Chapitre 8
« La répartition des participants entre les Corps du Ciel, de la Mer et de la Terre se fait uniquement pour organiser le grand nombre d'inscrits. Cette séparation n'entraîne aucun privilège ni distinction dans l'enseignement ou les épreuves. Tous recevront les mêmes leçons et affronteront les mêmes défis, sans exception. »
Code des Règlements des Trois Pointes, Article 2.
Un liquide chaud et visqueux dégoulina lentement le long de sa colonne vertébrale. De la sueur. Pourtant, cela aurait tout aussi bien pu être du sang, tant l'atmosphère suffocante semblait prête à imploser.
Lorsqu'elle franchit l'arche de la Tour, son cœur battit si fort qu'elle crut que chaque pas résonnait au rythme effréné de ses pulsations, dévoilant sa peur au grand jour.
Les tremblements la saisirent avant qu'elle ne puisse les maîtriser. Aideen serra les poings, enfonça ses ongles dans ses paumes, cherchant à réprimer ce chaos qui menaçait de l'envahir.
En vain.
Une minute plus tard, un fracas métallique déchira l'air. Les lourdes portes en fer se refermèrent dans un cri de ferraille qui s'étendit dans la vaste salle comme un avertissement sinistre. L'écho s'éteignit lentement, mais l'atmosphère ne se calma pas. La sorcière inspira profondément, mais son souffle tremblait, tout comme ses jambes. Elle chercha à faire bonne figure, à cacher l'effroi qui étreignait son âme. Mais son cœur battait avec une telle violence qu'elle cru qu'il allait se briser.
Le danger l'assaillit de toutes parts, et elle le savait. Ce n'était pas seulement à cause du regard noir que Lucas Willer lui lança, chargé de défi, alors que les gardes le traînaient devant elle. Non, c'était l'atmosphère elle-même : lourde, tissée de silences menaçants, qui semblait s'infiltrer dans ses veines.
Autour d'elle, les soldats de la Garde Rouge se tenaient droits comme des statues, alignés avec une précision militaire sur les dalles froides.
Leur présence se remarquait comme des éclats de sang sur une toile grise. Leurs uniformes écarlates, accompagnés de capes flottantes, se mouvaient d'un seul geste, comme une mer de sang prête à engloutir le monde. L'armure de cuivre, terne et brillante, se fondait dans l'obscurité, transformant leurs silhouettes en ombres menaçantes.
Chaque garde tenait une lance ornée du sceau royal, ses boucliers élevés comme des remparts silencieux, des menaces sans paroles. Il n'y avait rien d'humain dans leur posture rigide, rien qui laissait entrevoir une faiblesse.
Dans la lourdeur de l'atmosphère, leurs formes n'étaient que des spectres imposants, prêts à se mouvoir. Impossible de les rater dans cette foule bariolée. Toutefois aucun d'entre eux n'était Tête de Souris. Il n'était peut-être pas là...
Elle déglutit, prise de vertige face à ce spectacle. Aideen observa la cour imposante qui s'étendait devant elle, fidèle à ce qu'avaient décrit les journaux. La lumière tamisée, filtrant à travers de petites fenêtres, dessinait des motifs dansants sur le sol, où ombres et éclats s'entrelaçaient avec une grâce presque irréelle. De grands escaliers en colimaçon serpentaient à travers la pièce, menant aux étages supérieurs, où chaque palier menait à des salles différentes.
Enfin, petit serpent... murmura une voix dans son esprit. Il ne te reste plus qu'à planter tes crocs dans tes proies.
Elle était dans le tournoi des Trois Pointes.
Sa vengeance n'était plus qu'à portée de main. Chaque épreuve, chaque défi qui l'attendait ici, la propulsait un peu plus près de son but. Aideen le savait.
Elle devait réussir, par tous les moyens possibles.
