Chapitre 12

« Les entraînements ne sont pas faits pour enseigner, mais pour tester les capacités des cadets. Refuser un combat, quel qu'en soit l'adversaire, équivaut à un abandon. Tout participant incapable de poursuivre un exercice par épuisement ou blessure devient une cible légitime pour ses camarades. La survie commence ici, et non dans les épreuves. »
Code du Règlement des Trois Pointes, Article 6



— Abigail Quarof, Tobias Valmair.

Sur l'estrade, baignée par la lueur vacillante des torches, le supérieur Belimaire prononçait les noms inscrits dans le registre des morts. Un par un, les cadets les entendirent, des noms qui auraient pu être les leurs...
À ses côtés, quatre soldats en rouge cochenille se tenaient immobiles, sombres et rigides comme des corbeaux perchés. Leurs visages figés, durs comme le fer, cachaient des pensées opaques sous un silence pesant.

Devant eux, les recrues tenaient leurs rangs, leurs corps raides comme des piquets. Aucune parole, aucun murmure. Juste ce silence oppressant qui semblait s'étirer à l'infini, tandis que le vent s'engouffrait dans la grande salle, charriant avec lui une odeur de cendres et de fer.

Après cette nuit, lorsque l'obscurité l'avait enveloppée, Aideen avait compris. Ce tournoi n'était plus une compétition corrompue. Non. C'était une forge, et eux, les métaux bruts martelés pour devenir des armes.
Des armes prêtes à être dégainées lorsque l'heure sonnerait. Et l'heure allait venir.

— Jasper Bahar.

Belimaire poursuivit sa lecture, sa voix grave s'élevant comme une sentence dans le silence oppressant. Aideen avait perdu le fil après une vingtaine de noms.
Devant elle, un jeune homme tituba avant de vomir bruyamment, son corps secoué par des spasmes. L'odeur acide monta dans l'air, mêlée à celle des torches. Certains, manifestement, n' avaient pas encore évacué les poisons de leurs corps ni de leurs esprits...

Elle détourna les yeux, cherchant autre chose sur quoi se concentrer. Son regard trouva Kyra. Les épaules de la jeune femme étaient voûtées, son visage baissé, ses paupières mi-closes. Aideen haussa un sourcil.

Elle ose dormir ? Maintenant ? jasa l'entité.

Kyra sursauta brusquement, retenant un juron, lorsqu'un coup discret de Zack atteignit son tibia.

— Ça finit bientôt ? murmura-t-elle, les mots mal articulés, comme si elle avait du mal à parler.

— Ferme-la, répliqua Zack d'un ton tranchant, les yeux fixés droit devant lui. Ton nom aurait pu figurer sur ce parchemin, si on ne t'avait pas tirée de là.

Pour seule réponse, Kyra marmonna un couinement incompréhensible et se tut. Mais Aideen ne prêta pas attention à leur échange. Elle fixait le capitaine sur l'estrade, ses doigts parcourant le parchemin d'une main experte, comme s'il avait fait cela des centaines de fois.

Les noms défilaient, une litanie froide, dépourvue de compassion. Aideen serra les poings. Ce moment serait la seule commémoration qu'ils recevraient, la seule fois où leurs mémoires seraient respectées.
C'était tout ce que les morts auraient : leurs noms lâchés dans l'air.

Elle balaya du regard les rangs des cadets. L'Escouade Terre avait été durement touchée lors de cette nuit tragique. Mais son regard croisa une silhouette familière : Lucas. Toujours vivant. Un souffle d'exaspération lui échappa. Si elle avait pu, elle aurait prié pour qu'il meure avec les techniques des sorcières : lentes, cruelles et inventives.

— Clyde Hellfied. Que leurs âmes trouvent le chemin vers les bras de Bozrah, annonça Belimaire.

Belimaire roula le parchemin et quitta l'estrade. Les gardes qui l'accompagnaient se dispersèrent.
Une accalmie, brève mais palpable, s'installa. Mais très vite une voix éclata dans le silence, celle de Drystan, le chef d'Escouade Mer :

— J'espère que vous avez pris votre petit-déjeuner, car vous n'aurez pas d'autres occasions avant que j'en décide autrement.

Les yeux de Petras.
Un surnom à la hauteur d'un homme comme Drystan, aussi redoutable qu'admiré. Il semblait avoir été sculpté dans l'éclat brut du soleil.
Ses cheveux blonds, indisciplinés, retombaient en mèches rebelles autour de son visage ciselé, chaque ligne de ses traits marqués soulignant une confiance presque insolente. Mais ce furent ses yeux qui frappèrent Aideen. Ces iris d'un vert perçant et glacé balayaient la pièce avec une autorité telle qu'elle semblait presque tangible, une pression invisible qui écrasait chaque âme présente.

