Chapitre 13

« Chaque cadet doit porter un talisman forgé par son escadron. Si ce talisman est détruit, endommagé ou volé durant une confrontation, le cadet perd la protection de son Chef d'Aile et devient une cible vulnérable pour ses camarades, à moins de demander une réhabilitation symbolique auprès de ce dernier. »
Code du Règlement des Trois Pointes, Article 3



Le cercle de sable s'étendait comme une fosse infernale, encerclée de gradins sombres et rugueux.
Le murmure des spectateurs résonnait dans la galerie voutée, une mélodie discordante de paris, de soupirs et d'attentes avides. Ici, il n'y avait ni éclat ni gloire. Juste le métal, la sueur, et le poids d'une éventuelle défaite.

Lucas esquissa un sourire en coin, une lueur d'excitation dans les yeux. La confrontation qui se dessinait attirait soudain tous les regards, mais Aideen ne prêtait attention à rien d'autre. Son monde s'était réduit à cet espace, à ces limites, et surtout à son adversaire.

Elle était là, immobile au centre du cercle. Ses dagues pendaient à ses côtés, scintillant faiblement à la lumière des torches. Ses cheveux tressés, tirés en arrière, semblaient miroiter derrière comme des serpents prêts à frémir à la moindre provocation.
Elle respirait lentement, chaque inspiration rythmée, contrôlée. Elle savait qu'un seul faux pas suffirait à transformer cet entraînement en combat à mort.

Son adversaire, colossal et féroce, esquissa un sourire dénué de toute chaleur. Klaus. Son nom roulait comme un avertissement sur les lèvres des candidats. Klaus tenait une hache large et brutale. Son arme traçait des cercles menaçants dans l'air, et ses pas crissaient sur le sable, lents mais assurés.

Il la dévisagea d'un regard féroce, ses traits durs, sculptés comme un masque de pierre. Aideen le fixa sans ciller. Elle savait ce qu'il voyait : une silhouette fine, presque frêle, en comparaison de sa carrure massive. Une erreur qu'il paierait cher.

Le silence retomba comme une chape de plomb, percé seulement par le crépitement des torches.

Ne le laisse pas t'atteindre, cracha l'entité, la salive coulant de sa gueule comme un poison.

— Je vais y aller doucement, ricana Klaus, sa voix grave s'élevant dans l'air stagnant. Je ne voudrais pas briser un si joli visage.

Un sourire sans joie étira les lèvres d'Aideen. Elle fit rouler ses poignets, ses dagues traçant des arcs légers dans l'air.

— Dommage, répondit-elle d'une voix basse mais tranchante. Je comptais m'amuser un peu avec toi.

La tension éclata en un instant. Klaus chargea, rapide et puissant comme une bête enragée, mais Aideen l'attendait depuis le moment où elle était entrée sur le tapis de combat. Sa hache fendit l'air dans un rugissement métallique, visant sa tête avec une brutalité implacable.

Mais Aideen bougea à la dernière seconde, son corps glissant sous l'attaque avec une fluidité presque irréelle. La lame mordit le vide, et le souffle du coup fit voler un nuage de poussière autour d'elle.
Elle pivota, profitant de l'élan de son adversaire pour planter une dague dans le vide à un souffle de son visage, juste assez près pour qu'il sente l'air tranché.

L'appréhension qui l'avait traversée avant d'entrer dans le cercle s'évanouit en un instant, balayée comme un vieux souvenir. Aideen était enfin dans son élément.

Elle lui jeta une poignée de sable en plein dans les yeux, l'aveuglant instantanément. Klaus grogna, secouant la tête et se retournant, furieux. Mais Aideen l'attendait déjà, un sourire malicieux aux lèvres, sa posture légère et prête à attaquer à nouveau. Elle ne le quittait pas des yeux, son regard brillant d'une lueur carnassière.

Le combat s'intensifia. La hache de Klaus frappait comme un marteau divin, chaque coup faisant trembler le sol sous leurs pieds. Mais elle ne faisait qu'esquiver, ses mouvements rapides et précis, comme une danse qu'elle maîtrisait parfaitement. À chaque tentative de son adversaire, elle répondait par un geste plus rapide, une frappe plus calculée.

Le métal s'entrechoquait dans une cacophonie brutale. Le souffle court, Klaus lançait des assauts de plus en plus désespérés. Il ne comprenait pas pourquoi il ne parvenait pas à la toucher. Ses muscles se bandaient, ses traits se déformaient de frustration, mais Aideen ne lui laissait aucun répit.

Elle virevoltait autour de lui, ses dagues traçant des arcs lumineux sous la lumière des torches. Elle jouait avec lui, et tout dans sa posture, dans ses gestes, le proclamait.

— Arrête de danser ! rugit-il, le souffle rauque.

Elle haussa un sourcil, amusée.