Ce tournoi ne pouvait pas la stopper. Elle devait jouer son rôle, manipuler les règles, et déjouer tout ce qui pourrait entraver sa route.
— Emery Myrthe ?
— Oui ?
— Suis-moi, ordonna un homme du rang.
Sans un mot de plus, il la conduisit à travers des couloirs sombres, son pas lourd résonnant dans l'air vicié. Bientôt, elle se retrouva dans une pièce délabrée, un lieu où le temps semblait avoir tout dévoré. L'humidité suintait des murs, imprégnée dans la roche elle-même, comme si l'endroit était pris au piège du passé. L'odeur moite et stagnante l'étouffa un instant, mais Aideen n'eut pas le temps de se laisser envahir par le dégoût. Chaque fibre de son être était tendue, prête à affronter ce qui allait suivre.
— Déshabille-toi.
Aideen cligna des paupières, son esprit mettant un instant à réagir.
— Pardon ?
— Protocole de prévention contre la triche, expliqua-t-il, en la dévisageant un instant.
Aideen sentit la colère monter en elle, mais elle n'eut qu'un geste bref, croisant les bras avec fermeté sur sa poitrine, son regard devenu glacé.
— Je préfèrerais une femme.
— Putain, c'est tous les mêmes, cracha-t-il avec mépris. Si seulement ils pouvaient tous tomber du pont...
— Tu dis ça car ta bouteille de vin t'attend, intervint une voix moqueuse.
— Une bouteille, de jolies femmes, et moi au centre de tout ça, répliqua-t-il avec un sourire narquois.
Un autre soldat éclata de rire, son écho cruel rebondissant sur les murs de pierre. Aideen sentit son corps se raidir, chaque fibre de son être criant de se tenir prête. Mais le coup arriva trop vite.
Deux sentinelles avancèrent d'un pas déterminé, et avant qu'elle ne puisse se défendre, ses vêtements furent arrachés dans un mouvement brutal.
Elle vacilla, le souffle coupé. Sa peau nue heurta la pierre rugueuse, chaque éraflure allumant une douleur cinglante. L'instant d'après, deux mains massives, dures comme l'acier, s'écrasèrent sur son dos.
Comme piquée au fer, Aideen se débattit, sa mâchoire se crispa sous le choc de l'attaque. Une douleur cuisante monta en elle, un sentiment d'humiliation, mais elle ne fléchit pas.
— Ne te rebelle pas misérable, où ta vie sera marquée par la lame de mon épée.
Aideen ferma les yeux un instant, la morsure du sol froid contre ses genoux ramenant son attention à son corps.
Reste calme. Garde le contrôle.
Elle inspira lentement, profondément, sa cage thoracique se soulevant avec une régularité qu'elle imposait de force à son corps tremblant. Elle compta les secondes, une à une, jusqu'à ce que le chaos intérieur s'apaise légèrement.
— Voilà, quand on veut, on peut être un bon chien, se moqua le garde qui semblait se croire maître.
Aideen ouvrit les yeux, ses iris brillants d'une lueur brûlante, comme des braises sous la cendre, tandis que son visage restait figé dans une expression implacable. Pas un cri, pas une supplication. Juste un regard meurtrier adressé au soldat le plus proche. Leurs rires glissaient sur elle comme des ombres sur la lumière, sans jamais la toucher. Elle savait que ce n'était qu'une question de temps.
Elle les brûlerait tous, un par un.
Discrétion, retenue et soumission devaient être mises à l'honneur. Aideen se répéta ces mots dans sa tête comme un chant de guerre, un mantra. Elle devait se maîtriser, ne pas céder à la colère ni à l'orgueil.
Chaque geste, chaque parole devait être calculé, une danse subtile pour ne pas trahir son véritable dessein. La moindre erreur, et tout serait perdu. Elle serra les poings, les dents crispées, mais ne laissa rien transparaître.