Sans cesser de les observer, Drystan arracha un grain de raisin de la grappe qu'il tenait et le porta à ses lèvres. Le geste était délibérément lent, presque provocateur, un contraste saisissant avec la tension palpable qui vibrait dans l'air autour de lui.

— À en juger par vos sales gueules, j'imagine que personne ici n'a envie de manger quoi que ce soit, railla-t-il avec une moue dédaigneuse, sa bouche pleine de raisin.  Dommage pour vous, le petit déjeuner était somptueux.

Les mots flottaient, désagréables, comme une caresse de fer-blanc. L'aura de domination qui émanait de lui paralysait l'atmosphère. À chaque mouvement, chaque geste calculé, il semblait repousser un peu plus les limites, comme si, à cet instant, il était le maître du monde entier.

— Je suis bien contente d'être encore en vie pour admirer un minois aussi beau, murmura Kyra d'une voix rauque, encore pâle des épreuves de la veille.

Aideen ne put réprimer un sourire qui effleura ses lèvres, mais elle effaça rapidement toute trace d'amusement. Ce n' était ni le moment ni l'endroit pour se relâcher. Pas quand les souvenirs de la nuit dernière continuaient de tourbillonner dans son esprit.

Elle se souvenait de la scène, des cris déchirants dans la nuit noire. Des bruits de souffrance qui résonnaient encore dans sa tête. La petite idiote avait foncé tête baissée pour sauver cette femme. Et elle l' avait fait sans réfléchir, comme une novice, ignorant la dangerosité du moment, en se jetant au-devant du danger pour une cause qui, à ses yeux, n' avait aucune valeur. Et elle s'était fait prendre.

Aideen serra les dents, un frisson glacé courant le long de son échine en pensant à lui. Ender. Ce nom, comme un poison, ravivait en elle une haine qu'elle peinait à maîtriser

Alors, imagine juste la punition qui t'attend, petit serpent. 

Elle tenta de chasser cette pensée, de ne pas se figurer les mille façons dont il pourrait rendre sa vie un enfer. Mais à en juger par son imagination fertile de cet homme, sa sanction serait probablement quelque chose de... douloureux. Innovant, peut-être. Fatal ? Possible.

Tant qu'il n'utilise pas le fouet...

Elle se força à chasser cette pensée qui menaçait de l'engloutir, mais l'image du fouet, du cuir mordant la peau, la traversa néanmoins. Elle frissonna, un éclat de terreur pure traversant ses prunelles sombres.

Oh, je plaisantais ! On ne peut jamais rire avec toi, petit serpent, se moqua la voix d'un ton léger, presque moqueur.

Ce n'était pas le moment. Mais cette entité... toujours là pour détourner l'attention, pour injecter cette dose d'humour noir même dans les situations les plus oppressantes.
Ses yeux se baissèrent vers le sol, mais pas assez pour échapper à l'observation aiguë de Zack et Kyra, qui la dévisageaient, l'un avec amusement, l'autre avec une certaine curiosité mal dissimulée.

Allez, inspire... expire, murmura la voix dans un ton enjoué, presque enfantin. C'est juste un fouet. Tu as déjà vu pire, et franchement, tu le sais. Si ça tourne mal, je m'en occuperai. On va passer un bon moment ensemble, comme toujours...

Les mots, chargés de sarcasme, se frayaient un chemin à travers sa pensée. Mais étrangement, cela l'aidait à se concentrer.

Inspire, petit serpent.

— L'Escouade Terre, je suppose que vous savez où aller, déclara Drystan. Le reste... On a du pain sur la planche.

Les escouades se dispersèrent, mais le silence, lourd comme un présage, envahit l'espace. Le bruit des pas se perdit dans les couloirs vides de la Tour, un écho vide de toute humanité.

— Une seule de cette poudre peut faire flamber un village entier.

La voix de Drystan résonnait dans l'immense amphithéâtre, baigné de lumière grâce aux grandes fenêtres qui encadraient la salle. Il se tenait tout en bas, derrière une table encombrée de diverses babioles en métal, et, d'un geste calculé, prit un morceau de craie. Il traça une équation complexe sur le tableau, faisant grincer la surface sous la pression de la craie.

— Les explosifs libèrent une quantité massive d'énergie, mais avec ce nouveau prototype, l'explosion aura une quantité bien plus conséquente en un temps record.

Les cadets, dans un silence presque religieux, notaient chaque mot, chaque formule. Leurs regards glissèrent, presque malgré eux, vers les fioles disposées devant eux. Le verre scintillait sous la lumière, révélant le liquide verdâtre qui ondulait lentement, comme vivant, prêt à exploser au moindre faux geste.

— Manipuler l'art de l'explosion requiert plus qu'une simple adresse, ajouta-t-il, sa voix se durcissant. Un seul faux pas et vous serez réduit en cendres.