— Pourquoi ? Tu fatigues déjà ?

Les spectateurs éclatèrent de rire.
Klaus, fou de rage, se jeta sur elle. Chaque attaque de Klaus était une démonstration de force brute. Chaque esquive d'Aideen était une leçon de stratégie.
Ses gestes étaient rapides et précis, et elle jouait avec la frustration de son adversaire. Aideen adorait ça !
Elle tournoyait, bondissait, et frappait juste assez pour le forcer à reculer.

— Tu vas finir par mordre la poussière, grogna Klaus, le souffle court.

Aideen s'arrêta un instant, essuyant nonchalamment une goutte de sueur sur son front. Ses yeux brillèrent d'un éclat moqueur.

— Peut-être, répondit-elle. Mais seulement si tu tombes le premier.

Allez, finissons-en !

Le silence était dense, chargé d'électricité, seulement troublé par le crissement des bottes sur le sable et les murmures étouffés des cadets rassemblés autour de l'arène. L'atmosphère était suffocante, tendue à l'extrême, comme si tout l'air avait été aspiré par la violence du combat.

Aideen était entièrement absorbée. Chaque muscle de son corps, chaque fibre de son esprit était focalisé sur Klaus. Elle ne voyait ni Kyra, qui scandait son nom avec un enthousiasme fébrile, ni Zack, dont les yeux fixaient chacun de ses mouvements avec une gravité calculée. Elle ignorait même Tête de Souris, debout près du râtelier d'armes, et Ender, silencieux, ses bras croisés, buvant chaque seconde du duel.

Klaus, à bout de souffle, se figea un instant. Sa hache pendait lourdement à sa main, et des gouttes de sueur roulaient le long de ses tempes. Il essuya son visage d'un geste agacé, cherchant désespérément à retrouver son souffle.
Quand il rouvrit les yeux, il fronça les sourcils. Son regard scruta désespérément l'arène, mais Aideen avait disparu. Pas un son, pas une ombre.

— En bas, reprit-elle.

Il baissa précipitamment les yeux, et ce qu'il vit lui retourna les tripes. La terreur se mêlait à la douleur alors qu'il réalisait qu'il avait sous-estimé cette femme. D'un mouvement fluide et calculé, aussi vif qu'un éclair, elle surgit, les yeux brillant d'une perversité mortelle. Avant même qu'il ne puisse réagir, elle bondit.

Une lame mordit ses côtes dans un geste aussi fluide que précis. La douleur explosa dans son flanc, un hurlement rauque s'échappa de sa gorge alors qu'il s'effondrait à genoux, son souffle saccadé. Mais ce n'était pas tout.
D'un geste presque désinvolte, Aideen saisit le talisman forgé de son escouade, le symbole de sa protection, et dans un éclair, elle l'arracha de sa poitrine. Ses doigts fermes se refermèrent sur l'objet, et dans une simple pression, elle réduisit la précieuse pièce en métal en une masse déformée. Le son du talisman brisé éclata dans l'air, tranchant, aussi net et définitif que le coup d'une sentence de mort.

Le silence envahit la pièce. Un silence lourd, empli de l'effroi de ceux qui comprenaient ce qui venait de se passer. Klaus, agenouillé sur le sol, ses yeux écarquillés, se rendit compte dans un éclair de lucidité qu'il n'était plus protégé. Son avenir, son statut, tout s'effondrait. Il n'était plus qu'un homme vulnérable, dénué de sa sécurité. Son talisman, détruit, l'avait privé de toute forme de protection.

Il était désormais une proie.

Autour d'eux, les murmures des autres se taisaient, tous observant la scène avec la lourde compréhension de ce que cela signifiait. Aideen, implacable, observait Klaus, l'air impassible, tandis que la honte de sa défaite se tordait dans ses tripes.

— Très bonne stratégie, cadette Emery, fit remarquer Arwan. Attendre que ton adversaire se fatigue avant de frapper. C'était astucieux. Et au-delà de cela, tu lui as pris sa broche le rendant vulnérable. Une décision aussi calculée qu'impitoyable.

Elle hocha la tête, effaçant une mèche de cheveux rebelle de son front. Elle attendit le signal de Arwan pour quitter l'arène. Celui-ci passa une main dans ses longs cheveux, son regard fixé sur Klaus.

La bague à son doigt scintilla un instant sous les rayons dansants des torches, et quelque chose dans ce reflet attira l'attention d'Aideen.
Une angoisse étrange lui serra la poitrine. Ce n'était pas la première fois qu'elle ressentait cela en voyant ce bijou. Cela lui rappelait la sensation obscure qu'elle avait eue en posant les yeux sur la bague de Drystan.

Mais elle chassa cette pensée lorsque Kyra, debout près de l'arène, l'acclama à pleine voix.