L'heure de la vengeance n'était pas encore venue, et la soumission n'était qu'un masque. Un masque qu'elle porterait jusqu'au moment où il suffirait d'un simple souffle pour le faire tomber et réduire tous ses ennemis en cendres.
Elle serra les poings, un frisson glacé lui parcourant l'échine. Un tel zèle ne présageait rien de bon.
— Nouveau protocole. Décontamination complète. Et fouille. On vérifie que vous n'avez rien dissimulé... ni sur vous, ni en vous.
Joignant les paroles à l'action, il actionna une lourde pompe en fer forgé. Un jet d'eau puissant jaillit soudainement, frappant sa peau avec une force aussi violente qu'une pluie battante.
Le courant semblait vouloir déchirer sa chair, arracher la saleté et la sueur de ses cinq jours de voyage et la crasse de l'épreuve du pont.
L'eau, froide et implacable, la submergea. À chaque goutte, Aideen sentait l'humiliation croître, mais elle refusa de se laisser abattre. Elle luttait pour garder son équilibre, luttant contre la force brute de l'eau, son regard toujours aussi dur et déterminé.
Respire. Ne leur laisse rien voir, pas une faille. La peur n'est qu'une ombre, et les ombres ne mordent pas, petit serpent.
Les chevaliers, indifférents, poursuivaient leur tâche, absorbés dans leurs préoccupations, jusqu'à ce qu'une femme entre soudainement dans la pièce.
Elle s'avança avec une précision glacée, inspectant minutieusement chaque orifice de son corps, cherchant des armes, des potions ou tout autre objet suspect que Aideen pourrait avoir dissimulé.
Aideen se sentit soudain étrangère, une étrangère parmi ces hommes froids et sans âme.
Elle se força à reculer mentalement, fermant les yeux avec brusquerie, retenant son souffle, bloquant ses émotions, tentant d'échapper à la pesanteur de la situation.
Ne pense pas, siffla l'entité.
— Ouvre la bouche.
Aideen obéit. La sentinelle aiguillonna sa langue à l'aide d'un bâtonnet.
— Pas de décoloration, c'est bon, avoua-t-elle, le regard sévère. Mais...tu t'es arraché une dent ?
Aideen remercia intérieurement Abba, la déesse du soleil, d'avoir eu l'idée parfaite de retirer son sceau avant d'entrer dans les Trois Pointes.
— Une rage de dents. La douleur était insupportable, mentit-elle avec une voix calme, presque détachée.
Sérieusement ? C'est la meilleure excuse que tu as trouvée ? Qui t'a appris à mentir, une gamine de dix ans ? Enfin, continue de jouer ton rôle, il faut bien qu'ils te sous-estiment, non ?
— Une rage de dents, vraiment ? Tu n'es même pas prête à endurer la douleur du tournoi, surtout cette année... Tout a changé, commenta un autre en riant.
— Dommage que tu ne puisses pas rentrer chez tes parents pour chouiner. Maintenant, celui qui capitule crève.
— Je ne parierais pas un sou sur elle, lança une voix plus grave, dont l'écho résonna contre les murs.
Aideen baissa la tête en quête de distraction.
Ne baisse pas la tête, idiote !
— Allons, allons, ne fais pas cette tête. C'est déjà courageux de t'être inscrite, ajouta un autre en riant.
— Fermez-là ! ordonna la femme. Vous êtes ici pour faire votre travail, pas pour rigoler. Cette vérification, c'est pas pour le plaisir. Vous avez un boulot à faire. Alors arrêtez de perdre du temps avec vos blagues et concentrez-vous.
Aideen garda le silence, sans un mot, sans une plainte. Les rires pleuvaient autour d'elle, mais elle les ignorait. Qu'ils croient ce qu'ils voulaient. Leur avis n'avait aucune importance.
Leurs moqueries finirent par se tasser, comme un bruit étouffé, lourd dans l'air. Un instant de silence, avant que la sentinelle ne reprenne la parole.