D'un geste désinvolte, il désigna une carte massive, accrochée à l'arrière de la salle. C'était une carte du continent de Petras, truffée de points rouges représentant les postes défensifs le long des frontières. Une vision d'une terre assiégée, prête à exploser en un instant. Ce territoire ressemblait plus a des cicatrices visibles sur un corps blessé qu'une terre de paix...

Dans l'Ancien Monde, les terres de Petras étaient habitées par des créatures magiques. Les forêts murmuraient des ballades anciennes, et les prairies chantaient des chansons que seuls les esprits pouvaient entendre. Mais ce temps était révolu.
Sous le poids des épées des ancêtres des Stark, les cités enchantées furent anéanties. Les reliques disparurent dans les flammes, les forêts furent ravagées, et la terre verdoyante se transforma en un champ de bataille sanglant.

— Ce cours n'est pas juste une simple étude sur des explosifs, déclara Drystan. C'est une arme que certains d'entre vous devront maîtriser si vous voulez protéger notre terre.

Les humains, assoiffés de pouvoir, avaient étendu leur emprise, chassant les créatures magiques et traquant leurs reliques. La guerre éclata. Elle fut longue, cruelle, et sans merci. Les anciennes cités tombèrent sous les coups des Stark, les terres enchantées s'effondrèrent sous la pression des armées humaines. Les forêts disparurent, et les prairies se tarirent sous la cendre des batailles.

— La plupart de ses bombes se trouvent sur le rempart du continent, prêtes pour les assauts de nos ennemis. Certains d'entre vous devront manipuler ces engins bien plus rapidement qu'ils ne l'imaginent. Ainsi, soyez attentifs au seul enseignement que vous recevrez quotidiennement, car il sera crucial si vous êtes appelés à servir votre roi. 

La victoire assurée, les créatures magiques disparurent, une exode se déroula vers le Royaume Interdit.
Les souverains décidèrent de sceller leur domination en érigeant un interdit absolu : l'interdiction de la magie. Toutes les espèces furent traquées et exterminées, leurs savoirs effacés des mémoires.

Non, Petras n'était plus une terre vibrante de magie, mais un territoire gouverné par l'oppression, la soumission et la persécution constante...
Mais dans les endroits les plus reculés, des murmures persistaient. La magie n'avait pas totalement disparu, elle se terrait et attendait de pouvoir émerger et rappeler aux humains le prix de leur conquête.

— Ces boules remplies de poudre offrent une précision et une puissance inégalées, continua Drystan, en jouant avec comme si cela était une balle. Elles peuvent percer les défenses, détruire des forteresses et anéantir des escadrons entiers.

Aideen sentit un frisson la traverser. Elle savait que la magie n'était pas totalement disparue. Dans les ombres, elle attendait de revenir, plus sombre, plus amère. Elle pouvait presque la sentir dans l'air, comme une promesse silencieuse de vengeance.

— En termes d'égalité ? demanda un soldat au deuxième rang, Benson Hills, si elle se souvenait bien de son nom. Tout le monde peut les manipuler ?

Aideen avait repéré Benson dès le premier instant, sur le Pont Suspendu. Il se démarquait des autres, non seulement par sa taille imposante, mais aussi par la force qui se dégageait de chaque muscle, comme si la brutalité même du monde avait forgé sa silhouette. Une présence qui ne passait pas inaperçue, c'était certain.

— Il fait partie de notre escouade, souffla Kyra en désignant le soldat d'un léger mouvement du menton.

Kyra avait du mal à rester assise sans bouger. Elle s'agitait sur son siège, tressautant une jambe, puis pianotait sur le bureau, parfois les deux à la fois, comme si son corps refusait de se fixer à cet instant.

— C'est une excellente question, l'utilisation de ces bombes doivent être encadrée par des lois. Seuls les militaires des frontières auront la possibilité de les manipuler. Et même parmi eux, peu auront le privilège d'y toucher. Vous devrez obtenir une licence pour cela.

Les yeux de Drystan balaya l'amphithéâtre de gauche à droite avant de poser ses yeux bleus sur Aideen. Cela ne durera qu'une seconde avant de continuer sa leçon, dont l'expression était devenue tendue et sérieuse.

— C'est pas juste ! Les plus beaux sont toujours mariés, chuchota Kyra en tapotant sur son plumeau.

L'alliance que porter Drystan piqua la curiosité de la sorcière, le métal poli absorbé la lumière réfléchissante du soleil. Un frisson lui glaça la colonne vertébrale à chaque regard qu'elle faisait à la bague. Quelque chose dans cet objet la perturbait, une sensation sourde, presque palpable, qui la mettait mal à l'aise.

— La sécurité est primordiale, quand vous faites joue-joue avec ces objets, une seule flamme, et tout disparaît.

— Avez-vous déjà utilisé ces armes contre nos ennemis ? demanda une femme de l'Escouade Mer.