La défaite était claire, et le silence tomba comme une chape de plomb sur les soldats. La sorcière commença à sortir du tapis. Klaus, vaincu, respira lourdement, ses yeux fixèrent son adversaire avec une haine accrue. Elle palpitait dans ses veines.

ATTENTION ! hurla la voix, faisant vibrer tout l'être de la sorcière.

— Emery ! s'écria Kyra et Zack, leurs voix déchirant l'air.

Aideen se retourna d'un mouvement brusque. Une fraction de seconde, juste assez pour voir la hache de Klaus fondre sur elle dans un sifflement mortel. Elle esquiva d'un pas sur le côté, sentant la lame effleurer sa joue.
Le temps sembla se figer, les battements de son cœur résonnant à ses oreilles comme un tambour. La hache, privée de sa cible, continua sa trajectoire et tourna dans l'air, avant de s'écraser contre un cavalier situé derrière elle.

Le choc fut terrible, Aideen se figea, le souffle coupé, son regard fixé sur le cavalier au sol. L'homme fut projeté en arrière, le fracas de son armure résonnant contre le sol de la galerie. Un murmure horrifié s'éleva dans le tumulte de cette horreur.

Puis, lentement, elle tourna les yeux vers Klaus. Il s'était relevé, le visage tordu de rage. Chaque muscle de son corps semblait tendu à l'extrême, comme prêt à exploser.

— Je vais te réduire en miette, grogna-t-il, ses yeux injectés de sang.

Klaus chargea à nouveau, son rugissement résonnant dans la salle. Mais avant qu'il ne puisse atteindre Aideen, une silhouette s'interposa. Arwan.
Klaus, était désormais pris d'une démence de violence tel un animal assoiffé de sang, il juera à vive voix, le regard braqué sur sa proie.

— Je vais te tuer, cracha-t-il en direction d'Aideen. Je vais te tuer, salope !

Grunt !

— Ça suffit, dit Arwan d'une voix dure, chaque mot chargé d'autorité.

— Tu devrais dormir avec un œil ouvert, parce que je ne vais pas oublier ça. Jamais.

Tête de Souris, immobile, observa la scène un instant avant d'ordonner sèchement à ses gardes :

— Sortez-le d'ici. Immédiatement.

Les gardes s'exécutèrent sans poser de questions, leurs épées tirées. Klaus, toujours furieux, fut traîné hors de la salle d'entraînement en pestant et grognant comme une bête acculée. Le bruit de ses jurons, rauques et haineux, s'atténua derrière les lourdes portes qui se refermèrent dans un claquement sec.

Ce n'est qu'alors qu'Aideen sentit la main ferme d'Arwan se poser sur son épaule. Un geste discret, mais solide, comme s'il voulait s'assurer qu'elle était toujours là. Le temps sembla reprendre son cours, dissipant la tension figée dans l'air.

— Tout va bien ? demanda Arwan, son regard sombre fouillant le sien, à la recherche d'une réponse honnête.

Aideen hocha la tête, bien qu'un éclat d'épuisement traversa ses traits. Elle aurait voulu répondre, mais quelque chose attira son attention : Lucas Willer. Posté contre une poutre à l'autre bout de la salle, il la regardait. Bras croisés, sourire tordu, son regard luisait d'un désir si évident qu'il lui retourna l'estomac. Un frisson de dégoût la parcourut.

— Ce type est une vraie plaie, cracha Kyra en venant à sa hauteur. Sérieusement, un malade comme ça devrait être banni des Trois Pointes où mieux, lui interdire de respirer.

Près de l'arène, le corps gisait toujours, immobile, dans une mare de sang qui s'étalait lentement.
Il s'appelait Tariq, un cadet de l'Escouade Terre.
Un drap blanc avait été jeté sur lui. Les spectateurs, encore incrédules, oscillaient entre la stupeur et un certain amusement morbide. Quelques-uns se réjouissaient même de la scène.

— La défaite lui est passée de travers dans la gorge, marmonna Kyra, les bras croisés.

Près du râtelier d'armes, Zack attendait, adossé nonchalamment contre le bois, ses doigts battant distraitement contre sa cuisse. Ses yeux sombres étaient fixés sur elle avec une intensité qui aurait fait fuir n'importe qui d'autre. Il ne bougea pas lorsque Aideen s'approcha, mais ses yeux, sombres et perçants, restaient fixés sur elle avec une intensité qui la mit mal à l'aise.

— J'ai vu Lucas pendant le combat, dit-il finalement. Il te fixait comme un prédateur. Je suis presque sûr qu'il avait l'intention de te tuer si l'occasion s'était présentée.

— Alors qu'il se tient prêt quand se moment arrivera, répondit Aideen sèchement. 