— Aucune arme ni objet suspect à signaler. Elle peut officiellement entrer dans la Tour.
— Maintenant debout, mains devant, là où on peut les voir, ordonna le garde.
Elle s'exécuta, en silence. Une fois l'inspection achevée, une épreuve aussi humiliante que glaciale, le quatrième garde s'avança. Un colosse taciturne, aux épaules monstrueusement larges, lui balança l'uniforme du tournoi à ses pieds, avec un mépris non dissimulé.
— Enfile ça.
Aideen s'abaissa pour ramasser le vêtement, ses doigts effleurèrent l'étoffe avec une hésitation à peine visible. Elle obéit sans protester, silencieuse.
L'armure en cuir noir, décorée de motifs d'écailles, était simple mais efficace. Un maillage fin d'acier courait le long de son corps, épousant chaque mouvement. Les jambières, parfaitement ajustées, soulignaient ses gestes avec une précision presque militaire. Une cape noire, alourdie par des épaulettes en forme de lune, tombait sur ses épaules.
Brodé en fil d'argent au dos, l'emblème royal, imposant et inévitable, comme un rappel silencieux de qui elle servait.
L'escouade Ciel, songea la soldate, en ajustant la tenue.
Un garde lui lança une broche en forme de triangle. Le sceau du tournoi. Aideen la fixa sur sa tenue avec une précision millimétrée.
Debout sous le regard impassible des soldats, elle profita du répit pour refaire sa tresse. Ses doigts glissèrent dans ses cheveux humides, encore alourdis par la pluie.
— C'était vraiment nécessaire, murmura Aideen à la femme.
— Oui, l'année dernière, on a attrapé des novices avec des liquides de régénération et d'autres avaient des griffes implantées sous leurs ongles. On prend nos précautions. Et pour être tout à fait honnête, je viens tout juste d'intercepter un autre candidat, l'air trop calme, un système de projection d'acide dissimulé sous sa manche, juste avant que tu n'arrives.
Aideen déglutit lentement, une sensation de froid glacial lui remontant le long de l'échine. Les mots résonnaient dans sa tête, chaque phrase s'enfonçant comme une lame affûtée.
La situation se compliquait, mais elle savait que céder à la panique ne servirait à rien. La peur n'avait jamais été son alliée, et aujourd'hui encore, ce n'était pas le moment de flancher.
— Vous pouvez l'escorter, reprit la femme en partant pour continuer son inspection.
La phrase résonna dans sa tête comme un ordre clair, sans ambiguïté. Après quelques minutes, ils traversèrent d'innombrables portes massives, qui se refermaient dans un grincement sinistre derrière eux.
Les couloirs étaient éclairés faiblement par des lampes encastrées dans les murs, projetant des faisceaux de lumière vacillants sur la pierre brute et froide.
Le silence pesait dans le corridor. Il était lourd, étrange, mystérieux...
Le genre de silence qui semblait tout avaler, qui rendait chaque pas plus lourd. Aideen sentit une boule se former dans son estomac.
Était-ce sa supercherie qui avait été découverte ?
Et si on l'emmenait pour la pendre, là, sans préavis, au moment où elle s'y attendait le moins ?
Ses bras devinrent soudainement aussi lourds que du plomb. L'angoisse montait, ses pensées se précipitaient dans un tourbillon incontrôlable.
Elle prit une grande inspiration, et expira lentement, tentant de garder son calme. Elle jeta un coup d'œil furtif par les petites fenêtres étroites, qui s'ouvraient sur un paysage gris et morne, plongé dans la pluie incessante.
Tout n'était que asphyxie, qu'elle en eut des hauts le cœur.
— Auriez-vous l'amabilité de me dire où nous allons ? demanda-t-elle d'une voix plus calme qu'elle ne se sentit, dissimulant l'angoisse qui secouait son esprit.