— Une fois. Et ces bombes ont évolué depuis, avoua Drystan. En cas d'attaque du Royaume interdit, elles seront utilisées. Et croyez-moi, elles feront le travail.

— Mais la vie des soldats près des explosifs risquerait d'être mise en péril ? demanda une autre au crâne rasé.

— Exact. Mais ce n'est un secret pour personne : la plupart des cavaliers postés aux frontières ne vivent pas assez longtemps pour atteindre l'âge de la retraite. Leurs vies sont consacrées à défendre Petras, et pour beaucoup d'entre vous, ici, la fin viendra bien plus tôt que vous ne l'imaginez, même pour ceux qui réussiront les Trois Pointes.

Grunt !

Les murmures se faufilèrent dans l'air, mais Drystan ne les entendait pas. Il fixait les cadets, ses yeux glaciaux passant de l'un à l'autre avec une intensité qui faisait froid dans le dos.
C'était comme s'il pouvait voir au-delà de leur peau, jusqu'à leurs os, les observer sous un angle où l'ombre et la menace se mêlaient. Une pression sourde, presque tangible, se fit sentir dans l'air.

— Je ne suis pas là pour vous faire rêver, dit-il, son ton devenant plus bas, plus grave. Être soldat, c'est un serment. Un serment envers le roi, envers le royaume, et envers cette terre qui vous a façonnés. Vous êtes ici pour servir, pour combattre, et si le sort l'exige, pour mourir au nom de votre devoir.

Il se tourna vers Reagan, la plus réservée de l'Escouade Mer, qui avait levé la main mais restait figée, incapable de prononcer un mot.
Drystan la fixa un instant, ses yeux perçants comme des glaçons, la défiant silencieusement de briser le silence et de poser sa question.

— Une question ?

Reagan garda le silence, trop terrifié pour répondre, tandis que les rires cruels du petit groupe de Lucas Willer éclatèrent, brisant la tension dans l'air.

— Alors, on craint une guerre ? cracha Lucas, s'appuyant contre son pupitre avec un sourire narquois.

Son audace provoqua les éclats de rire des autres, des sourires pleins de mépris se dessinant sur leurs visages. Lucas était assis quelques rangs plus loin. A sa vue, Aideen fronça les sourcils. Comme elle, il observait Reagan, et son expression n'était pas bienveillante mais froidement calculatrice.

— Ne vous en faites pas ! Je parie que c'est elle, la timide, qui finira par tous nous sauver des créatures !

Un éclat de rire suivit, détestable, moqueur. Aideen sentit une vague de rage sourde monter en elle, brûlante, prête à exploser. L'envie de faire taire cet idiot, de lui clouer le bec, la dévorait.

— Qui parmi vous peut me dire a quand remonte la dernière attaque de magie qui a causé un grand nombre de morts ?

Quelque chose de sinistre en Aideen s'éveilla soudainement, un souffle glacé qui remonta du fond de son âme. Un rire sournois, celui de ses pensées, s'insinua dans ses entrailles, ravivant ses chimères. Les souvenirs la frappèrent comme un coup de poing : la chaleur de la fumée, les cris, le goût amer de la perte.

— C'était dans un petit village à l'ouest de la capitale, à Plein-Ciel, reprit un élève. Il y a quelques années maintenant.

Six ans, trois jours et deux heures exactement.

Une tristesse profonde, presque insupportable, envahit son cœur, serrant sa poitrine. Ce rire n'était qu'un écho de sa culpabilité, un poison qu'elle n'arrivait jamais à chasser. Et à chaque instant, cette ombre du passé grandissait, lui rappelant qu'elle ne pourrait jamais fuir ce qu'elle avait fait. Le seul signe de sa nervosité était son doigt qui griffait ses ongles jusqu'à faire perler le sang.

— C'est exact, l'une des figures les plus tragiques de la sorcellerie. Un village calciné et invivable depuis.

Des murmures fétides s'élevèrent de la rangée du fond, glissant sur la peau d'Aideen comme un serpent venimeux. Elle sentit sa gorge se serrer, l'air se faire lourd dans ses poumons, et elle se força à respirer lentement, son cœur battant plus fort à chaque éclat de voix.

— C'est bien ça, on parle de la plus célèbre sorcière du territoire, continua Drystan, son regard froid balayant l'amphithéâtre.

Elle se sentait prête à s'évanouir. La sorcière la plus célèbre...
Les bras d'Aideen devinrent soudainement lourds, et elle oublia en un instant les courbatures qui marquaient son corps, vestiges de son escapade hors de la Tour, ainsi que la douleur persistante de son épaule, comprimée depuis le passage du Pont Suspendu.

— Elle fut conduite dans l'un des endroits les plus secrets et impitoyables du royaume : la prison de Crimsone.