— Tu n'as pas compris, Emery, reprit Zack, son ton aussi tranchant qu'une lame. Dès qu'ils ont entendu ton nom, lui et ses acolytes ont monté un plan. Ce combat n'était pas un accident. J'ai l'impression qu'il s'est allié à d'autres juste pour te voir tomber. Si Arwan n'était pas intervenu, tu aurais fini sous le drap blanc...

Aideen haussa un sourcil, mais ne répondit pas immédiatement. Kyra, à ses côtés, semblait furieuse.

— Sérieusement, qu'est-ce que tu as fait pour qu'il t'aime autant ? demanda Kyra, son ton sarcastique masquant mal son inquiétude.

— Je me le demande bien moi aussi, soupira Aideen, un léger sourire en coin. Je lui ai simplement fait un doigt d'honneur, quand il a osé me défier dans la file d'attente des admissions.

— Il a limé ses dents, un signe distinctif des hommes de Lothar, non ? Ceux-là ne lâchent jamais leurs proies, pas avant de les avoir brisées, murmura Zack, son regard sombre et calculateur.

— Eh bien, fais attention, glissa Kyra d'un ton détaché, bien que ses yeux restèrent fixés sur elle. Les chasseurs restent des chasseurs, même s'ils traquent des humains.

Aideen détourna les yeux et risqua un regard vers Tête de Souris. Son visage était sévère, ses sourcils légèrement froncés, ses lèvres pincées en une fine ligne d'agacement. Il n'avait pas besoin de parler pour qu'elle entende son reproche clair : Je t'avais dit de ne pas te faire remarquer.

Un soupir presque imperceptible s'échappa des lèvres d'Aideen. Elle savait qu'il avait raison, mais peu lui importait. Dans ce monde où la moindre faiblesse était exploitée, mieux valait être une menace qu'une victime.

Tête de Souris, de son côté, semblait plus déçu qu'en colère. Ses yeux trahissaient une pointe d'incompréhension, comme s'il avait espéré qu'elle suivrait les règles, qu'elle ne provoquerait pas plus de chaos.

— Peu importe. Ce qui compte, c'est que tu lui as mis une raclée ! lança Kyra en brisant le silence. Je ne pensais pas que tu étais aussi douée.

— Moi non plus, tu as même pensé à lui arracher sa broche. Pas mal, pour un début, murmura Zack, avec un sourire presque imperceptible en coin.

Aideen ne répondit rien. Son regard glissa vers le corps de Tariq. Le sang s'infiltrait encore dans le tissu, un rappel brutal de la fragilité de la vie dans cet endroit.

Le reste des novices quittait la salle, suivant les ordres des Chefs d'ailes pour poursuivre l'entraînement dans une autre pièce.
Les femmes de ménage entraient déjà pour nettoyer les traces du combat, balayant le sang comme si c'était une tâche ordinaire.

En quittant la galerie, Aideen sentit un dernier regard lourd de menace se poser sur elle. Elle savait que Lucas n'en avait pas fini avec elle. Mais ce n'était pas de la peur qu'elle ressentait. C'était un mélange de défi et de détermination brûlante.

Ce tournoi risque de devenir intéressant, pensa-t-elle.

Le reste de la journée se déroula dans une atmosphère pesante, comme si l'air lui-même avait été alourdi par une tension invisible.
Au réfectoire, Aideen jouait avec ses morceaux de nourriture, l'estomac noué par un mélange de frustration et de colère. Chaque bouchée semblait se coincer dans sa gorge, comme si son corps refusait de coopérer avec son esprit.

— Mange, lança Zack. Rien sur ton plateau n'est empoisonné.

Elle tourna lentement les yeux vers lui et Kyra, un poids lourd dans la poitrine. Un sentiment de malaise l'envahit, l'envie de se maudire pour avoir cédé à la tentation de s'attacher à eux. Une règle qu'elle s'était jurée de ne jamais enfreindre.

Le regard de Tête de Souris revenait la hanter, plus menaçant qu'elle ne l'aurait voulu. Il l'avait bouleversée bien plus qu'elle ne voulait l'admettre.
Ses doigts crispés sur sa fourchette, elle luttait contre l'irrésistible envie de se détester, de se traiter de faible. Se lier à quelqu'un ici, dans ce tournoi, n'était qu'une folie. Des liens qui ne seraient que des chaînes de plus. Des amitiés qu'elle finirait inévitablement par perdre, tôt ou tard.

Elle se leva brusquement, sans un mot, sous les regards étonnés de Zack et Kyra. Dans un silence presque assourdissant, elle quitta la table, son cœur lourd d'une douleur sourde. Elle s'installa seule, loin des autres, ses yeux fuyant l'assemblée.
Loin de tout. Loin de tout le monde. Et malgré sa volonté de rester distante, quelque chose en elle se brisa un peu plus à chaque instant.

Tu n'as besoin que de moi, petit serpent.