Mais aucun des gardes ne prit la peine de répondre. Ils continuèrent à marcher, leur pas lourd et régulier, rythmant la marche interminable dans cette ambiance lugubre, où chaque coin semblait receler un secret dangereux, chaque silence, une menace non dite.
Elle distingua d'autres novices débarquer sur les côtes, leurs cheveux mouillés attestant qu'ils avaient, eux aussi, subi le contrôle des gardes. Chacun d'eux avançait avec assurance, comme s'ils avaient déjà conscience du poids des épreuves qui les attendaient.
Aideen inspira profondément, ses yeux glissant sur les portes massives, écaillées et gravées de motifs anciens. Elle avait mémorisé chaque issue, chaque fenêtre, chaque recoin qui pourrait offrir une échappatoire. Elle avait imaginé plusieurs plans de secours, des moyens de s'échapper si jamais elle était démasquée. Mais son esprit repoussa cette pensée. Elle ne pouvait envisager une vie sans vengeance, car sans cela, il ne resterait rien...
Oui, elle pourrait fuir, tourner les talons, disparaître avant même que le tournoi ne commence.
Non.
Pas cette fois. Ses doigts tremblèrent un instant, avant qu'elle ne serre les poings. Elle avait déjà fui assez longtemps. Aujourd'hui, elle entrerait, qu'importe ce qui l'attendait de l'autre côté.
Elle avait survécu à bien pire que ça. Aux horreurs infligées par les Stark, aux épreuves qui brisaient les corps et broyaient les âmes. Ce n'était qu'une autre bataille, et Aideen était prête. Une flamme froide brûlait dans son regard. Aideen avancerait, pas pour elle, mais pour Irene, pour le Passeur, pour les esclaves.
Pour Kane.
Chaque pas qu'elle faisait était une promesse, une déclaration. Elle n'oublierait jamais ce que le roi lui avait arraché : sa liberté, son futur.
Mais elle s'en fichait. Ce n'était pas pour le reprendre qu'elle marchait. Non. C'était pour faire tomber sa couronne. Pour que tout ce qu'il avait bâti s'écroule, pierre après pierre, jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un désert de ruines.
— Ouvrez les portes, ordonna un garde.
Les lourdes portes s'ouvrirent en grinçant, révélant un hall immense qui semblait vouloir avaler les novices tout entiers. Les dalles du sol, rugueuses et usées, racontaient des siècles d'histoires, et les arches s'ouvraient sur des dédales labyrinthiques mystérieux. Ici, le passé et le présent se rencontraient dans un écho éternel.
La citadelle n'était pas seulement un lieu d'entraînement, c'était un endroit de discipline et de rigueur.
Les participants affluèrent de toutes parts, se rangeant en lignes nettes, l'alignement impeccable d'une force militaire entraînée. Aideen observa les uniformes se dessiner en trois teintes distinctes : vert, bleu et noir. Trois corps d'armées, chacun dirigé par un chef d'escouade. Rien de tout cela ne lui échappait.
Aideen avait mémorisé chaque détail du tournoi avant son entrée.
Le vert désignait l'Escouade Terre, spécialisée dans les missions forestières et de reconnaissance.
Leur emblème, un chêne majestueux, évoquait leur rôle dans les ombres des bois. Le bleu profond, celui de l'Escouade Mer, symbolisait les opérations aquatiques et les sauvetages, leur bannière ornée d'un espadon tranchant.
Quand Aideen rencontra les yeux de Lucas Willer, vêtu de l'uniforme bleu, elle inspira lentement, le souffle plus pesant qu'elle ne l'aurait voulu.
La dernière brigade : l'Escouade Ciel. Leur uniforme noir, marqué par une lune argentée, symbolisait leur spécialité dans les missions nocturnes et l'espionnage. Bien que chaque groupe s'entraînait séparément pour affiner ses compétences, les épreuves demeuraient identiques pour tous. Une manière d'assurer une coordination et une discipline communes, au sein du tournoi. Il ne faisait que diffuser les groupes en raison de leur nombre.