À la mention de ce nom, un frisson secoua l'air de l'amphithéâtre. Prise de nausée, Aideen détourna brièvement les yeux, comme pour fuir l'invocation de cet enfer terrestre. Crimsone. La prison où même la lumière semblait se taire. Là où la souffrance se dessinait dans les regards des malheureux, là où tout espoir se brisait comme verre sous le pied d'un géant. Personne n'en ressortait vivant. Personne.
Aideen bloqua ses pensées, serrant les poings, et tenta de se couper de cette vague d'émotions qui menaçait de la submerger.

— Vous croyez vraiment à ces histoires de malédictions ? Que si on prononce son nom, elle vient pour nous ? Sérieusement ? demanda le cadet, son visage tendu, comme s'il n'arrivait pas à y croire.

— Tu ne devrais pas plaisanter avec ça, gronda Benson. Tu penses que le village réduit en cendres, les champs qui ne poussent plus, c'est juste une coïncidence ?

— D'après certains, elle vole l'âme des enfants et les enferme dans des bocaux, là où elles restent prisonnières à jamais, murmura un autre, la voix tremblante.

— Ce n'est pas une coïncidence. Elle s'appelle...

— Non ! l'interrompit brusquement une femme, l'effroi déformant ses traits. Ne dis pas son nom.

Superstition humaine... si fragile. Allez, ose leur chuchoter ton nom... juste pour voir leurs visages se décomposer.

Un silence glacial s'installa, enveloppant la pièce dans une tension palpable. Même Zack, qui n'avait pas prononcé un mot depuis le début, ressentit une sueur glacée couler lentement le long de son dos, comme si le froid de l'atmosphère pénétrait jusque dans ses os.

— Une belle ordure, s'écria Lucas Willer.

Un rire gras suivit sa déclaration, tandis qu'une élève leva la main, impatiente d'ajouter sa part à cette mascarade d'ironie.

— On raconte qu'elle a tenté de s'échapper plusieurs fois, mais à chaque tentative, elle a échoué. Est-ce vrai ?

Ils parlent de toi comme d'une légende, mais ils n'en savent rien. S'ils savaient que le vrai danger est ici, juste sous leurs yeux...

Le regard de Drystan se fit plus dur, plus calculateur.

Deux fois, pensa-t-elle.

— En effet, et c'est là que mes bombes ont été utilisées pour la première fois, cela n'a pas été une grande réussite ni un échec, mais à l'époque elles n'étaient pas aussi puissante que maintenant.

— Maintenant, cette salope est morte, seule et oubliée, lança Lucas, son rire éclatant, d'autres se joignant à lui.

— Personne n'a retrouvé son corps après l'explosion. Il est presque certain qu'elle ait été annihilée par la force des bombes.

Les mots se frappèrent violemment contre le cœur d'Aideen. Elle ferma les yeux un instant, mais la scène de ce jour tragique s'imposa à elle, encore et toujours. Elle n'avait rien demandé. Elle n'avait jamais voulu que tout cela arrive. Et pourtant, c'était elle. Elle avait causé la fin de tant de vies, tant de souffrances.

Aideen ne voulait pas rester là. Elle ne pouvait pas rester là...

Ce genre de pensées ne te mèneront à rien, petit serpent.

Un monstre, pensa-t-elle. Oui, c'était ce qu'elle était devenue. À force de fuir ses propres démons, son esprit s'était endurci, s'éteignant peu à peu, devenant insensible à ses propres atrocités. Mais les fantômes du passé, eux, ne l'oubliaient jamais.

Elle se mordilla l'intérieur de la joue, ses dents crispées contre la douleur montante. Ses pensées se noyaient dans la tristesse, dans la nostalgie d'un temps où elle avait encore cru pouvoir changer. Changer tout ça. Mais tout s'était effondré. Et à chaque éclat de rire, à chaque murmure, elle sentait cette tristesse la consumer un peu plus, lui arracher des morceaux d'elle-même qu'elle ne pourrait jamais recoller.

Aideen, hors d'haleine, sentit les bras réconfortants de Kane, son fantôme, l'enlacer dans un dernier élan de chaleur. Un courage silencieux l'envahit, l'empêchant de fuir la salle. Non, à la place, elle ressentit l'amertume de cette étreinte illusoire, qu'il ne pourrait plus jamais lui offrir. Kane n'était pas là. Il n'était plus.

Alors, Aideen Sarallard, se coupa du monde, jusqu'à la fin de cette matinée.
Au déjeuner elle avait repoussé son repas, son appétit de toute façon détruit, englouti par la douleur du passé et la peur du futur.

Kyra l'avait regardée avec inquiétude, un regard qui perçait la façade qu'elle s'était construite. Aideen détourna les yeux, évitant la chaleur de cette amitié naissante. Il ne fallait pas. Elle savait que cela ne mènerait à rien de bon.

