La suite arrive dans une semaine.
Cassandre
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