Ils choisissent leurs soldats au hasard ? siffla l'entité, perturbée par le tumulte qui s'empara de l'esprit d'Aideen.
Soudain, les néons orangés des sphères s'allumèrent, inondant le grand hall d'une lumière vive, signalant à tous qu'ils étaient filmés. Eris Aratheis commenta la scène, mais Aideen n'y prêta aucune attention.
Son regard était rivé sur ses adversaires.
Cent ? Deux cents ? Impossible de compter les participants. Les chiffres se perdaient dans la foule, et la sorcière dut rassembler toute sa volonté pour ne pas laisser ses mains trahir sa nervosité, tandis que son épaule lui envoyait des décharges de douleur.
Aideen Sarallard fut initiée à se joindre à cette démonstration disciplinaire, en attendant patiemment la suite des événements. L'attente semblait une éternité. Le temps s'étirait, lourd et oppressant, chaque minute comme une seconde qui aurait voulu se fuir. Elle se répétait inlassablement : ne pas flancher, ne pas hésiter. L'air froid de la citadelle enroulait son esprit dans une spirale de doutes, mais elle ne laissa rien paraître. Le défi était là. Il fallait l'affronter.
Puis, soudainement, une vague de soulagement la saisit. Elle aperçut Idril Chalefon sur l'estrade, une silhouette familière au milieu de cette foule d'inconnus. Son vieil ami. Tête de souris, comme elle l'avait surnommé en raison de ses oreilles démesurées et de sa passion pour le fromage. Le souvenir du surnom fit naître un léger sourire au coin de ses lèvres. Un sentiment rare, presque incongru ici, mais il s'épanouit en elle, réchauffant brièvement son cœur.
À ses côtés, plusieurs de ses hommes se tenaient droit, les visages impassibles. Mais l'intuition d'Aideen, aiguisée par des années d'expérience, détecta une présence derrière eux. Elle se tendit immédiatement, comme un animal sentant le danger. Quelque chose, ou plutôt, quelqu'un se cachait dans l'ombre, tapi contre le mur, son corps tendu comme une corde prête à se rompre.
Elle plissa des yeux, cherchant à distinguer la silhouette. Mais l'ombre demeurait insaisissable.
Une présence froide, un regard qui perçait la pièce, fendant l'air, épiant chaque novice avec une attention glacée. La mort elle-même semblait avoir trouvé un siège ici, dans cette salle.
Qui était cette personne ?
— Vous venez de traverser le Pont Suspendu. C'est là que débute votre course pour le tournoi ! lança Idril Chalefon d'une voix forte, perçant le silence comme un couperet.
Aucune réponse ne survint. À vrai dire, plusieurs participants retenaient leur souffle, trop perturbés, trop inquiets pour réagir. Aideen le sentait au fond de ses entrailles, ce même poids dans l'air, le même silence pesant.
— Vous serez évalués par vos supérieurs. Si vous survivez aux Trois Pointes, vous pourrez rejoindre le corps d'armée que vous désirez. Ceux qui auront obtenu les meilleurs scores auront le privilège du choix.
La phrase perça l'air comme un coup de tonnerre.
La sorcière sentit une lourde pression se poser sur ses épaules. Elle savait où elle voulait aller, quel était son but. Le Cercle d'Or. Le corps d'armées le plus proche du roi Taron Elmond Stark III.
Selon les statistiques, cruelle et sordide... Moins de la moitié atteindraient l'objectif final. L'idée de ce tournoi se fit plus réelle que jamais dans son esprit.
Elle pensa une fraction de seconde si elle était prête à l'affronter. Ce changement soudain des défis n'était pas à son avantage. Et elle ne s'était pas préparée pour ces défis, ces épreuves nouvelles.
Ces derniers mois, son entraînement avait été rude, sous la tutelle implacable d'Idril : courses de chevaux, lancers de poids, tir à l'arc...