— Aller en piste, ordonna Arwan. Kyra Kline et Morris Vinert.

Dans la salle rectangulaire qui avait les dimensions titanesque, Aideen distingua qu'elle était bordée de piliers de pierre brute. Elles se dressaient comme des sentinelles immémoriales, soutenant la galerie supérieure d'où quelques silhouettes observaient en chuchotant.
Les portes-fenêtres qui occupaient tout un mur montrait un paysage voilé de brume. Ici, dans cet espace entre roche et ciel, se tenait un étrange ballet. Des soldats dispersés, s'entraînaient avec ferveur, certains s'affrontaient, d'autres faisaient des exercices, tout ça sous le regard fugace des hommes sur l'estrade.

Dans la salle d'entraînement, baignée d'une lumière tamisée, ces hommes, sûrement issus des hautes sphères de la société, observaient depuis l'estrade. Leurs tenues richement ornées trahissaient leur rang, et leurs regards calculateurs jaugeaient chaque cadet, pesant lequel serait le meilleur atout pour leurs affaires. Tout cela se déroulait sous la vigilance silencieuse des gardes immobiles.

On dirait qu'on est au marché aux bestiaux... Reste bien droite, on pourrait te confondre avec un steak de mauvaise qualité, avoua la voix familière dans l'esprit d'Aideen, moqueuse et tranchante.

Pourtant, personne ne lui accorda un regard.

Aideen était en sueur. Ce n'était pas rare lorsque tous les muscles étaient sollicités dans un entrainement acharné, surtout quand celui-ci était encadré par Arwan.

Son corps, perclus de courbatures, lui hurlait d'abandonner. Les années passées dans les bas-fonds de Kesber n'avaient pas été sans conséquences et l'avaient laissée plus faible qu'elle ne le croyait.
Ni les courses-poursuites avec les sentinelles, ni les combats illégaux contre des colosses, ni les escapades sur les toits de la ville ne suffisaient à compenser cette réalité.

Elle baissa la tête et, de l'ourlet de sa tunique noire, essuya les gouttes de sueur qui perlaient sur son visage en soupirant. Aideen Sarallard était dans un état répugnant. Et bizarrement, c'était dans cet état qu'elle se sentait normale, depuis qu'elle avait mis les pieds dans la Tour.

Un sac de frappe se dressa devant elle, les traces de ses coups bien visibles dans le rembourage. Voila des heures qu'elle était sur le terrain d'entraînement avec les autres qui répétaient différents exercices. Sous les ordres d'Arwan.

Connu sous le nom du Mur d'Acier, un véritable géant, empilant un tas de muscles, plus impressionnant les uns que les autres. Ses cheveux longs d'un brun foncé furent ramenés en un chignon désordonné, sa peau lisse rappeler une terre volcanique, et Aideen ne disait pas ça pour ses tatouages couvrant ses épaules ou ses pectoraux. Mais pour ses yeux perçant d'un orange clair, rappelant une gelée d'agrumes.

— Très belle esquive Cadette Kline ! avoua Arwan, les bras croisés.

Aideen cligna des yeux, son regard fuyant brièvement les silhouettes qui se mouvaient sur le ring. L'atmosphère se chargeait d'une tension palpable. Elle savait que son tour approchait, que l'instant viendrait où elle serait évaluée, observée, jugée.
Un frisson d'anticipation, teinté d'une étrange appréhension, parcourut son échine. Bientôt, elle serait appelée, mais quel adversaire l'attendrait ?
Elle espérait, plus que tout, que cet adversaire serait à la hauteur de ses espérances, pas plus. Pas moins. Juste assez pour ne pas la briser.

Elle détourna le regard vers le sac, une impulsion irrésistible de frapper à nouveau la saisissant.
La sorcière pivota sur elle-même, envoyant un coup de pied sec qui résonna dans l'air, frappant l'épais coussin d'un bruit sourd. Elle s'acharna sur le sac, ses poings devenant rouges sous l'impact répétitif. Lorsqu'enfin elle s'arrêta, le souffle court, son front humide se posa contre le coussin, et un râle étouffé monta en elle. Elle le réprima, secoua la tête, puis se dirigea, toujours haletante, vers le râtelier.

Il fallait être vraiment stupide pour laisser des armes à portée de main.
Épées, dagues, boucliers, lances, arcs, arbalètes, haches, poignards, glaives... Tout était là, disposé comme des jouets, à la merci de n'importe qui.

Aideen, cependant n'était pas n'importe qui. Elle avait toujours su profiter des opportunités. Un sourire en coin, elle haussa les épaules.
Elle déposa les quelques armes qu'elle avait volées, un geste presque mécanique, comme pour se rappeler qu'elle n'avait pas perdu son instinct de chapardeuse. Un par un, elle dégaina les couteaux dissimulés dans ses poches, les flèches cachées dans ses bottes, et même une lame dissimulée dans sa tresse.