Aideen ferma les yeux un instant, chassant les pensées qui s'agitaient dans sa tête comme des éclats de verre. Puis elle souffla profondément et continua à manger, bouchée après bouchée. Chaque mouvement était mécanique, un effort constant pour ingérer quelque chose, juste pour prendre des forces.

Ne jamais oublier de respirer. Ne jamais oublier de manger. Ne jamais oublier de se réveiller. Toujours avancer, même si chaque mouvement semblait plus lourd que le précédent, comme si chaque souffle arraché à ses poumons laissait un vide, un abîme de plus dans son cœur.
Un poids écrasant qui se faisait de plus en plus difficile à supporter, chaque instant la tirant un peu plus loin de ce qu'elle aurait voulu être.

L'horloge sonna l'heure tardive, annonçant qu'il était temps de se retirer dans leurs quartiers. Tous se levèrent dans une synchronisation militaire.
Mais quand son nom fut prononcé d'une voix autoritaire, le cœur de la sorcière se figea. Un frisson glacé la parcourut, la compressant dans son propre corps.
Elle leva les yeux, sentant tous les regards se tourner vers elle comme des projectiles invisibles.

Chaque fibre de son corps furent en alerte, une lourdeur dans le ventre, avant de tourner lentement la tête vers Ender.

Il se tenait là, du haut de son mètre quatre-vingt-dix, vêtu d'un cuir sombre, les contours de son corps moulés dans un t-shirt ajusté semblait renforcer l'impression que sa présence était une mise garde.
Ender, était posté là, à l'entrée du réfectoire, son regard toujours aussi glacé, aussi distant. Loin d'être une invitation, sa posture imposait une présence inébranlable, et son ton solennel coupa l'air, aussi froid que la pierre.

— Suis-moi.

Aideen sentit sa mâchoire se tendre, un feu de frustration se ravivant en elle. Elle serra les dents, luttant contre l'envie de crier.
Sans un mot, elle se leva, traversant la salle avec toute la dignité qu'elle pouvait encore rassembler.
Alors qu'elle passait près des cadets, un rire moqueur éclata derrière elle. Lucas. Encore lui.

— Alors, on ouvre ses cuisses et en contrepartie on a les faveurs du prince des Ténèbres ?

La voix de Lucas était comme un poison lancé dans l'air, mesquin, insupportable. Ses mots avaient le goût d'une insulte qui la brûlait au plus profond.

Un seul mot, et je le tue.

Elle respira profondément, forçant son calme à revenir. Aucune réaction. Pas encore. Elle tourna les talons, le rire de Lucas s'éteignant derrière elle comme une cloche au fond de son esprit. Elle le chasserait plus tard. Pour l'instant, tout ce qu'elle voulait, c'était sortir de cette pièce, loin de cet homme et de l'immonde colère qu'il faisait naître en elle.

Les couloirs, plongés dans la pénombre, n'offraient qu'un silence oppressant. Aideen suivit Ender sans un mot, ses pas résonnant contre les pierres froides.
Elle baissa les yeux sur l'épée à sa ceinture, une arme imposante, magnifique.
Le prince remarqua son regard et sa main vint se poser sur la tête dorée du manche. Mais elle n'était qu'un symbole, un avertissement silencieux, comme l'imposante silhouette d'Ender lui-même. Il n'était pas là pour jouer. Et il n'était certainement pas là pour la protéger.

Par les dieux...

Ender, la guida dans les allées de la Tour dans laquelle résidaient de nombreux gardes. Ce n'était pas seulement sa taille qui le distinguait au milieu de la foule, ni son titre, mais la façon dont les autres semblaient se mouvoir autour de lui, comme des ombres fuyant devant les ténèbres d'une créature terrifiante.
Un instant, une vague de panique la submergea. Le duel de ce matin semblait désormais dérisoire, insignifiant face à la présence de cet homme. Elle avait l'impression que les murs se resserraient autour d'elle, tandis que l'air devenait aussi lourd que du plomb.

— Où allons-nous donc ? demanda-t-elle calmement.

Comme il ne répondit pas, ses mâchoires se contractèrent. Le bruit de leurs pas résonnaient bien trop fort dans le corridor pour qu'elle ose entreprendre une attaque sans risquer d'alerter la Tour, sans compter les gardes postés à chaque intersection. Malgré elle, ses mains devinrent moites, trahissant une nervosité qu'elle s'efforçait de maîtriser.

Puis, il accéléra, la forçant à le suivre dans un rythme effréné. Aucun regard ne se tourna vers elle pour vérifier si elle était toujours là. Une manœuvre destinée à la déstabiliser et l'intimider d'avantage, tout comme cette piètre mise en scène.

L'instinct d'Aideen la mettait en alerte, lui hurlant de ne jamais lui accorder sa confiance. Elle sentit le couteau dissimulé dans sa botte, celui qu'elle avait discrètement subtilisé dans le réfectoire.
Le métal froid lui offrait une morsure de courage tandis qu'elle s'enfonçait dans la pénombre de la Tour.
Elle savait se battre. Elle était prête, prête à tout, même à l'attaque la plus sourde et rapide.