Mais ces épreuves-là... elles étaient différentes. La sorcière n'était pas prête pour ce qu'elle allait devoir affronter.
— Vous allez servir votre pays ! lança à nouveau Idril. Vous serez prêts à endurer ce rôle !
Des exclamations fusèrent parmi les soldats.
Des bruits de poings frappant des armures, un élan de détermination. Tête de souris pointa l'assemblée comme s'il jetait un sort à toutes les personnes ici présentes.
— Ce que vous voyez là, c'est le continent de Petras, dit-il en montrant une carte. Chaque soldat ici présent a participé à la conquête de ce territoire. Nombre d'entre eux ne sont jamais revenus. Honorez leur mémoire, en vous battant corps et âme.
La carte, peinte sur un mur de pierre, s'étendait dans une lumière brisée, fragmentée par des fenêtres aux sommets d'arc. Le bâton d'Idril traça un chemin jusqu'au Royaume Interdit, au nord-est du continent. Aideen ressentit un pincement au cœur.
— C'est ici que tout se terminera ! Cette terre, peuplée de créatures, sera bientôt éradiquée avec votre aide chevaliers ! Le roi l'ordonne. Un nettoyage ethnique.
Un frisson glacial la parcourut, comme une décharge électrique. Le sol sous ses pieds sembla se dérober un instant.
— Si vous êtes trop lents, si vous êtes traînants ou trop faibles aux yeux de vos chefs d'escouades, ils auront le droit de vous abattre. Aucun faible n'est toléré dans l'enceinte de cette tour, ni dans nos armées.
La cape rouge d'Idril flotta dans l'air. Ses yeux balayèrent la foule, scrutant chaque visage, cherchant les faiblesses, les hésitations. Chaque regard était un test, un jugement silencieux. Lorsqu'il croisa celui d'Aideen, un léger frisson parcourut son échine, mais il ne laissa rien paraître.
Elle était là, à l'arrière, au fond de la salle, immobile et prête. Il la connaissait bien. Elle était plus qu'une simple protégée pour lui.
Il l'avait formée, préparée, presque comme sa propre fille. Il avait cru en elle, avant même qu'elle ne croie en elle-même.
Les trois escouades étaient alignées devant lui, chacune portant l'emblème de sa discipline. Mais c'était elle qui l'intriguait le plus. La rigueur et la discipline des soldats se reflétaient dans chaque uniforme, mais Aideen... Aideen semblait différente. Elle avait quelque chose de plus, quelque chose de sauvage, d'indomptable. Idril eut un moment d'hésitation, presque imperceptible, avant de remettre son masque de chef d'armée. Il savait que la sorcière, malgré son passé tumultueux, ferait sa place dans ce tournoi. Mais l'angoisse de ce qu'elle risquait de perdre si elle échouait lui serra le cœur. Il espérait qu'elle ne sombrerait pas dans la folie. Pas devant lui. Par les dieux, pas devant lui !
— Vos entraînements seront d'une telle rigueur que vous n'aurez d'autre choix que de développer les compétences nécessaires pour éradiquer la magie sur Petras.
La mention de la magie fit dresser ses cheveux.
Un autre éclair déchira l'air, plus violent cette fois.
Ses cicatrices, anciennes et nouvelles, se mirent à brûler, comme si elles étaient vivantes. Idril détourna le regard. La tension monta d'un cran, si palpable qu'elle devenait écrasante. Chaque mot, chaque promesse, semblait un poids supplémentaire.
— Vos chefs d'escouades vous guideront. À chaque épreuve, à chaque entraînement, ils auront le dernier mot. Si je suis obligé d'intervenir dans une aile, croyez-moi ne vaut mieux pas pour vous que j'intervienne.
Le silence devint si lourd qu'il en devenait presque suffocant pour tous les participants.
— Soldats, à présent, vous êtes sous les ordres de vos chefs d'escouade.