Ses yeux parcoururent à la ronde le terrain et réprima une grimace. Les adversaires semblaient aussi expérimentés qu'elle. Il était évident que la plupart ne montrer pas toute leur véritable force. Ils devaient probablement attendre la première épreuve pour exhiber leurs capacités...

À cette simple idée, Aideen sentit son cœur accélérer, une vague d'anxiété dévalant sa colonne vertébrale. Ses yeux restaient fixés sur Kyra, absorbée dans ses mouvements sur le tapis de combat, quand, d'un coup, un mouvement attira son attention dans son champ de vision.

Lucas. Aussi trempé de sueur qu'elle, avec cette même lueur déterminée dans le regard. Il avançait, avec un homme trapus, aussi musclé qu'un géant.
Aideen se redressa précipitamment lorsqu'elle le vit s'avancer droit vers elle, son rictus dévoilant des dents limées, un sourire malicieux et menaçant qui n'annonçait rien de bon.

— Bonjour, dit-il d'une voix rauque. Je pensais que tu serais déjà morte après le buffet.

Ses yeux sombres glissèrent le long de son corps, lents et pervers, avant de se relever pour se perdre dans ses yeux bleus, cherchant à déstabiliser.

— Dommage qu'on soit pas tous débiles comme toi Lucas, cracha-t-elle, la colère montante dans sa voix.

Un silence tendu s'installa entre eux, lourd et oppressant. Lucas savourait l'instant, comme un prédateur prêt à bondir. Puis, lentement, il fit un pas vers elle, ses yeux ne quittant pas les siens, mesurant chaque réaction, chaque frémissement.

— J'espère me retrouver contre toi sur le ring. À moins que tu veuilles te défiler, ma jolie ?

— Me défiler ? Pourquoi faire ? répondit-elle, une lueur de défi brillant dans ses yeux. Les choses intéressantes commencent enfin, pas vrai ?

— Il vaudrait mieux que tu choisisses les lances pour assurer ta sécurité, dit-il lentement, le regard brillant de malice. Parce que si je mets la main sur toi, je te tordrai le cou.

Aideen lui rendit son sourire, glacé et acéré, avant qu'il ne s'éloigne avec son compagnon : un homme aux cheveux noirs en bataille, encadrant un visage marqué par des cicatrices qui semblaient raconter des années de violences.
Lucas, sûr de lui, ne se doutait pas qu'elle l'observait encore, un calme froid dans ses prunelles.

Si elle le voulait, la lame pointue qu'elle tenait entre ses doigts ferait bien plus que couper l'air. Comme il aurait été facile de lancer cette arme, de la voir fendre l'espace et s'enfoncer dans la gorge de Lucas.
Il suffirait d'un geste précis, et cette ordure s'étoufferait dans sa propre mare de sang. La satisfaction d'une telle fin rapide effleura brièvement son esprit, mais Aideen n'était pas du genre à céder à la tentation aussi facilement. Pas encore. Pas avant qu'il ne comprenne à quel point il avait sous-estimé.

Aideen se rendit compte qu'elle tremblait de rage seulement lorsque Zack posa sa main sur son épaule.

— Si être une brute sans cervelle était récompensé, ce pauvre type serait une légende.

Le roi Taron Elmond III est une brute sans cervelle...

— Je vais le tuer.

— Tu pourrais, mais il serait bien plus satisfaisant d'attendre les épreuves. Elles seront à ton avantage si tu offres un spectacle sanglant au public.

Aideen le fixa un instant, ses yeux bleus perçant les siens, cherchant à mesurer l'impact de ses mots. Zack avait raison. Faire de Lucas une victime privée n'aurait rien d'intéressant comparé à l'impact qu'elle pourrait avoir sur le ring, en public, sous les yeux avides de tous.
Elle ferma les yeux un instant, évaluant l'idée. Puis, avec un soupir presque imperceptible, elle se détourna, remettant la lame sur le large râtelier de bois.

— Ne gaspille pas tes forces à le haïr. Conserve plutôt ton énergie à ta survie, dit-il. Même si ce n'est qu'un entraînement, c'est ici que tes adversaires décèleront ta faiblesse, et ils ne manqueront pas de l'exploiter sans pitié.

Son conseil résonnait encore dans l'air, une vérité froide et sans compromis. Zack Borlewen, se tenait là, immobile, ses yeux glissant sur le champ d'entraînement jonché de corps brisés et de visages déformés par la douleur.
Les gémissements des cavaliers blessés se mêlaient aux bruits des souffles haletants, et les bras cassés, les côtes fêlées semblaient annoncer l'issue fatale pour la plupart. La mort, lente et inévitable, était en marche.