Quel plaisir ce serait d'éteindre la vie du plus grand meurtrier de Petras. La haine l'avait envahie deux fois seulement. La première, le jour de ses fiançailles, quand elle avait mis Plein-Ciel en cendres, un brasier de vengeance. La seconde, quand un garde de Crimsone l'avait poussée à l'extrême. Elle se souvenait encore du bruit sourd de la pioche pénétrant dans son crâne, de la chaleur du sang, brûlante et sale, qui s'était répandue sur ses mains, réchauffant ses doigts engourdis par la glace de la mine.

Aideen pouvait désarmer un homme d'un simple mouvement, aussi rapide et létal qu'une lame. Et si elle laissait la force enfouie en elle exploser, qu'arriverait-il à Ender ?
À cette pensée, un sourire en coin naquit sur ses lèvres, une promesse silencieuse de tout ce qu'elle pourrait devenir si elle le souhaitait.

La sorcière prit soin de mémoriser chaque sortie qu'ils empruntaient, avant de réaliser qu'ils étaient revenus sur leurs pas. Cette série de portes en bois, elle l'avait déjà vue quelques minutes plus tôt.
Si Aideen avait l'intention de s'échapper, ou même simplement de perturber son supérieur , il fallait qu'il soit bien plus astucieux. Elle n'avait qu'à tourner à droite à la prochaine intersection, encore à droite, gravir les escaliers qu'ils venaient de descendre, puis tourner à gauche.

Cet imbécile, tout en muscles, pensait la perdre dans ces dédales, mais c'était tout l'inverse : il n'avait que renforcer Aideen à se familiariser avec la citadelle.

Toutefois, son désir de l'écraser contre l'un des murs s'estompait peu à peu, lorsqu'ils s'arrêtèrent enfin devant une porte en verre d'un bleu turquoise. Si épaisse qu'elle ne pouvait rien distinguer de l'autre côté.
Des gardes encadraient la porte. L'emblème royal, brodé en fil doré sur la poitrine de la garde personnelle des Stark, brilla sous la lumière vacillante. Le Cercle d'Or. Des soldats implacables, forgés pour protéger, et plus encore, pour tuer.

Aideen déglutit péniblement. Elle n'avait aucune chance de s'en sortir si elle faisait le moindre mouvement contre le prince. Le prix de l'erreur serait plus lourd qu'elle ne pouvait l'imaginer.

Putain...

Il ouvrit la porte dans un grincement, un son lourd et inévitable, puis, d'un geste autoritaire de sa main libre, lui indiqua de rentrer, avant de la refermer aussitôt avec sa magie d'ombre derrière eux, isolant l'espace.

Prise au piège dans le bureau du prince, Aideen dissimula son malaise, mais son visage pâlit imperceptiblement alors qu'Ender, imposant et implacable, s'asseyait derrière son bureau. L'atmosphère se chargea d'une pression palpable, l'air presque trop épais, comme si chaque mouvement était surveillé.

— Pourquoi es-tu aussi tendue ? dit-il en la fixant. Un danger te guette, ou est-ce simplement ma charmante compagnie qui te trouble ainsi ?

— Ni l'un, ni l'autre, répondit-elle, alors que ses ongles s'enfonçaient dans ses paumes. Je me sens parfaitement à l'aise, comme un poisson dans l'eau.

— Vraiment ? Fais attention à ne pas te blesser en serrant les poings si fort, ajouta-t-il, son ton délibérément calme.

Elle haussa un sourcil, un sourire glacé étirant ses lèvres.

— C'est très gentleman de ta part, on dirait que tu t'inquiètes du sort des candidats.

Aideen ouvrit la bouche, mais il la coupa net, ne lui laissant pas le temps de répondre.

— Tiens ta langue, si tu ne veux pas disparaître avant même la première épreuve.

Qu'il était rassurant d'entendre une voix aussi semblable à la sienne, ennuyeuse, cruelle et froide.

— Oh, ça m'étonnerait.

Elle fit mine de le toiser, ses yeux brillant d'une lueur de défi.

— Et pourquoi donc cadette Myrthe ?

Il la regarda longuement, un regard perçant qui semblait chercher à déchiffrer la moindre fissure dans son masque d'indifférence. Ses yeux noirs se déplacèrent lentement sur elle, analysant chaque détail, chaque imperfection. Elle se sentit un instant exposée, comme une proie sous l'œil d'un prédateur.

— Parce que tu attends quelque chose de moi. Et si je refuse, le Cercle d'Or me fera payer, n'est-ce pas ? Je ne suis pas aveugle, tu m'as menée à travers ces corridors comme si chaque porte me condamnait à un choix.