Aideen fixa l'estrade, son esprit en proie à la confusion et au doute. Ses mains tremblaient légèrement, mais elle refusa de les regarder.
Elle ne devait pas flancher, pas maintenant.
Elle sentit un souffle effleurer son oreille, chaud et rassurant. La magie de la reine.
Un écho de son avertissement, se fit sentir en elle. Un lien invisible, une protection tissée dans l'air autour de sa peau. Aideen sentit l'étreinte du sortilège vibrer sous sa peau, une chaleur douce mais ferme.
Ce n'était pas juste un rêve. Elle déglutit péniblement.
L'instant suivant, tout se figea autour de la sorcière. Aideen comprit alors, avec une clarté soudaine, pourquoi le pouvoir de la reine se réveillait à cet instant.
Elle n'eut pas à chercher longtemps. L'homme émergea lentement des ombres, son corps se détachant peu à peu, tel un spectre sorti des tréfonds des ténèbres.
Un frisson violent traversa l'échine de la sorcière tandis que la bile remontait dans sa gorge, une sensation acide et brûlante. Son pouls battait à ses tempes, si fort qu'elle le sentait jusque dans sa gorge.
Impossible !
Elle l'avait déjà vu, ce visage impassible, cette silhouette imposante, à la prison Crimsone.
Ce jour-là, il s'était tenu au sommet des étages, observant les esclaves de son regard glacial, à peine humain. Cette même stature massive, cette présence écrasante qui forçait n'importe quel être vivant à le regarder. Elle se souvint de ses tatouages noirs qui couraient sur son avant-bras, des symboles sombres et menaçants.
Elle avait frissonné à l'époque, mais ce n'était rien comparé à la terreur qu'il inspirait maintenant.
Il l'avait observée de la même manière, cruel, sans compassion. Pourtant, malgré la peur, Aideen s'était avancée vers lui, un acte de défi, une rébellion silencieuse. Elle avait craché par terre et lui avait lancé un regard empli de mépris.
Et alors, l'enfer s'était déchainé.
Le souvenir de ce moment la frappait encore, fragmentés par des cauchemars incessants. Les coups. Les fouets. Elle avait été laissée pour morte dans la mine, abandonnée parmi les roches et les ténèbres.
Toute cette nuit-là, elle avait prié Bozhah pour mourir, pour que tout s'arrête. Mais les dieux l'avaient ignorée, la laissant survivre à l'horreur.
Et lui... avait laissé son ombre dans son âme. Ses cicatrices physiques et mentales n'avaient jamais disparu.
Depuis, cet homme ne cessa de réapparaître, imprimé en noir et blanc dans les journaux, accompagné de titres glorieux qui célébraient ses exploits. Parfois, Aideen eut l'impression qu'il la transperçait à travers les pages, encore et encore.
Mais ces images ne rendirent jamais justice à ce qu'elle ressentait en sa présence. Il était encore plus terrifiant en vrai.
Sa stature était celle d'un monstre forgé dans la guerre, ses traits aussi tranchants qu'un couteau.
Il balayait la pièce de son regard glacé, sondant les âmes, dévorant celles qui osaient le croiser. Aideen, elle, ressentait le poids de son regard comme une chape de fer sur ses épaules. C'était comme si le monde entier se refermait lentement sur elle, se tordait et se tissait pour l'enfermer. La toile d'une araignée invisible, tissée autour de sa peau, la retenant captive.
Comme un tambour ancestral, le battement de son cœur s'intensifia. Elle se força à ne pas céder à la panique, à ne pas laisser la gorge se serrer sous le poids de la terreur, mais l'effort fut vain.
Sa prise sur elle-même se brisa dans un éclat de faiblesse. Il se tenait là, devant elle, l'incarnation de tous ses pires cauchemars. L'homme le plus craint, le plus redouté des sorcières.
Ender Stark.
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