Mais cette perspective, cette fin tragique, n'était pas celle de Kyra. Elle n'était qu'une flamme flamboyante dans cette mer de souffrance. Ses mouvements étaient calculés, précis, et à chaque attaque, son adversaire tombait comme une feuille morte, sans aucune résistance. L'expression de Morris Vinert, recroquevillé sur le sol, était la définition même du supplice.

— Pourquoi m'as-tu aidée au buffet, et pourquoi continues-tu à le faire ? demanda-t-elle, s'appuyant contre le râtelier, les bras croisés, son regard perçant fixé sur le combat de Kyra.

Kyra tourna lentement autour de son opposant, un sourire froid effleurant ses lèvres avant de lancer une attaque d'une puissance brute qui fit chuter son ennemi.

— Parce que, dans ce jeu, avoir des alliés est indispensable si tu veux rester en vie. Et moi, un homme avec un œil à moitié aveugle, je suis une cible parfaite pour les autres. Je préfère avoir quelques atouts dans ma manche, avoua Zack d'un ton détaché, en désignant les cadets qui l'entouraient.

— Je vois.

Kyra immobilisa rapidement l'homme, sa joue pressée contre le sol, sa prise implacable. Si elle poursuivait dans cette voie, elle lui briserait le bras d'un instant à l'autre.

— Tu as rapidement compris que le repas était un piège. Tu es un connaisseur des poisons ?

— Quand tu fais partie d'une famille aristocratique, tes ennemis n'hésitent pas à explorer toutes sortes de stratagèmes pour t'éliminer, surtout quand ton oncle est détesté par toute la capitale de Kesber, répondit-il d'un ton cynique.

Elle se tut.

— Je ne suis certainement pas le plus fort d'ici, mais je suis le plus malin, et sûrement le plus beau, conclut Zack avec une certaine arrogance, presque un défi dans sa voix.

Au même instant, un cri de douleur s'éleva dans la pièce, brisé par le bruit des coups d'épées. Kyra venait de détruire le bras de son adversaire, qui gisait maintenant sur le tapis, son bras devenu aussi mou et fragile qu'une gelée.

Soudain, une ombre se forma dans l'encadrement de la porte. Ender Stark entra dans la pièce, son regard se posant sur le spectacle de la bataille. Il scruta l'ensemble de la scène, absorbant chaque détail, avant de poser son regard sur Aideen.

Un haut le cœur affligé venait de résonner dans sa poitrine. Elle ne laissa ni sa haine ni sa rébellion transparaître dans son regard. Elle se contenta de baisser les yeux pour donner à Ender ce qu'il s'attendait à voir : la soumission, l'obéissance, le respect. Il existait différentes manières d'être forte. Cette leçon-là, elle ne l'avait pas apprise avec le clan des Serres de Fer, ni avec Tête de Souris. Elle l'avait apprise seule.

Elle tenta tant bien que mal d'ignorer la façon dont la magie de la reine se manifesta en elle, les murmures exaltés qui chatouillaient ses oreilles. Son sang qui circulait plus vite, pour la protéger de Ender.

— Bien, au prochain Klaus Penord, Emery Myrthe.

Brutalement, tous les regards de la salle se tournèrent vers elle. L'air, déjà lourd d'anticipation, sembla se figer autour d'Aideen, chaque souffle devenant plus difficile à prendre. Elle voulut déglutir, mais sa gorge, trop sèche, l'en empêcha.
Les yeux rivés sur elle, les hommes sur l'estrade, les adversaires, Zack, Kyra, Arwan, Ender, comme des lames acérées, cherchaient la moindre faiblesse, la moindre hésitation.

Elle s'avança, ses pas résonnant dans l'écho du silence, son cœur battant plus fort à chaque mouvement. Quand son regard se posa sur son adversaire, un frisson d'appréhension lui traversa l'échine.

Kane Penord.

L'homme aux cicatrices profondes, le même qu'elle avait aperçu en compagnie de Lucas. À l'instant où il tourna son regard vers elle, la pièce sembla se réchauffer, l'odeur du danger flottant autour d'eux. Des rires étouffés s'élevèrent dans la salle, et Lucas se plaça près du ring, les yeux brillant de cette même cruauté qu'elle avait déjà vue.

Aideen inspira profondément, fermant un instant les yeux. Elle n'avait pas le luxe de douter, pas dans ce moment-là. Elle savait ce qu'elle devait faire.
Ce n'était pas seulement une question de puissance physique. C'était plus. C'était son esprit, sa capacité à frapper là où ça ferait le plus mal, à se surpasser quand tout semblait vouloir l'écraser.

Je suis Aideen Sarallard, la sorcière la plus crainte de Petras. Je suis Aideen Sarallard, l'amante de Kane Barclay, et je ne perdrais pas de vue mon objectif, se répéta-t-elle.

Elle rouvrit les yeux, et à cet instant, Kane se jeta sur elle.

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