Ender la fixa un instant, un sourire en coin étirant ses lèvres, comme si chaque mot prononcé par Aideen ne faisait que confirmer qu'il avait parfaitement réussi son jeu.

— Je n'ai pas besoin d'eux pour te faire disparaître, Emery. Je peux très bien m'occuper de toi tout seul.

Les mots tombèrent comme une sentence, et l'air autour d'eux sembla se charger d'une tension électrique, d'un défi silencieux. Elle le défiait en pensant qu'il n'avait pas besoin du Cercle d'Or pour l'abattre. Ender... n'avait besoin de personne.

— Tu es dans mon bureau parce que tu as brisé une règle que tu savais parfaitement. Quitter la Tour après le couvre-feu. C'est un acte de rébellion, et tu vas en assumer les conséquences, déclara-t-il.

À cette distance, elle aurait pu étrangler le Prince Déchu de Petras, ce fils maudit de l'homme qui l'avait condamnée à une agonie sans fin. Elle aurait pu le tuer, balayer ce sourire insupportable, ce sourire qui faisait naître cette foutue fossette sur ses joues.
Elle aurait pu éliminer la plus grande menace pour les créatures magiques, tout comme il avait détruit sa vie... Mais les gardes du Cercle d'Or, silencieux et implacables, postés derrière les portes, la tenaient prisonnière. Une lourde pression s'abattit sur elle, étouffante, comme un piège invisible.

Elle espérait que sa punition ne serait pas le fouet...  Elle pria tous les dieux, même ceux dont elle avait oublié le nom, et sûrement ceux qui l'avaient oubliée.

— Tous les soirs, après tes entraînements, je veux des rapports détaillés, que tu déposeras dans mon bureau, ordonna-t-il, sa voix dure, presque insensible.

Le visage d'Aideen s'était vidé de toute couleur, une pâleur mortelle prenant place, mais elle ne détourna pas les yeux. Il la fixait, son sourire déformé, comme s'il savourait chaque instant de sa souffrance.
Il n'appréciait jamais rien, mais cette humiliation... celle-ci, il y trouvait un plaisir indiscutable.

— Jusqu'à la fin du tournoi, je veux connaître chaque détail, chaque murmure qui traverse cette tour.

Elle laissa sa respiration se stabiliser avant de répondre d'une voix froide, presque glacial, son sarcasme effleurant chaque mot.

— Et si je meurs avant la fin du tournoi ?

— Dans ce cas, je trouverai quelqu'un d'autre. Rien de bien compliqué.

Le silence retomba, lourd de tension. Le regard d'Aideen glissa sur lui, puis sur la lueur du couteau caché dans sa botte, avant qu'elle ne redresse les épaules.

— Tu t'es bien battue aujourd'hui, dit-il. Lui arracher sa broche était astucieux.

— Que va-t-il arrivé à Klaus Penor ?

— Il à été affecté dans les cuisines.

— Mais... quoi ?

— Si tu as une accusation, fais-là. J'ai des choses plus importantes à régler, répondit-il.

— Plus importante que le fait qu'un cadet ait tué quelqu'un à l'entraînement et s'en sorte avec une sanction dérisoire ?

Il leva les yeux vers elle, une pointe d'irritation marquant ses traits.

— Tu remets en question mon jugement ?

— J'ai encore le droit de voir l'injustice quand elle me saute à la figure. Si cet homme avait été quelqu'un de faible ou d'incompétent, pour le simple divertissement de ce tournoi, il serait déjà enfermé dans une cellule ou déjà exécuté, sans que personne ne lève le moindre doigt.

— C'est vrai, admit Ender. Ce soldat est une ressource précieuse, il a du potentiel pour ce tournoi. Nous avons conclu qu'il s'agissait d'un accident.

— Ce potentiel vient de tuer quelqu'un pendant l'entraînement. Ce n'était pas un accident ! Il est encore là parce qu'il va divertir les spectateurs en s'exposant dès la première épreuve.

Le silence tomba brutalement entre eux, lourd de sous-entendus. Aideen attendait une réponse, son regard d'acier rivé sur Ender.

— C'est moi qui décide qui continue et qui chute. Pas toi. Tu n'as pas la vue d'ensemble, ni le droit de juger mes ordres. Si tu n'as pas la discipline pour suivre mes ordres, il se fit couper la parole.

— Je suivrai les ordres. Mais si Klaus s'en prend à un autre cadet en dehors des épreuves, je ne resterai pas les bras croisés à admirer la vue d'ensemble.

Il se trouvait qu'Aideen accordait plus d'importance à sa vie, qu'à la vengeance a cet instant. Ender resta immobile, l'observant avec une curiosité tandis qu'elle le contemplait sans vergogne.

— Un jour, ta franchise te brisera, reprit Ender, les bras croisés.

