Chapitre 3 - Terre et le cadeau inespéré

Terre soupira d'aise en observant le paysage. Le coucher de l'astre solaire était toujours un spectacle splendide. Inlassablement, la jeune femme venait sur cette colline tous les soirs afin de profiter de la lumière rougeoyante du crépuscule. Elle se sentait si bien, reposée. Les brins d'herbe lui chatouillaient les orteils tandis que les pétales fushia des fleures se refermaient doucement.

Suivant des yeux un papillon aux reflets monodorés, un souffle de vent la fit frissonner. La fin de la bonne saison s'annonçait déjà, quelques feuilles arboraient déjà de légères taches jaunâtres. Profitant de l'instant présent, Terre s'étira nonchalamment. Cette planète – sa planète – était si... magnifique. Pourtant modeste, elle ne trouverait pas d'autres mots. Ce vert si éclatant, ce rouge si profond, cet indigo si mystérieux, ces ténèbres si denses, livrant perpétuellement un combat contre la lumière radieuse qui revenait le matin.

Elle bénissait son frère Soleil de lui avoir offert un royaume si florissant. Cependant, elle n'était pas dupe. Sa promesse de lui rendre visite s'était fanée en même temps que le son franchissait ses lèvres. Ce souvenir raviva une douleur enfouie dans son cœur depuis années. Elle lissa nerveusement sa jupe plissée comme l'océan.

Soudain, deux fillettes d'environ douze ans apparurent, courant vers la jeune femme qui esquissa un sourire. La première à sauter dans ses bras possédait un visage aussi pâle et pure que la neige, à l'instar de sa chevelure lisse. Vie était une adolescente au caractère aussi bienfaiteur que le fabuleux phénomène dont elle était à l'origine.

Au contraire, Mort arriva d'une façon bien plus mesurée. Taciturne, elle se cachait derrière ses cheveux aile de corbeau. Puis elle rejoint sa jumelle dans leur tendre étreinte. Terre se remémora leur venue au monde. Univers avait décidé d'offrir un présent à la jeune femme pour une raison qui lui échappait encore, et était arrivée avec deux nourrissons. C'était un cadeau inespéré, une bénédiction.

Depuis, des gens, des animaux, des végétaux avaient fait leur apparition. Qui auraient cru que leurs existences étaient entre les mains de deux filles ? Cependant, Terre conservait une cicatrice de cette évolution terrestre.

Une brûlure, dissimulée par le tissu soyeux de ses vêtements, signe des méfaits des Hommes. Une parcelle de peau stérile, tranchant avec son teint.

Et malgré cela, Terre les aimait, comme elle chérissait Vie et Mort, à présent lancées dans une partie de cache-cache. Ils étaient inconscients, ils ne pouvaient pas savoir. De son œil couleur lichen, elle observa amusée ses filles se poursuivre.

Tout à coup, Mort poussa un glapissement de frayeur. Alertée par ses cris, la jeune femme accoura. Elle aperçut d'abord une tête blonde, puis du gris.

Et enfin du sang.

Mercure ne savait plus où elle était. Les paysages qu'elle avait connu se mélangeaient chaotiquement dans son esprit. La douleur imprégnait son être, ne la quittant plus. Les poings crispés, elle perçut un sol dur. Le désespoir l'envahit, elle se trouvait encore sur Vénus ! Sa semblable allait la tuer pour de bon cette fois ! Lorsque des doigts approchèrent, elle se débattit comme une furie.

Les mains l'empoignèrent fermement. La fillette hurla, pleura, mais rien n'y fit. Vénus se bornait à la maintenir en place – sûrement pour mieux l'achever. L'enfant sentait le poignard fantôme s'enfoncer dans son estomac. Sans arrêt, à peine la souffrance partie, elle revenait par puissantes vagues. Dans un effort vain, Mercure tentait de voir le visage de Soleil. Cependant, à quoi bon ? Elle ne le reverrait jamais puisque sa quête mourrait avec elle.

Une odeur métallique l'écœurait, l'asphyxiant presque. Il lui semblait qu'elle baignait dans une flaque d'hémoglobine. Ses organes vitaux fonctionnaient à plein régime. Dans un ultime sursaut de volontée, la petite supplia intérieurement sa Mère de l'emmener auprès de Terre.

Subitement, la douleur cessa, le liquide poisseux cessa de gicler, son esprit cessa de se torturer. Mercure avait l'étrange – mais pas désagréable – sensation que sa blessure se soignait, régénérant tissu après tissu. Lorsque ses paupières gonflées s'ouvrirent, deux visages enfantins entrèrent dans son champ de vision.

— Tu crois qu'on a réussi à la sauver Mort ? interrogea une voix fluette.

— Va chercher Maman au lieu de poser des questions idiotes, rabouta une autre, plus posée.

La vision de Mercure troublait les formes. Soulagée de plus être sur Vénus, elle vit une jeune femme se pencher au dessus d'elle. Des cheveux bruns noué en chignon encadrait son doux faciès. Soudain, tout redevint net, clair comme de l'eau de roche.

L'inconnue aida la fillette à se redresser. Stupéfaite, elle se rendit compte que sa plaie avait définitivement disparue. Son mal anesthésié, elle observa les alentours. Des arbres s'étendait en bas de la colline, tandis que la nuit s'installait. Sans un mot, elle se laissa guider par ses sauveuses.

Elles marchèrent durant une bonne demi-heure jusqu'à une simple maison de pierres taillées. Habituée au silence, l'absence de discussion ne dérangea guère la protégée d'Univers. Une fois à l'intérieur, les deux jeune filles lui proposèrent de quoi se restaurer. Mercure déclina d'un geste poli, sans doute ignoraient-elles qu'elle ne ressentait pas la faim. À vrai dire, le bout de pain qu'elles lui tendaient était rassi, signe que les autres pouvaient bien se passer de nourriture aussi.

La femme envoya ses filles à l'étage supérieur. Puis, lasse, elle s'assit aux côtés de la petite fille sur un vieux canapé troué et taché. La similitude de ses traits avec ceux de Vénus frappèrent l'enfant de plein fouet.

— Terre... murmura-t-elle.

L'autre sourit, peu étonnée.

— Tu es Mercure, n'est-ce pas ?

L'intéressée hocha vigoureusement la tête, nerveuse Et si sa sœur la rejetait elle-aussi ?

— Heureusement que mes filles t'ont guéri... Que t'est-il arrivé ? enchaîna l'aînée d'un ton rassurant.

— Univers m'a confié une mission, celle de rassembler mes semblables près du Nuage d'Oort, afin de... de...

La jeune femme esquissa un rictus triste. Quelques jours auparavant, leur Mère l'avait également avertie de la fin funeste de Soleil.

— Tu sais, constata la petite fille.

— Oui. Continue.

— C'est Vénus. Elle ne voulait pas que je mène Soleil à sa perte. Mais je n'ai pas le choix.

— Je sais, soupira Terre.

— Tu m'accompagneras ?

— Non.

Devant la moue défaite de sa cadette, la jeune femme ferma les yeux. Un son sortit de sa gorge mais mourut avant d'avoir pu remplir pleinement l'espace. Enfin, elle se reprit.

— Je... Je ne peux pas... Je dois veiller sur mes filles, Vie, Mort, et Lune.

Terre regarda douloureusement par la fenêtre le satellite argenté. Tu me fais penser à elle. songea l'aînée. Mercure soupira, cachant sa déception.

— Je comprends, déclara-t-elle.

— Je voudrais tellement t'aider, vraiment.

L'enfant se fit violence pour ne pas se laisser abattre. Déjà deux planètes qui ne se ralliaient pas à la cause d'Univers. Alors qu'il leur faudrait être nombreuses. Pas aussi nombreuses que les étoiles mais tout de même. Il leur faudrait être fortes à travers la route, astucieuses face aux travers. De multiples embûches obscurcissaient la voie empruntée par Mercure, elle le savait.

Il n'y avait plus rien à attendre de Terre, autant poursuivre son voyage bien que cela lui coûtait. Alors qu'elle s'accrochait à cette idée, ses paupières se fermèrent, l'emmenant au pays des songes sans qu'elle ne s'en rende compte.

Quelque chose de rassurant réveilla l'enfant. Une main chaude et douce, d'où émanait une lumière fluide. La fillette sourit, encore à moitiée endormie.

— Soleil... marmonna-t-elle.

Les apparences sont trompeuses ; les caresses sur sa joue n'étaient que l'effet des rayons de l'astre du jour. Mercure se plaisait à imaginer qu'une partie de son semblable la suivait partout où elle allait. Néanmoins, ces pensées demeuraient futiles, une chimère. Rien de plus, rien de moins.

Lorsque sa vision devint nette, le même paysage que la veille s'offrit à elle. La petite fille n'avait pas bougé – à l'exception de son buste qui s'était affaissé dans des coussins vidés de leur ouate depuis des lustres. Elle se redressa, puis tendit l'oreille. Elle n'y avait pas prêté attention hier mais un bruit régulier persistaient dans le silence de la maisonnée visiblement vide.

Intriguée, elle repoussa la couverture miteuse qui lui couvrait les jambes avant de sortir. Les oiseaux chantaient à tue-tête, le vent agitait la nature tandis qu'un rongeur vaquait à ses affaires quotidiennes.

Après une dizaine de minutes, Mercure trouva Terre, assise en tailleur sur une large étendue de sable, bordée par l'océan. La fillette écarquilla les yeux, impressionnée par la gigantesque masse d'eau apaisante. Son aînée se tourna vers celle-ci, un triste rictus peint sur les lèvres. Ensuite, elle l'étreignit, lui transmettant toute la chance qu'elle espérait posséder.

— Adieu... murmura la jeune femme.

Sa désolation était si sincère que Mercure lui pardonna de la laisser seule dans sa tâche. La serrant dans ses bras frêles, elle murmura :

— Te reverrais-je un jour ?

— Si Univers le veux...

En essuyant une larme d'un revers de manche, Mercure formula le souhait attendu. Je voudrais aller sur Mars.

Enfin, elle quitta ce paradis avec un arc-en-ciel tourbillonnant, décidant d'y laisser ses regrets. 

Salut ! J'espère que vous allez bien.

Vos avis sur ce chapitre ? 

Passez une bonne soirée, à la semaine prochaine !!! 

Cassandre


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