— Peut-être. Mais je préfère être brisée que d'être complice.

Telle une gifle violente, le souvenir du corps sans vie de Kane la frappait à nouveau, glaçant ses veines. Lui, l'homme qu'elle avait tant aimé. Lui, qui l'avait vue pour ce qu'elle était vraiment, qui lui avait montré qu'elle comptait, qu'elle avait une place, une valeur.

Mais à présent, il était parti. Mort. Oublié. Jeté dans l'oubli, enterré sans même une pierre tombale, seul, loin de la chaleur d'un sol qu'il méritait. Aideen sentit un frisson de rage brûler son âme, l'enflammer.

Les Stark lui avaient tout pris. Tout.

Que lui restait-il, à part cette haine dévorante et une soif de vengeance qui bouillonnait dans ses entrailles ? Rien. Rien, sauf la douleur, la noirceur qui emplissait son cœur brisé, cette absence qui ne se comblait jamais.
C'était une ironie amère, une raillerie cruelle de la vie que ce soit lui, Ender, qui la regardait comme si les rôles étaient inversés. Elle ne pouvait s'empêcher de rire, un rire qui n'avait rien de joyeux, rien de léger. Un rire brisé, empli de colère et de tourments.

— Prends les calepins et sors d'ici.

Les mots d'Ender résonnèrent dans la pièce comme un coup de tonnerre. Le silence qui suivit était aussi glacé que la brume qui enveloppait la citadelle.
À travers la fenêtre, Aideen apercevait les éclairs illuminer l'horizon, révélant par éclats l'expression déformée de colère et d'impatience sur le visage du prince. Il était une arme vivante. Et elle aussi. Elle le savait. Les choses pouvaient dégénérer en un instant.

— Tu oses me défier ?

Elle ne répondit pas immédiatement, laissant l'air lourd de menaces s'accumuler entre eux. Elle s'abstient de l'insulter, consciente que si elle franchissait cette ligne, la liberté qui lui avait été refusée pendant si longtemps ne serait plus qu'un rêve lointain. Pourtant, un frisson de joie la traversa.

Elle avait envie de bondir, de danser, car sa sentence n'était pas une flagellation, mais un simple rapport hebdomadaire. C'était presque une victoire, mais elle ne s'en réjouissait pas totalement. Elle chercha à se concentrer sur une mélodie victorieuse qu'elle pourrait siffler intérieurement. Mais seules les paroles d'une chanson du clan des Serres de Fer, lentes et pleines de tristesse, comme une caresse du vent, émergèrent dans son esprit.

Pour Kane.

Sa gorge se noua, sèche, en serrant le bloc de papier entre ses doigts. Sous le regard scrutateur d'Ender, elle entendit les doigts de ce dernier pianoter sur les accoudoirs du fauteuil. Un rythme régulier, comme un avertissement sourd. Il prit une profonde inspiration. Le muscle de sa mâchoire se contracta, secoué par un tic nerveux qui trahissait son agacement.

— Une seule erreur dans le rapport, et tu seras réprimandée. Un seul retard, et tu seras réprimandée. Un oubli de ton devoir, et...

— Je serai réprimandée, oui. Je pense avoir ceci le message, répondit-elle d'une voix calme mais glacée, la mâchoire crispée. La colère montait en elle, et son ton ne faisait qu'ajouter de l'huile sur le feu.

— Sors.

Elle tourna les talons et partit.
À chaque pas, elle sentait la chaleur de sa fureur croître. Le grondement des tonnerres au dehors n'avait rien à envier à la violence qui s'accumulait dans son esprit.
Elle s'arrêta un instant, observant les éclairs déchirer le ciel, une symphonie brute et sauvage qui, paradoxalement, apaisait la tempête qui faisait rage en elle.

Aideen ferma les yeux, un sourire amer se dessinant sur ses lèvres. Elle pouvait presque entendre Kane, ses parents, les esclaves... entendre leurs voix dans la cacophonie de l'orage. Ce monde, ce système qui les écrasait tous sous ses pieds... Pour eux, pour leur mémoire, elle le ferait.

Oui, Aideen Sarallard suivrait les ordres. Elle obéirait à n'importe quel ordre, peu importe où il la conduirait, que ce soit aux portes des Terres Défraîchies, de Crimsone, ou même en enfer, si cela lui permettait d'assouvir sa vengeance. Rien ne pourrait la détourner de sa route. Pas même les ténèbres qui l'attendaient au bout du chemin.

Elle ne se retint plus. Sans réfléchir, son poing se referma sur le couteau, et dans un élan de pure révolte, elle le lança par-dessus la petite fenêtre étroite. Un acte impulsif, un geste de défi. Un acte pour le peu qu'il lui restait encore à protéger :
Pour Irene.
Pour Tête de Souris.
Pour le Passeur. 

Un acte qui ne resterait pas sans conséquences...

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